Préface
Les progrès scientifiques et techniques ainsi que la convergence actuelle des nanotechnologies, des biotechnologies, de l’informatique et des sciences de la cognition (NBIC) ouvrent des perspectives inédites de renforcement des capacités humaines, tant sur le plan physique qu’intellectuel. La société civile l’a bien compris, elle qui entrevoit les nouvelles perspectives que cette révolution peut entraîner pour l’humanité, lui permettant de devenir actrice de sa propre condition, et ainsi tenter de dépasser ses limites physiques et physiologiques.
Il reste que l’Homme est profondément lié à son être hérité de la nature et que tout dépassement de lui-même ne doit pas aller à l’encontre de son essence, au risque de le dénaturer et d’oublier sa fragilité qui fait sa dignité. Aussi, tout en étant conscient des dangers présentés par les thèses transhumanistes à la recherche d’une bioperfectibilité qui oublie les limites de notre constitution physique, et qui sont le symptôme d’une dépression anthropologique profonde, il convient de se demander en quoi ces nouvelles technologies peuvent pallier les possibles déficiences humaines du soldat sur le champ de bataille.
C’est ainsi que le Centre de recherche des Écoles de Saint-Cyr Coëtquidan (CREC) a lancé depuis 2015 une réflexion sur cette question dans le cadre de son programme de recherche sur le soldat augmenté, dont une étape majeure a été la tenue d’une journée d’études le 19 juin 2017 au ministère des Armées, à Balard, organisée avec le soutien de l’Institut de recherche biomédical des armées (IRBA) et de la Direction générale de l’armement (DGA), sur les besoins et perspectives de l’augmentation des capacités du combattant dans le but d’être plus efficient en opération.
Ce Cahier de la Revue Défense Nationale recense ici le résultat des travaux et réflexions menés par trois groupes de travail qui ont ciblé les problématiques majeures et déterminé trois types d’enjeux :
A. Augmentations des capacités cognitives et soutien psychologique du futur combattant.
B. Augmentations des capacités physiques et soutien physiologique du futur combattant.
C. Politiques de gestion de l’augmentation par les forces.
Cette étape de notre programme présente ici les définitions précises des notions échangées, en procédant notamment à une clarification d’ordre sémantique de la définition même de ce qui est entendu par « augmentation ». Ensuite, toute étude partant d’un besoin clairement exprimé, il est apparu nécessaire de demander préalablement à des opérationnels engagés récemment en opérations, de décrire les solutions d’augmentation qu’ils souhaitaient voir proposées pour le combattant dans un futur plus ou moins proche. Cette expression du besoin a été enrichie par les contributions de la Gendarmerie et de la Police, qui présentent les spécificités de leurs missions et le cadre dans lequel peut s’envisager une « augmentation » des agents des forces de sécurité intérieure.
Sont également présentées dans ce Cahier spécial les fonctions d’augmentation possibles et les pistes de solutions envisageables, toutes déclinées par les groupes de travail A, B et C décrits précédemment en fonction de leurs diverses applications selon le terrain, la mission et les caractéristiques de chaque individu.
De la même façon, l’étude prend en compte les enjeux sociologiques, éthiques et juridiques qui découlent de ces nouvelles perspectives. Elle aborde plus particulièrement la question des « augmentations » appliquées, la nature de leurs effets obtenus, leurs procédés de mise en œuvre et de contrôle, leur acceptabilité, tout comme la réversibilité ou non de leurs impacts.
Nous tenons dès lors à remercier les nombreux acteurs de la réflexion menée, depuis 2015, sur les besoins et enjeux de l’augmentation des performances du combattant, notamment la DGA, l’IRBA et les industriels de la Défense qui se sont impliqués dans la réflexion. Nous nous félicitons tout particulièrement de l’ouverture récente, par Safran Electronics & Defense, d’une chaire privée de mécénat en Sciences de l’ingénieur en partenariat avec le CREC, destinée à travailler sur le thème du « soldat augmenté dans l’espace numérique de bataille ».
Pour conclure notre propos, et avant de laisser au lecteur le plaisir de découvrir les différentes contributions à cet ouvrage, il apparaît clairement que l’hypothèse d’un possible renforcement des capacités physiques et cognitives des combattants ne peut laisser personne indifférent dans la mesure où celles-ci pourraient permettre une amélioration globale du niveau de performance de nos forces armées et de leur efficacité. La force de ce Cahier de la RDN est ici d’aborder le débat sous un angle pluridisciplinaire et d’inscrire la réflexion dans le cadre de l’évolution notable de l’environnement dans lequel se déploient nos combattants, à la croisée des mondes civil et militaire, et alors que ces « augmentations » sont susceptibles de changer les modes opératoires des missions de défense et de sécurité. En conséquence, il est primordial que les armées se saisissent des questions sociologiques, éthiques et juridiques que posent les perspectives de l’augmentation des performances du soldat, sans laisser à d’autres le soin de définir des orientations qu’elles ne désireraient pas ou qui ignoreraient leurs besoins. À l’institution militaire alors de s’interdire certaines pratiques et de fixer des lignes rouges, sous réserve que ses propres combattants n’en deviennent pas plus exposés que les combattants adverses aux dangers de l’action militaire. ♦