Allocutions d’ouverture des XIIIes Assises nationales de la recherche stratégique
Alain Bauer
Bienvenue à ces Assises de la recherche stratégique. Ce sont les treizièmes, j’espère que personne n’est superstitieux ! Je salue les présents dans cette salle et, comme d’habitude, les quelques milliers de celles et ceux qui vont nous suivre au cours de la journée sur les réseaux sociaux et Internet.
Pour ouvrir les travaux, je voudrais saluer et donner la parole à Madame l’Administratrice générale du Conservatoire national des arts et métiers (Cnam) qui nous accueille, nous aide et nous soutient dans un climat décontracté et heureux. Le Cnam est l’endroit où nous réalisons tout ce que l’université ne voulait pas faire, puis tout ce que l’université a décidé qu’elle ferait mieux que nous ! Nous continuons cependant à le faire en attendant qu’elle puisse réussir cette opération majeure dans notre secteur Sécurité, Défense, Renseignement, Criminologie, Cybermenaces et gestion des Crises porté par le PSDR3C pour la formation et l’ESDR3C pour la recherche.
Je profite de cette opportunité pour remercier la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche pour avoir soutenu notre filière Renseignement, enfin dotée d’un support d’emploi et nos collègues de l’EPN 15, notamment leurs directeurs respectifs, les professeurs Durand et Caillaud pour leur support permanent et les collègues du pôle breton sous l’autorité de Laurent Buchon et d’Isabelle Guée et, bien sûr, tous les collègues et intervenants, enseignants chercheurs, administratifs et techniques, qui font vivre nos formations au quotidien.
Bénédicte Fauvarque-Cosson
L’équipe Sécurité Défense Renseignement Criminologie Crises Cybermenaces (ESDR3C) réunit des chercheurs et des experts spécialistes des menaces contemporaines criminogènes. Elle livre une analyse pluridisciplinaire et détaillée des grands enjeux sécuritaires de notre temps. Terrorisme, contre-terrorisme, radicalisation, cybersécurité, cyberdéfense, crise globale, renseignement économique, nouvelle criminalité financière : autant d’axes de recherche auxquels l’abbé Grégoire, fondateur du Conservatoire national des Arts et Métiers, n’aurait jamais pensé.
Ces Assises s’inscrivent dans la continuité des précédentes. En 2020, le thème traitait de la question du « vieux monde », en 2021, celle des crises et, en 2022, celle du « Retour de la guerre ». En 2023, la thématique est la suivante : « Faire face au nouveau désordre mondial ». En voyant ce titre, je n’ai pu manquer de m’interroger. Le monde n’a-t-il jamais été ordonné ? En effet, constater qu’il y a un nouveau désordre, c’est présupposer qu’il y avait eu un ordre et que cet ordre a disparu. Pourquoi ? Qui en est responsable ? Surtout, d’où venait cet ordre ? Au fond, l’une des questions que soulèvent ces assises est bien celle de savoir qui, sur cette terre, pourra aujourd’hui soit maintenir, soit restaurer cet ordre mondial.
Il y a eu des tentatives notables d’ordonner le monde par le droit dès le XIXe siècle, grâce à de grands traités multilatéraux. Ainsi, par exemple, la Convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle fut signée en 1883. Encore en vigueur, elle porte notamment sur les brevets et les marques et est administrée par l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle. Dès la fin du XIXe siècle, des conférences internationales pour la paix se sont tenues à La Haye. Elles ont inspiré la création de la Société des Nations (SDN), organisation internationale introduite par le traité de Versailles en 1919, qui avait précisément pour objet de promouvoir la paix et la coopération internationale.
L’ONU œuvre pour le développement de la paix et de la sécurité dans le monde et promeut la mobilisation internationale afin de répondre aux grands défis économiques, sociaux et environnementaux. C’est pourquoi l’ONU favorise le développement du commerce entre les nations, comme source de paix. La Commission des Nations unies sur le droit du commerce international (CNUDCI) a, par exemple, élaboré la convention de Vienne sur les contrats de vente internationale de marchandises. Adoptée en 1980 et désormais signée par près de cent États, cette convention est devenue la lingua franca de la vente internationale de marchandises. Le préambule de cette convention reflète bien l’esprit qui a présidé à sa rédaction :
« Les États parties à la présente Convention ayant présent à l’esprit les objectifs généraux inscrits dans les résolutions relatives à l’instauration d’un nouvel ordre économique international que l’Assemblée générale a adoptées à sa sixième session extraordinaire,
Considérant que le développement du commerce international sur la base de l’égalité et des avantages mutuels est un élément important dans la promotion de relations amicales entre les États,
Estimant que l’adoption de règles uniformes applicables aux contrats de vente internationale de marchandises et compatibles avec les différents systèmes sociaux, économiques et juridiques contribuera à l’élimination des obstacles juridiques aux échanges internationaux et favorisera le développement du commerce international […] ».
Enfin, comme chacun le sait – mais il n’est jamais inutile de le rappeler –, la paix, grâce au commerce, est à l’origine de la construction européenne avec la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA). En 1958, la CECA est devenue la Communauté économique européenne, avant de devenir l’Union européenne.
Le commerce, particulièrement celui des matières premières, est un facteur clé de l’ordre mondial et de la paix. Cette réalité, qui fut aussi une raison d’agir, a permis aux États de se donner comme projet celui de construire un ordre juridique international au service de la paix. On a cru à la puissance du droit pour ordonner le monde via les traités et les conventions internationales. Les experts des États-membres des organisations internationales signaient souvent des conventions internationales, de plus en plus nombreuses ; ils les ratifiaient parfois. Même si le relativement faible nombre de ratifications dont ont fait l’objet de grandes conventions révèle que l’unification du droit par la voie des conventions internationales est loin d’être parfaite, le droit était en marche pour ordonner le monde. Vers la fin du XXe siècle, certaines organisations internationales ont développé d’autres instruments, privilégiant l’harmonisation sur l’objectif, irréaliste, d’unification. Le pluralisme juridique retrouvait ses lettres de noblesse avec l’essor des « loi modèles » ou autres instruments de droit souple, tels que les « Principes ». C’est ainsi qu’une organisation comme UNIDROIT, chargée d’unifier le droit, a préféré rédiger des « Principes » pour les contrats du commerce international, plutôt qu’une convention. Cette méthode correspond à une nouvelle vision de la mondialisation et du rôle des juristes, comme acteurs de « l’ordre mondial ». Il s’agit, pour eux, non plus de rechercher l’unité, mais d’« ordonner le pluralisme », selon les mots de Mireille Delmas-Marty, professeure au Collège de France.
Comment, aujourd’hui, rétablir un ordre mondial ? Comment faire en sorte que ce ne soit pas la loi du plus fort qui prévale ? Les champions d’échecs, on le sait, ont toujours plusieurs coups d’avance. Au Cnam, nous n’enseignons pas encore les échecs, mais l’équipe Sécurité Défense Renseignement Criminologie Crises Cybermenaces (ESDR3C) est là pour former les professionnels à anticiper et gérer les risques, à se mouvoir dans un terrain instable. Savoir anticiper, c’est savoir choisir nos combats, c’est avoir un coup d’avance et tracer la route, tout en conservant notre souveraineté. Les voies que vous tracerez durant cette journée sont essentielles. ♦