Pour l'auteur, expert en ce domaine, l'emploi du drone ne diffère de celui de l'avion de combat que par l'endurance en vol que permet le déport du pilote à terre. Il explique ainsi que les réticences à en faire un outil de combat comme les autres sont nulles et non avenues.
Il n'est de Machiavel dans le drone que sa partie humaine
Les drones seraient, aux dires de certains auteurs spécialistes du droit ou des conflits modernes, le nouveau danger que les populations devraient craindre. Au-delà des questions éthiques liées à leurs utilisations et aux aspects moraux de leurs engagements, ils pourraient représenter un grave danger s’ils tombaient dans de « mauvaises mains ». À l’inverse, l’avion serait bien plus humain et plus civilisé, et produirait moins de bavures. Et de voir proliférer une terminologie outrancière visant à faire croire que le drone n’est qu’un robot agissant de manière automatisée, à la suite de prises de décisions mécanisées, entraînant des bavures lors d’élimination sans procès de citoyens déclarés indésirables selon des processus ou des actions hors de tout cadre légal. Rien n’est plus éloigné de la vision française de l’emploi de ces systèmes.
Une surveillance permanente diffusée en temps réel
Aujourd’hui, la première raison d’être de l’emploi des drones n’est pas, en effet, de délivrer un armement sur des cibles de manière « clandestine » de l’autre côté d’une frontière. Il s’agit d’abord, et avant tout, d’essayer de pallier la faiblesse intrinsèque de l’arme aérienne qui est de ne pouvoir occuper durablement l’espace aérien préalablement conquis pour surveiller ce qui se passe au sol. En effet, un avion, qu’il soit de défense aérienne, de bombardement ou de renseignement, ne peut voler continuellement. Il doit se poser pour changer de pilote car les vols de longue durée sont éprouvants pour les avions mais aussi, et surtout, pour les hommes. Ainsi, les drones sont-ils employés principalement dans des missions qui ne peuvent pas être réalisées par les avions pilotés : la surveillance du sol grâce à des multiples capteurs (optique, radar, laser). Le drone ayant été libéré du principal handicap dans sa capacité de persistance dans l’espace aérien, c’est-à-dire l’homme à bord, il devient ainsi l’outil idéal pour permettre de ne jamais quitter des yeux une cible potentielle et son environnement. Mais, et là est le paradoxe, l’homme reste dans la boucle décisionnelle et opérationnelle. La technologie des transmissions par satellite permet juste de placer en l’air en permanence une sentinelle avec des yeux électroniques et de transmettre en temps réel aux décideurs la nature de l’observation.
À l’issue de ce processus de surveillance, car le premier métier des drones est bien de faire du renseignement, une frappe peut être décidée. Mais le drone Male (pour Moyenne altitude, longue endurance) n’emporte pas toujours une arme car être armé ampute sa capacité à durer sur zone ; à masse égale, plus on emporte d’armement, moins on emporte de carburant. Pour autant, le drone dans cette phase de surveillance, et éventuellement de tir, n’est pas un robot. C’est tout le contraire. Depuis le cockpit, véritable centre nerveux de l’avion, tout un équipage humain s’affaire. Il faut piloter l’avion, optimiser l’emploi des capteurs, analyser et recouper les renseignements, identifier la ou les cibles, vérifier avec l’état-major leur conformité du point de vue du droit et des objectifs de l’opération, définir l’armement le plus adapté à la mission. Et enfin, il faut encore que des hommes donnent l’ordre de procéder au guidage d’une munition de précision sur la cible. Et cela se fait dans une transparence à laquelle aucun autre système d’arme n’est contraint. En effet, toutes ces phases, du renseignement au tir, sont filmées, transmises aux échelons de décision en temps réel, enregistrées et stockées. Ce processus est supervisé par des conseillers juridiques et conduit sous la direction des chefs militaires ou politiques. On peut ainsi très bien imaginer que des membres de commissions d’enquêtes parlementaires, pourraient consulter les enregistrements de ces tirs afin de vérifier tous les éléments légaux de leur planification, leur réalisation et leur déclenchement.
Quelques mots sur les principales critiques de l’emploi des drones
D’abord, la question de l’éthique et de la morale
Le fait que des pilotes soient aux commandes des drones devrait définitivement faire taire cette rumeur du robot tueur maraudant et assassinant sans retenue et de manière déshumanisée. Les drones ne sont finalement que des avions comme les autres si ce n’est qu’ils sont pilotés depuis le sol. Même si cela est difficile à imaginer, aucun système n’est plus humanisé dans sa mise en œuvre et dans le contrôle de son action, qu’un drone. Certes, l’équipage agit via un œil numérique et une liaison satellite, et n’est pas physiquement engagé sur le terrain. Faut- il pour que la guerre soit éthique, si tant est qu’elle puisse l’être, revenir aux temps anciens du duel à l’épée ou au combat à mains nues ? N’est-il pas légitime d’essayer d’agir à distance face à un adversaire qui utilise des engins explosifs improvisés ou des bombes humaines ? À toutes les phases du processus, l’homme est, et reste, dans la boucle. Jusque dans le guidage terminal de l’arme.
Quant à la décision de tuer tel ou tel, ce n’est pas le drone qui la prend, ni le pilote, ni encore le chef de mission : c’est le dirigeant politique. Et c’est le même processus que l’action soit ouverte (c’est-à-dire dans le cadre d’une action légitime du point de vue du droit) ou clandestine (c’est-à-dire que l’État s’autorise à utiliser des moyens secrets pour obtenir des effets sur des cibles en dehors de tout cadre légal). Hier, certains utilisaient des parapluies empoisonnés, aujourd’hui, d’autres utilisent une autre arme, les drones. Pour autant, pour que le drone vole dans un espace aérien, il faut, à moins d’être furtifs (les drones américains Predator et Reaper ne le sont pas) disposer au moins de l’accord tacite de l’État survolé pour agir. Sinon, comment imaginer que des avions qui volent à peine plus vite que des avions de tourisme modernes, pourraient rester pendant des heures en toute impunité au-dessus d’un territoire ?
Ensuite, l’utilisation des drones serait contraire au droit
Ces derniers agiraient, voire « assassineraient », en dehors de tout cadre juridique et légal. Si l’on admet comme postulat que les drones répondent aux mêmes règles que les autres aéronefs militaires évoluant dans un espace aérien régi par un cadre juridique défini, alors la question de la légalité de leur emploi est hors sujet. Si leur emploi s’effectue à la suite d’un accord entre les deux pays, utilisateur des drones, d’une part, et territoire survolé, d’autre part, là-encore, la question ne se pose pas. L’enjeu réside en revanche bien dans l’assurance que ceux qui régissent le processus de décision et d’emploi des armes, et ceux qui sont affectés au pilota ge et mettent en œuvre la politique des élus de la Nation, soient sensibilisés aux questions d’éthique et formés aux problématiques juridiques.
En outre, la notion de contrôle parlementaire des actions des forces armées en général, et des services spéciaux en particulier, est une vraie question pour toute démocratie qui se respecte. C’est cela qui doit prémunir l’emploi déshumanisé d’un système d’arme. Que ce soit un drone, un tireur d’élite, une bombe guidée laser ou par GPS, un missile de croisière, un obus de mortier ou une torpille n’est pas la question. L’outil n’est rien sans la volonté et la décision humaine. En revanche, la question de l’introduction de l’intelligence artificielle dans des systèmes de combat de demain pose de réelles questions sur le plan de l’éthique et de la morale. Mais les drones dont nous parlons et dont la France souhaite se doter à court terme, ne rentrent pas dans cette catégorie.
Enfin, l’emploi des drones serait dangereux
Ils pourraient en effet tomber entre de mauvaises mains, voire être utilisés par des puissances belliqueuses ou des groupes armés terroristes. La faiblesse des drones au-delà de la vulnérabilité de leur plateforme comme évoqué supra, reste effectivement leur dépendance aux multiples liaisons satellites. Elles sont nécessaires pour les piloter à distance et pour recueillir le fruit des différents yeux et oreilles électroniques qu’ils emportent. Pour autant, si intercepter un drone et prendre son contrôle à distance reste théoriquement possible, sa réalisation pratique nécessite une technologie complexe, ne serait-ce que parce que son cockpit, c’est-à-dire l’emplacement à partir duquel le pilote contrôle le système, est déporté et répond à des standards industriels spécifiques. Et même si l’informatique a fait des progrès qui, paradoxalement permettent aux hackers de pénétrer les réseaux, intercepter un drone, prendre son contrôle et redéfinir sa mission et sa trajectoire, relève pour l’instant de la science fiction. Le faire voler alors que son propriétaire sait qu’il a été perdu ne changerait pas pour autant les fondamentaux de la guerre aérienne. Tout objet non identifié sera intercepté, et sera, à défaut de répondre aux injonctions ou à un plan de vol, abattu.
De plus, ce qui fait peur au profane n’est pas forcément apprécié par le terroriste comme étant le moyen le plus efficace pour agir. Les attentats du 11 septembre sont un bon exemple de décalage entre les peurs des premiers et la réalisation des seconds. On a longtemps craint une frappe terroriste avec des armes nucléaires dérobées à l’Ex-URSS alors qu’Al-Qaïda a utilisé des avions civils comme missiles contre les tours du World Trade Center. Les actions d’alors ont démontré en outre que pour le terrorisme islamiste, la dimension de la mort en martyr restait fondamentale. Chacun conviendra que c’est impossible à réaliser depuis un cockpit de drone qui, par définition, est au sol.
Conclusion
Contrairement à ce qui est donc généralement admis aujourd’hui, les drones restent encore extrêmement dépendant des hommes. Ainsi, de manière paradoxale, aucun système d’arme n’est plus humanisé dans sa mise en œuvre et dans le contrôle de son action, qu’un drone. Son œil déporté transmet en temps réel et de manière continue, via un cordon ombilical numérique reliant le monde réel à l’équipage qui le surveille, les informations aux autorités politiques qui décident de l’emploi d’une arme. Le bombardement est mûrement réfléchi et n’est donc jamais une action réalisée de manière robotisée, parce que conduit au moyen de drones. Car derrière ces objets volants à l’aspect futuriste, il y a toujours des hommes. Et ces derniers agissent dans un cadre politique et juridique conforme au droit de la guerre. Les valeurs morales liées à leur formation les prémunissent contre des agissements déshumanisés. La priorité actuellement pour la France est plutôt de poursuivre la montée en puissance de la composante de drone Male de surveillance multi-capteurs que d’acquérir une nouvelle capacité de frappe. L’Armée de l’air a acquis un savoir-faire et une expertise reconnus sur tous les théâtres d’opérations qu’il serait dommageable de perdre en raison d’une rupture capacitaire. Le contrôle de commissions d’en quêtes parlementaires devraient de toute manière assurer au citoyen que l’emploi des drones Male en matière de surveillance, ou à terme, de mission de bombardement, soient conformes au droit. Avant tout, c’est donc bien des choix politiques qui tuent par les mains des responsables militaires professionnels qui agissent en leur nom, et non les drones. S’il y a donc bien du Machiavel dans l’emploi des drones, c’est qu’intrinsèquement les hommes en constituent encore le cœur. ♦