Définition de ce qu’est une augmentation des performances du soldat, présentation de ses caractéristiques attendues et classification des types et des moyens d’augmentations possibles du combattant.
Le soldat augmenté, définitions
Avant que ce Cahier de la Revue Défense Nationale n’aborde plus précisément ce que sont les besoins d’augmentation exprimés par les militaires et les forces de l’ordre, et les différentes solutions et techniques envisageables pour y parvenir, il nous apparaît nécessaire dans un premier temps d’apporter une clarification d’ordre sémantique à la définition même de l’augmentation.
La définition qui vous est proposée ici et qui est celle retenue pour notre programme de recherche, établit une définition de l’augmentation centrée sur l’homme et sur ses capacités intrinsèques. Nous limiterons dans un premier temps le périmètre de cette étude au combattant en lui-même en tant qu’acteur opérationnel. Un second périmètre d’investigation qui concerne les augmentations du niveau du groupe sociologique ou du niveau d’une entité opérationnelle (état-major, groupe de combat, etc.) pourra faire l’objet d’études ultérieures non abordées jusqu’à présent dans le cadre de notre étude.
Si l’augmentation en tant que processus destiné à augmenter les capacités intrinsèques de l’être humain combattant est considérée au travers de deux approches complémentaires – a) l’individu en tant que tel (c’est-à-dire l’humain « nu ») et b) l’individu équipé (c’est-à-dire l’humain apte au combat) –, elle exclut néanmoins sciemment les technologies, outils et équipements dépourvus de toute finalité d’augmentation comme peuvent l’être les équipements constitutifs des systèmes d’arme embarqués par le combattant. Ainsi, les équipements inclus dans le spectre de cette définition sont ceux qui, une fois configurés et portés par le soldat, ne nécessitent pas d’action spécifique de manipulation pour être mis en œuvre. Nous les définirons comme étant des équipements faisant corps avec le soldat, ou autrement dit des équipements au contact, à effet d’augmentation des performances humaines.
Ainsi, un casque à réalité virtuelle est un équipement considéré comme faisant corps avec le soldat car il augmente les capacités de ce dernier par l’ajout d’informations complémentaires sur la situation tactique dans son champ visuel. De même, des jumelles jour/nuit portées par le casque, permettront à un fantassin d’acquérir une vision nyctalope, aptitude à voir dans la pénombre, ce qui lui donne un plus tactique. L’action du soldat reste passive vis-à-vis de ces jumelles qui lui apportent une nouvelle capacité qu’il n’aurait pas autrement. L’exosquelette fait également partie de cette catégorie d’équipements portés par l’homme, tout comme les lentilles de contact intelligentes et connectées.
À l’inverse, les robots ainsi que l’arme ne seront donc pas considérés comme augmentant les performances du soldat, même s’ils contribuent à l’amélioration des performances globales d’une unité militaire ou des forces de l’ordre qui les emploient. Ils doivent en effet, tout du moins actuellement, être opérés physiquement par le fantassin qui se doit d’être actif pour les contrôler. Ils sont par principe disjoints des systèmes d’augmentation embarqués par le combattant en ce sens qu’ils ne lui procurent intrinsèquement aucune augmentation et qu’ils nécessitent une action volontaire du combattant pour leur mise en œuvre aboutissant à un effet. En revanche, le même fantassin sera augmenté si son casque de réalité virtuelle ou ses lentilles connectées lui permettent de voir en temps réel ce que voit un robot, bénéficiant ainsi d’un champ de vision élargi et déporté grâce à ce même robot.
Les définitions retenues dans le cadre de ce projet sont donc les suivantes.
Définition du soldat augmenté
Le soldat augmenté est un soldat dont les capacités sont augmentées, stimulées ou créées dans le but de renforcer son efficacité opérationnelle.
Ces augmentations peuvent aller de la modification physiologique, ou d’un changement d’état psychologique, à l’utilisation de moyens qui, faisant corps avec lui, assurent la continuité de l’amélioration de ses capacités corporelles sensorielles, physiques ou cognitives.
Définition de l’augmentation du soldat
L’augmentation est une action ayant pour objectif de rendre le soldat plus efficient en opération :
• en renforçant ses capacités psycho-cérébrales (intellectuelles, mentales, psychologiques, cognitives) et/ou physiques, ou en lui permettant d’en acquérir de nouvelles ;
• par des moyens faisant corps avec lui à effet d’augmentation des performances humaines ;
• par des apports pharmacologiques non thérapeutiques, des implantations statiques ou dynamiques (nanomatériaux, prothèses) ou de la thérapie génique sur sa physiologie ;
• de manière courte ou prolongée, voire irréversible, sous réserve d’en maîtriser les effets.
Par efficience nous entendons ici l’efficience opérationnelle, soit la capacité pour un individu d’obtenir les effets attendus pour réaliser sa mission. L’efficience concourt à l’efficacité.
Cette définition de l’augmentation du soldat se veut volontairement très large, et non limitative incluant les différentes techniques d’augmentations, notamment celles qui touchent aux capacités cérébrales (cognitif, perception, mémoire, etc.), aux capacités psychologiques (résistance au stress, stabilité émotionnelle, résistance aux agresseurs psychiques, résilience, etc.) ainsi qu’aux capacités physiologiques et physiques (force, endurance, mobilité, protections, combat).
En revanche, cette définition n’implique pas que toutes soient acceptables d’un point de vue éthique, sociologique ou juridique. L’objet du programme de recherche lancé par le CREC Saint-Cyr est en effet de proposer à terme une analyse de l’intérêt de ces augmentations et de porter une réflexion en vue d’établir un accompagnement de la gestion des augmentations par les forces armées.
Les classifications de l’augmentation du soldat
Ce schéma propose une classification des différents types d’augmentations des performances du soldat, ainsi que des différents moyens actuellement disponibles pour les permettre.
Nous avons pris en compte pour les augmentations le renforcement, la stimulation ou l’ajout de capacités humaines via l’apport des technologies mais aussi via les méthodes de renforcement ou d’augmentations des capacités cognitives, physiologiques et physiques du soldat.
Y sont listés dans le premier cercle intérieur en bleu les types d’augmentation possibles du combattant (notez que les commentaires qui s’y rapportent ci-dessous sont non exhaustifs).
Ce sont les augmentations :
• de la mobilité (vitesse, agilité) ;
• de la protection (vêtements ignifuges, camouflage, gilets pare-balles effectuant automatiquement en cas de blessure une constriction des tissus humains touchés et administrant un calmant) ;
• des capacités de combat ;
• de l’interconnexion avec le monde extérieur (permettant d’intégrer le soldat dans un plus vaste système collaboratif) ;
• de la perception (voir plus loin, détecter des menaces invisibles à l’œil nu, entendre des ultrasons) ;
• de l’analyse cognitive (accès à des informations pré-analysées, optimisation de la mémoire, rapidité des temps de traitement de l’information), mais aussi de la réduction de la charge cognitive en cas de haute intensité (conserver l’attention, synthèse des données tactiques élaborées en fonction de la phase de la mission) ;
• de la maîtrise de l’émotion et du stress ;
• de la résistance aux environnements extrêmes ;
• de l’endurance et de la récupération (afin de tenir dans la durée, comme la hausse des capacités pulmonaires et cardiaques).
(Définitions schématisée des augmentations du soldat)
Y sont listées dans le second cercle extérieur en rouge les familles de techniques d’augmentation possibles. Tout d’abord, celles qui sont sans effet sur l’homme (les commentaires qui s’y rapportent sont, là encore, non exhaustifs) :
• Les équipements portés par l’homme (gilets, lunettes, lentilles, gants haptiques).
• Les exosquelettes, dispositifs d’assistance physique à contention.
• Les moyens de communication intégrés (antennes intégrées aux vêtements, ostéophonie).
• L’Intelligence artificielle (IA) dont les traitements automatisés permettent de renseigner et d’informer le soldat en temps réel de l’évolution de la situation tactique ou de lui apporter une aide à la décision. Cette IA peut être embarquée ou bien déportée.
• La réalité assistée ou la réalité augmentée qui enrichissent la perception visuelle du combattant d’informations complémentaires pour le déroulement de sa mission.
Puis, les techniques d’augmentation qui ont un effet sur le corps humain lui-même en améliorant sa performance par des interventions sur son corps, confirmées par des méthodes scientifiques validées :
• Les neurosciences (stimulations magnétiques transcrâniennes pour moduler le niveau d’activité des neurones, capacités d’apprentissage accrues ou une meilleure rapidité de réaction).
• La pharmacologie (correction ou accompagnement pharmacologique de situations de stress, de fatigue, de baisse de la perception, d’augmentation des capacités cognitives). À noter que toute prise de médicament offre une potentialité iatrogène. Son effet est soit une inhibition, soit une simulation, soit une freination ayant pour but un effet physiologique, avec pour objectif, dans notre cas, de décupler des capacités ou de les freiner selon l’effet recherché.
• La psychologie (techniques d’optimisation du potentiel, esprit de corps).
• La chirurgie (anthropotechnie afin d’améliorer la performance humaine sans but médical autre que l’augmentation de l’homme et ce, de façon irréversible).
• La génétique et l’épigénétique (étude du caractère des gènes et de la régulation de leur activité qui permet, sans les modifier, de faciliter ou d’empêcher leur expression). Elles s’appuient sur le séquençage du génome humain (la génomique). Si les modifications génétiques paraissent lointaines pour des usages militaires, hormis dans la réduction de la sensibilité à la douleur par thérapie génique, c’est surtout dans le domaine du contrôle des aptitudes existantes ou des augmentations possibles par des tests génétiques que cette discipline apparaît comme étant impactante pour les militaires, notamment lors du recrutement des soldats.
• Les biotechnologies (application des méthodes et des techniques faisant appel au vivant pour la transformation de l’être humain, ainsi qu’à l’inverse l’intégration d’éléments mécaniques ou micromécaniques intelligents dans des tissus humains).
• L’entraînement (développement de la masse musculaire, du mental, de l’endurance en vue de ses futures missions par une préparation optimisée physique ou intellectuelle).
Sans être exhaustif sur les possibilités d’augmentation des performances du soldat, citons ici certaines possibilités qui pourraient être entrevues à l’horizon 2030, selon l’étude prospective menée en mai 2017 par le SGDSN, « Impacts des transformations et ruptures technologiques sur notre environnement stratégique et de sécurité » (1). Il est ainsi possible de prévoir le développement :
• d’implants destinés à augmenter l’acuité visuelle ou auditive ;
• de dispositifs d’électrostimulation cérébrale pour les opérateurs exerçant en environnement complexe ; technique qui pourrait présenter un intérêt pour du personnel soumis à des sollicitations multiples et devant rester concentré sur de longues périodes, comme les pilotes de drones ;
• d’interfaces cerveau-machine permettant soit d’utiliser des exosquelettes afin d’augmenter les capacités locomotrices, soit de piloter des drones ou des robots.
Les caractéristiques de l’augmentation du soldat
Toute augmentation doit s’accompagner de caractéristiques liées à sa mise en œuvre. Une augmentation se doit donc d’être :
• Intuitive dans sa mise en œuvre.
• Modulaire (toute augmentation doit être implémentable selon les besoins de la mission et le choix du chef d’unité).
• Confortable (elle ne doit pas apporter de gêne supplémentaire au soldat, notamment lors de la vie en campagne ou de la récupération de ce dernier).
• Et durable (l’augmentation ne doit pas réduire l’autonomie du soldat, et ce dernier doit toujours rester résilient face à toute nécessité d’augmentation, l’absence de celle-ci ne devant pas entraver la mission).
Augmentation n’est pas réparation
En complément, si l’amélioration s’entend d’une action qui a pour effet de porter une capacité humaine à un niveau qu’elle n’atteignait pas jusque-là ou de permettre à l’homme d’accéder à des capacités qu’il ne possédait pas jusque-là, il convient enfin de faire un distinguo entre augmentation et réparation. La réparation est une action visant à restaurer a minima une capacité initiale du corps humain quitte au final à la surpasser ou à l’améliorer.
Elle diffère de l’augmentation dans le sens où son effet consiste à restaurer un état physique ou psychique initial à l’individu, état qui était le sien avant une blessure. Néanmoins, une réparation peut également induire une augmentation des performances en comparaison de l’état précédent de la victime. On parlera alors de réparation augmentée, comme l’athlète Oscar Pistorius, né sans péroné, mais dont les performances physiques dépassent celles d’un individu classique. ♦
Remerciements au médecin général des armées Patrick Godart pour sa relecture et ses conseils.
(1) Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale : Chocs futurs. Étude prospective à l’horizon 2030 : impacts des transformations et ruptures technologiques sur notre environnement stratégique et de sécurité, mai 2017, 206 pages (www.sgdsn.gouv.fr/).