Le Rafale se distingue par sa polyvalence totale. Son déploiement sur différents théâtres permet d'appréhender son évolution et d'apprécier sa complète adaptation à tous les types d'opérations dans lesquelles l'Armée de l'air a été engagée depuis près de dix ans.
Intervention immédiate : l'apport du Rafale dans les opérations récentes
« Pour les aviateurs et la communauté Rafale, le 19 mars 2011 était une grande inconnue.
Nous ne connaissions pas encore la totalité de l’ordre de bataille libyen,
nous savions qu’il y avait des missiles sol-air actifs et pourtant,
nous avons envoyé nos pilotes à des milliers de kilomètres de leurs bases,
avec des règles d’engagement pratiquement faites pour l’occasion.
Mettez-vous dans la tête du pilote qui va décoller à ce moment-là… »
Général d’armée aérienne Denis Mercier, chef d’état-major de l’Armée de l’air
Programme emblématique et colonne vertébrale de l’aviation de chasse française, le Rafale se distingue par sa polyvalence totale et son horizon d’unique avion de chasse des forces armées françaises. Entré en service dans l’Armée de l’air en juin 2006, le Rafale connaît une expérience opérationnelle déjà très riche autour de sa participation aux opérations en Afghanistan, en Libye et au Mali. Son déploiement sur ces différents théâtres permet d’appréhender son évolution tant opérationnelle que capacitaire et d’apprécier sa pertinence au service des opérations récentes.
Montée en puissance opérationnelle en Afghanistan
Immédiatement après sa mise en service opérationnel, décision est prise de déployer le Rafale sur le théâtre afghan. Il y est déployé à quatre reprises en 2007, 2008, 2009 et 2011, une première fois à Douchanbé puis à Kandahar. Les opérations en Afghanistan sollicitent le Rafale sur une partie précise du spectre des opérations : les missions d’appui aérien rapproché dans un contexte de contre-insurrection.
Dans un premier temps, le Rafale au standard F2 est employé en patrouille mixte avec le Mirage 2000D, armé avec des bombes à guidage laser GBU-12. Dans son standard F2, le Rafale possède des capacités d’attaque au sol, mais elles sont limitées temporairement par l’absence de nacelle de désignation laser et de l’AASM (Armement air-sol modulaire). Il est donc assisté par le Mirage 2000D pour la désignation des objectifs au sol. Au cours des différents détachements, le Rafale gagne en maturité opérationnelle. La mise en service opérationnel de l’AASM en 2008 (1) constitue notamment un palier important dans la courbe de maturité du Rafale. L’AASM offre au Rafale la capacité de tir tout temps à distance de sécurité et assure une complémentarité appréciable avec les munitions à guidage laser. Son emploi en Afghanistan permet de valider en opération l’efficacité du couple Rafale–AASM.
Lors de son dernier déploiement en 2011, en plus de d’emporter des GBU-12 et l’AASM, le Rafale part au combat au standard F3 avec la nacelle Damoclès, le système ROVER (Remote Operations Video Enhanced Receiver) et une conduite de tir air-sol de son canon parfaitement intégrée qui lui confèrent une efficacité opérationnelle maximale. Ces améliorations considérables consacrent l’autonomie du Rafale dans la mission d’attaque au sol. Les opérations en Afghanistan permettent de confirmer l’efficacité et la fiabilité du système Rafale en opération dans un cadre rustique. Bien que les modalités des opérations en Afghanistan soient loin de solliciter la totalité des capacités opérationnelles du Rafale, la polyvalence du vecteur et de ses équipages est validée sur un théâtre d’opération. L’intégration de capacités air-air et air-sol dans un même vecteur apporte une plus-value opérationnelle très importante. En particulier, la fusion des données issues de la Liaison 16, du mode air-air du RBE 2 (Radar à balayage électronique 2 plans), de l’OSF (Optronique secteur frontal) et de Spectra (Système de protection et d’évitement des conduites de tir) offre à l’équipage une excellente connaissance de la situation tactique aérienne.
L’engagement en Afghanistan signe le premier emploi en opération du Rafale. Après une nécessaire phase de montée en puissance, compte tenu du délai de huit mois entre sa mise en service et son premier déploiement, le Rafale atteint au standard F3 son plein rendement opérationnel.
Le Rafale entre en premier au-dessus de la Libye
Cet aguerrissement joue un rôle essentiel au moment du déclenchement de l’opération Harmattan et autorise une intervention immédiate du Rafale dans le conflit libyen. Conformément aux ordres donnés par le président de la République suite au vote de la résolution du Conseil de sécurité de l’ONU le 17 mars 2011, l’Armée de l’air se tient prête à intervenir 48 heures plus tard au moment du sommet international du 19 mars à Paris. Afin de concrétiser la volonté politique, un premier raid au-dessus de Benghazi est organisé afin de faire cesser les attaques contre la population.
Pour cette mission stratégique, les avions de l’Armée de l’air doivent opérer à plus de deux mille kilomètres de leurs bases-mères en Métropole au-dessus d’un théâtre encore défendu. La première mission du 19 mars 2011 au-dessus de Benghazi s’organise en trois vagues d’avions de l’Armée de l’air, chacune comprenant des Rafale. Une première vague a pour mission d’imposer la zone d’exclusion aérienne, la deuxième doit effectuer une mission de reconnaissance pour examiner la situation au sol, enfin, la troisième vague a pour objectif de frapper les moyens militaires menaçant la population de Benghazi. Ce premier raid, dont le déroulement a été largement relaté, remplit tous ses objectifs puisque l’instauration de la zone d’exclusion aérienne empêche tout aéronef libyen de s’en prendre à la population et que la destruction de six blindés menaçant Benghazi conduit les forces pro-kadhafistes à se retirer.
Pour l’Armée de l’air, l’importance de la distance à couvrir, l’inconnu de la situation sur place et la présence de systèmes sol-air actifs dans la zone d’opérations permettent de mesurer l’exploit réalisé par les aviateurs lors de cette mission d’entrée en premier sur un théâtre toujours défendu et à plus de deux mille kilomètres de leurs bases. Il s’agit d’une grande première pour l’Armée de l’air qui démontre ainsi sa capacité à se projeter à longue distance et à entrer en premier sur un théâtre en toute autonomie. Cette capacité militaire, rare et très exigeante, range l’Armée de l’air française parmi les forces aériennes qui comptent. Le succès de cette mission valide l’organisation ainsi que l’entraînement et la préparation des personnels. Au niveau stratégique, l’étroite imbrication du temps politique et du tempo des opérations aériennes permet de donner immédiatement corps à la volonté du président de la République et d’assurer la crédibilité de la France sur la scène internationale. L’Armée de l’air a démontré qu’elle est capable de répondre, dans un délai qui se compte en heures, aux demandes du politique.
Au cœur de cette mission stratégique, décrite comme périlleuse, le Rafale est littéralement en première ligne. L’envoi du Rafale en premier en mission de supériorité aérienne démontre tout d’abord une nouvelle fois toute la confiance qu’accorde l’Armée de l’air à son chasseur polyvalent. Les performances de son système d’armes, notamment celles de son système d’auto-protection Spectra, le meilleur système en service dans l’Armée de l’air, et celles de l’AASM à guidage GPS permettant de tirer à distance de sécurité, désignent le Rafale comme outil sûr, performant et adapté à la mission. Qui plus est, les Rafale envoyés au-dessus de la Libye remplissent ce 19 mars trois missions différentes : supériorité aérienne, reconnaissance et bombardement d’objectifs d’opportunité, démontrant toute l’étendue de leur polyvalence.
L’ensemble de la campagne aérienne démontre la pleine polyvalence du Rafale à son standard F3 définitif. Il effectue avec succès toutes les missions dévolues à l’aviation de chasse : supériorité aérienne, frappe au sol sur des objectifs planifiés ou d’opportunité, et reconnaissance sur un théâtre d’opération exigeant et non dépourvu de menace aérienne. L’engagement du Rafale en Libye voit également le premier emploi du missile de croisière Scalp-EG (Système de croisière conventionnel autonome à longue portée-EG) dans une mission de frappe stratégique dans la profondeur. La campagne aérienne en Libye valide par le feu l’arrivée à maturité, aussi bien technique qu’humaine, du Rafale au sein de l’Armée de l’air.
Au-delà de l’efficacité opérationnelle que la polyvalence du Rafale apporte à la manœuvre aérienne, on peut en apprécier la pertinence au regard de l’économie des moyens qu’elle autorise. Ainsi, ce sont les mêmes Rafale qui, un jour, effectuent une mission de supériorité aérienne et, le jour suivant, réalisent une frappe air-sol. Et, au-delà de l’avion lui-même, ce sont les mêmes pilotes et équipages et le même personnel de soutien technique qui mettent en œuvre le Rafale. Cette polyvalence permet de déployer un nombre réduit d’avions pour une diversité de missions relativement importante. En effet, combien d’avions spécialisés, avec les équipements et personnels dédiés, aurait-il fallu déployer pour réaliser les mêmes missions ? Avec quel coût ? L’économie des moyens techniques et humains s’est révélée être un paramètre majeur pour l’Armée de l’air lorsqu’il a fallu qu’elle maintienne un rythme opérationnel important dans la durée.
Par rapport à son emploi habituel en Afghanistan, l’engagement du Rafale en Libye se signale par un contexte plus incertain, la présence avérée de menaces sol-air et la mise en œuvre d’un spectre de capacités plus large. Au cours de l’opération Harmattan, les avions français détruisent plus de 1 000 objectifs et effectuent environ 5 600 sorties aériennes, dont plus de 4 000 sorties pour l’Armée de l’air (2). Les Rafale Air effectuent pour leur part 1 039 sorties pour 4 539 heures de vol. Avec 1 039 sorties, les Rafale de l’Armée de l’air représentent environ 20 % des sorties de combat françaises et 25 % des sorties de combat de l’Armée de l’air, assurant une part essentielle de la contribution aérienne française aux opérations au-dessus de la Libye. La participation des ailes françaises aux opérations en Libye signe l’excellence de l’aviation française en Europe. Alors que les moyens aériens américains habituels sont en retrait, on ne mesure pas assez l’apport du Rafale. Son efficacité et ses capacités uniques crédibilisent fortement l’action française auprès des alliés et démontrent aux yeux de tous que la France dispose d’un outil militaire performant.
Le Rafale et la projection de puissance
A la suite du déclenchement de l’opération Serval au Mali, une patrouille de quatre Rafale est mise en œuvre depuis sa base de Saint-Dizier afin d’effectuer une mission de bombardement sur les bases arrières des groupes terroristes.
Les quatre Rafale, armés d’AASM et de GBU-12 et accompagnés de ravitailleurs C-135, décollent le 13 janvier 2013 de la base aérienne de Saint-Dizier pour se projeter à plus de six mille kilomètres. Au cours de cette mission, qui nécessite plus de 9h40 de vol, les équipages prennent pour objectif et détruisent des camps d’entraînement, des infrastructures et des dépôts logistiques des groupes terroristes avant de se poser sur la base aérienne de N’Djamena.
Cette mission de bombardement du Rafale est historique par son allonge, sa durée et l’illustration qu’elle apporte de la capacité de projection de la puissance aérienne. Pour autant, l’avion de combat ne constitue que le dernier maillon essentiel d’une chaîne opérationnelle cohérente. Celle-ci est bâtie autour de capacités essentielles telles que l’aptitude au commandement et au contrôle des opérations aériennes, le renseignement, le ravitaillement en vol qui permettent à l’aviation de combat de réaliser des missions de bombardement à plus de six mille kilomètres du territoire national.
Considérée sur la durée, l’évolution du Rafale en Afghanistan et en Libye est impressionnante. Du standard F2 limité au tir de GBU-12 avec l’aide de la désignation laser d’un Mirage 2000D au standard F3 capable d’emporter et de tirer de façon autonome à l’aide de sa nacelle Damoclès des armements à guidage laser, des AASM et des missiles Scalp, le Rafale connaît une évolution capacitaire majeure entre son premier déploiement en Afghanistan en 2007 et son engagement en Libye en 2011. Celle-ci est autant due aux enseignements des opérations qu’au développement normal des standards et des équipements prévus.
L’apport du Rafale du point de vue de l’intervention immédiate s’est traduit par deux premières pour le Rafale et l’Armée de l’air avec une mission d’entrée en premier sur un théâtre non-permissif en Libye et la réalisation de la plus longue mission de bombardement de l’histoire de l’Armée de l’air au Mali. Il garantit ainsi à la France une capacité d’action à très longue distance et sous très faible préavis. ♦
(1) Deux bombes AASM sont tirées en Afghanistan par un Rafale B le 20 avril 2008, moins de dix jours après sa mise en service opérationnel.
(2) « Libye : les aviateurs dans l’opération Harmattan » in Air actualités, hors-série 2012 ; p. 72-73.