Fondée sur deux scénarios narrant le quotidien de soldats en opération, on trouve ici une approche pragmatique des besoins de nos hommes et femmes lors de leur projection dans des contextes difficiles. Les récits imaginés servent d’argumentation préalable aux besoins en augmentation des combattants qui en découlent.
Augmentations du combattant : une expression de besoin fondé sur un vécu opérationnel
Pour un soldat, la question de l’augmentation ne se pose pas, elle est une évidence. Du bricolage de son matériel au tube de médicament qui amoindrit la fatigue, tout ce qui peut lui faciliter la vie sur le terrain et le rendre plus efficace au combat est bienvenu. Cette augmentation empirique couvre les domaines à sa portée, c’est-à-dire son entraînement, son matériel et les interactions avec ses camarades.
À l’image des Spartiates entraînés depuis leur plus jeune âge (agôgé), tout combattant connaît et recherche la plus-value d’un corps rodé aux exercices physiques, résistant à la fatigue et à la douleur. L’aspect matériel, quant à lui, revêt l’aspect multiséculaire du débat entre le glaive et la cuirasse, dans lequel l’amélioration de l’un entraîne la nécessaire adaptation de l’autre. Quant aux interactions entre combattants, elles sont primordiales en ce qu’elles ont toujours permis de rentabiliser les deux points précédents par une synergie optimale de l’action des combattants, pouvant aller jusqu’à réduire l’avantage technologique de l’adversaire à néant. Ceci est vrai depuis la nuit des temps. Un exemple nous est donné par Alexandre le Grand lors de la bataille de Gaugamèles (331 av. J.-C.), au cours de laquelle en disposant intelligemment ses phalanges il détruit la pièce maîtresse de Darius : ses chars à faux.
Si le questionnement sur l’augmentation du soldat est bien actuel et moderne, son inscription dans le temps long n’est pas anodine. L’histoire de la guerre est marquée par des à-coups tactiques coïncidant avec l’avènement de grands chefs militaires. Elle est aussi marquée par des à-coups techniques quand l’apport d’une nouvelle technologie vient bouleverser les capacités des forces. En revanche, au-delà des évolutions tactiques et technologiques, un double constat s’impose :
L’homme reste et restera au cœur de la mêlée (1).
Le combat reste, dans son expression essentielle,
la combinaison du mouvement et du feu.
Dans ce cadre, il convient de distinguer le rôle du chef tactique, qui est de décider du mouvement pour permettre à ses combattants de porter le feu au bon endroit, et le rôle du combattant en lui-même, qui est de se mouvoir avec son armement et de porter le fer et le feu là où il permet de détruire l’ennemi.
Pour chacun de ces acteurs, la notion d’appréhension du milieu est capitale. Elle est « locale » pour le combattant qui se déplace et rend compte de la situation vécue, elle est « globale » pour le chef tactique, en fonction de son niveau de responsabilité et d’analyse. Elle est dépendante de l’interconnectivité entre les uns et les autres, et la rapidité d’appréhension, d’analyse et de transmission des informations conditionnent le combat car le mouvement doit être exécuté à temps pour que le feu soit efficient.
En ce début de XXIe siècle, où l’humanité assiste à l’implication exponentielle des technologies dans la vie courante, le transhumanisme ouvre la perspective de l’augmentation de l’Être humain et ses applications au soldat sont multiples, ce qui n’est pas sans poser de sérieuses controverses éthiques. La question reste donc quelles augmentations, pour quel type de soldat et jusqu’où peut-on aller ?
Il serait bien prétentieux de vouloir y répondre en quelques lignes, d’autant plus qu’un opérationnel découvrant cette sphère de réflexion ne peut que constater à quel point les questionnements sont profonds, variés, impliquant de brillants esprits et ayant déjà donné lieu à de nombreuses expériences et à la production de beaucoup de matériels innovants.
En revanche, il est surprenant de constater quelles peuvent être les difficultés de connexion entre l’univers des chercheurs et des concepteurs, et celui des combattants. Ceci est d’autant plus dommageable que l’utilisateur, pour fantassin et rustre qu’il soit, est bien souvent doté d’un esprit très pratique, développé par de longues heures à la peine sur le terrain. Pour exemple, c’est un caporal-chef du 1er Tirailleur qui a démonté l’intégralité de son système Félin (Fantassin à équipements et liaisons intégrés) et l’a incorporé sur le gilet pare-balles porté en opération, ce qui a permis de résoudre le problème de la superposition du gilet Félin au complet avec le gilet pare-balles. Au-delà de la débrouillardise de l’intéressé, qui lui a sûrement valu une lettre de félicitations, la question est de savoir pourquoi le concepteur n’a pas directement effectué ce genre d’action avant de mettre son système sur le marché.
L’ambition de cet article se veut donc de permettre aux cercles de réflexion de mieux appréhender ce que vivent les opérationnels sur le terrain, afin de mieux comprendre leurs besoins, et de les satisfaire de la façon la plus pratique et pragmatique possible.
Pour cela, le propos s’articule en deux parties :
– Des scénarios tactiques concrets.
– Les besoins en découlant et les augmentations correspondantes.
Scénarios en opération
Scénario 1 : Afghanistan
Par le chef de bataillon Jean-Thomas Rubino,
instructeur Tactique aux Écoles de Saint-Cyr Coëtquidan.
Le capitaine X, commandant un sous-groupement en Opex, reçoit la mission d’armer un COP pour une durée d’une semaine. La première difficulté est de rejoindre cet avant-poste. Il n’y a qu’une seule route et le danger IED est prééminent. Les zones de danger potentielles sont connues. Pour les franchir, il n’y a pas d’autres solutions que de progresser à pied à découvert et de laisser le groupe Génie avec ses détecteurs contrôler la route. Les fantassins débarquent et sécurisent au mieux leur progression de part et d’autre de la route. Mais la vision est réduite du fait de la végétation et des habitations qui bordent la route. Les jumelles thermiques sont insuffisantes, la progression est lente et se fait sans être abritée car les hommes du Génie progressent sur toute la largeur de la route : cela les rend vulnérables. Les brouilleurs IED sont activés. Il paraît qu’une surexposition aux ondes émises nuit à la santé : il faut donc tenir un registre individualisé d’exposition. De plus, les ondes brouillent parfois les transmissions ; on communique au geste et à la voix.
Jour J - 7 h 00
Déployé sur le poste en flanc de colline, le SGTIA est en surveillance. Tous les jours, le poste est pris à partie « longue distance » (entre 800 et 1 000 m). Il s’agit d’un tireur d’élite insurgé mais il est impossible de détecter la zone de départ des coups. On se poste, on observe et on attend que ça passe. On ne peut pas tirer au jugé de peur de faire des dégâts collatéraux au sein de la population. Cette dernière vient demander des informations, des soins, etc. On essaye d’avoir du renseignement d’ambiance, du renseignement sur le sniper. On ne comprend rien et, même si l’interprète traduit, aux réactions des visages, aux silences gênés, on comprend que ce qu’il traduit n’a rien à voir avec ce qui se dit vraiment.
J + 3
Un drone aux ordres du GTIA survole la zone entre 11 h 00 et 12 h 00 ; c’est l’heure où les tirs de sniping ont lieu sur la FOB depuis notre arrivée. Le Centre opération envoie les CR au fur et à mesure du survol des zones où le sniper est susceptible de se cacher. Mais il n’y a pas la retransmission des images en direct. Elle serait pourtant utile pour la connaissance de la zone, voir les itinéraires d’infiltration ennemis vu du ciel, les cheminements invisibles depuis le poste derrière les murets, les maisons, les jardins. D’ailleurs ce serait également idéal pendant les phases de progression pour observer le compartiment de terrain suivant avant de s’y engager et voir derrière les masques naturels. Le drone reviendra une partie de la nuit car, la veille, les soldats en faction ont décelé 3 individus circulant à pied sur la route : pas d’armement visible mais des sacs et des pelles. De toute façon, il est difficile de percevoir ces détails même avec les jumelles de vision nocturne ou thermique. En revanche, les pelles sont une certitude. Ce sont peut-être des poseurs d’IED ou alors des villageois qui vont entretenir les canaux d’irrigation à la fraîche mais l’autorisation de faire une sortie pour aller les fouiller et les contrôler n’est pas accordée. La potentielle menace IED est à prendre en compte pour l’opération du lendemain.
J + 4
11 h 00, le GTIA a décidé une opération face au COP dans la zone verte pour fouiller les maisons et trouver des armes, et ainsi diminuer la pression sur le poste. Déjà déployé, le Cne X reçoit la mission d’appuyer le déploiement de deux compagnies dans la zone verte : mission difficile car on ne distingue pas les fantassins qui manœuvrent. On n’aperçoit qu’une succession de toits entrecoupés par la végétation, quelques bouts de pistes, toujours bordés par des murets qui nous cachent une éventuelle progression des insurgés. Ces murets leur servent de poste de tir après qu’ils aient pratiqué un trou difficile à distinguer mais suffisant pour laisser passer le canon de leurs armes. Les premières prises à partie sont timides et ne nécessitent pas d’intervention de l’appui. Mais les camarades sont au contact, le stress monte.
14 h 00, début d’après-midi, il fait très chaud, même en étant statique. Les militaires progressent de maison en maison, de jardin en jardin. Ils doivent se poster à chaque coin de rue, se relever, recommencer encore et encore. La progression est lente, les jambes fatiguent, le corps s’use avec ses mouvements répétitifs et le poids porté par chacun. La chaleur est encore plus terrible. Un soldat doit d’ailleurs être évacué suite à un coup de chaud quelques instants plus tôt. Il ne l’a pas senti venir : déshydratation certainement et/ou peut-être coup de soleil. Dans tous les cas, il fait chaud sous le casque lourd et la sueur coule parfois dans les yeux. Bref, une section bloquée : un groupe pour l’évacuer en brancard souple, un groupe pour la sécurisation rapprochée, le reste de la section en surveillance en attendant le retour de ses gars. Brancarder un camarade n’est déjà pas facile mais avec ses protections balistiques, son arme, son barda, un groupe n’est pas de trop pour tout porter. Il faudra rattraper le temps perdu pour atteindre les objectifs de fouille fixés. C’est usant de fouiller les maisons : physiquement – il faut retourner les tas de bois, déplacer les meubles, les armoires, fouiller les bidons de farine, sonder les puits, etc. – et psychologiquement – les villageois crient et protestent.
16 h 32, fin de journée. Cette fois, c’est parti. Les insurgés ont observé et repéré les positions d’appui et les failles dans le dispositif déployé en zone verte. La fatigue est là. Tout le monde se réveille et devient attentif. Jusque-là, le calme apparent, la tension et la chaleur font qu’à un moment ou un autre, chacun a dormi quelques minutes, piquant du nez, tout en essayant de tenir bon. Ceux qui sont au repos dans les véhicules dorment allègrement et doivent se rééquiper rapidement aux premiers tirs. D’autres doivent être secoués par leur équipier : l’habitude du bruit, des coups de feu et la fatigue font que cela ne les réveille plus. Les deux compagnies sont au contact en même temps à la jonction de leur dispositif, rendant encore plus difficile la coordination et la riposte. En face ? Une vingtaine d’assaillants armés de Kalachnikov et de RPG-7 (lance-roquettes).
Le Cne X doit avoir une vision claire du dispositif ami pour éviter les tirs fratricides car l’ennemi cherche l’imbrication pour se protéger de nos tirs d’appuis. On ne voit pas les sections au contact. On devine les zones. Le seul moyen est de suivre à la radio la position des gars et leurs CR sur l’ennemi. Officiellement, le Cne X a deux réseaux radio : le sien et celui du GTIA qui fait le lien entre toutes les compagnies mais le PC met trop de temps à transférer les CR des compagnies au contact. Le Cne X a donc récupéré des postes radios supplémentaires : il écoute le réseau GTIA, commande les appuis sur son propre réseau et a deux postes supplémentaires pour écouter les deux compagnies au contact et avoir les positions amies/ennemies au plus vite et au plus juste. C’est le seul moyen d’avoir une vision claire du champ de bataille. Il faut en même temps transposer les positions sur les cartes, confirmer les objectifs avec les compagnies au contact, donner ses ordres à ses propres éléments qui, eux aussi, font des CR d’observation et de tirs qu’il faut intégrer.
Le JTAC demande pour la troisième fois les coordonnées de la maison sur laquelle il doit guider un tir de roquettes des hélicoptères Tigre arrivés en renfort. Le sniper harcèle sur les positions d’appui pour gêner les tirs. Il est renforcé par une mitrailleuse PKM (Kalachnikov adaptée pour une munition plus puissante). De temps en temps, une roquette de RPG tombe à quelques mètres des positions. Impossible de quitter le véhicule de commandement pour se rendre compte visuellement de la situation : c’est dangereux pour un chef d’être aveugle, mais il pourrait rater un point de situation important ou un CR en le quittant. C’est aussi trop compliqué d’être relevé par l’adjoint en plein coup de feu. Il lui sera plus utile en lui servant d’yeux mais ce sont des CR supplémentaires à prendre en compte. Le sous-officier transmission s’occupe du réseau haut (avec le GTIA) pour prendre les messages et faire les CR de situation. Sans cela, le Cne X aurait été obligé de délaisser ce réseau pour se concentrer sur les appuis. Soudain sur le réseau d’une compagnie on entend « halte au feu, tirs fratricides ». De suite, le capitaine fait stopper les tirs d’appuis. Ouf ! Pas de blessé, les tirs étaient trop près des positions amies et risquaient de les toucher. Il est vraiment compliqué de discriminer ami et ennemi, d’être sûr de tous ses tirs.
Une section d’appui a été héliportée dans la nuit sur les sommets qui surplombent la zone mais avec une marche d’infiltration de 6 km entre le point de dépose et leur position actuelle. Ils devaient être ravitaillés par hélicoptères car la capacité d’emport des appareils est limitée par la chaleur et l’altitude mais ils ont été envoyés sur une autre mission prioritaire. Le ravitaillement va devoir se faire à l’ancienne, depuis le COP, avec les stocks de bouteilles d’eau du COP : à dos d’homme, à pied !
17 h 14 : la situation se calme avec l’arrivée des hélicoptères. Une roquette explose sur une des positions d’appui. Un soldat a pris des éclats dans les jambes. Rien de dramatique heureusement. On ne peut pas être protégé partout, c’est impossible ; le gilet pare-balles est déjà assez lourd comme ça. Une armure d’« Iron Man » climatisée ? Un rêve…
18 h 30 : fin d’action. Les compagnies ont rompu le contact, la compagnie se retrouve seule sur son poste à nouveau. Les villageois amènent un adolescent de 15 ans dans une brouette, blessé par balle. C’est (bien entendu) notre faute et (bien sûr), il est innocent, il n’a rien fait. Un soldat est quasiment certain de reconnaître sa tenue et qu’il faisait partie des assaillants. Mais il n’y a pas moyen de le savoir, pas de tests pour voir s’il a de la poudre sur les mains, etc. Il faut lui prodiguer des soins malgré la rage ou la colère. Il repartira chez lui car, malgré la demande d’intervention de la police locale, celle-ci ne s’est pas déplacée. L’ordre est donné de le laisser libre. Il est pris en photo mais comment l’identifier ?
19 h 00. La fatigue frappe de plein fouet à cause du stress et de la retombée d’adrénaline. Pourtant, il faut envoyer un CR au PC et relater tous les événements de la journée. C’est assez difficile car chaque combattant à une vision différente et très parcellaire d’un même combat. Chacun est concentré sur son secteur et on découvre plein de choses sur ce qui s’est passé quand chacun raconte son combat. Il faut collationner les CR, faire la part entre le réel et l’interprétation ou la déformation parce que la mémoire est faillible.
Dans le feu de l’action, on n’a pas eu le temps de tenir la main courante qui répertorie tous les messages envoyés et reçus avec les horaires. On la remplit donc après… comme on peut. Le bilan est assez léger au vu des actions de combat. Trois personnes évacuées : le coup de chaleur, un cas de sidération et le blessé par éclats. Il y a quelques traumas sonores mais c’est souvent le cas : on fera le bilan à la prochaine visite médicale, il y a d’autres chats à fouetter pour le moment…
La suite…
Le SGTIA du Cne X est resté pendant un mois sur son poste isolé, la situation sécuritaire ne permettant pas de faire des relèves. Heureusement le VAB étant équipé d’un poste satellitaire, on peut joindre la France : cela permet de prendre des nouvelles de la famille, de tenir bon. Par contre, pas moyen de recharger toutes les batteries des différents équipements, il a donc fallu travailler en mode dégradé comme on a toujours su le faire. Il y a bien quelques piles de rechange mais il n’y a pas de standard
d’uniformisation des batteries entre les différents matériels, et c’est dommage. Il faudra une opération complète pour effectuer la relève et c’est l’armée locale qui va armer le poste. La passation de consignes risque d’être complexe tant en termes de compréhension que de modes et moyens d’action complètement différents, un moment mémorable en perspective.
Scénario 2 : Mali
L’intervention française au Mali a démarré avec la projection de la brigade Serval en janvier 2013, laquelle a effectué la phase de coercition initiale contre les groupes armés terroristes. Il serait intéressant de récupérer ici un témoignage d’hommes ayant participé à la conquête de l’Adrar de Ifoghas en 2013 car nombre de situations durant cette phase ont atteint un paroxysme récent de dépassement physique pour ceux qui y étaient engagés à pied, étant chacune source d’enseignements possibles pour une augmentation optimale. En revanche, après cette phase très dure qui caractérise le premier temps de l’intervention, a suivi la phase de stabilisation (opération Barkhane) dans laquelle l’armée française est engagée depuis août 2014. Dans ce cadre, les soldats évoluent toujours dans des conditions climatiques extrêmes, se déplaçant en véhicules pour couvrir les longues distances, mais finissant toujours à pied, avec un poids d’environ 40 kg au global sur le dos, en interaction avec les forces maliennes et la Minusma (Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali).
Le scénario suivant est donc un exemple de ce qui peut se produire lorsque les événements se conjuguent avec des missions ordinaires, pour finir par générer un enchaînement d’activités qui peut se révéler épuisant malgré un aspect bien moins extrême que l’engagement à pied dans les Ifoghas. Nous observons dans ce scénario, sur une période de 18 jours, un détachement français d’une trentaine de parachutistes, baptisé ici Licorne, qui vit en poste isolé au Nord Mali et travaille essentiellement avec les troupes partenaires africaines.
J1
Le détachement Licorne est au travail dans sa FOB : la vie courante consiste à instruire au combat des sections maliennes et à effectuer des patrouilles de renseignement dans les villages environnants pour la moitié du détachement, pendant que l’autre moitié assure la garde de l’emprise, la réparation et l’entretien des matériels, et les servitudes (préparation des repas, remplissage de la cuve à eau, vidange des toilettes…). Rien de bien méchant de prime abord, si ce n’est que le thermomètre dépasse les 40 °C dès 08 h 00 du matin, et que toute activité impliquant une sortie de FOB se fait équipé du gilet pare-balles et de ses 30 kg.
Pendant ce temps, les chefs tactiques ont entamé leur réflexion sur la prochaine mission. Ils doivent, avec des unités maliennes, aller sécuriser dans 8 jours le site du crash d’un avion de ligne. Les délais sont corrects pour effectuer une bonne préparation de mission.
J2
Le détachement Licorne effectue une liaison sur la base militaire de Gao. Mission de routine, à des fins logistiques et de préparation de la mission. Quelque 200 kilomètres sur un axe relativement « safe », mais sur lequel la vigilance reste de mise. Au cours de ce passage à Gao, une nouvelle tombe : un ressortissant européen a été kidnappé, la zone est proche de celle du détachement Licorne, une mission de recherche de l’otage lui est donc assignée.
J3
Le détachement Licorne est rentré sur sa base, il a mis de côté la préparation de la mission « Crash avion » et se concentre sur sa nouvelle mission de recherche d’otage. En parallèle, il prépare une section de Maliens pour cette même mission, accueille et fait le plein de l’hélicoptère affecté à la recherche du ressortissant, et monte en puissance.
J4
Départ en mission « recherche d’otage ». Celle-ci va durer 4 jours complets. Concrètement infructueuses, ces quatre journées de déplacement tactique en véhicule et à pieds, de fouille de village en fouille de village vont puiser dans les énergies, car aucune mission n’est anodine d’un point de vue physique sous ces latitudes. À titre d’exemple, le franchissement du fleuve Niger en sécurité sur un bac « de fortune » est une manœuvre qui dure de 11 h 00 du matin… jusqu’à 16 h 00. Sécurisation des berges du fleuve, reconnaissance de la rive opposée, réarticulation, etc. Si aucun ennemi ne prend le détachement à parti, l’exécution de cette étape creuse déjà les visages, sous des chaleurs de près de 50 °C.
Quant à la manœuvre en véhicule, si elle peut paraître reposante, il faut compter avec les difficultés du terrain, qui engendrent pannes et enlisements qu’il faut régler en ambiance tactique, toujours par les mêmes chaleurs. Être en tourelle de véhicule dans ce contexte signifie être capable de mobiliser son attention dans la durée (capacités cognitives à augmenter) pour effectuer la topographie et assurer la sécurité du détachement avec l’arme de bord (capacité à contrer l’incertitude), quand le soleil frappe de plein fouet le métal brûlant du blindé et que la chaleur du moteur fait monter la température en tourelle à plus de 60 °C (résistance physique à augmenter) !
J7
Retour du détachement Licorne sur sa base vers 12 h 00. Il reste donc l’après-midi, la soirée et le début de matinée pour remettre en condition tout le matériel, l’armement et les véhicules afin de pouvoir prendre le départ le lendemain vers 13 h 00 pour Gao, afin de se prépositionner pour la mission initiale, la sécurisation du lieu du crash aérien (récupération physique à augmenter). Malgré l’attrait de la tente climatisée, chacun se démène afin d’être « OPS » pour le lendemain midi.
J8
11 h 25, le chef de détachement est sous sa tente PC, avec tous ses chefs d’équipe, en pré- briefing de la future mission. Dehors, les parachutistes sont déjà prêts à partir, attendant les ordres. Une énorme explosion retentit, renversant nombre des personnels et semant immédiatement la confusion. Les armes automatiques du détachement allié voisin déclenchent le tir, la base est attaquée. De fait, une attaque par VBIED vient de débuter. Elle va annuler le départ du détachement, lequel va répondre à la menace, sécuriser les environs et procéder aux soins et à l’évacuation héliportée des nombreux blessés et morts occasionnés par l’attaque.
Déclenchée à 11 h 25, cette opération imprévue va durer jusqu’à 18 h 00. Elle va marquer durablement les organismes et les esprits. D’une part, parce que malgré le système de garde en place, personne n’a vu venir l’attaque du véhicule (capacités cognitives à augmenter), ce qui remet en plus en question les modes d’action ennemis dans la zone (capacité à contrer l’incertitude). D’autre part, car parmi les morts et blessés, il y a de nombreux enfants, ce qu’un combattant accepte moins bien que la mort d’un adversaire (résilience morale à augmenter). L’équipe médicale va œuvrer pendant des heures dans une mare de sang, sécurisée par le reste du détachement, toujours sous des chaleurs de 50 °C (résistance physique à augmenter), générant une fatigue physique et psychique que l’adrénaline fait oublier, mais qui va se rappeler à tous dans les heures et les jours suivants.
À la fin de la journée, le bilan reste positif pour le détachement Licorne. Aucun mort ou blessé français à déplorer, de nombreuses vies sauvées. Cependant un des paras, un taiseux, marqué par sa mission en Afghanistan, n’a pas supporté la vue des enfants morts. Il a disjoncté. Il est comme absent. Un PTSD, un vrai, car l’homme est valeureux, il l’a prouvé de nombreuses fois, mais cette occurrence est celle qui vient de fissurer sa cuirasse psychologique. Il sera évacué et pris en compte très rapidement par le corps médical, et se remettra donc bien plus vite que la moyenne (résistance psychologique à augmenter).
Le bilan de cette journée est cependant lourd de conséquences sur le potentiel initial du détachement au départ de la mission de sécurisation du crash. Ainsi va la vie en opération extérieure. Malgré les événements, il n’est pas envisageable que le détachement ne participe pas à la manœuvre, car il joue un rôle primordial de mise en action des forces partenaires.
22 h 00, après s’être restauré pour reprendre quelques forces, le chef du détachement doit rédiger le CR. Les autorités attendent des faits et des photos, afin d’analyser cet événement. La fatigue est toujours mauvaise conseillère, et un CR rédigé dans ces conditions se transforme vite en roman-fleuve « hors gabarit », plutôt qu’en un CR militaire exploitable. Il le réalisera plus tard (mobilisation des capacités intellectuelles à augmenter).
J9
Départ pour Gao, à 100 kilomètres. Rehearsal (répétition) général du GTIA avant l’opération. Le détachement Licorne prend liaison avec l’unité malienne qu’il va mentorer durant la mission. Il s’agit de s’approprier très vite les données initiales celle-ci (capacités cognitives à augmenter), de créer rapidement le lien avec la troupe partenaire et de mettre en place rapidement la structure qui va permettre de la guider. Fort heureusement, le détachement est extrêmement drillé, car la fatigue des événements récents est bien prégnante (récupération et mobilisation des capacités intellectuelles à augmenter).
13 h 30 : c’est reparti pour 8 jours d’opération. Les Maliens sont en tête, le détachement Licorne l’est donc aussi durant l’ensemble de la progression vers le site du crash.
J10
Arrivé sur zone, il faut reconnaître l’ensemble du site puis mettre en place le dispositif de sécurité. Durant l’ensemble de la manœuvre, les Maliens vont assurer le cordon extérieur, le détachement est avec eux, réparti sur les positions de combat. La tension de la première ligne succède à la tension de l’attaque de la base. Le docteur veille au grain, tant sur les plans physique que psychologique (résistance physique à augmenter). Il passe beaucoup de temps auprès des équipes, se partageant la tâche avec le chef de détachement : la tension nerveuse des paras est palpable.
Les nuits voient le détachement prendre un dispositif extrêmement resserré, qui permet à un binôme de veiller sur le sommeil de l’ensemble (résistance au manque de sommeil à augmenter). La fatigue est prononcée et les factions sont raccourcies, afin que personne ne succombe au sommeil durant sa garde (qualité du sommeil à augmenter).
J14
Le GTIA quitte la zone d’opération, le détachement Licorne toujours en tête avec ses unités maliennes. Le trajet du retour revêt les mêmes caractéristiques techniques et tactiques que celles décrites depuis le début. Il finit d’éreinter les parachutistes.
J18
Après une nuit sur Gao, le détachement Licorne rejoint sa FOB, où il dispose de quelques jours de répit avant la prochaine opération.
Le lendemain du retour, un des parachutistes passe à la balance, et constate qu’il a perdu 7 kg depuis la dernière pesée, soit 18 jours plus tôt ! Du coup chacun y va de sa pesée. En moyenne le détachement a perdu 5 kg… Il comptait pourtant bien peu de parachutistes en surcharge pondérale.
L’enchaînement des activités et la chaleur ont fait fondre les personnels, le docteur constate une perte de masse musculaire chez la plupart d’entre eux (alimentation à augmenter).
La suite…
L’Opex ne s’est pas arrêtée là, mais ces 18 jours ont marqué durablement le détachement et impacté son potentiel pour la fin du mandat, dont le rythme n’a que peu baissé. En se basant sur les besoins mis en exergue par ces deux scénarios, voyons maintenant ce que l’augmentation pourrait optimiser.
Besoins et augmentations correspondantes
Les besoins découlant des scénarios peuvent être déclinés sous trois catégories :
• tactique,
• récupération,
• climat.
Tactique
Si l’opposition multiséculaire entre le glaive et la cuirasse domine les améliorations que la technique peut apporter à la tactique, il ne convient pas ici de traiter du glaive, car l’armement ne rentre pas dans l’acception de l’augmentation telle que retenue par M. de Boisboissel et le médecin en chef Le Masson. Aussi en venons-nous immédiatement aux principaux sens :
Le toucher
Aussi surprenant que cela puisse paraître le toucher est une fonction essentielle au combat. C’est d’en être privé qui permet au soldat d’en être conscient. En fait d’augmentation, c’est l’augmentation de la protection des mains dont le soldat a besoin, le tout sans avoir à enlever et remettre des gants en permanence. Si l’industrie a fait des progrès immenses au cours de la dernière décennie dans le domaine du gant de combat, le paradoxe reste le même : plus le gant protège et plus il amoindrit le toucher et la dextérité.
Le gant idéal serait presque aussi fin que des gants de chirurgien. Il protégerait du feu, du gel et permettrait une dextérité ainsi qu’un toucher équivalent à ceux des mains nues. Le cas du blindage surchauffé est évoqué dans les scénarios. Il en va de même pour les armes. De tels gants permettraient de manipuler l’armement de bord des véhicules même s’il est chauffé à blanc par le soleil ou gelé par des températures très négatives.
L’ouïe
Ce qui prédomine dans ce domaine est la protection contre les agressions sonores. Là aussi, des progrès énormes ont été faits. À petite échelle, ce sont les bouchons auriculaires qui bloquent certaines gammes de fréquences tout en en laissant passer d’autres. Ainsi, un coup de feu est effectivement stoppé, alors qu’un chuchotement est entendu. À grande échelle, ce sont les casques antibruit qui effectuent le même travail que les bouchons. Cependant, parce que plus volumineux, certains sont aussi alimentés en électricité, ce qui leur permet d’amplifier les sons non filtrés. C’est l’idéal d’un point de vue sonore, surtout en combat de nuit. En revanche, cela finit par être pénible à porter car engendrant une vraie sudation qui vient gêner le porteur, voire remplir son conduit auditif.
L’idéal, s’il n’est pas encore atteint, serait d’arriver à un degré de miniaturisation de cette technologie, qui permette de placer, dans des bouchons intra-auriculaires, la technologie de filtrage et la technologie d’amplification, ainsi que l’alimentation électrique correspondante.
La vue
C’est sûrement dans ce domaine que les études sont les plus approfondies. En effet, les technologies de vision nocturne, de détection thermique, de vision déportée mais aussi le concept de réalité augmentée, permettent de décupler les capacités de l’être humain en termes de vision. Or, ainsi que nous l’avons vu dans l’avant-propos, ce sens est capital à tous les stades et tous les échelons de commandement dans le combat.
Pour le combattant, en charge d’observer, de surveiller, de tirer, il s’agit à la fois de pouvoir augmenter sa distance d’acquisition d’un objet ou d’une personne. Il lui faut pouvoir « zoomer » et « dézoomer » à loisir. Il lui faut pouvoir reconnaître, identifier. Pour cela, des lentilles connectées peuvent faire merveille, toujours dans l’idée d’augmenter la vue avec l’interface la moins contraignante et la plus polyvalente possible. Elles ne peuvent cependant suffire. D’une part, elles nécessitent des soins quotidiens et des nettoyages constants (surtout en milieu poussiéreux), d’autre part, comme les autres organes sensoriels, les yeux ont aussi un besoin crucial de protection auquel les lentilles ne répondent pas.
Ainsi, une augmentation idéale correspondrait à un cumul de technologies existantes ou en cours d’élaboration au sein du même objet. Cet objet aurait la forme des lunettes balistiques maintenant bien connues, avec toutefois une surface de verre résistant plus large. Mais pas de visière type masque de ski car, encore une fois, on ne peut marcher, combattre et donc transpirer longtemps avec ce genre d’objet. Cette visière devrait pouvoir se porter soit comme des lunettes, soit en utilisant la griffe de fixation sur l’avant du casque. Il s’agit ensuite de se servir de cette visière :
• Pour protéger les yeux.
• Pour y projeter une réalité augmentée : le combattant observe son secteur au travers de la visière, mais sur la visière en elle-même vient se superposer l’imagerie thermique d’une microcaméra fixée sur son casque. Ainsi, le combattant peut déceler en thermie un adversaire qu’il ne voit pas, car caché derrière un obstacle.
• Pour y afficher des informations pratiques, tactiques, voire physiologiques pour l’auxiliaire sanitaire, comme la quantité de munitions, le rythme cardiaque, la position des unités voisines…
• Pour y afficher l’image prise par un drone volant en avant de sa position et permettant de lever les indéterminations dues à la nature du terrain.
Le tout en modes sélectionnables et adaptables à la fonction au combat, afin de ne pas saturer le champ de vision des soldats. En effet, le flux d’information peut se révéler massif donc gênant lorsque l’intensité du combat augmente. Il est donc important de pouvoir basculer d’un mode à un autre très facilement ou désactiver la réalité augmentée pour ne garder que la réalité tout court.
Si l’on se place dans le cas d’un véhicule tactique en déplacement en appui mutuel avec les autres véhicules de son unité, nous pouvons donc avoir :
• Le pilote qui voit son itinéraire, tout en ayant la position des autres véhicules de la section affichée.
• Le radio-tireur qui, via une caméra thermique et une caméra à fort grossissement, peut voir mieux, plus vite et plus loin, en accord avec la portée de son arme (1 000 mètres).
• Le chef d’engin qui, via la vision déportée d’un mini-drone volant un à deux kilomètres en amont, peut anticiper les difficultés du terrain ou déceler de potentielles positions ennemies.
D’un point de vue pratique, il convient que :
• Cette visière soit compatible avec des lunettes de vision nocturne.
• Le halo lumineux ne soit pas détectable de nuit.
• Cette visière ne soit absolument pas similaire aux casques de réalité augmentée vus dans le civil, comme un masque de ski étanche où seule l’imagerie numérique est visible. Il est hors de question que le combattant n’ait pas de vue directe sur son environnement.
• Que la carte mère de cette visière puisse être intégrée sur le casque lourd du combattant. Qu’elle soit courbe et épouse l’arrondi du casque, qu’elle soit large et peu épaisse afin de ne pas faire une grosse protubérance à l’arrière.
• Que l’alimentation de cette visière ne passe pas par des câbles reliant le casque lourd au reste du corps. Le cou et la nuque doivent être libres de toute gêne.
• Que l’alimentation de ce système se fasse soit avec une pile légère et extrêmement endurante, soit avec des piles classiques type LR6, que l’on peut trouver partout (même en plein désert !).
• Que la disposition de ces piles sur le casque soit faite de façon équilibrée, afin qu’après une nuit complète de port du casque le combattant n’ait pas un torticolis.
Ce genre de visière est déjà à l’étude en France. Il convient de prendre en compte lors de son élaboration certains retours d’expérience effectués avec les appareils de vision nocturnes du Félin. Ces derniers fournissant par ailleurs une excellente image, il est extrêmement regrettable qu’ils aient été conçus avec un bloc d’alimentation se plaçant à l’arrière du casque, mais trop volumineux, et devant se relier par câble avec les batteries Félin situées sur le gilet. C’est la raison pour laquelle toutes les unités cherchaient à obtenir le logement pile pour ces lunettes, qui permet de se débarrasser du bloc d’alimentation et des câbles.
D’une façon générale toute technologie venant augmenter les sens du combattant dont les organes se situent à la tête doit pouvoir être en interface avec le casque sans lien matériel avec le reste de l’équipement. Au combat, le casque ne quitte pas la tête.
Enfin, puisque l’on parle de tête, siège de l’intelligence, toute forme d’intelligence artificielle venant en complément de la technologie décrite plus avant serait la bienvenue. Elle permettrait par exemple que le soldat en surveillance détecte plus facilement une forme humaine ou identifie plus vite un type de véhicule, tout comme le soldat bénéficiant de la vue d’un drone survolant son secteur de progression.
La protection
La fameuse cuirasse. Il est illusoire de penser équiper les soldats avec un gilet pare-balles qui les protège intégralement. À moins de trouver la maille hyper-résistante qui permettra de porter cette protection comme un t-shirt ou à moins d’avoir les moyens de les doter de la fameuse armure d’Iron Man, à condition qu’elle soit climatisée !
Les problèmes directement liés à la protection sont celui du poids et de la mobilité. Il convient donc de recentrer la protection balistique sur les organes vitaux et d’alléger par ailleurs le combattant, le rendant plus manœuvrier face à un ennemi qui n’ayant certes pas toujours le même rapport à la mort, se montre vif et insaisissable dans bien des cas, car très légèrement équipé. Bien entendu, les gilets pare-balles distribués depuis l’Afghanistan sont un progrès par rapport à leurs prédécesseurs, qui étaient totalement inadaptés au combat. Mais ils sont trop lourds, trop épais, trop volumineux, bref trop paralysants… C’est la raison pour laquelle la plupart des unités de forces spéciales ont fait le choix de porte-plaques plus petits qui protègent leurs organes vitaux mais les encombrent beaucoup moins. Le dernier gilet distribué à l’infanterie française est une amélioration qui va dans le bon sens mais il reste encore encombrant.
Au-delà de simple « pare-balles », il faut penser que le gilet sert de support au combattant pour emporter tout ce dont il a besoin au combat. Sans entrer dans la liste exhaustive de ces matériels, il faut simplement comprendre qu’un gilet pare-balles pesant 17 kg à vide, va peser 30 kg lorsque les pochettes seront garnies avec les chargeurs, les munitions, un peu d’eau, des grenades… Bref, l’essentiel à détenir sur soi au combat sans avoir de sac à dos complémentaire. Ainsi, tout kilogramme gagné au départ sur le poids du gilet est une augmentation directe de la capacité du combattant à se mouvoir avec une célérité maximale.
Dans tous les cas, des vêtements intelligents qui, à défaut d’arrêter une balle, effectueraient un pansement compressif au contact du sang, sont évidemment bienvenus en complément du gilet pare-balles.
La puissance et l’endurance
Ce registre est donc directement lié au précédent.
Pour améliorer la puissance et l’endurance d’un individu deux types d’apports sont envisageables : Apports externes ou exosquelettes et Apports internes ou substances chimiques.
Nombre d’exosquelettes sont en cours d’élaboration et de test. Il faut passer par des prototypes peu performants avant d’arriver en cible. Cependant, un constat s’impose : quel que soit le type d’exosquelette créé jusqu’ici, il faut systématiquement qu’il soit relié au corps pour augmenter la puissance et la célérité des membres de ce corps.
Nulle expression n’est alors mieux appropriée que le fameux « c’est là où le bât blesse ». En effet, dans des conditions telles que celles de l’Afghanistan en saison chaude, ou du Sahel en général, il paraît peu probable que le combattant puisse supporter une journée entière les sangles ou points de fixation de l’exosquelette. Il faut en effet bien réaliser que dans de telles conditions de chaleur, de dépense énergétique et d’hygiène, le corps est tellement sollicité que la peau part en lambeaux, rien qu’avec le frottement du gilet pare-balles. Tout soldat ayant retiré son gilet en fin de journée au Sahel peut en témoigner. Il faut donc trouver une solution pérenne pour les interfaces corps-exosquelette, sinon les zones concernées se transformeront en plaies en moins d’une journée, avec les conséquences que chacun imagine en termes de mobilité et de santé.
Une solution durable d’augmentation consiste donc en une pratique sportive améliorée par l’ingestion de substances à même de favoriser la prise de masse musculaire, la récupération et un meilleur métabolisme. Ces substances pourraient tout à fait être des substances interdites aux sportifs professionnels, pour des raisons d’éthique sportive, mais permises aux militaires de façon réglementée et encadrée par des professionnels de la santé. Il ne s’agirait pas pour le combattant de pouvoir monter sur un podium de bodybuilding, mais bien d’une recherche d’efficacité, venant en appui d’un entraînement sérieux et précis. Il s’agirait donc principalement de renforcer le dos et les jambes. Il n’est pas possible d’aller plus avant dans un tel registre sans confronter les avis du corps médical et des professionnels de l’EPMS (Éducation physique militaire et sportive), lesquels ont les connaissances permettant de juger de la faisabilité de pareils programmes à grande échelle. De plus les mentalités devront s’adapter à cette sorte d’acceptation d’un « dopage légal ».
Il convient enfin de noter que certaines technologies se développent dans le secteur civil, qui pourront avoir un intérêt immédiat pour le soldat augmenté. Certains vêtements intelligents, par exemple, voient le jour, dont un t-shirt qui, par resserrement de fibre, permet de redresser la colonne vertébrale et ainsi de limiter le mal de dos. Face au problème du poids porté par le combattant, la ceinture lombaire étant handicapante et trop chaude, un tel t-shirt pourrait soulager le dos du combattant. S’il est sûrement très adapté à un emploi sédentaire pour une personne assise à un bureau, reste à voir s’il est efficace sur le terrain.
Récupération/psychologie/concentration
Le sommeil est essentiel à l’être humain, nombre d’études et de publications récentes viennent encore de le démontrer. Si la récupération est primordiale d’un point de vue physiologique, elle l’est tout autant d’un point de vue psychologique. Dans ce registre, l’objet de l’augmentation est bien la qualité du sommeil.
En effet, dans des missions telles que décrites dans les scénarios, un chef tactique comme un combattant peuvent passer quatre à six mois à ne dormir que 5 heures par nuit en moyenne, ce qui est peu au regard des recommandations médicales. Ce constat se basant sur les nuits passées en zone sécurisée, hors nuits tactiques des phases combat. Pourtant le sommeil est bien la clef de la récupération mais aussi du maintien d’un bon équilibre psychologique. Il est donc essentiel de le préserver dans sa quantité, ce qui est une responsabilité du commandement, et dans sa qualité, ce pourquoi la médecine et la science peuvent œuvrer.
Le contexte générant ce peu de sommeil ayant peu de chance d’évoluer, il faut donc pouvoir prodiguer un sommeil réparateur au combattant en lui donnant les substances qui le plongent rapidement dans les phases où le cerveau décante les informations de la journée et où le corps se régénère. Dans le cadre des phases de combat ou d’opérations, cela est différent. Sur un laps de temps plus court un certain manque de sommeil est acceptable, et ce, de façon proportionnée au niveau de réflexion demandé en phase d’éveil. Dans ce cas, des substances favorisant des micros sommeils réparateurs seront les bienvenues, tout comme le seront des substances permettant de mobiliser plus efficacement les capacités intellectuelles et de favoriser la concentration.
Du point de vue physiologique encore, l’alimentation joue aussi un rôle primordial. Or les scénarios évoquent des pertes de poids importantes dans certains cas de figure et des pertes de masse musculaire. Certaines personnes, certes en surpoids au départ, ont perdu entre 15 et 20 kg lors de missions au Sahel. Au vu des progrès en termes d’alimentation des sportifs professionnels, et au vu de la vulgarisation de ce qu’il est convenu d’appeler « compléments alimentaires », il paraît largement envisageable de fournir aux soldats des compléments alimentaires faciles à ingurgiter avec un peu d’eau, et qui viendront pallier les carences qui s’accumulent immanquablement lorsque le rythme, la chaleur et la fatigue finissent par couper l’appétit du combattant. Nombreux sont les anciens chefs de section ou commandants d’unité qui évoquent le souvenir de leur radio ou de leur pilote les nourrissant comme une mère attentionnée, alors qu’eux-mêmes, pris dans le feu de l’action, n’y pensaient pas.
Enfin, certaines substances chimiques peuvent aussi aider les hommes à maîtriser leurs émotions et leur stress. Mais il s’agit là d’un autre problème que celui de la récupération par le sommeil. En effet, les émotions et le stress sont des stimulants comme des inhibiteurs, mais ils font que l’homme est homme. Or la guerre et le combat sont une affaire d’hommes et pas de monstre froid. S’il est évident qu’un soldat peu ou pas touché par la vision d’enfants massacrés par l’ennemi ne sera pas gêné dans l’accomplissement de sa mission, quel peut être le risque pour un tel soldat, rendu insensible, de bafouer les valeurs pour lesquelles il risque sa vie ?
Climatique
Ainsi que le décrivent les deux scénarios, un des premiers ennemis du combattant sur le terrain est le climat et la météo. Pouvoir rendre un corps plus tolérant aux grandes chaleurs comme aux grands froids, tout en le rendant indifférent à l’humidité constituerait une réelle augmentation et un vrai facteur de supériorité. Dans ce registre, le soldat lutte avec deux armes naturelles : l’accoutumance et la force morale, les deux allant de pair.
De très grands progrès ont été faits dans les textiles qui permettent aux soldats de lutter plus efficacement contre le chaud et le froid. Mais ces progrès couvrent des gammes de vêtements différenciés, et contre le froid le combattant s’encombre encore beaucoup. Imaginer une sorte de combinaison étanche et climatisée, qui s’oppose aussi bien au chaud qu’au froid paraît idéal. Cependant, il n’est pas certain que nos technologies les plus avancées permettent de créer ce genre de matériaux avant encore longtemps. Une telle combinaison devrait de plus être facile et rapide à enfiler en cas d’alerte impromptue telles que décrites dans les deux scénarios. Elle devrait aussi permettre de conserver une bonne hygiène corporelle.
Au-delà de cette potentielle augmentation externe, une augmentation interne fort intéressante serait une réduction de la sensibilité à la douleur physique. Si nous sommes tous inégaux dans ce domaine, il faut toutefois noter que la douleur est un indicateur de problème dans le fonctionnement du corps, ou du moins de danger pour ce dernier. Il y aurait donc un seuil à ne pas dépasser sans quoi le combattant deviendrait dangereux pour lui-même.
* * *
Ce dernier aspect permet d’en venir à la conclusion, en rappelant que si toute augmentation est la bienvenue de prime abord, certains principes doivent quant à eux être respectés.
D’une part, l’intégrité physique de départ est inaltérable, ce qui signifie qu’il n’est pas question de couper un bras à un combattant dans une salle d’opération pour le remplacer par un bras bionique plus puissant. Ce qui n’a rien à voir avec le fait de poser une prothèse à quelqu’un ayant perdu son bras par accident.
D’autre part, quel que puisse être l’avenir des forces occidentales, l’augmentation ne peut être une base de la formation. Le futur combattant doit d’abord s’augmenter lui-même en découvrant ses limites physiques, psychologiques et morales, puis en les dépassant. Le combattant doit s’aguerrir et s’endurcir aux rudes climats comme aux conditions dégradées.
Alors, seulement, il sera prêt à accéder aux diverses augmentations. Il en percevra le sens, la portée, s’en servira plus justement et saura même s’en passer s’il le faut, bien mieux que si, tel l’enfant gâté, il avait tout eu tout de suite.
In fine, cet article ne peut se prétendre exhaustif, ni synthétiser l’expression de besoins en augmentation de tous les types de combattants. De plus, certaines augmentations évoquées sont déjà existantes ou en cours d’élaboration. Puisse-t-il cependant concourir à mettre les pieds du chercheur sur le terrain du combattant, lequel est parfois d’une trivialité « désarmante », afin que le cortex reste connecté aux orteils qui foulent les théâtres d’opérations et qu’ainsi la recherche soit à son tour augmentée.
Glossaire
COP : Combat Out Post.
CR : Compte rendu.
FOB : Forward Operating Base ou base avancée.
GTIA : Groupement tactique interarmes (niveau régimentaire, bataillon, 650 hommes environ).
IED : Engin explosif improvisé.
JTAC : Contrôleur d’appui aérien rapproché.
Main courante : document réglementaire sous format papier ou informatique sur lequel sont relevés tous les messages envoyés et émis à la radio précisant l’expéditeur, le destinataire et l’horaire d’envoi et/ou de réception.
PTSD : Trouble de stress post-traumatique (TSPT).
SGTIA : Sous-groupement tactique interarmes (niveau compagnie, 150 hommes).
VAB : Véhicule de l’avant blindé.
VBIED : Vehicule Borne Improvised Explosive Device. ♦
(1) Christian Malis, Guerre et stratégie au XXIe siècle, Fayard, 2014, p. 130.