La simulation s'est progressivement imposée comme un média sérieux pour former et entraîner les pilotes de combat. Toutefois, le vol réel doit rester la pierre angulaire d'une formation d'experts du milieu aéronautique militaire. Le meilleur équilibre entre ces deux modalités de formation pourrait-il être trouvé dans la simulation embarquée en vol réel ?
Regard sur la formation du futur pilote de combat : sur terre ou en l'air, simulez !
Afin d’exploiter pleinement les aéronefs de combat de dernière génération (e.g., Rafale, A400M, MRTT, NH90) et d’être aptes à répondre au contrat opérationnel, les pilotes de combat doivent, aujourd’hui plus que jamais, s’appuyer sur des outils de formation adaptés, leur permettant d’acquérir les compétences nécessaires en un minimum de temps. Dans ce cadre, les moyens de simulation (au sol, en vol réel – « simulation embarquée ») sont présentés comme LA réponse à tous ces défis. Qu’en est-il réellement ? Cet article amènera un éclairage sur la plus-value et le périmètre d’utilisation de ces moyens de formation.
Préambule
Les contraintes budgétaires, les restructurations des bases aériennes et des escadrons, la restriction des espaces aériens dédiés à l’entraînement et le niveau d’engagement des Forces à travers le monde rendent la préparation des pilotes de combats de plus en plus difficile. En effet, cela réduit considérablement le nombre d’heures de vol sur avion de combat. De plus, les avions de combat de dernière génération sont plus complexes à maîtriser car leurs systèmes embarqués sont plus importants et le nombre de missions opérationnelles sont, elles aussi, plus variées. Ainsi, le temps de formation ne cesse de croître. Comment, dans ces conditions, est-il possible de former des pilotes hautement qualifiés, sensibilisés le plus tôt possible aux systèmes ultra-technologiques des avions d’armes de dernière génération, aptes à répondre au contrat opérationnel, en un minimum de temps, tout en maitrisant le coût, et en assurant la sécurité de tous ?
En aéronautique, la réponse habituelle pour remédier au manque d’heure vol est la simulation au sol. Il peut paraître extravagant de rajouter « au sol » tellement cela semble évident. C’est pourtant une distinction nécessaire maintenant que les innovations technologiques permettent de faire de la simulation lors de vols réels ! Cette antinomie de façade se transforme très vite en cohérence et en un atout indéniable pour la formation actuelle et future des pilotes de combat. En effet, la simulation en vol réel permet de reproduire tout ou partie des fonctionnalités de l’avion de combat, mais à un coût de mise en œuvre bien moindre. Clairement, cela permettrait de se former en école de formation aux manœuvres et procédures tactiques qui sont habituellement exécutées en situations opérationnelles de combat. De plus, comme nous le verrons par la suite, la simulation embarquée en vol réel permet de s’affranchir de certaines limites de la simulation sol. Ainsi, ces outils de formations que sont la simulation de vol au sol et la simulation embarquée en vol réel apparaissent comme la panacée pour répondre à la limitation drastique du nombre d’heures de vol en avion de combat opérationnel. Bien entendu, cette dernière assertion n’est vraie qu’en partie. L’objectif de cet article est de montrer comment ces outils devraient être utilisés pour obtenir une réelle plus-value dans la formation aéronautique militaire.
La simulation au sol : un faux couteau suisse
La simulation au sol est un moyen privilégié dans la formation au pilotage afin de réduire le nombre d’heures de vol réel. Celle-ci n’est possible que si les compétences acquises en simulateur se transfèrent positivement en vol réel : c’est-à-dire réutilisée efficacement en vol réel. Moins d’heures de vol réel sont ainsi nécessaires pour apprendre cette compétence. Le risque de la simulation sol est de deux ordres, soit aucun transfert ne se produit (pas d’économie d’heures de vol) soit un transfert négatif se produit (plus d’heures de vol réel nécessaires pour compenser cet effet). L’objectif de cette partie est d’apporter des éléments de réflexion pour limiter les potentiels aspects négatifs de la simulation : de mauvais apprentissages.
Il est largement admis que c’est le versant technologique de la simulation qui reçut la plus large attention en matière de conception, au détriment de l’aspect spécifiquement pédagogique. Seulement, il est admis que la qualité du développement technologique n’est pas forcément responsable de meilleurs apprentissages. En effet, tout dépend du type de compétences que l’on veut y voir entraînées, car ces dernières ne se transfèrent pas toutes aussi efficacement. De plus, la question que se pose tout formateur est celle du ratio optimal entre le nombre d’heures de vol réel et de vol en simulateur. Le but étant de trouver le meilleur compromis efficience/finance. Il sera présenté dans un premier temps le rapport entre les types de compétences à apprendre en simulateur et leur transférabilité. Dans un second temps, nous verrons que pour trouver ce ratio heures de vol réel/vol en simulation il est nécessaire d’évaluer l’efficience des simulateurs en fonction.
Du bon usage de la simulation au sol
Depuis de nombreuses années, il est admis qu’une formation mixant heure de simulation et heure de vol réel permet un gain financier. Seulement la plupart des recherches scientifiques sur le sujet portent quasi exclusivement sur des compétences liées à l’instrumentation de bord (i.e., savoir utiliser les instruments de son cockpit). En effet, les limites technologiques des simulateurs d’antan ne permettaient pas vraiment d’avoir une visualisation extérieure de grande qualité. Avec le développement technologique des simulateurs, ce biais est réduit et nous pouvons observer quelques recherches dans le but d’affiner la qualité de l’apprentissage sur un panel de compétences plus large. Les recherches récentes nous permettent d’avoir un point de vue sur l’efficacité de l’apprentissage sur simulateur pour des compétences allant de l’instrumentation de bord, aux compétences de vol à vue et même de manoeuvrabilité de l’avion (c’est-à-dire les compétences psychomotrices).
Les recherches nous indiquent que l’acquisition des compétences liées aux instruments et à la Gestion de Système (i.e., lorsqu’un cockpit est composé non plus d’instruments à aiguilles, mais d’ordinateurs de bord) sont celles qui se transfèrent le mieux. C’est-à-dire que l’on observe systématiquement un transfert positif même avec un simulateur low cost (e.g., PC familial avec un logiciel du commerce). En revanche, concernant le transfert de compétences motrices (i.e., liée à la manoeuvrabilité de l’appareil) les résultats sont mitigés. Avoir un simulateur reproduisant les mouvements de cabine permet d’augmenter le réalisme et la sensation d’immersion dans le monde virtuel. Si l’immersion est à favoriser en simulation, nous pouvons observer qu’il existe des moyens bien moins coûteux pour y parvenir (e.g., scénariser la situation d’apprentissage pour mieux plonger l’utilisateur dans le monde virtuel). Cependant en matière de transfert de compétence motrice l’effet n’est pas clairement démontré. Il semble préférable, pour ces compétences, de les entraîner en vol réel et non dans un simulateur peu ou très coûteux. La dernière catégorie de compétences, celles liées au vol à vue, est celle qui ne donne pas lieu à une réponse manichéenne. En effet, les recherches démontrent que certaines compétences de vol à vue peuvent être entraînées efficacement avec une visualisation rudimentaire (e.g., atterrissage) alors que d’autres requièrent une visualisation de grande qualité (e.g., navigation à vue).
Ainsi, la qualité de l’apprentissage sur simulateur est grandement fonction du type de compétences à apprendre. C’est pourquoi la nécessité d’évaluer objectivement les simulateurs lorsqu’ils sont en service est indispensable pour bien déterminer aspects positifs et aspects négatifs.
Attention « au miroir aux alouettes »
Il est ici question de l’évaluation de l’efficacité des simulateurs. Cette évaluation recouvre deux objectifs. Le premier est de savoir si la formation sur le simulateur se transfère, compétence par compétence, en vol réel. Le deuxième objectif est de trouver in fine le meilleur ratio réel/simulé dans la formation.
Alors qu’habituellement l’évaluation est subjective (i.e., avis des utilisateurs du simulateur), il existe des mesures objectives tel que le Percent Transfert (PT) et le Transfer Effectiveness Ratio (TER). Le PT permet de calculer le nombre d’heures de vol économisées via l’utilisation du simulateur, alors que le TER permet de mesurer plus finement l’apport du simulateur pour chaque type de compétences qui y sont entraînées. Si une compétence n’est pas ou mal transférée en vol réel, il suffit de ne plus la pratiquer sur le simulateur. Au bout du compte, le simulateur pourra être utilisé avec une efficacité optimale.
L’étape qui suit est de calculer le ratio optimal entre les heures de vol réel et simulé. Le Cost Effectiveness Ratio est une extension du TER en rajoutant la dimension des frais du simulateur et des vols réels. Au final, il est possible de calculer le temps d’utilisation de la simulation au maximum de son efficacité, le temps des vols réels au plus juste besoin, pour une formation optimale au plus juste coût
L’utilisation éclairée de ces méthodes objectives d’évaluation du transfert d’apprentissage et donc, de l’efficacité du simulateur, devrait permettre :
1) d’éviter les risques de transfert négatif,
2) d’orienter l’utilisation de chaque simulateur vers son potentiel maximum,
3) de calculer un ratio optimal simulation/réel dans un cursus de formation.
Plus globalement, ces mesures permettraient de comparer l’efficacité d’une méthode de formation par rapport à une autre (e.g., d’un syllabus à un autre).
La simulation sol n’a cessé de progresser au cours des dernières décennies. Elle s’est même positionnée comme un média sérieux pour favoriser certains apprentissages. Pour autant, les pilotes sont unanimes sur les limites de la simulation au sol (pas de sensation proprioceptive, stress différent, etc.). Une nouvelle forme de simulation pourrait dépasser ces écueils. En effet, les avions dotés d’un cockpit moderne (i.e., tout écran) autorisent la mise en œuvre d’une capacité de simulation embarquée (Embedded Simulation). Cette capacité offre la possibilité « d’injecter » dans les systèmes de bords réels des entités virtuelles permettant l’illusion de présenter un environnement tactique réaliste. La deuxième partie traite plus particulièrement de cette capacité.
La simulation embarquée : en route vers le futur (proche)
La capacité de simulation embarquée se matérialise à travers la génération d’un environnement tactique virtuel dans lequel des menaces fictives, ou des évènements de tout type sont simulés et présentés sur les interfaces du cockpit. Par exemple, un écran sur le cockpit peut présenter les traces en mouvement représentant les adversaires et les alliés comme le ferait le radar de l’avion de combat opérationnel alors qu’aucun radar n’est présent sur l’avion de formation. Il devient ainsi possible à un pilote d’utiliser son avion dans des conditions tactiques opérationnelles. Ainsi, la simulation embarquée permet une augmentation de l’efficacité de l’entraînement, en garantissant une richesse de l’environnement tactique simulé dans des conditions de vol réel.
Plusieurs avantages se dégagent de cette technologie. Premièrement, il sera possible de dépasser le niveau de complexité tactique des entraînements actuels, car la simulation embarquée soulagera cognitivement le pilote de certains calculs mental ce qui favorisera ses capacités de division de l’attention (i.e., le pilote pourra faire plus de tâches et plus complexes qu’il ne peut le faire actuellement). De plus, cette possibilité d’enrichissement de l’environnement tactique en formation permettra au pilote de se créer un bagage expérientiel très proche des conditions du terrain opérationnel. Cela facilitera d’autant plus son activité en tant que pilote au sein des forces.
Bien entendu, toutes les activités ne sont pas réalisables en simulation embarquée. Par exemple, il sera difficile de s’entraîner à des missions dans lesquelles le pilote doit interagir avec des éléments par contact visuel direct à travers la verrière, et pourtant bien matérialisés dans sa simulation embarquée. C’est pourquoi, dans l’attente que certaines technologies comme la réalité augmentée arrivent à maturité, il semble pour l’heure plus raisonnable de s’entraîner à des activités nécessitant des interactions avec des éléments présents au-delà de la portée visuelle (Beyond Visual Range). Dans ces conditions, le risque de contradictions entre ce qui est affiché sur les écrans de la simulation embarquée et ce qu’il est possible de voir à l’extérieur du cockpit est limité. D’autres limitations partagées avec la simulation au sol existent aussi, telles que le niveau d’intelligence artificielle des entités virtuelles ou encore la fidélité du comportement des menaces virtuelles.
Cependant, l’évaluation des risques de cet outil est difficile à anticiper du fait d’une cruelle absence d’informations formalisées (recherches scientifiques et retour d’expérience). La récence de cette technologie au sein des forces, et encore plus lors de la formation, nécessite de baser la réflexion sur une technologie existante qui se rapproche le plus possible des caractéristiques de la simulation embarquée : la modernisation des cockpits des avions de formation, c’est-à-dire les Technically Advanced Aircraft (TAA). En effet, alors que cette modernisation technologique est censée réduire les risques encourus en vol, la Federal Aviation Administration (FAA) s’est rendu compte d’un taux d’attrition plus élevé pour ces types d’appareil que pour les appareils d’ancienne génération. Les facteurs produisant le plus d’erreurs peuvent être regroupés en deux catégories : l’augmentation de la quantité d’informations à analyser, et l’automatisation des systèmes. La solution recommandée par la FAA pour réduire ces problèmes est de fortement accentuer la formation des pilotes sur les nouvelles compétences que nécessite la Gestion de systèmes (GS). Il semble ainsi que, pour favoriser un emploi efficient de la simulation embarquée, tout en limitant les risques, il soit nécessaire d’inclure très tôt dans la formation du pilote l’acquisition de nouveaux types de « compétences basiques ». En effet, alors que les avions d’ancienne génération requéraient une part plus importante de basiques de vol, les nouveaux systèmes requièrent en plus des compétences de GS. Ainsi, la formation des futurs pilotes devrait pouvoir faire coexister ces deux types de « basiques ».
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En résumé, les forces aériennes doivent faire face à une réduction des possibilités de formation sur avion de combat opérationnel. Le but est donc de former le mieux possible les jeunes pilotes aux compétences spécifiques de l’avion opérationnel avant qu’ils ne commencent à voler dessus (1). Trois grandes classes de compétences sont à acquérir (1) les compétences de vol, les basics, (2) les compétences en Gestion de Systèmes et (3) les compétences en tactique de combat. La simulation au sol est performante et fiable pour développer les compétences de GS et de tactique. Seulement, la simulation au sol n’est pas performante pour se former aux compétences de vol. Seul le vol réel est efficient pour ce type de compétence. C’est pourquoi la simulation embarquée en vol réel représente un atout dans la formation, car elle permet de former ces trois classes de compétences. Néanmoins, pour parvenir à maîtriser la simulation embarquée le pilote doit savoir maitriser au préalable la GS. C’est donc par une formation progressive, basée sur un savoir-faire séculaire, et articulant soigneusement ces nouveaux outils, tels que la simulation au sol et la simulation embarquée, que les forces aériennes pourront surmonter les enjeux actuels et futurs de la formation du pilote de combat (2).
(1) J. Donnot et V. Ferrari : L’optimisation de la formation du pilote de combat par downloading : limites et risques (Rapport de recherche) ; EMAA/BPLANS, 2012.
(2) C. Camachon, et C. Blättler : La simulation embarquée : limites et risques pour la formation et l’entraînement du PN (Rapport de recherche) ; EMAA/BPLANS, 2012.