Le C2 Air français est aujourd'hui indispensable à la défense aérienne du territoire ainsi qu'aux opérations extérieures. De la genèse des opérations aériennes aux dernières évolutions, cet article retrace l'histoire d'une des capacités socles de l'Armée de l'air.
Le C2 français de défense aérienne : un outil forgé dans la durée
Résultat de 50 ans d’effort, le C2 (Commandement et contrôle) Air français constitue le système nerveux des opérations aériennes et, à ce titre, est totalement constitutif de la puissance aérienne de la France. Réunissant une structure de commandement, une organisation, des processus et des moyens humains et techniques, le C2 Air permet de commander, planifier, programmer et conduire des opérations aériennes au-dessus, depuis ou hors du territoire national.
L’histoire du C2 en France est intimement liée à l’histoire de la défense aérienne du territoire et des moyens de détection, de commandement et de contrôle afférents. Les principes fondamentaux de fonctionnement du C2 découlent, intrinsèquement, de l’emploi de la puissance aérienne.
Genèse du C2 : de l’invention des principes à la naissance du C2 moderne
La Première Guerre mondiale et l’émergence d’une première organisation de type C2
Durant la Grande Guerre, les premières mesures de défense passive, contre les Zeppelin puis contre les bombardiers allemands Gotha menaçant Paris, poussent à la mise en place d’un organisme chargé de centraliser les informations, issues des tours de guet et des systèmes de détection acoustique par transmission téléphonique, de les analyser puis de décider des mesures à adopter. Ainsi, le camp retranché de Paris, mis en place par le gouverneur militaire de Paris dès 1914, voit l’implantation de moyens de DCA (Défense contre aéronefs) et d’escadrilles de chasse. Cette organisation perdure durant toute la guerre. Plus à l’Est, confronté à une importante offensive allemande dans le secteur de Verdun, le commandement français pose le principe de l’emploi en masse de l’aviation pour reprendre l’avantage. L’objectif est d’acquérir et de conserver la maîtrise de l’air au-dessus du théâtre d’opération par l’emploi coordonné de l’ensemble des moyens aériens présents sur le théâtre. Suite au succès de cette démarche, une première structure, la division aérienne, est créée en 1918 afin de coordonner l’action de toute l’aviation de combat sur le front de l’Est.
Naissance du C2 moderne lors de la bataille d’Angleterre
Cependant, le C2, tel qu’on le conçoit actuellement, prend réellement son essor, en 1940, durant la bataille d’Angleterre au début de la Seconde Guerre mondiale. Face aux raids de bombardement de la Luftwaffe, la Royal Air Force (RAF) pose les principes fondamentaux modernes de fonctionnement du C2. D’abord, elle s’appuie sur des moyens de détection constitués par la chaîne côtière de radar Chain Home : elle détermine ainsi les axes d’attaque et le nombre approximatif d’ennemis en vol. Ensuite, ces informations sont centralisées et analysées au sein du centre des opérations du Fighter Command qui attribue aux unités de combat les axes d’interception et les zones à couvrir. La clé du succès du Fighter Command repose alors sur sa rapidité de traitement de l’information et la promptitude des bases aériennes à mettre en l’air les chasseurs. Ce processus correspond à la boucle OODA (Observation, Orientation, Décision, Action) que conceptualisera, bien des décennies plus tard, l’Américain John Boyd.
Dès la Première Guerre mondiale, notamment à partir de la bataille de Verdun, on voit l’emploi de moyens aériens coordonnés. Les grands principes de coordination des moyens aériens sont mis au jour : commandement centralisé et exécution décentralisée.
En 1940, la bataille d’Angleterre illustre toute l’importance du C2 dans le succès des opérations militaires. L’organisation du Fighter Command mise en place lors de la bataille d’Angleterre signe la naissance du C2 moderne dans le sens d’une mise en réseau des diverses composantes (surveillance radar et guet aérien, unités de chasse) sous un commandement unique qui centralise l’information et la planification des opérations.
Construction d’une capacité nationale post-Seconde Guerre mondiale
La gestion des moyens aériens mais également terrestres (défense anti-aérienne, radar, base aérienne,…) dans le cadre d’opérations aériennes n’a eu de cesse, depuis la Seconde Guerre mondiale, d’évoluer au fur et à mesure de la complexification des matériels, du grand nombre des unités à gérer mais également des espaces géographiques à surveiller. Durant les décennies qui suivent la fin de la guerre, l’évolution du C2 est portée par de nombreuses avancées technologiques : l’entrée en service des avions à réaction, l’évolution technologique des systèmes de détection, tant en portée qu’en capacité de discrimination, l’essor exponentiel des technologies de l’information et de la communication induit par la modernisation constante des composants électroniques.
En France, le C2 connaît un tournant majeur avec la création de l’Organisation du Traité de l’Atlantique (Otan) et l’émergence d’un adversaire disposant d’importants moyens aériens et terrestres. L’instauration d’un C2 français moderne est à mettre en relation avec le développement de la défense aérienne dont est en charge l’Armée de l’air. Dans un premier temps, à la fin des années 1940, équipée en radar par les Anglais, l’Armée de l’air implante son centre des opérations, sur le modèle de la salle des opérations de la RAF, à Paris, dans les sous-sols de la caserne des gardes mobiles de la place de la République. En 1957, elle dispose d’un nouveau site, le Centre des opérations de la défense aérienne (CODA), à Taverny. Compte tenu de la nécessaire réactivité liée à la mission, l’unicité du commandement s’impose et, en 1961, l’Armée de l’air crée une structure centralisée dédiée à la défense aérienne : le commandement air des forces de défense aérienne (CAFDA), à Taverny (Val-d’Oise). Il fédère l’ensemble des moyens, du réseau maillé de détection aux avions d’interception et permet de fournir en temps réel les éléments d’appréciation de la situation au profit du Premier ministre, autorité politique responsable de la défense aérienne du pays. Cette chaîne extrêmement réactive relie le sommet de l’État au pilote dans son aéronef et assure en tous lieux et toutes circonstances la souveraineté de l’espace aérien national. En 1965, les attributions des commandants de zones aériennes de défense sont définies. Outre leur état-major, ils disposent d’un C2 régional composé d’un centre d’opérations, de moyens de détection et de contrôle et des moyens d’interception afférents.
À cette période, le C2 français, au niveau de la détection et du contrôle aérien, connaît une importante modernisation. Les stations radar sont modernisées en étant dotées du système César (Complexe d’exploitation semi-automatique du radar) et du Strida II (Système de transmission et de représentation des informations de défense aérienne). Le lancement du système Strida en 1960 constitue une étape majeure de la construction de l’outil C2 en France. Cette modernisation sera continue tout le long des décennies suivantes. Parallèlement, l’Armée de l’air adopte les concepts d’emploi communs aux autres forces aériennes de l’Alliance atlantique et intègre le réseau NADGE (NATO Defense Ground Environment). Ce faisant, elle accepte des échanges d’informations et une liaison permanente avec les structures Otan. Ainsi, le C2 français bénéficie des informations permettant d’établir la situation aérienne générale des approches de la métropole. L’enjeu pour le C2 français est d’obtenir une couverture aérienne globale du territoire fusionnée en une seule représentation de l’espace aérien. En dépit de la sortie de la France de l’organisation militaire intégrée de l’Alliance en 1966, l’Armée de l’air continue à être reliée au système NADGE. D’ailleurs, à l’instar des exercices Tiger Meet, les unités de l’Armée de l’air maintiennent un entraînement avec ses partenaires de l’Alliance, particulièrement dans le domaine C2 avec l’organisation de missions aériennes simulées. L’architecture du C2 permanent français perdure jusqu’au début des années 1990 et la création du CDAOA en 1994. Les moyens, quant à eux, n’ont cessé d’évoluer via des modernisations successives et l’entrée en service d’équipements nouveaux, tels les E-3F AWACS à la fin des années 1980.
Un C2 Air français robuste et interopérable
Évolution conceptuelle et capacitaire du C2 Air français
Le début des années 1990 voit deux évolutions majeures. D’une part, la fin de la guerre froide met plus en avant une posture expéditionnaire, symbolisée par l’engagement dans la guerre du Golfe, et donc l’importance du C2 dans les opérations extérieures. D’autre part, les progrès majeurs des technologies d’information et de communication conduisent à l’avènement du concept de Network centric warfare.
Les années suivant la fin de la guerre froide sont particulièrement riches pour le C2 français. Tout d’abord, l’Armée de l’air s’équipe d’un système de détection et de commandement aéroporté, les E-3F AWACS, lui conférant de nouvelles possibilités, notamment dans le cadre d’interventions extérieures. Ensuite, les leçons tirées de la guerre du Golfe consacrent le besoin de disposer de systèmes performants de commandement, de contrôle, de communication et de renseignement, désormais, indispensables à toute guerre moderne. En 1994, afin de s’adapter à cette nouvelle donne, l’Armée de l’air accole à sa structure existante en métropole les compétences et outils dédiés aux opérations extérieures. Le Commandement de la défense aérienne et des opérations aériennes (CDAOA) est créé. Outre, la mission de défense aérienne, le CDAOA entretient et développe l’expertise de l’Armée de l’air au commandement des opérations aériennes.
Au niveau capacitaire, ces évolutions se traduisent par le lancement en 1993 du Système de commandement et de contrôle des opérations aériennes – désormais « aérospatiales » – (SCCOA). Système de systèmes – le Strida y est intégré – mettant en réseau l’ensemble des acteurs intervenant dans toutes les opérations aérospatiales, le SCCOA est la colonne vertébrale de l’emploi des moyens aériens français. Ce programme est lancé en parallèle du système Air Command and Control System (ACCS) de l’Otan, qui met en commun les systèmes de conduite des opérations aériennes des pays membres, y compris la France qui fait partie de ce programme. Le SCCOA doit permettre de :
- assurer sans discontinuer les missions permanentes de dissuasion et de protection du territoire national ;
- permettre aux vecteurs aériens militaires de remplir leurs missions H24 dans l’espace aérien national en toute sécurité ;
- projeter, dans la durée, une centaine d’avions de combat sur trois bases aériennes de théâtre ;
- mettre en œuvre les moyens de transport aérien, de surveillance et de ravitaillement en vol nécessaires aux opérations, afin d’appuyer la projection des forces ;
- assurer, si besoin, le rôle de nation cadre en ce qui concerne le commandement de la composante aérienne d’une coalition, tout en assurant sa participation au niveau du commandement interarmées de théâtre.
Le développement du SCCOA s’inscrit dans une démarche incrémentale. À l’heure actuelle, le SCCOA débute l’étape 4 qui verra notamment la bascule des Centres de commandement et de contrôle vers une structure intégrée ACCS de l’Otan. Son développement accompagne la transformation des armées françaises. Il s’agit de se doter d’un instrument capable de couvrir l’ensemble du spectre des opérations aérospatiales et de s’adapter aux évolutions de celles-ci.
Dès lors, le SCCOA doit être pensé comme un outil permettant d’aboutir à l’autonomie de décision et d’action en matière d’opérations aériennes. Au moment de l’engagement en Irak en 1991, les moyens français sont peu adaptés à la conduite d’une opération aérienne en coalition et se traduisent par une certaine dépendance à l’égard des moyens de commandement de la coalition. 20 ans plus tard, en 2011 au cours de l’opération Unified Protector en Libye, les capacités du C2 Air permettent à la France de conduire les premières frappes du 19 mars 2011, dont l’impact politique et stratégique est déterminant pour le succès de l’opération.
Le C2 Air actuel
À l’heure actuelle, la France dispose d’un outil C2 Air performant, robuste et interopérable. Le C2 Air permet de commander, planifier, programmer et conduire depuis des structures fixes ou déployables des opérations aériennes au-dessus du territoire national, depuis le territoire national et même à l’extérieur du territoire. Le C2 Air français peut être décomposé en deux grands ensembles fonctionnels : le C2 Air permanent et le C2 Air expéditionnaire. Le C2 Air permanent assure la conduite d’un large éventail de missions aériennes au-dessus du territoire national tandis que le C2 Air expéditionnaire prend en charge la conduite des opérations aériennes extérieures, que la conduite de ces opérations soit assurée depuis les structures C2 en France ou à l’étranger. Le C2 Air français peut se résumer schématiquement de la façon suivante :
- Sauvegarde aérienne
- Surveillance de l’Espace et défense antimissile C2 Air permanent
- Opérations sur le territoire national
- Opérations aériennes extérieures
- Opérations extérieures conduites depuis le territoire
- Opérations extérieures conduites depuis des structures hors du territoire C2 Air expéditionnaire
Mission première du C2 Air permanent, la surveillance et la protection du ciel national repose sur la structure de commandement et de conduite fournie par le Centre national des opérations aériennes (CNOA). Les capacités françaises en la matière sont robustes et reconnues. Le dispositif français de sûreté aérienne permet la surveillance des quelques 11 000 mouvements aériens quotidiens au-dessus du territoire national.
Depuis le 11 septembre 2001, le C2 chargé de la défense aérienne au-dessus du territoire national s’est beaucoup concentré sur la menace terroriste. Cela a eu pour conséquence le besoin particulier de travailler de manière plus interministérielle. La présence, au sein du CNOA, de personnes représentant ou relevant de différents ministères accroît la fluidité des opérations. Leur rôle d’interface améliore la synergie interministérielle. Tous les acteurs étatiques chargés de la lutte contre le terrorisme sont ainsi intégrés dans la même boucle d’information. Parallèlement, des efforts ont été fournis en matière de coopération interétatique. Des accords bilatéraux ont été signés entre la France et des pays contigus dans le but de parvenir à une anticipation plus précoce et une action plus efficace contre les menaces.
Les opérations menées grâce au C2 Air permanent incluent aussi bien des raids à longue distance que l’entraînement des forces aériennes sur le territoire ou des missions de service public. Le C2 Air permanent permet en effet à la France de mener des frappes conventionnelles à longue distance. Grâce à cet outil C2, la France est capable de projeter une patrouille de Rafale équipés du missile de croisière Scalp, accompagnés de ravitailleurs et d’un AWACS et dotés de moyens de communication à longue distance pour commander une frappe de missiles de croisière, depuis le CO.AIR (Centre opérationnel de l’Armée de l’air) ou depuis Lyon (CNOA). Cette capacité, unique, permet aux décideurs politiques de délivrer des effets militaires précis en quelques heures, en tout lieu et avec une empreinte au sol faible, voire nulle.
Dispositif particulier de sûreté aérienne, opérations de recherche et de sauvetage des aéronefs en détresse, lutte contre les activités illicites comme le narcotrafic, lutte contre les feux de forêt ou encore l’aide aux populations dans le cas de catastrophe naturelle, le C2 Air permanent permet la mise en œuvre de nombreuses missions de service public dont la particularité est la coordination de l’emploi de moyens civils et militaires.
La mission de surveillance de l’Espace est confiée au CDAOA, chargé de mettre en œuvre le radar Graves (Grand réseau adapté à la veille spatiale). Les données obtenues, analysées et régulièrement mises à jour, permettent de constituer une « situation spatiale ». À court terme, des améliorations de Graves sont prévues, ainsi que le développement d’un démonstrateur (Oscégéane pour Observation Spectrale et CaractÉrisation des satellites GÉostatioNnairEs) effectuant la spectroscopie de satellites géostationnaires. La mise en œuvre coordonnée de ces senseurs et logiciels de traitement associés met en lumière l’existence d’une boucle opérationnelle spatiale (1) finalisée : Détection–Analyse–Orientation–Action, qui n’est pas sans rappeler la boucle OODA.
xDepuis le mois de février 2010, un lien Confidentiel défense est établi entre le Cnes (Centre national d’études spatiales), diffusant l’expertise, et le CDAOA, outil opérationnel de mise en œuvre. La démarche a abouti à la mise en place d’un centre spatial permettant de fournir quotidiennement une situation très précise en fusionnant les informations issues de l’ensemble des capteurs et qui sera mis en œuvre à l’avenir sur la base aérienne de Lyon-Mont-Verdun. Ce Centre opérationnel de surveillance militaire des objets spatiaux (Cosmos) représente ainsi un véritable C2 spatial.
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Fruit d’un effort mené dans la durée, la France dispose d’un C2 Air permanent performant qui lui permet d’assurer la mission régalienne de protection de l’espace aérien national tout en assurant des missions extrêmement diversifiées. ♦
(1) Boucle opérationnelle spatiale :
Détection : Grâce aux moyens Graves (pour l’orbite basse) et Oscégéane (pour l’orbite géostationnaire).
Analyse : Sollicitation des logiciels Ciborg et STK.
Orientation : Orientation des capteurs de trajectographie (Satam) ou d’imagerie (Tira).
Action : Manœuvre anticollision, planification d’opérations, décision politique…