Les enjeux des études polémologiques
Afin de parvenir à faire dialoguer les universitaires avec les militaires, qui pensent avoir l’apanage de pratiquer la guerre et de la théoriser, un chantier extraordinaire s’offre à nous. Gaston Bouthoul est le père de la polémologie. Quand il a créé cette discipline, il hésitait entre deux vocables : le grec polémos (relisez Héraclite d’Éphèse, le père de toute chose), mais Bouthoul s’est trompé parce que, dans l’esprit et la philosophie d’Héraclite, polémos ce n’est pas la « guerre » mais le « conflit » et le « débat d’idées ». Il avait le choix entre polémos et bellatique, il a laissé le second pour conserver le premier, devenant « polémologie ».
Cette discipline était typiquement française dans les années 1970 alors qu’ailleurs on connaissait l’essor des peace research, notamment dans le monde anglo-saxon. Cette polémologie a été « sponsorisée » par les militaires qui ont financé la discipline. Cependant, elle n’a pas survécu à Bouthoul.
Notre problématique se situe dans le champ académique qui, pour décrire la guerre en tant que phénomène social, a plusieurs disciplines. Il existe, au sein de ces dernières, deux approches pour comprendre la guerre. D’un côté, le déterminisme technologique qui croit que l’évolution cumulative et linéaire de l’armement pourrait permettre de gagner la guerre. De l’autre, une voie française, celle portée par l’école d’Ardant du Picq, plus concentrée sur les forces morales.
Il est difficile de faire dialoguer les sciences dites « dures » et les sciences sociales, donc, pour cela, toutes les disciplines académiques comme l’histoire, la géographie, ou encore la sociologie, sont toutes importantes. Les Anglo-saxons y ont ajouté l’intelligence, mais le problème est que les militaires sont un peu opaques à ce champ universitaire. Nous avons notre jargon, quand on parle de la guerre on parle de renseignement, d’opérations et si on voulait, par rapport à la théorie des organisations, avoir plus de méthodes, on parlerait de fonctions opérationnelles.
Finalement, on est confrontés à une double exigence. D’abord, d’un point de vue académique, car lorsque l’on étudie le thème de la guerre dans l’armée française, de manière complètement réductrice à l’École de Guerre, il y a une discipline forte : l’histoire. Cet enseignement de l’histoire conduit à la défaite d’août 1914 et à celle de mai 1940. Pourquoi une discipline serait-elle reine pour étudier la guerre ?
Le premier invariant de la guerre ce n’est pas l’histoire, mais la géographie ; nous avons donc d’abord besoin de géographes. D’un point de vue académique, la première exigence méthodologique et épistémologique est de faire dialoguer les disciplines. Ce n’est toutefois pas simple, car dans cette transdisciplinarité, il faut que le sociologue, le philosophe ainsi que l’historien, arrivent à une problématique commune. Dans le cadre de notre laboratoire au Cnam, l’ensemble des chercheurs est en train de travailler sur une première publication en 2024 pour développer cette dimension méthodologique et épistémologique.
Par ailleurs, les militaires arrivent peu à peu dans ce champ d’études. Là encore, entre la pratique et la théorie, il existe toujours un décalage. Je le définis comme étant un décalage polémologique, puisqu’aujourd’hui, avec ce que l’on observe en Ukraine notamment, les Ukrainiens font preuve d’une ingéniosité exceptionnelle sur le développement des drones : ils sont en avance sur la théorie.
In fine, le problème des études sur la guerre est qu’il n’y a pas véritablement de champ académique. Il va donc falloir avancer en ce sens ; peut-être qu’en se réappropriant la polémologie, on parviendra à progresser sur les axes méthodologique et épistémologique. ♦