L'auteur revient sur la genèse du modèle afghan et sur sa première utilisation en Afghanistan, pour en com- prendre les grands principes. L'étude des conflits récents confirme que le modèle afghan est un outil stratégique à dominante aérienne qui reste tout à fait pertinent, à la valeur coercitive élevée quand il est employé dans les bonnes conditions. Il nécessite d'être pleinement reconnu et intégré dans la palette d'options stratégiques que permettent nos armées.
De l'Afghanistan au Mali : le modèle afghan 10 après, une pertinence intacte
Le 10 novembre 2001, les forces de l’Alliance du Nord capturaient Mazar-e-Charif, précipitant ainsi la chute du régime des Talibans un mois plus tard. À l’occasion de cette première victoire importante depuis le déclenchement de l’opération Enduring Freedom, le monde entier découvrait les images de combattants occidentaux à cheval au sein de la cavalerie du général Dostum. Ce témoignage de l’implication de forces spéciales aux côtés de l’Alliance du Nord soutenue par la puissance aérienne de la coalition allait donner naissance un an plus tard au concept de « modèle afghan », théorisé et popularisé par Stephen Biddle, chercheur de l’US Army War College.
Dix ans après sa naissance, quel est l’héritage du modèle afghan ? A-t-il été appliqué sur d’autres théâtres d’opération ? Est-il toujours pertinent dans le cadre des opérations au Mali ou de futurs conflits ?
Pour répondre à ces questions, il est nécessaire de revenir sur la genèse du modèle et sur sa première utilisation en Afghanistan, pour en comprendre les grands principes. L’étude des conflits récents montre que le modèle a également été employé dans le nord de l’Irak lors de l’opération Iraki Freedom en 2003, avant de refaire son apparition en Libye durant l’opération Unified Protector. Ces trois exemples permettent d’en définir précisément les caractéristiques, avantages et limitations. Ils confirment que le modèle afghan est un outil stratégique à dominante aérienne qui reste tout à fait pertinent, à la valeur coercitive élevée quand il est employé dans les bonnes conditions. Il nécessite d’être pleinement reconnu et intégré dans la palette d’options stratégiques que permettent nos armées.
Naissance d’un concept : Afghanistan, octobre 2001-mars 2002.
La genèse du concept de modèle afghan date des premières semaines de l’opération Enduring Freedom (OEF). Suite aux attaques du 11 septembre, le National Security Council propose au président Bush deux options concernant l’Afghanistan. La première, fruit des travaux du Joint Chiefs of staff, privilégie une approche conventionnelle nécessitant le déploiement de cinq divisions sur plusieurs mois avant de débuter l’attaque contre le régime taliban. La deuxième, présentée par la CIA, prédit la chute du régime grâce aux effets conjugués de la puissance aérienne américaine, de forces spéciales, et d’alliés afghans. Ce plan suscite le rejet des militaires du Pentagone. Il renvoie aux expériences peu convaincantes en la matière durant la guerre du Vietnam, lorsque les forces spéciales alliées aux tribus montagnardes tentèrent sans succès d’endiguer le flot d’hommes et de matériels transitant par la piste Ho Chi Minh. Dans le cas de l’Afghanistan, il recueille pourtant toute l’attention du secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld, pour plusieurs raisons. Tout d’abord il permet une riposte rapide, conforme aux attentes de la Maison-Blanche et de la population américaine traumatisée par l’ampleur des attaques terroristes. L’Afghanistan, isolé, sans accès maritime, se prête mal au déploiement massif de troupes nécessitant la négociation d’accords de transit et de stationnement avec les pays limitrophes. L’invasion soviétique de décembre 1979, partie de ses républiques d’Asie centrale, ne souffrait pas d’une telle limitation. Le plan de la CIA s’appuie ensuite sur une puissance aérienne dont la létalité et la précision sont sans commune mesure par rapport au Vietnam. L’emploi de l’arme aérienne, en combinaison avec des forces spéciales équipées de désignateurs laser portables et capables de fournir des coordonnées GPS précises, offre des possibilités nouvelles encore largement sous-estimées en 2001. Donald Rumsfeld les a cependant entrevues. Il a débuté une profonde réforme de l’outil militaire américain, jugé trop lourd et ne tirant pas assez les bénéfices de sa supériorité technologique; (1). Le concept « Shock and Awe », développé en 1996 par des chercheurs de la National Defense University, a attiré l’attention du secrétaire à la Défense : une combinaison de vitesse, précision et puissance de feu qui paralyse l’adversaire avec un minimum de forces (2). Il peut trouver en Afghanistan sa première application grandeur nature mais avec un segment sol limité aux forces spéciales.
Le plan de la CIA est donc finalement retenu, principalement du fait des contraintes géographiques et diplomatiques d’accès à l’Afghanistan, et de la nécessité politique d’agir vite. La CIA peut également s’appuyer sur des relations solides avec l’Alliance du Nord, établies dans les mois qui précèdent le 11 septembre. La suite est connue : la campagne aérienne débute le 7 octobre par l’attaque du réseau de défense aérienne rudimentaire des Talibans et de leur infrastructure de commandement et de contrôle (C2). Le 15 octobre, les forces spéciales américaines ont rejoint les troupes de l’Alliance du Nord et préparent l’offensive contre les principaux bastions talibans, en particulier Mazar-e-Charif. Sans véhicules, elles ont recours au mode de locomotion le mieux adapté aux pistes étroites des montagnes afghanes : le poney. Les positions retranchées défendant la ville tombent les unes après les autres face à l’action combinée de l’aviation de la coalition et des combattants du général Dostum. La chute de Mazar-e-Charif le 10 novembre marque le début de la fin pour le régime taliban, qui abandonne son dernier bastion de Kandahar le 6 décembre, après seulement 60 jours de campagne.
En novembre 2002, le premier article de fond sur le nouveau « modèle afghan » paraît sous la plume de Stephen Biddle, chercheur de l’Army War College. Cet auteur en fixe les principales caractéristiques, les avantages mais aussi les limitations, démontrées dans les premiers mois de 2002. En effet, l’emploi d’alliés afghans pour « finir le travail » et liquider les combattants d’Al-Qaïda retranchés à Tora Bora ou dans la vallée de Shah-e-Khot (opération Anaconda) ne rencontre pas le succès escompté. Dans le deuxième cas, la faible motivation des combattants afghans sensés débusquer et refouler l’ennemi hors de la vallée conduit à leur repli dès les premières difficultés, laissant les troupes américaines affronter seules un ennemi déterminé.
Application au Kurdistan irakien : mars-avril 2003
Si les premiers mois d’Enduring Freedom sont relativement bien documentés en France, l’utilisation du modèle afghan dans le nord de l’Irak au printemps 2003 l’est beaucoup moins. Là aussi, ce sont les conditions géographiques et l’environnement diplomatiques qui vont obliger le Pentagone à reproduire le mode opératoire afghan. La planification réalisée par l’US Central Command (CENTCOM) pour la chute de Saddam Hussein prévoyait le déploiement depuis la Turquie de la 4th Infantry Division (4 ID) dans le nord de l’Irak. À la mi-mars, malgré une intense activité diplomatique, le CENTCOM finit par se rendre à l’évidence que la Turquie ne se joindra pas à la coalition et n’autorisera pas l’ouverture d’un front nord depuis sa frontière. En désespoir de cause, le général Tommy Franks décide de recourir à des forces spéciales pour fixer les 13 divisions irakiennes positionnées par Saddam Hussein pour couvrir sa frontière nord. Pour le CENTCOM le danger est de voir ces divisions redéployées au sud face au Koweït quand le dictateur irakien aura compris que la menace venant de la Turquie s’est dissipée. Le CENTCOM décide donc d’engager 48 équipes de 12 hommes des 3rd et 10th Special Forces Group, soutenues par la puissance aérienne de la coalition et infiltrées auprès des Peshmergas kurdes, pour tenter de remplacer le rôle initialement réservé à la 4 ID.
La tâche est ardue : les 50 000 à 70 000 miliciens kurdes sont courageux et motivés mais ne possèdent aucun matériel lourd. Leur aptitude à l’offensive est inexistante. Leur tactique de prédilection consiste à monter des attaques frontales coûteuses contre les positions des 70 000 à 110 000 hommes des forces régulières irakiennes, et des 20 000 soldats de la garde républicaine. Les forces spéciales américaines qui constituent la Joint Special Operations Task Force-North (JSOTF-N) sont infiltrées par la voie des airs le 23 mars sans leurs véhicules et leurs équipements de communication, bloqués en Turquie. Le guidage des frappes se fera donc essentiellement par radio, sans liaison de données. Le soutien aérien n’est également pas à la hauteur de l’Afghanistan : les moyens aériens de la coalition sont basés dans le Golfe arabo-persique, loin du nord de l’Irak. Sans les bases prévues en Turquie, seule l’aéronavale des porte-avions en Méditerranée peut être utilisée, mais elle est également loin et limitée en capacités.
Les forces spéciales américaines vont pourtant atteindre les trois objectifs qui leur étaient donnés : fixer la plus grosse partie des divisions irakiennes sur la ligne verte (la frontière entre le Kurdistan irakien et le reste de l’Irak), détruire les camps d’entraînement du groupe terroriste Ansar al-Islam, et stabiliser les villes de Mosul et Kirkuk. Réparties le long de la ligne verte, en groupes composés d’une équipe de 12 hommes et d’un combat controller de l’US Air Force rattachés à une unité de 100 à 300 Peshmergas, les forces spéciales utilisent les connaissances du terrain et le renseignement des alliés kurdes pour diriger les feux de l’aviation sur les unités irakiennes. Durant les 16 jours d’opérations, jamais les troupes de Saddam Hussein ne réussissent à trouver la parade. La puissance aérienne dirigée efficacement par les combat controllers va parvenir à compenser l’infériorité numérique, matérielle et tactique des alliés kurdes.
Néanmoins, les succès de la JSOTF-N sont parfois obtenus de justesse ou au prix de dommages collatéraux. Ainsi lors des combats de la passe de Debecka, deux équipes américaines et leurs alliés échappent de peu à l’annihilation face à une compagnie motorisée irakienne renforcée par de nombreux blindés. Gênée par le mauvais temps, l’action des bombardiers américains conduit à la perte de 17 combattants kurdes frappés par erreur par un chasseur F-14D. Les forces spéciales ne doivent leur survie qu’à l’emploi de missiles antitank Javelin pour repousser les blindés ennemis. Heureusement, l’amélioration météo du lendemain permet de venir à bout de la colonne irakienne. La JSOTF-N affronte également une autre difficulté majeure : le manque de capacité ISR (Intelligence, Surveillance and Reconnaissance) dédiée à son activité, la priorité étant réservée à la couverture de l’avance américaine par le sud. La coalition va ainsi perdre la trace de la division d’élite Nabuchodonosor, qui réussira à se redéployer au centre de l’Irak pour faire face à l’attaque par la trouée de Karbala.
Le modèle afghan n’est donc pas sans risques. Même si son utilisation dans le Nord de l’Irak peut être justement qualifiée de succès pour la coalition, elle révèle également ses limites, liées en particulier à des moyens aériens limités.
Le modèle afghan, antidote à l’enlisement en Libye
Comme le montre l’exemple irakien, le rôle de catalyseur de la puissance aérienne joué par les forces spéciales nécessite une importante présence au sol pour être efficace. La JSOTF-N incluait pas moins de 600 hommes aux côtés des Peshmergas kurdes. Une opération d’une telle ampleur n’est pas à la portée des seuls services d’action clandestine, aux effectifs bien moins conséquents. Or le recours à des forces spéciales à statut militaire, trop nombreuses pour rester invisibles, avec les risques de perte associées, n’est pas anodin sur le plan politique. Leur activité nécessite un certain niveau de reconnaissance par leur gouvernement.
Si ce point ne posait pas de difficultés particulières pour la Maison-Blanche dans le cas de l’Afghanistan ou l’Irak, il se révèle beaucoup plus problématique pour la France ou la Grande-Bretagne lors de l’opération Unified Protector (OUP). En effet, la résolution 1971 du Conseil de sécurité des Nations Unies autorise la mise en œuvre de « toutes les mesures nécessaires pour protéger les populations et zones civiles menacées d’attaque en Jamahiriya arabe libyenne, y compris Benghazi, tout en excluant le déploiement d’une force d’occupation étrangère sous quelque forme que ce soit ». La nature des mesures nécessaires étant laissée à l’appréciation des membres de la coalition, le terme reste suffisamment ambigu pour permettre un soutien actif à l’opposition libyenne. Néanmoins, l’exclusion de troupes au sol fait reposer ce soutien sur les seuls moyens aériens et maritimes, laissant peu de possibilité de coordination étroite avec l’action des insurgés.
L’emploi de forces spéciales se limite donc officiellement dans les premières semaines au rôle de conseillers auprès du CNT. Pourtant, on retrouve des forces spéciales qataries, émiraties mais aussi françaises et britanniques aux côtés des insurgés lors de la chute de Tripoli à la fin du mois d’août. Leur rôle est alors symptomatique d’un recours au modèle afghan dans lequel, comme le décrit Jean-Christophe Notin, « la chaine mise en place par le Cos [Commandement des opérations spéciales] fluidifie considérablement le processus observation destruction » (3). Pourquoi ce changement ? Est-il le fruit d’une stratégie délibérée de la coalition mise en place dès le début d’Unified Protector ou le résultat d’une adaptation à la situation ? Les premières études de la campagne contre Kadhafi laissent plutôt pencher pour la deuxième raison. Une fois le coup d’arrêt porté aux forces loyalistes dans leur offensive sur Benghazi, la coalition fait face à un risque d’enlisement, perceptible dès la fin du mois d’avril. L’étude de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), conduite à cette période, pointe déjà les limitations de l’insurrection, incapable à elle seule de forcer l’ennemi à se concentrer et manœuvrer pour offrir une cible plus vulnérable à la puissance aérienne. Elle propose également le déploiement de Tactical Air Control Parties des forces spéciales pour augmenter l’efficacité des frappes aériennes (4). Face au peu d’évolution des fronts de Brega et Misrata, le recours au modèle afghan est donc une évidence qui va s’imposer également au pouvoir politique des États les plus résolus de la coalition. Il est symptomatique de constater que malgré les assauts des hélicoptères et des chasseurs bombardiers pour débloquer les verrous des villes côtières, c’est du Djebel Nefoussa que vient le salut pour l’insurrection, une zone où les forces spéciales occidentales et arabes sont particulièrement actives depuis le printemps 2011. Leur rôle aux côtés des insurgés berbères balaye un large spectre d’emploi, comme l’explique une étude du Royal United Services Institute (RUSI (5) : fourniture d’armes et de matériel par voie terrestre et aérienne, formation et entraînement des insurgés pour les préparer à l’assaut sur Tripoli, intégration de l’offensive terrestre avec la campagne aérienne de l’Otan, renseignement et guidage des frappes lors des combats.
Face au risque d’enlisement, la coalition a donc recours à l’escalade vers un modèle afghan dans l’emploi de ses forces spéciales, afin de pallier l’adaptation des forces pro-Kadhafi aux modes d’action d’une campagne aérienne pas assez intégrée à l’action des insurgés. L’exemple libyen confirme donc la pertinence intacte du modèle afghan dix ans après son apparition. Il révèle également un des paradoxes de la puissance aérienne dans le cas de l’OUP : elle satisfait le niveau politique en permettant de marquer et concrétiser sa détermination dès les premières heures des opérations, sans engagement au sol. Néanmoins elle n’est réellement efficace au plan militaire qu’en intégrant un segment sol capable de catalyser ses effets pour aider l’insurrection à remporter la décision.
Le modèle afghan à la loupe – forces et faiblesses
Les exemples de l’Afghanistan, de l’Irak, et de la Libye, permettent de définir les principales caractéristiques du modèle et d’en explorer les avantages et les limitations. Le modèle peut se résumer simplement au triptyque suivant : puissance aérienne et forces spéciales utilisées en partenariat avec des forces indigènes pour la conduite d’opérations aéroterrestres. Les forces spéciales agissent principalement en catalyseur de la puissance aérienne, ce qui permet aux partenaires locaux de l’emporter malgré une infériorité numérique ou matérielle. Ainsi lors de la bataille pour Mazar-e-Charif, l’Alliance du Nord a pu l’emporter avec 2 000 hommes face à 5 000 combattants talibans bien retranchés et mieux équipés. Les forces spéciales peuvent également assurer plusieurs fonctions au-delà du guidage des frappes : formation, encadrement, conseil technique et renseignement au profit du commandement indigène. En terme de ciblage, c’est le concept de full spectrum targeting qui est le mieux adapté pour capturer l’ensemble des effets rendus possibles par le modèle : les moyens aériens létaux guidés par les forces spéciales frappent les forces adverses, les moyens non létaux renseignent, ravitaillent en armes ou en vivres. Le moral, les capacités militaires, la population qui soutient les alliés locaux sont la cible à préserver tout comme le moral, les capacités de commandement et de contrôle, les capacités militaires de l’ennemi sont la cible à détruire. L’impact psychologique de l’arme aérienne sur l’adversaire est d’autant plus fort qu’il est incapable d’en contrer les effets, comme l’atteste les témoignages de prisonniers talibans capturés lors de l’OEF (6).
Plusieurs conditions sont nécessaires pour que le modèle afghan fonctionne. Elles affectent ses trois composantes et en déterminent ses limitations.
En termes de puissance aérienne, les succès en Afghanistan, Irak et Libye ne doivent pas faire oublier que le pré-requis indispensable à toute velléité d’application du modèle est l’acquisition et le maintien de la supériorité aérienne. Ce pré-requis peut nécessiter une campagne longue et coûteuse, rédhibitoire contre un ennemi à la défense anti-aérienne robuste. Les débats rapportés par les médias sur une possible intervention militaire en Syrie sont un bon exemple (7). Sans supériorité aérienne, le modèle est tout simplement inapplicable. Une fois celle-ci acquise, rien n’est encore gagné. Les alliés locaux et les forces spéciales restent particulièrement vulnérables face aux troupes ennemies supérieures en nombre et équipement, comme démontré lors de la bataille de Debecka (cf. supra). Il faut donc pouvoir compenser cette infériorité par un soutien aérien sans faille. Des capacités ISR à haute endurance sont nécessaires pour éviter toute mauvaise surprise, d’où une campagne dont la composante aérienne ultra sophistiquée contraste souvent avec la rusticité des troupes au sol. Ainsi, selon une étude de la RAND, les premiers mois de l’opération Enduring Freedom ont été bien plus gourmands en liaisons de données que la campagne irakienne plus conventionnelle de 2003 (8).
Le soutien aux forces amies requiert également un vrai savoir-faire en matière d’appui aérien, incluant ses aspects létaux et non létaux. La précision de l’armement guidé doit s’accompagner d’une létalité modulable en fonction de la faculté d’adaptation de l’ennemi. Après avoir fait l’expérience des effets destructeurs de la puissance aérienne alliée sur ses colonnes motorisées très exposées, comme à Tarin Kowt le 18 novembre 2001, les Talibans recourent à des positions défensives très bien préparées et camouflées, que les JDAM (Joint Direct Attack Munition) de 2000 lbs ne parviennent pas à réduire totalement. Ainsi lors de l’opération Anaconda en mars 2002, les forces américaines héliportées sur l’objectif Ginger restent constamment prises à partie par les militants d’Al-Qaïda très bien retranchés dans des positions qui résistent à plusieurs frappes consécutives (9). L’opération Unified Protector confirme également ce besoin de disposer d’une vaste palette d’armement couvrant tout le spectre d’effets destructeurs. Dans le cas libyen ce sont des munitions à effet limité qui manquaient, comme l’a démontré le recours à des bombes inertes guidées laser pour frapper sans dommage collatéraux l’ennemi disséminé dans un environnement urbain très dense. La Royal Air Force va également avoir recours de façon intensif à ses munitions Brimstone, très bien adaptées, au point de quasiment épuiser son stock (10).
Dans la catégorie des moyens non létaux, le besoin de disposer d’une solide aviation de transport tactique est nécessaire, afin d’être capable d’infiltrer les forces spéciales, de les ravitailler, et de fournir éventuellement de l’équipement aux alliés indigènes, comme démontré en Libye dans le Djebel Nefoussa. Des moyens d’aérolargage de précision peuvent pallier l’absence de terrains d’atterrissage sécurisés et l’isolement des troupes amies (11). Il faut évidemment rajouter à tout cela les moyens inhérents à toute campagne aérienne : commandement et contrôle, ravitaillement en vol, recherche et sauvetage au combat… On l’aura compris, c’est l’ensemble des modes d’action aériens qu’il faut maitriser, ce qui limite de facto le nombre d’armées capables d’appliquer le modèle afghan de façon autonome, ou tout du moins d’y contribuer de façon décisive au sein d’une coalition. L’important dispositif aérien nécessaire peut vite limiter l’attrait d’un modèle qui paraît pourtant si peu gourmant en moyens humains et matériels dans son segment terrestre. Le travail en coalition permet évidemment de compenser certaines lacunes.
En termes de segment sol, les forces spéciales doivent évidemment maîtriser toutes les techniques et procédures d’appui aérien. Leur rôle dépasse cependant largement le simple guidage de frappes. L’opération Anaconda a démontré les limites des capacités ISR aéroportées : malgré un mois d’observation intensive d’une zone d’opération couvrant seulement 100 km2, la moitié des positions ennemies avaient échappé à la détection avant le déclenchement de l’opération. Il faut donc recourir à des forces au contact pour palier ces limitations quand la géographie des lieux est défavorable. C’est le cas dans l’environnement montagneux d’une grande partie de l’Afghanistan, mais également dans l’environnement urbain qui caractérise de plus en plus les zones de conflit moderne. Le rôle des forces spéciales est donc de compenser au maximum les limites des capteurs, en transmettant le renseignement obtenu de première main ou recueilli auprès des alliés indigènes. Il agit également à double sens, en permettant à ces alliés de bénéficier des informations recueillies par les capteurs aéroportés. Les premières études de l’opération Unified Protector font clairement apparaître l’emploi de forces spéciales occidentales dans ce rôle lors de l’avance rebelle sur Tripoli (12).
L’interaction avec des alliés indigènes nécessite également l’entretien de linguistes et d’experts régionaux au sein des forces spéciales, capables d’interagir rapidement et efficacement avec les partenaires locaux. Si en Afghanistan les équipes américaines ont pu s’appuyer sur les contacts de la CIA avec l’Alliance du Nord, il a fallu plusieurs semaines aux forces spéciales arabes et occidentales pour construire un partenariat efficace avec des alliés libyens géographiquement dispersés et sans commandement unifié.
L’existence de ces alliés constitue la troisième composante du modèle afghan, dont la qualité principale réside dans la disponibilité en tant qu’allié de circonstance. La présence de forces indigènes relativement crédibles politiquement et militairement est évidemment indispensable à la réussite du modèle. Le choix de ce partenaire local n’est pas neutre. Dans une insurrection rassemblant différents mouvements contre un ennemi commun, le soutien accordé à certains au détriment d’autres n’est pas sans arrière pensée politique pour l’organisation des rapports de force qui dicteront la future gouvernance du pays.
Dans les critères qui déterminent le choix de cet allié, le niveau de crédibilité militaire n’est pas forcément déterminant s’il est compensé par une forte capacité à mobiliser suffisamment de combattants potentiels. L’expérience prouve qu’il est possible de s’accommoder d’un très large éventail de situations. Le futur combattant n’a pas forcément besoin d’être particulièrement formé ni entrainé s’il est possible de lui dispenser les rudiments nécessaires au combat dans des zones hors de portée de l’ennemi. L’équipement peut également être fourni par la voie des airs si nécessaire, comme le montre le cas du Djebel Nefoussa. Une fois le combattant sur le pied de guerre, les forces spéciales dispensent leurs conseils à son encadrement, assurent la coordination des frappes aériennes, et contribuent à synchroniser l’action des forces au sol avec le plan de campagne aérienne. Contre toute attente, le résultat est la victoire du pâtissier en armes sur le soldat professionnel (13).
Il est malgré tout nécessaire d’avoir bien conscience des limitations tactiques du partenaire indigène, pas forcément apte à comprendre et exécuter des manœuvres complexes face à un ennemi expérimenté. Les forces spéciales en nombre limité restent toujours vulnérables face à une brusque débandade de leurs alliés. Un point est également capital pour la réussite du modèle : les protagonistes doivent partager peu ou prou les mêmes objectifs stratégiques. La chute du régime taliban lors des premières semaines d’Enduring Freedom ou celle du régime de Kadhafi offraient cette communauté d’intérêt nécessaire au succès commun. En revanche, les exemples de Tora Bora ou de l’opération Anaconda révèlent le danger de ne pas disposer de forces terrestres en nombre suffisant pour pallier la déficience de l’allié afghan, en l’occurrence peu motivé par la chasse aux combattants étrangers d’Al-Qaïda, qui plus est en plein hiver, sur un terrain particulièrement montagneux (14).
Le modèle afghan et l’opération Serval
Le 12 janvier 2013, la France déclenchait l’opération Serval au Mali, afin de stopper l’offensive terroriste au Sud du fleuve Niger et d’empêcher ces mouvements de menacer l’État malien. Après une première phase de réaction et de stabilisation, l’offensive était lancée pour reprendre la boucle du Niger puis restaurer l’intégrité du territoire malien au Nord. Les premières leçons de l’opération Serval font-elles apparaître un recours au modèle afghan ? Force est de constater que les premières semaines se prêtaient mal à sa mise en application, du fait de l’extrême faiblesse de forces armées maliennes, incapables de jouer le rôle de l’allié local suffisamment crédible sur le plan militaire. L’intervention française est justement une réponse apportée à cette extrême faiblesse. Les militaires français se retrouvent donc en première ligne, aux côtés des unités maliennes qui avaient gardé une certaine cohésion et dont le moral et l’efficacité militaire se trouvent regonflés par un puissant soutien aérien, et une imposante présence d’unités combattantes françaises au sol. Cette forte proportion d’unités françaises en première ligne, en particulier lors de la reprise de la boucle du Niger, ne permet pas d’appliquer le modèle afghan.
Néanmoins, le modèle a visiblement joué un rôle plus important lors de l’offensive dans le massif des Adrars, en s’appliquant à un allié africain particulièrement crédible pour la guerre du désert : les forces tchadiennes. L’intervention des troupes du général Mahamat Idriss Deby Itno, en particulier lors de la bataille de la vallée de l’Ametettai, incorporait un soutien de l’aviation et des hélicoptères de combat français, ce qui implique la présence d’équipes de contrôleurs avancés auprès des unités tchadiennes pour coordonner et guider ces moyens aériens (15).
Le modèle afghan garde donc toute sa pertinence dans le conflit malien dès lors qu’il trouve un allié africain suffisamment capable sur le plan militaire pour s’appliquer, ce qui confirme la criticité de cette condition pour sa bonne mise en œuvre. Le modèle afghan aurait été donc incapable de tenir seul le front des premiers jours de l’opération Serval. Néanmoins, auprès d’unités africaines capables militairement, il offre un champ d’application valable.
Quelles implications pour les forces aériennes ?
Le modèle afghan est donc loin de représenter la panacée pour les conflits modernes. Son emploi répond à des critères précis pour avoir une chance de succès. Il n’est pas sans risque pour l’allié indigène qui dépend du soutien aérien étranger, et pour le commando des forces spéciales vulnérable en cas de défection de son partenaire local. Il peut nécessiter une certaine dose de patience stratégique pour voir ses effets se matérialiser, même si comparé à une campagne plus conventionnelle, il permet effectivement une rapidité de mise en œuvre qui s’accommode bien des qualités intrinsèques de l’arme aérienne : projection de puissance rapide, allonge, agilité, ubiquité, puissance de feu, souplesse d’emploi. Il ne garantit pas de pouvoir gagner la paix une fois la campagne terminée : le retour des Talibans en Afghanistan, la détérioration de la situation au nord de l’Irak dans les mois qui ont suivi la chute de Saddam Hussein (16), les incertitudes qui pèsent encore sur l’avenir de la Libye sont autant de raisons de rester prudent.
Néanmoins, dix ans après son apparition, le modèle afghan a confirmé son caractère d’actualité et sa pertinence avec la Libye. Ses qualités intrinsèques de catalyseur de l’arme aérienne contribuent à en augmenter l’utilité stratégique. Son coût à la fois politique et financier reste inférieur à celui d’une campagne conventionnelle. Il ne résout pas forcément les conflits à lui seul, mais c’est le lot de toute intervention militaire, qu’elle soit conventionnelle ou non. Il peut à nouveau présenter des opportunités d’application dans l’arc de crise, où subsistent de nombreux régimes totalitaires hostiles mais vulnérables face à une insurrection déterminée. C’est en tout cas l’avis des stratèges américains : le retrait d’Irak, la mort d’Oussama Ben Laden, et la réduction du déficit budgétaire, ont conduit le président Obama à donner de nouvelles orientations stratégiques qui tranchent avec la décennie précédente. Plus exigeants dans la nature et le lieu de leurs engagements, les États-Unis cherchent à s’appuyer sur des partenaires crédibles, dans une logique de répartition des tâches, en particulier lorsque leurs intérêts vitaux ne sont pas en jeu. Le modèle afghan leur permet de s’engager a minima en tirant le meilleur parti de leur supériorité dans le domaine aérien.
Pour la France, à l’heure des choix capacitaires, force est de constater que le modèle suscite toujours la méfiance, voir le rejet. Son qualificatif d’interventionnisme par délégation est la preuve d’une sous-estimation de l’engagement politique et militaire qu’il nécessite. Ses limitations sont régulièrement mises en exergue au détriment de sa valeur coercitive, alors qu’il contribue justement à renforcer l’efficacité des interventions militaires lorsque la situation impose le soutien d’un partenaire local sans déploiement massif de forces au sol. Ses effets potentiellement néfastes sur l’évolution du format des armées sont également pointés du doigt, comme l’explique un article récent : « ce modèle […] pourrait en outre justifier des réductions du format des forces terrestres » (17). Cette critique tend à faire oublier un peu vite les conditions nécessaires à l’emploi du modèle afghan, suffisamment particulières pour limiter la tentation d’en faire le mode d’action systématique.
Il serait donc préjudiciable de priver nos armées de cet outil à la valeur coercitive démontrée, d’autant plus qu’elles disposent déjà de tous les éléments nécessaires à sa mise en œuvre. Le maintien du savoir faire en matière d’appui aérien, forgé en Afghanistan et démontré en Libye, d’une solide composante de forces spéciales « air » rompue à cet usage, s’intégrant dans un ensemble plus large de forces spéciales interarmées capables de former, d’entraîner et de conseiller des partenaires étrangers, doit être sanctuarisé. Il s’accompagne évidemment d’une force aérienne fournissant le cadre d’application du modèle, son commandement et contrôle, ses capacités ISR, ses moyens létaux et non létaux. Tous ces éléments existent et ont fait leur preuve. Il faut maintenant reconnaitre leur caractère symbiotique dans le cadre du modèle afghan, et intégrer pleinement ce modèle dans la palette d’options stratégiques de nos armées. Comme le résume un de ses meilleurs avocats, « les futurs planificateurs doivent considérer le modèle comme un mode d’action de première importance plutôt qu’une procédure d’urgence » (18). ♦
Éléments de bibliographie
Richard Andres : « The Afghan Model in Northern Iraq » in The Journal of Strategic Studies, vol. 29, n° 3, juin 2006 ; p. 395-422.
Richard Andres, Craig Wills, Thomas E.Griffith : « Winning with Allies: the strategic value of the Afghan Model » in International Security, vol. 30 n° 3, Hiver 2005-2006 ; 49 pages.
Stephen Biddle : « Afghanistan and the future of Warfare: implications for army and defense policy » in US Army War College Strategic Studies Institute, Carlisle Barracks, novembre 2002 ; 58 pages.
Steve Coll : Ghost Wars: the secret history of the CIA, Afghanistan, and Bin Laden, from the Soviet invasion to September 10, 2001 ; New York, Penguin Books, 2004 ; 712 pages.
Charles J. Dunlap : Shortchanging the Joint Fight? An airman’s Assessment of FM 3-24 and the case for developing truly joint COIN doctrine ; Maxwell AFB, Air University Monograph, 2007 ; 112 pages.
Philippe Gros : « De Odyssey Dawn à Unified Protector : bilan transitoire, perspectives et premiers enseignements de l’engagement en Libye » in Fondation pour la recherche stratégique, note n° 04/11, avril 2011 ; 25 pages.
Robert Kagan : Finding the Target: the transformation of American military policy, New York, Encounter Books, 2006 : 444 pages.
Benjamin S. Lambeth : Air Power against Terror: America’s conduct of Operation Enduring Freedom, Santa Monica, RAND, 2005 ; 412 pages.
Jean-Christophe Notin : La vérité sur notre guerre en Libye ; Paris, Fayard, 2012 ; 583 pages.
Royal United Services Institute : « Accidental Heroes: Britain, France and the Libya Operation » in Interim RUSI Campaign Report, Londres, septembre 2011 ; 13 pages.
Abdulkader H. Sinno : Organizations at war in Afghanistan and beyond ; Ithaca, Cornell University Press, 2008 ; 336 pages.
Jean-Marc Tanguy : Harmattan : Récits et révélations ; Paris, Nimrod, 2012 ; 160 pages.
Harlan K. Ullman et James P. Wade : Shock and Awe: Achieving rapid dominance ; Washington, National Defense University Institute of National Security Strategy, 1996 ; 142 pages.
(1) Robert Kagan : Finding the Target: the transformation of American military policy ; New York, Encounter Books, 2006 ; p. 293.
(2) Harlan K. Ullman et James P. Wade : Shock and Awe: Achieving rapid dominance ; Washington, National Defense University Institute of National Security Strategy, 1996; p. xxiv-xxvi.
(3) Jean-Christophe Notin : La vérité sur notre guerre en Libye ; Paris, Fayard, 2012 ; p. 471.
(4) Philippe Gros : « De Odyssey Dawn à Unified Protector : bilan transitoire, perspectives et premiers enseignements de l’engagement en Libye » in Fondation pour la recherche stratégique, note n° 04/11, avril 2011; p. 18.
(5) Royal United Services Institute : « Accidental Heroes: Britain, France and the Libya Operation » in Interim RUSI Campaign Report, septembre 2011 ; p.11-12.
(6) Charles J. Dunlap : Shortchanging the Joint Fight? An airman’s Assessment of FM 3-24 and the case for developing truly joint COIN doctrine ; Maxwell AFB, Air University Monograph, 2007 ; p. 41.
(7) Voir les réactions suite à la perte d’un chasseur turque « Syria’s downing of Turkish jet demonstrates sophisticated air defense » in Seattle Times, 27 juin 2012 (www.seattletimes.com/html/nationworld/218535968_Syria27.html).
(8) Benjamin S. Lambeth : Air Power against Terror: America’s conduct of Operation Enduring Freedom ; Santa Monica, RAND, 2005 ; p. 352.
(9) Stephen Biddle : « Afghanistan and the future of warfare : implications for army and defense policy » ; Carlisle Barracks, US Army War College Strategic Studies Institute, novembre 2002 ; pp. 37.
(10) Royal United Services Institute : « Accidental Heroes: Britain, France and the Libya Operation » in Interim RUSI Campaign Report, septembre 2011 ; p.6.
(11) Royal United Services Institute : « Accidental Heroes: Britain, France and the Libya Operation » in Interim RUSI Campaign Report, septembre 2011 ; p .11 ; Jean-Christophe Notin, La vérité sur notre guerre en Libye, Paris, Fayard, 2012, pp. 391-392 ; Jean-Marc Tanguy, Harmattan: Récits et révélations, Paris, Nimrod, 2012, p. 51.
(12) Royal United Services Institute : « Accidental Heroes: Britain, France and the Libya Operation » in Interim RUSI Campaign Report, septembre 2011 ; pp.12 ; Jean-Christophe Notin, La vérité sur notre guerre en Libye, Paris, Fayard, 2012; p. 470-471.
(13) Jean-Christophe Notin : La vérité sur notre guerre en Libye ; Paris, Fayard, 2012 ; p. 526.
(14) Richard Andres, Craig Wills, Thomas E. Griffith : « Winning with Allies: the strategic value of the Afghan Model » in International Security, vol. 30 n° 3, Hiver 2005/2006 ; p. 34.
(15) Voir en particulier « L’armée tchadienne aux avant-postes de la guerre au Mali » in Le Monde, 04 mars 2013 ou « L’appui crucial des Tchadiens au Nord du Mali » in Le Figaro.fr, 17 mars 2013.
(16) Liées en grande partie aux maladresses de la 101st Airborne Division déployée après la fin des combats, si l’on en croit Richard Andres : « The Afghan Model in Northern Iraq » in The Journal of Strategic Studies, vol. 29, n° 3, juin 2006 ; p. 414-417.
(17) « Les limites de l’interventionnisme par délégation » in DSI n° 87, décembre 2012 ; p. 10-11.
(18) Richard Andres, Craig Wills, Thomas E. Griffith : « Winning with Allies: the strategic value of the Afghan Model » in International Security, vol. 30, n° 3, Hiver 2005/2006 ; p. 47.