Introduction - Une nouvelle approche des fonctions stratégiques
C’est avec un très grand plaisir que j’ouvre, pour la première fois, à l’occasion de la tenue d’un Salon du Bourget, un numéro spécial de la Revue Défense Nationale consacré à l’Armée de l’air. À travers de nombreuses contributions de qualité, ce numéro nous offre une excellente opportunité de découvrir comment l’Armée de l’air s’appuie sur cinq capacités socles pour répondre à ses nombreux engagements. En effet, ce sont bien les capacités à planifier, commander et conduire les opérations aériennes (n° 1), à recueillir du renseignement (n° 2), à intervenir immédiatement (n° 3), à se projeter vite et loin (n° 4), à se former et s’entraîner au bon niveau (n° 5) qui permettent à l’Armée de l’air d’être présente sur notre territoire national et en dehors. C’est à travers la modernisation de ces capacités que demain l’Armée de l’air pourra toujours être un instrument de puissance au service de la Nation, présente dans chacune des cinq fonctions stratégiques (dissuasion, protection, connaissance et anticipation, prévention et intervention). Car ce qui fait la cohérence et la force de l’Armée de l’air c’est bien son aptitude à pouvoir mettre au service de ces fonctions l’ensemble de ses capacités.
Le nouveau Livre blanc sur la Défense et la Sécurité nationale qui vient d’être rédigé décline l’état des menaces et conforte cette approche par fonctions stratégiques, introduites par le Livre blanc sur la Défense de 1994 et élargies par celui de 2008. Il permet d’identifier les champs devant être maîtrisés pour permettre à l’État d’assurer la protection et la sécurité de ses citoyens, celles des intérêts vitaux de la France tant sur le territoire national qu’à l’extérieur de ses frontières.
Or, l’une des contraintes majeures à laquelle ce dernier est aujourd’hui confronté est déterminée par l’indispensable maîtrise des dépenses publiques qui, sur fond de crise financière profonde, rogne singulièrement ses marges de manœuvre. Toutefois, les performances des nouveaux appareils de combat, qu’ils soient hélicoptères, avions de chasse ou de transport, alliées à des concepts d’emploi plus réactifs ouvrent de nouvelles perspectives pour appréhender les cinq fonctions stratégiques au travers d’une approche plus holistique des complémentarités et de la dynamique qui structurent la relation de ces fonctions entre elles.
En effet, en constatant l’imbrication certaine de ces fonctions stratégiques et en appréhendant chacune d’entre elles dans une perspective plus dynamique, il apparaît possible de répondre aux enjeux auxquels nous devons faire face en s’appuyant davantage sur un recentrage sur le territoire national et sur quelques points d’appui, favorisant la concentration de nos moyens, garante d’économies.
En premier lieu, l’imbrication des fonctions entre elles est multiple. Elle vaut par les moyens qu’elles appellent à mettre en œuvre mais aussi par les champs qu’elles recouvrent et qui ne sont pas étanches les uns aux autres. De même, l’objectif de défense et de sécurité pour la France ne résulte pas d’une approche séquentielle de ces fonctions, mais bien d’une approche parallèle et souvent simultanée. Partant de ce constat, et s’appuyant sur les possibilités offertes par la technologie, l’exploitation de la polyvalence des moyens comme des procédures doit constituer un axe de travail essentiel.
La fonction connaissance et anticipation est par essence celle qui illustre le mieux l’interdépendance des fonctions entre elles car sa maîtrise garantit celle des quatre autres. Elle justifie de ce fait le maintien de l’effort dont elle bénéficie depuis 2008 en particulier dans le domaine spatial et celui de la cyberdéfense. Les actions contribuant à la réalisation de cette fonction doivent s’envisager selon deux axes différents.
D’une part, il y a celles qui sont menées en amont des crises et qui permettent de les anticiper. Elles reposent aujourd’hui sur les capacités de nos moyens spatiaux, de nos sources de recueil cybernétiques, électromagnétiques, humaines et sur l’emploi de vecteurs spécialisés déployés en fonction de zones d’intérêts particulières. On peut aller plus loin encore en exploitant toutes les opportunités de missions auxquelles sont amenés à participer certains de nos moyens dans le cadre des autres fonctions stratégiques. Nous devons en particulier nous appuyer davantage sur nos moyens aériens de projection et élargir leur doctrine d’emploi.
D’autre part, lorsque la crise a éclaté, sa maîtrise suppose de pouvoir s’appuyer sur des moyens dont la permanence sur zone est assurée. À ce titre le développement de l’emploi des drones doit encore progresser et faire l’objet d’un réel effort.
L’appréhension de cette imbrication et de la polyvalence peut également contribuer à sortir du contexte de très grande spécificité caractérisant la dissuasion, sans pour autant fragiliser la sureté de l’emploi de ses moyens. De même, il faut intégrer dans la réflexion stratégique, le fait que cette fonction offre aux armées françaises un domaine d’excellence, qui tire vers le haut leurs capacités opérationnelles (ciblage, mission de longue durée, traitement des cibles stratégiques, entrée en premier), renforçant ainsi les autres fonctions stratégiques et plaçant de fait la France à un très haut niveau de crédibilité.
En second lieu, il est possible aujourd’hui d’envisager notre recentrage sur le territoire métropolitain et sur quelques emprises hors du continent européen sans pour autant compromettre les autres fonctions stratégiques. Ce mouvement n’est toutefois possible qu’à deux conditions qui doivent contribuer à structurer un outil de défense agile et inscrit dans une logique dynamique.
La première est relative à la rénovation du dispositif de nos points d’appuis à considérer selon une approche plus dynamique, incorporant la capacité de rebond que permettent ces positionnements. Ce recentrage n’est pas synonyme de résignation et ne vise en aucun cas à quitter nos points d’appuis traditionnels. Mais pour l’opérer, il faut en repenser et en rénover le dispositif pour exploiter au mieux la nouvelle allonge stratégique que nos nouveaux moyens de projection et de ravitaillement offriront prochainement à nos forces armées.
La deuxième condition est relative à l’impérieuse nécessité de continuer à figurer au rang des nations les plus crédibles en matière d’intervention, fonction indissociable de notre culture de la responsabilité internationale. Dans ce domaine particulièrement exigeant en termes de ressources, des voies nouvelles doivent être imaginées afin de disposer du juste besoin, juste à temps sans toutefois renoncer à l’ambition d’honorer notre capacité à imposer notre volonté politique.
Toute intervention repose sur le triptyque action immédiate, projection de forces et capacité à durer. L’action immédiate implique nécessairement le besoin de préserver les moyens indispensables au maintien d’un haut degré de compétence dans les domaines opérationnels les plus exigeants, préservant notre capacité d’entrer en premier pour, selon une métaphore britannique, « Punch over our weight ». La capacité à durer, intervenant après la phase de haute intensité d’une opération, ne repose pas sur les mêmes exigences. Le niveau de préparation et d’équipement des forces qui interviendront dans ce cadre doit être adapté en conséquence.
Ces conditions posées, le recentrage sur le territoire national peut s’envisager car nous disposons de capacités de commandement et de contrôle robustes qui offrent un fort potentiel et permettent, encore plus qu’hier, un commandement centralisé et une exécution décentralisée de toute opération d’envergure avec une réactivité extrême. Mieux exploiter ces aspects, c’est à la fois garantir à nos concitoyens outre-mer la présence rapide de l’État en cas de crise majeure tout en ménageant une empreinte réduite, c’est préserver notre vocation mondiale et c’est économiser nos moyens pour agir sur tout le spectre des fonctions stratégiques.
Enfin par le recentrage sur le territoire national, il est possible d’envisager un renforcement de la collaboration interministérielle pour améliorer la sécurité de nos concitoyens et la résilience de l’État. Toutes les synergies doivent être exploitées, depuis le suivi des moyens jusqu’à l’imbrication des structures de commandement et de gestion de crises en passant par la valorisation des missions d’entraînement au profit de besoins ponctuels de l’État.
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Ainsi, imbrication, polyvalence et approche dynamique permettent d’appréhender les cinq fonctions stratégiques sous un angle différent qui, sans remettre en cause leur importance relative, exploite leurs potentialités propres en favorisant notre recentrage sur le territoire national offrant par la même occasion une réponse adaptée à la maîtrise de nos finances publiques.
C’est dans cette optique, confortée par le Livre blanc sur la Défense et la Sécurité nationale, que l’Armée de l’air, poursuit sa modernisation et consolide ses capacités socles afin de toujours remplir ses missions permanentes de dissuasion et de protection du territoire national et de ses approches, afin de maintenir sa capacité d’intervention immédiate au plus haut niveau. Elle continue d’offrir l’instrument de puissance dont la France a besoin pour exercer ses responsabilités tant sur la scène internationale qu’au service de la défense de ses citoyens. ♦