Depuis que la guerre existe, l’homme a pour ambition d’augmenter les capacités du soldat. Mais aujourd’hui – peut-être pour la première fois dans l’histoire –, l’homme peut espérer réaliser cette ambition : alors que la guerre revient frapper aux portes, le soldat apparaît comme le maillon faible. Exposé à des sollicitations extrêmes, ce dernier demande légitimement à être consolidé. Ce sera probablement l’une des conditions de la victoire.
Besoins et perspectives de l’augmentation des capacités du combattant
L’ambition d’améliorer ses performances taraude l’homme depuis des temps immémoriaux. Parce qu’elle répond à un impératif archaïque : celui de notre ancêtre préhistorique luttant pour sa survie ; parce qu’elle correspond aussi à une aspiration plus élaborée : celle de l’athlète rêvant de courir plus vite, de sauter plus haut, de frapper plus fort et de lancer plus loin.
Le combattant doit relever le double défi de l’homme à la genèse de son histoire – survivre – et du sportif – gagner. C’est historiquement « l’outil », sous différentes formes en progrès constants, qui lui a permis d’obtenir l’avantage en puissance, en portée, en précision, en vitesse, en clairvoyance. Au point que la valeur athlétique du guerrier a perdu de son importance relative dans l’équation déterminant l’efficacité globale d’un système combattant. Mais, par un curieux retour des choses qui doit moins au hasard qu’à la compréhension désormais intime des mécanismes du vivant, le soldat retrouve une évolutivité : il est désormais possible de percer le plafond de verre de la nature humaine et de ses limites congénitales. Des barrières – physiques, psychologiques et cognitives – se lèvent. L’homme redevient l’instrument d’un avantage opérationnel potentiellement décisif.
Le sujet du soldat augmenté est donc capital dans le développement capacitaire et prospectif. Il s’inscrit pleinement dans la dynamique d’Action terrestre future (1) (ATF) et des travaux programmatiques qui en découlent. Il a sa place dans les réflexions des trois armées, chacune avec ses spécificités propres.
Ce sujet doit également beaucoup au Centre de recherche des Écoles de Saint-Cyr Coëtquidan (CREC), véritablement en pointe sur ce sujet, comme en témoignent le colloque « fondateur » de juin 2015, la publication du numéro hors-série de DSI (Défense & Sécurité Internationale) en janvier 2016, et les multiples journées de travail et d’échanges associant les forces, la Direction générale de l’armement (DGA), le Service de santé des Armées (SSA), mais aussi des industriels et des universitaires. Le colloque du 19 juin 2017, à l’occasion duquel je me suis exprimé, a constitué une étape supplémentaire dans ce cheminement commun. Ce propos est d’ailleurs très largement inspiré de mon intervention à cette occasion.
« En quoi l’augmentation du combattant pourrait répondre à un besoin pour les forces ? ». Telle était la question posée. Six besoins opérationnels encadrants justifient d’envisager la perspective d’emploi d’un combattant « augmenté ». Pour être bien compris, l’exposé de ces besoins doit néanmoins être précédé de quelques éléments de contexte et prolongé de plusieurs recommandations. Les défis du futur imposent en effet de saisir les opportunités technologiques qui pourront augmenter les capacités physiques et cognitives du soldat. Pour autant, le sujet – l’homme, et plus encore l’homme en guerre – exige des précautions qui seraient accessoires s’il fallait énumérer les caractéristiques d’un simple équipement. Elles sont ici essentielles.
Un contexte paradoxal
L’ambition d’un soldat augmenté est atemporelle mais l’époque présente lui offre des conditions de réalisation inédites.
La recherche de l’augmentation du soldat est-elle si nouvelle que cela ? Il est probable que non. Il est même possible de s’avancer à décrire le soldat comme l’illustration parfaite de l’homme augmenté : un homme ayant bénéficié d’une amélioration technique – son arme –, et d’une amélioration physique et psychologique – sa préparation opérationnelle. Ainsi, qu’est-ce qu’une jumelle de vision nocturne sinon l’acquisition d’une capacité jusqu’alors inaccessible à l’homme ? Qu’est-ce qu’un avion sinon un homme armé capable d’accomplir le plus vieux rêve de l’humanité ? Qu’est-ce que le programme Félin (Fantassin à équipements et liaisons intégrés), sinon la démultiplication des capacités individuelles du combattant ? On remarquera cependant qu’aucune de ces augmentations ne présente de caractère intrusif ou invasif pour le corps humain. La recherche d’amélioration rencontre donc aujourd’hui des conditions inédites de réalisation dont il faut tirer un deuxième élément de contexte.
L’époque que nous traversons est singulière par la conjonction de 2 éléments.
Les progrès des sciences et techniques dans les domaines des nano- et biotechnologies, de l’informatique et de l’intelligence artificielle, de la connaissance des mécanismes intimes du fonctionnement du cerveau et des avancées en termes de génétique ouvrent des perspectives totalement nouvelles. La conjonction interdisciplinaire de ces avancées scientifiques et technologiques permet à l’augmentation du soldat de franchir un nouveau palier.
Dans le même temps, nous constatons que la guerre revient frapper à nos portes. L’occurrence d’un conflit symétrique est plus forte, alors que nos armées sont moins nombreuses et que la natalité des pays occidentaux s’étiole. Comme le souligne ATF, la supériorité occidentale n’est plus acquise par avance, pas même sur le plan technologique. Enfin, les conflits récents – et en cours – nous enseignent que la guerre à distance ne suffit pas à résoudre les crises : nous aurons donc toujours besoin d’hommes sur le terrain, en quantité et en qualité. Il est probable que cette tendance perdure, voire s’accentue, à rebours des théories attractives mais partiellement trompeuses du light footprint (faible empreinte au sol) et du shock and awe (choc et effroi).
À court terme, il semblerait donc que la première question à se poser soit celle de l’augmentation du nombre de soldats plutôt que celle du soldat. Cependant, dans la perspective du retour de la guerre dans nos horizons intelligibles, il convient de saisir et de s’approprier les perspectives offertes par les évolutions technologiques qui augmenteront les capacités physiques et cognitives du soldat. À l’heure où le dilemme mobilité–protection–capacité d’agression s’accroît face à des adversaires peu protégés mais très mobiles ; où les moyens de vision nocturne – apanage traditionnel des armées modernes – se vulgarisent ; où enfin la maîtrise de la situation awareness (connaissance de la situation) est un gage de survie et d’efficacité dans un environnement toujours plus complexe…, il est impératif d’intégrer des solutions innovantes. Elles ont pour nom intelligence artificielle, robotique, vision et réalité augmentées, exosquelette, flyboard… et constitueront vraisemblablement de nouveaux avantages décisifs.
Il est aussi du devoir de l’armée de Terre de se demander s’il ne faut pas saisir les perspectives offertes par une nouvelle forme d’augmentation, fût-elle plus intrusive pour le corps et le cerveau. De manière outrancièrement utilitariste, pourquoi refuser de consolider l’homme et le soldat s’ils sont les maillons faibles de demain ? La question se pose avec d’autant plus d’acuité que le champ de bataille de demain soumettra le système aéroterrestre à des défis inouïs.
Conjugués aux faiblesses et limites de l’homme, ces défis révèlent six besoins encadrants.
Six besoins encadrants
Les conditions du combat de demain exposeront le soldat à des sollicitations un temps oubliées ; la technologie nous offre d’en réduire l’impact.
Mieux percevoir pour mieux réagir sur un champ de bataille plus confus
Le soldat dispose de capacités cognitives limitées : il ne peut percevoir instantanément la complexité de l’environnement dans lequel il évolue, surtout lorsque la menace est omnidirectionnelle, masquée et diffuse. La zone urbaine est l’expression la plus achevée de cette confusion. Le combattant doit le plus souvent agir dans l’urgence, dans une logique de duel, et ne dispose que de quelques secondes pour prendre la bonne décision et accomplir le bon geste, du fantassin au pilote d’hélicoptère. On remarquera que la qualité du geste se mesure essentiellement de manière relative, par comparaison avec les facultés de l’adversaire. Aux défis rencontrés par les exécutants s’ajoute pour les chefs tactiques de tous niveaux celui d’inscrire leur action dans une complexité qui nécessite la prise en compte de multiples données.
L’augmentation du soldat doit donc contribuer à améliorer ses capacités de perception et de compréhension, en phase de préparation à la mission, pendant l’action, voire très en amont ou à des niveaux hiérarchiques supérieurs, au sein des centres de commandement qui planifient puis conduisent les opérations. La satisfaction de ce premier besoin nous conduit fréquemment à une logique zoomorphique car le règne animal est riche d’exemples que nous aimerions transposer au combattant : voir la nuit ou distinguer les sources de chaleur, percevoir les vibrations et sentir à distance, mieux entendre, élargir son champ de vision, escalader une paroi verticale, etc.
Gérer le stress pour affronter une violence hors cadres
Il existe un stress vertueux, répondant à des mécanismes reptiliens, qui permet à l’individu de mobiliser ses ressources pour faire face à des situations exceptionnelles. Mais le stress peut aussi réduire les capacités du soldat :
• Pendant l’action : c’est ce que les pratiquants de sports de combat appellent « l’effet tunnel », désignant par là une focalisation excessive sur l’origine – supposée – de la menace au risque de perdre conscience de son environnement élargi et des dangers qu’il contient.
• Après l’action : le combattant peut être profondément et durablement marqué par tel ou tel épisode, au point de générer plusieurs semaines ou mois après l’événement un Syndrome post-traumatique (PTSD). Cela est particulièrement prégnant lors des engagements au milieu des populations, qui n’épargnent ni femmes ni enfants. L’ultraviolence indiscriminée y constitue un mode d’action répandu.
L’augmentation du soldat doit donc contribuer à la résilience de la personne, pendant et après l’action. Il s’agit de favoriser le stress positif qui renforce, et de limiter l’expression du stress négatif qui affaiblit, dans la durée.
Gagner en puissance et en endurance dans des combats dont nous ne contiendrons ni l’intensité ni la durée
Les armées occidentales ont pu imaginer des conflits « idéaux » dans lesquels nous aurions condensé à l’extrême les séquences de violence, à la fois paroxystiques et éphémères, par l’application d’une puissance militaire écrasante et ciblée. Nous comprenons que ce schéma, certes séduisant, demeurera à l’état de modèle. Des vérités, aussi anciennes que le champ de bataille, demeureront : le soldat porte lourd, longtemps, dans des conditions climatiques exigeantes. Il veille, devant un écran ou face à l’horizon. Et il doit, à l’heure où il ne s’y attend pas, disposer de toute son agilité, de sa lucidité, pour donner le meilleur de lui-même et être « au rendez-vous », en conciliant agressivité extrême et maîtrise de la force.
L’amélioration des performances physiques – athlétiques – du combattant constitue donc un défi atemporel. Cette amélioration se décline au moins en trois volets : celui de la résistance à l’effort physique et à l’inconfort (durer par l’endurance et la rusticité) ; celui de la résistance à la douleur et aux conditions climatiques extrêmes ; celui enfin permettant d’envisager la compensation d’une limite fonctionnelle propre à un individu particulier, pour le replacer au niveau moyen de la population considérée.
Adoptant un point de vue résolument prospectif, il est aisément possible d’imaginer une limitation de la demande en eau et nourriture, une diminution de la vulnérabilité aux agressions NRBC, une régulation de la signature thermique. Mais comment ne pas évoquer aussi le « graal » depuis si longtemps recherché et jamais atteint : la limitation drastique, dans la durée, des besoins en sommeil, et l’augmentation de la rapidité de la récupération ?
Sur un champ de bataille où les actions d’influence s’intensifieront, garantir le « fighting spirit »
Tout chef sait que l’esprit de corps et la force morale d’une unité sont le fruit d’une alchimie complexe, longue à élaborer mais qu’un rien peut briser. C’est précisément ce à quoi s’emploiera l’ennemi par le développement d’actions dans le champ des perceptions. La force collective est le résultat d’une subtile combinaison de confiance (en soi, en le chef, en la valeur du groupe et de ses équipements, en la qualité des appuis et du soutien, etc.) et de conviction (« La cause pour laquelle je risque ma vie est légitime, mon action est soutenue par la communauté nationale qui m’accorde son appui et sa reconnaissance »). D’innombrables études sociologiques ont cherché à percer les secrets de cette combinaison pour en apprécier les dosages. On peut retenir un trait commun à beaucoup d’entre elles : la cohésion doit beaucoup aux interactions basiques entre l’individu et la cellule tactique de « petit niveau » à laquelle il appartient (l’équipage, le groupe de combat).
Il est donc légitime de se demander si le processus d’acquisition du « fighting spirit » ne peut être raccourci et garanti, quitte à identifier les leviers de profilage ad hoc pour mieux identifier les individus, puis les combiner au mieux et optimiser l’entraînement.
Pour répondre au besoin de (conservation de) masse critique, réduire la mortalité et réparer les blessés
Réduire la mortalité au combat dans nos propres unités répond à une injonction morale car tout chef est comptable de la vie de ses hommes. Cet impératif répond également, plus froidement, au pragmatisme d’une armée dont les effectifs sont limités, voire réduits quand on les compare à d’autres masses humaines. Évacuer un blessé diminue le potentiel de l’unité dans l’instant et dans la durée. D’autant que former un soldat est long et cher. Enfin, le coût politique des pertes, surtout si elles sont massives et simultanées, est considérable. Il peut même avoir des répercussions stratégiques comme en témoigne la War Fatigue qu’on observe chez certains de nos alliés anglo-saxons. Les pertes passées peuvent dissuader d’employer à nouveau la force, à tout le moins troubler la réflexion.
Accroître la survivabilité des hommes en cas de blessure s’impose donc. Cela ne suffit cependant pas. Avant le soldat « augmenté », il faut faire un effort pour parvenir à des soldats mieux « réparés », dans leur chair et, le cas échéant, dans leur esprit. La réadapation au monde de la défense, idéalement en permettant à nos blessés de retrouver une aptitude au service, constitue un objectif raisonnable, accessible à relativement brève échéance.
Pour une efficacité opérationnelle d’emblée, préparer « la première fois »
La surmortalité des jeunes recrues a été mise en évidence à plusieurs reprises. Et ce n’est que lorsque passent les premiers engagements, et que l’accoutumance aux bruits, odeurs et ambiance du combat est réalisée que cette mortalité diminue. L’instinct prend alors le dessus, et les sens instantanément en éveil permettent d’adopter la meilleure posture.
Aujourd’hui, malgré des actions de feu, fréquentes et parfois longues et brutales, rares sont les combattants pouvant se prévaloir d’une expérience quotidienne du combat. Beaucoup retourneront à la vie civile avant d’avoir constitué le capital opérationnel qui aurait pu devenir une composante importante de leur autoprotection. Accoutumer les jeunes soldats ante, alors que la majorité d’entre eux ne passera que quelques années sous l’uniforme, est donc une nécessité. Il est probable que le développement des neurosciences, en sus des moyens de simulation, aidera à familiariser les combattants avec les sollicitations propres à une situation de guerre.
Madame Galactéros le résume parfaitement : les armées auraient besoin d’« hommes bioniques, qui courent vite, n’ont pas besoin de dormir, mangent et boivent très peu, et peuvent se battre en permanence » (2).
Comment donc satisfaire ces besoins ? Par un homme bionique, par un être hybride dont on ne saurait plus trop sa catégorie d’appartenance – homme ou machine ? Par la création d’aptitudes étrangères à l’espèce humaine ? Par une intelligence augmentée, non biologique ? L’anthropotechnie et les techniques dérivées de la médecine et des nano et biotechnologies laissent imaginer de multiples applications. Mais le sujet est infiniment sensible. Au besoin de définir des limites répondent une observation factuelle et un risque au moins aussi grand que celui porté par la modification du matériau humain : alors que nous serons plongés dans le chaos de la guerre, les barrières éthiques bougeront et se fragiliseront immanquablement ; surtout, confrontés à un ennemi qui n’aurait pas nos scrupules, ne risquons-nous pas de laisser la barbarie l’emporter parce que nous nous interdirions certaines techniques au nom de principes dont la pertinence se limiterait au temps de paix ?
Des recommandations qui s’imposent
Un lien étroit avec ce qui fonde la civilisation.
Pour tenter d’y voir plus clair et esquisser des réponses d’ordre éthique, quelques recommandations semblent nécessaires. Elles esquissent un premier dispositif de régulation, certes provisoire mais cohérent avec ce que nous croyons être le projet profond de notre civilisation.
L’impératif de pragmatisme : ne pas lâcher la proie pour l’ombre
La recherche d’efficacité opérationnelle, loin de faire de nous des docteurs Frankenstein en puissance, nous conduit au contraire à beaucoup de prudence (dont a besoin le développement d’une réflexion éthique approfondie) et nous demande d’éviter deux écueils.
Le premier serait d’abandonner l’idée de solutions d’augmentation moins invasives. Il y a encore des marges de productivité substantielles à exploiter du côté de l’entraînement physique, en personnalisant davantage la préparation des soldats par exemple. Être moins invasif peut aussi signifier être alternatif, par le développement de systèmes automatisés qui ne modifieront pas l’homme mais l’aideront ou le remplaceront. Les gains à espérer sont considérables, notamment en termes d’endurance.
Le deuxième écueil serait de « diminuer » le soldat par effet collatéral. Expliquer les insuffisances du soldat – qu’une augmentation permettrait de pallier – ne doit pas occulter les innombrables qualités qu’il faut lui conserver. Peut-être même quelques « défauts », dont celui de pleurer pour reprendre une réflexion du médecin principal Éon (3). On l’a dit, le soldat est le fruit d’une alchimie complexe. Le fonctionnement du cerveau humain est encore méconnu. Toute « augmentation » risque donc de provoquer une modification ou une « diminution » non contrôlée par ailleurs. Il serait donc inacceptable que la capacité de discernement du soldat, son équanimité et son empathie soient altérées par des bénéfices qui perdraient ainsi beaucoup de leur sens.
L’impératif de responsabilité : ne pas oublier que le matériau est un homme
Les biotechnologies ne sont pas acceptables en toutes circonstances et sans précaution. Dans les conditions « de température et de pression » actuelles, les augmentations du combattant nous semblent devoir répondre à plusieurs critères :
– être consenties par l’individu et admises par la société ;
– être ciblées pour répondre à un objectif opérationnel précis ;
– demeurer sans séquelles physiques et psychologiques, à court terme évidemment, mais aussi à long terme, car le soldat est un futur civil ;
– enfin, être réversibles.
C’est bien en replaçant l’humain au cœur de nos considérations que nous serons certains de ne pas nous égarer.
L’impératif d’interaction, y compris avec l’adversaire : se rappeler que les moyens dont se dote une société disent quelque chose d’elle-même, et de sa défense en particulier
Bien sûr, il ne faut pas perdre de vue la finalité de l’action militaire : contraindre physiquement l’adversaire, pour défendre nos intérêts majeurs voire vitaux, ou plus simplement stabiliser une zone de crise. De ce fait, il faut d’abord s’imposer : l’augmentation du soldat peut donc se justifier. Mais il faut ensuite stabiliser, normaliser, appuyer le retour à la vie politique, économique et sociale du temps de paix. Dans ce cadre, le soldat « augmenté » ne doit-il pas rester profondément humain ? Ne perdons pas de vue que la déshumanisation du combattant – risque corollaire à son augmentation – alimentera la spirale de la violence. Il n’est donc pas déraisonnable de considérer à ce stade que l’Homme, par opposition à la machine ou même à l’Homme « hybride », doit demeurer à l’origine de toute action décisive sur le champ de bataille.
* * *
Que/qui sera donc le soldat augmenté demain ? Un soldat amélioré, transformé, modifié, un être hybride, un nouveau Prométhée ? Sera-t-il la combinaison de plusieurs améliorations ou la conséquence d’une augmentation plus spécifique ? Ce Cahier de la Revue Défense Nationale contribuera à esquisser des réponses. Une chose est sûre néanmoins : la juste augmentation est probablement dans la mesure. Il est sans doute moins urgent d’acquérir de nouvelles capacités que de chercher à compenser les faiblesses du combattant, puis de permettre à tous les soldats de disposer des capacités physiologiques extra-ordinaires que l’on rencontre chez quelques privilégiés « nativement dotés ». Il sera temps alors de chercher à acquérir de nouvelles capacités. Dit autrement, concentrons-nous sur la vulnérabilité principale de chaque fonction opérationnelle, et sur le point qui lui permettra de gagner en efficacité de manière exponentielle. N’oublions pas enfin que les développements techniques répondent à un besoin, sans omettre qu’ils influencent en retour l’expression de celui-ci. Ce dialogue s’inscrit dans le long terme. Il nous appartient de poursuivre cette réflexion qui, mêlant plus intimement qu’une autre les considérations technologiques, opérationnelles et éthiques, requiert davantage de lucidité et de courage intellectuel. ♦
(1) EMAT, Action terrestre future, Demain se gagne aujourd’hui, 2016, 67 pages (www.defense.gouv.fr/).
(2) Caroline Galactéros, « Homme augmenté, volonté diminuée (entretien) », Inflexions n° 32 (« Le soldat augmenté »), 2016, p. 117-122 (http://inflexions.net/).
(3) Aurélie Éon, « Faut-il laisser pleurer le soldat augmenté ? », Inflexions n° 32, 2016, p. 73-78.