De par sa technicité, l’Armée de l’air nécessite une formation initiale poussée, complétée au quotidien par la préparation opérationnelle. Celle-ci comprend l’instruction du personnel, son entraînement aérien et son aguerrissement. Les progrès techniques en matière de simulateurs ouvrent de nouvelles perspectives dans la préparation à la guerre aérienne moderne.
Les perspectives nouvelles de la simulation
Les armées de l’air les plus modernes mettent en œuvre des équipements complexes pour répondre à des menaces multiples, aux performances croissantes. Intervenant souvent au sein de coalitions, dans des contextes stratégiques fragiles, le droit à l’erreur n’existe pas. Les équipages doivent détenir des compétences de très haut niveau, acquises par un processus de formation sélectif et maintenues par une préparation opérationnelle exigeante et représentative des conflits actuels et possibles.
Cette préparation opérationnelle est réalisée principalement grâce à l’activité aérienne des équipages et recouvre l’instruction, l’entraînement quotidien et l’aguerrissement au combat de haut niveau. Chaque vol a un programme adapté s’inscrivant dans le cycle global de préparation opérationnelle. En parallèle, la simulation est utilisée depuis plus de 40 ans pour apprendre le fonctionnement de l’avion, mécaniser les gestes du pilote ainsi que pour standardiser le travail en équipage.
Les évolutions technologiques récentes dans le domaine du numérique améliorent en continu les outils de simulation en termes de fidélité, de mise en réseau et donc d’immersion, tout en facilitant leur utilisation et leur gestion. Elles permettent d’envisager de faire évoluer l’éventail d’emploi de la simulation et amènent à étendre son usage. Faisant face à de grands défis de préparation opérationnelle, l’Armée de l’air élabore une modernisation importante de ses outils de simulation. Les grands domaines d’application envisagés sont la simulation au sol massivement en réseau avec des situations tactiques complexes et des menaces réalistes, mais aussi la simulation dans les cockpits des avions en vol. Le but est de faire se rencontrer les deux mondes afin d’améliorer l’aguerrissement.
Pourquoi s’entraîner ?
En vol à 900 km/h, dans un cockpit, tous les événements se précipitent, chaque action peut être fatale, tandis que l’environnement physiologique (pression, facteur de charge) tend à réduire la perception et les capacités cognitives de tout individu. Pour être les meilleurs au combat, la préparation opérationnelle des équipages est donc une fonction primordiale.
Elle se décline en trois volets : instruction, entraînement régulier et aguerrissement. L’instruction consiste à apprendre le fonctionnement technique et opérationnel de l’aéronef, dans ses modes normaux et dégradés, puis à acquérir des compétences telles que la voltige, le vol sans visibilité, la navigation, le vol en formation et les manœuvres basiques de combat. Le deuxième volet consiste à répéter des actions au quotidien afin de consolider les compétences avec un niveau plus élevé d’exigence et dans un environnement plus représentatif des situations réelles de combat. Cet entraînement couvre les activités demandant beaucoup de dextérité telles que le ravitaillement en vol et le tir. Il entretient aussi la coordination des actions et trajectoires des équipiers, la compréhension de la situation aérienne adverse pour déjouer ses manœuvres et l’utilisation avec efficacité des armements qui sont comptés. Enfin, le troisième volet est l’aguerrissement, qui donne aux équipages la capacité à gérer des situations de combat complexes dans des environnements éprouvants, fortement évolutifs et non prévisibles.
La préparation opérationnelle est donc un continuum apportant connaissance, pratique et expérience tout en entretenant les qualités physiques individuelles indispensables au vol. Par ailleurs, plus l’avion et la mission sont complexes, plus l’entraînement est long et astreignant et plus l’expérience est décisive.
Pour disposer d’équipages aptes à remplir l’ensemble de ses missions, l’Armée de l’air doit assurer ces trois volets qui reposent concrètement sur plusieurs processus : la connaissance de l’aéronef et la mécanisation, la standardisation des procédures, le développement puis le maintien de l’esprit guerrier, de l’aisance et de l’endurance en vol de combat, et enfin le développement du sens tactique, du jugement, de l’initiative et du leadership. Aujourd’hui, seul le vol réel entraîne simultanément tous ces processus et permet aux équipages d’être performants face à l’inattendu même quand ils sont exposés à un stress intense. Ils réalisent ainsi 180 heures de vol par an. Cependant, depuis 15 ans, l’engagement en opérations a réduit la part de préparation opérationnelle au profit des vols sur les théâtres. Ces missions, bien qu’éprouvantes, sont centrées sur le bombardement (CAS (1) et AI (2)) en environnement aérien non contesté, délaissant les autres aspects du combat aérien, notamment l’acquisition de la supériorité aérienne.
Parallèlement, l’avion s’est complexifié. Il y a 20 ans, chaque appareil était spécialisé : bombardement (Jaguar, Mirage 2000N et 2000D), défense aérienne (Mirage F-1C, Mirage 2000C) ou reconnaissance (Mirage F-1CR). Les spécificités des missions et des équipements avaient conduit à séparer les métiers. Avec l’avènement du Rafale totalement polyvalent et la compression des flottes, les équipages doivent désormais maîtriser toutes les missions. Sur F-15E Strike Eagle, lui aussi polyvalent, les pilotes américains volent environ 250 heures par an. Compte tenu des contraintes budgétaires, l’activité en vol des pilotes de Rafale a été maintenue à 180 heures par an, comme sur les avions de génération précédente, complétée par 70 heures de simulation pour maîtriser un système d’armes bien plus complexe et l’ensemble des missions. Ces 180 heures de vol sont un socle pour garantir la sécurité et l’endurance aux sollicitations physiologiques du vol et le développement du sens de l’air. Elles sont essentielles pour être capable, sous 6 à 9 G, de piloter son avion, comprendre la situation tactique, prendre de bonnes décisions, coordonner l’action de ses équipiers et tirer son armement.
Au-delà de la préparation opérationnelle des équipages, l’activité aérienne d’entraînement doit aussi couvrir l’entraînement spécifique du commandement et de la conduite des opérations (C2) et permettre la répétition de missions réelles de frappe (rehearsal). Elle doit impliquer tous les acteurs des opérations (du niveau tactique au niveau stratégique) et assurer l’interopérabilité avec les alliés.
Enfin l’aguerrissement – l’acquisition des savoir-faire les plus élevés – achoppe sur des contraintes de disponibilité en moyens d’environnements réalistes : zones d’entraînement adéquates, plastrons aérien et sol/air représentatifs, systèmes de guerre électronique, équipements de mission…
Si la simulation ne participe aujourd’hui qu’à la mécanisation et la standardisation, les nouvelles technologies devront lui permettre demain de faire face à tous les défis de la préparation opérationnelle.
Atouts et limites de la simulation
La simulation possède avant tout des vertus pédagogiques remarquables permettant d’accélérer les cycles de formation. Sans contraintes de disponibilité ou de météorologie, elle offre la possibilité de se focaliser sur les phases importantes du vol et autorise la répétition des scénarios en faisant varier les paramètres choisis. Le rejeu des missions permet un débriefing très fin et l’amélioration pas à pas des performances. La simulation permet aussi d’explorer des situations dangereuses (pannes, agressivité des menaces) qu’il serait trop risqué de tester en réel.
Concernant l’aguerrissement, seule la simulation peut aider à s’affranchir, en partie, des contraintes, complétant et enrichissant l’activité réelle. En effet, seul le monde virtuel permet de générer le niveau de menace rencontré aujourd’hui dans les environnements les plus contestés.
Malgré l’absence d’indicateur sur le rapport coût/efficacité de la simulation, on constate qu’augmenter l’activité de simulation permet de réduire la durée des formations ou d’atteindre un meilleur niveau à activité aérienne constante. Ce mécanisme est en place pour la formation des pilotes de Rafale et se poursuivra avec l’arrivée du Pilatus PC-21 à Cognac. Par ailleurs, l’US Air Force a expérimenté de nouvelles méthodes avec le programme Pilot Training Next : en s’appuyant sur un recours massif à la simulation en libre accès, le temps de formation initiale des pilotes de chasse a été divisé par quatre. Cette expérience est prometteuse sur les savoir-faire même s’il convient d’attendre un retour d’expérience plus consolidé notamment sur les savoir être attendus de la part d’un pilote de chasse.
Dans tous les cas, la conformité de l’outil de simulation au système réel est fondamentale pour éviter un « negative training », généré par les temps d’adaptation entre un simulateur non conforme et le système réel. Or, on distingue plusieurs niveaux de conformité :
– Haute conformité : l’interface du simulateur reproduit à l’identique l’avion et ses capacités. C’est le cas du simulateur A400M ou des Centres de simulation Rafale (CSR).
– Moindre conformité : l’outil de simulation reproduit presque à l’identique une situation tactique réelle complexe, les sensations et l’environnement visuel, mais l’opérateur ne dispose pas de la réplique de son cockpit. C’est le cas des jeux vidéo de simulateurs de vol de dernière génération.
Les prix des simulateurs variant en fonction du niveau de conformité et le volume d’activité réalisable avec un simulateur étant limité, les objectifs d’instruction poursuivis doivent dimensionner les outils de simulation avec un juste besoin de conformité avec les systèmes réels. Par exemple, un simulateur pour l’apprentissage basique du vecteur (procédures normales, pannes, vol sans visibilité) et un simulateur pour l’entraînement tactique avancé en réseau auront des besoins de précision des modèles de vol et de représentativité du cockpit très différents. Dans un contexte budgétaire contraint, le développement de simulateurs conformes à coûts maîtrisés est un défi majeur pour l’industrie de la simulation. Sur PC-21, il y aura ainsi trois types différents de simulateurs, chacun adapté à une phase d’apprentissage.
De plus, la simulation fait face aujourd’hui à des difficultés techniques, humaines et financières : lenteur d’évolution des standards simulateurs pour suivre ceux des avions, traitement difficile des obsolescences, performances limitées des modèles de menace qui nuisent à la représentativité, mise en réseau limitée des simulateurs, normes de sécurité des systèmes d’information, manque de personnel pour l’animation des missions, manque de postes de simulation. Ces contraintes réduisent la plus-value de la simulation dans l’entraînement actuel.
Toutefois, les progrès des technologies numériques dans le secteur civil permettent d’être optimiste vis-à-vis des contraintes actuelles et d’envisager l’augmentation du recours à la simulation et un plus large emploi.
Évolutions technologiques et perspectives
Dans la simulation, le domaine de l’apprentissage du vecteur et du système d’armes étant globalement bien couvert, les investissements doivent maintenant porter sur l’amélioration qualitative et quantitative, ainsi que sur l’interopérabilité des systèmes de simulation entre eux.
Le passage à des simulateurs « tout numérique » permettra de s’affranchir progressivement de l’utilisation de pièces réelles d’avion, facilitant les mises à jour au gré des évolutions de standard et diminuant sensiblement les coûts de production et de maintenance. Les capacités croissantes des algorithmes d’IA permettront de rendre les comportements des plastrons automates plus cohérents et mieux paramétrables (ennemis plus ou moins agressifs), améliorant l’atteinte des objectifs d’instruction. L’amélioration des graphismes mis en œuvre en réalités virtuelle et augmentée offrira une sensation d’immersion inégalée.
Ces nouvelles technologies présagent de la mise en œuvre d’outils adaptables, interopérables et nativement capables d’échanger des données de tous types, au sein de réseaux dédiés.
Les simulateurs classiques et la Simulation distribuée distante (SIM2D)
Sur chaque base aérienne chasse, il y a entre un et quatre simulateurs, ce qui ne permet pas l’aguerrissement. La SIM2D a pour objectif de connecter les centres de simulation de plusieurs bases pour un entraînement simultané au sein d’un même scénario virtuel. Souvent développés par des industriels différents, ces simulateurs n’ont pas été conçus pour échanger des informations entre eux.
La SIM2D vise donc à les connecter avec des passerelles multiniveaux souveraines. À court terme, seuls les plus récents (Rafale et Mirage 2000D) pourront être connectés. C’est un premier jalon important mais l’objectif est l’interconnexion de tous les acteurs opérationnels de l’Armée de l’air : drones, transports, hélicoptères, contrôleurs aériens, personnel des centres de conduite des opérations, opérateurs de défense sol-air, responsables d’appui aérien…
Le Live Virtual Constructive Training (LVC), la simulation embarquée et le DMOC
Parallèlement au développement de la SIM2D, l’Armée de l’air poursuit ses travaux pour développer l’hybridation LVC, qui permet d’enrichir l’environnement tactique des missions aériennes et participe ainsi à l’optimisation de la préparation opérationnelle. Cette hybridation fonctionne aujourd’hui à un premier niveau et permettra, à l’horizon 2025, l’entraînement des combattants en vol réel (Live) face à des menaces réelles ou simulées, générées par de l’IA (Constructive) ou par des simulateurs pilotés (Virtual).
L’intégration de la simulation embarquée dans les systèmes d’armes est un prérequis pour assurer la compatibilité des mondes réel et virtuel. Il faut en effet présenter à l’équipage les pistes simulées, par l’intermédiaire de son système, comme des pistes réelles, et donc « leurrer » le cœur système, car cette piste simulée n’est pas détectée réellement par les capteurs de l’aéronef.
Les bases de cette technologie sont utilisées depuis longtemps sur les avions de combat à travers des modes fictifs de tir. Toutefois, de nombreuses voies de progrès existent à l’instar de ce que proposent les avions d’entraînement modernes (PC-21), qui échangent les pistes simulées via des liaisons de données entre avions. De même, l’utilisation de pods spécifiques apporte un très haut degré de réalisme opérationnel aux vols d’entraînement notamment grâce à la restitution temps réel des tirs effectués. La simulation embarquée sera introduite progressivement sur Rafale à l’horizon du standard F4 vers 2025.
Pour exploiter pleinement le potentiel de la SIM2D et du LVC, l’Armée de l’air a créé, depuis l’été 2018, le Distribution Mission Operation Center (DMOC) qui a pour ambition de constituer le centre de préparation, d’animation et d’analyse de l’environnement tactique simulé en proposant des créneaux de simulation à la demande. C’est la brique initiale préfigurant l’entraînement virtuel au combat collaboratif connecté multidomaines que l’Armée de l’air développera d’ici 2040.
Ces solutions permettent de donner une nouvelle dimension aux entraînements opérationnels en multipliant le nombre de participants et les scénarios possibles. En parallèle des travaux de SIM2D et de LVC, de nouveaux outils émergent, porteurs d’une rupture dans l’emploi de la simulation.
La Simulation massive en réseau (SMR)
La SMR s’appuie sur des technologies issues du « serious gaming ». Il s’agit d’utiliser des logiciels de simulation de dernière génération, initialement destinés au grand public, obéissant à des critères de réalisme poussés et nativement conçus pour faire interagir de très nombreux acteurs dans le même espace virtuel. Dotés d’interfaces simples et conviviales, leur prise en main est rapide, assurant une adhésion facilitée du personnel à leur emploi, tout en limitant les besoins d’encadrement.
Les contraintes financières, techniques et de sécurité des systèmes d’information (SSI) rendant délicate l’interconnexion de simulateurs hétérogènes, la SMR apparaît comme la piste la plus intéressante pour disposer d’outils de simulation de masse, extrêmement immersifs et à coût réduit. De tels outils de simulation permettront l’aguerrissement pour des équipages déjà expérimentés, en complément des simulateurs classiques.
Ils sont en cours d’expérimentation dans l’Armée de l’air. Un projet de passage à l’échelle est à l’étude par l’Agence de l’innovation de défense (AID), avec pour ambition le déploiement d’une première capacité fin 2019, à ce stade sur Mirage 2000. Elle permettra de disposer rapidement d’un premier retour d’expérience afin de dimensionner les futurs outils dans une vision incrémentale.
Cependant, pour que la SMR se développe, les industriels qui équipent l’Armée de l’air doivent être impliqués pour reproduire les modèles de vol des aéronefs au niveau requis de fidélité. Le développement de ces outils viendra compléter très avantageusement leurs simulateurs, en fournissant un module complémentaire, adapté aux entraînements les plus difficiles, et offrant ainsi un dispositif de simulation complet.
Si le besoin d’un haut niveau de conformité système reste indispensable pour l’instruction et l’entraînement de base, la combinaison des technologies haptiques, de réalité virtuelle et augmentée permet d’imaginer à un horizon plus lointain le remplacement des cockpits physiques des simulateurs actuels par des cockpits totalement virtuels, au sein desquels les équipages pourront actionner toutes les commandes, à l’identique de l’environnement réel. Cette révolution permettra l’avènement de systèmes plus légers, moins coûteux, offrant un large panel d’emploi, qui ouvrent la voie aux développements d’outils de simulation pour d’autres spécialités (mécaniciens, commandos…).
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Pour répondre à l’évolution du besoin en matière d’entraînement, l’Armée de l’air poursuit donc la transformation de ses outils de simulation en s’appuyant sur les nouvelles technologies « pour générer des évolutions significatives dans les usages et les modes de travail, permettant in fine de mieux remplir [ses] missions » (3).
Cependant, quels que soient les bénéfices de l’entraînement virtuel, le vol demeure essentiel. Rien ne le remplacera pour éprouver le matériel, vérifier le bon fonctionnement et les interactions de systèmes d’armes sophistiqués, mais surtout construire le sens de l’air des équipages et maîtriser les contraintes physiologiques du monde réel (désorientation spatiale, facteur de charge, stress du combat, météorologie et ses conséquences sur la tenue de formation, péril aviaire, déconfliction avec les trafics civils…).
La simulation est un complément indispensable pour parfaire la formation et la préparation opérationnelle, permettant d’accélérer les progressions et de rehausser le niveau tactique, mais n’est pas un palliatif ou un moyen de substitution à moindre coût.
Les simulateurs doivent évoluer vers des outils fidèles et faciles à mettre en œuvre au niveau de chaque escadron par les équipages eux-mêmes. Cela permettra d’obtenir l’adhésion du personnel, essentielle pour atteindre les ambitions d’augmentation d’activité et d’élargissement d’emploi de la simulation. La SMR constitue une voie prometteuse pour proposer des outils conformes, connectés et immersifs à coût modéré, avec lesquels chacun pourra plus aisément et plus fréquemment se former et s’entraîner, au bénéfice du niveau de performance des forces au combat. ♦
(1) Close Air Support : mission d’appui aérien.
(2) Air Interdiction : mission de bombardement.
(3) Rapport annexé à la loi n° 2018-607 relative à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025, 13 juillet 2018 (www2.assemblee-nationale.fr/).