Le transport aérien, bien que sûr, présente des risques liés à la fatigue et à la surcharge cognitive. Deux études ont exploré les bénéfices possibles de l’entraînement cognitif et de la stimulation transcrânienne (tRNS). Dans la première, la tRNS a amélioré la rétention des compétences dans la tâche Space Fortress, surpassant le placebo et les configurations standard. La seconde étude n’a montré aucune différence significative entre les groupes stimulés et placebo dans la gestion de scénarios de vol simulés, suggérant un transfert limité des effets de l’entraînement. Ces résultats soulignent le potentiel de la tRNS, mais aussi ses limites, du moins avec les paramètres utilisés ici.
La neuromodulation pour prévenir les situations de surcharges cognitives : application aux pilotes d’avions
L’une des questions qui revient le plus fréquemment lorsqu’il s’agit de notre cerveau est de savoir comment améliorer son efficacité. Cela est vrai pour rivaliser avec les autres, pour récupérer à la suite d’une blessure ou pour gérer les tâches de plus en plus complexes que le développement technologique nous impose. Dans ces domaines, l’entraînement cognitif – entre autres – s’est imposé comme un moyen efficace de développer les aptitudes de notre cerveau à la réalisation de tâches complexes.
Parallèlement, des méthodes et des outils ont été développés afin d’essayer d’accroître les effets de ces entraînements cognitifs. Parmi eux, on trouve le vaste domaine de la neuromodulation qui a fourni des résultats encourageants en termes de récupération des troubles cognitifs (Krasny-Pacini et Evans, 2018), d’amélioration du fonctionnement cognitif (Anguera, et al., 2013 ; Bless, et al., 2014) ou de la gestion de tâches complexes (Chenot, et al., 2022 ; Snowball, et al., 2013), pour n’en citer que quelques-uns.
Dans le travail présenté ici, nous nous sommes intéressés aux bénéfices comportementaux possibles de la combinaison d’un entraînement cognitif à des tâches complexes avec une stimulation électrique transcrânienne non invasive spécifique, à savoir la stimulation à bruit aléatoire (Moreno-Duarte, et al., 2014). Plus précisément, nous avons souhaité évaluer un gain possible de cette stimulation en termes de transfert d’apprentissage depuis un entraînement à des tâches complexes sur ordinateur vers la gestion d’un simulateur de vol chez de jeunes pilotes d’avion.
Le pilote d’avion en situation critique
Bien qu’aujourd’hui le transport aérien soit le moyen de déplacement le plus sûr (2) (3), il existe malheureusement encore des accidents qui peuvent mettre en péril la vie des passagers. Ainsi, de nombreux morts ont été comptés au cours des dix dernières années pour le transport civil (4). Au-delà des pertes humaines, les pertes matérielles et financières peuvent être énormes.
De même, l’issue d’un conflit armé peut dépendre de la bonne gestion d’une unité aérienne. Les situations pouvant conduire à des accidents ou des incidents aériens correspondent à des situations complexes mettant en jeu plusieurs facteurs. Parmi eux, on retrouve souvent la fatigue en lien avec un vol ou une mission longue, la pression temporelle, la complexité des informations à traiter ou encore une perte de la conscience de la situation (Endsley, 1995).
Ces situations critiques sont aussi présentes dans de nombreux systèmes complexes tels que le bloc opératoire, la salle de contrôle d’une centrale nucléaire et, peu à peu, la conduite (supervision) de véhicules autonomes. De fait, comprendre ces phénomènes et trouver des solutions pour mitiger les risques ne s’applique pas seulement au domaine aéronautique mais à de nombreux environnements complexes dans lesquels des vies sont en jeu.
La gymnastique du cerveau ou l’entraînement cognitif
Il existe aujourd’hui de nombreuses pistes de recherche pour essayer d’éviter à des opérateurs de systèmes complexes de se retrouver dans des situations de perte de contrôle. On peut simplifier ici leur description en les regroupant dans deux catégories : améliorer les interfaces ou les entraînements (e.g. capacités mentales) de l’opérateur.
La première branche de recherche et de développement s’intéresse à analyser les activités des opérateurs en ligne pour trouver des solutions d’aide, de répartition de l’information ou de contre-mesures pour remettre l’opérateur dans la boucle. Ainsi, on peut inférer l’état de la situation en comparant son état comportemental et physiologique (activité oculaire, cérébrale, cardiaque, etc.) aux paramètres du système complexe – ceux de l’aéronef en ce qui concerne le pilote d’avion. Cette approche regroupe les études de monitoring et d’interface cerveau–machine (Kawala-Sterniuk, et al., 2021). En complément de celle-ci, il est possible de travailler en amont pour améliorer la résistance du cerveau face aux facteurs affectant l’efficacité cognitive mentionnée plus haut. Dans ce but, la formation des pilotes est développée à un niveau avancé. Ces derniers sont régulièrement confrontés à des situations complexes leur permettant de mettre à l’épreuve leur formation et leur capacité à maintenir l’intégrité de leur vol. Ces formations présentent tout de même certaines limites comme le fait que les scénarios entraînés ne peuvent, à eux seuls, représenter l’ensemble des conditions et combinaisons de facteurs possibles que les pilotes pourront rencontrer au cours de leur carrière. En effet, comme souvent mentionné dans les rapports du BEA (Bureau d’enquêtes et d’analyses pour la sécurité de l’aviation civile) et BEA-É (Bureau d’enquêtes et d’analyses pour la sécurité de l’aéronautique d’État), les conditions de survenues d’un accident ou d’un incident sont souvent le fruit d’une conjoncture unique d’événements (dé)favorables (Reason, 1990).
Une approche complémentaire, toujours dans le domaine de la formation, consiste à entraîner le cerveau, de manière plus générique, à pouvoir mettre en jeu les fonctions cognitives adaptées à davantage de situations complexes. Dans ce cas, il ne s’agit plus d’entraîner le cerveau à la gestion d’un ou plusieurs cas critiques particuliers, mais de solliciter régulièrement les fonctions cognitives de haut niveau ; fonctions clés indispensables pour gérer la complexité de ces situations. Ainsi, « ces fonctions exécutives clés sont l’inhibition [inhibition de la réponse (maîtrise de soi – résister aux tentations et ne pas agir de manière impulsive) et contrôle de l’interférence […], la mémoire de travail et la flexibilité cognitive (y compris la pensée créative “ Outside the box ”, […], et l’adaptation rapide et souple à des circonstances changeantes)] » (Diamond, 2013). C’est ce qui a notamment été retrouvé dans de nombreux travaux fondamentaux (Friedman et Miyake, 2017 ; Miyake, et al., 2000) et en clinique (Godefroy, et al., 2010). C’est dans cette optique que des chercheurs ont souhaité développer des tâches permettant d’entraîner le cerveau – de manière plus générique – à s’améliorer dans ces fonctions. La Multi-Attribute Task Battery (MATB-II) développée par la NASA par exemple (Comstock Jr et Arnegard, 1992 ; Santiago-Espada, et al., 2011) a pour ambition de créer des programmes de « gymnastique cérébrale » pour améliorer la gestion de tâches multiples. Avec les mêmes intentions, le jeu vidéo Space Fortress (Mané et Donchin, 1989 ; Shebilske, et al., 1999) a été développé pour entraîner ces fonctions de manière dynamique et ludique. Il a par exemple été montré que des pilotes militaires ayant suivi un entraînement à ce jeu avaient une meilleure gestion des événements complexes en vol réel et une meilleure gestion des tâches multiples que les autres pilotes (Gopher, Well et Bareket, 1994).
Stimuler les réseaux cérébraux sollicités par une tâche pour accroître la plasticité cérébrale
Pour aller plus loin, un champ d’action complémentaire à l’entraînement comportemental s’est développé vers le milieu des années 2000 (5) dans le but de booster les mécanismes d’apprentissage. Il s’agit des techniques de stimulations cérébrales transcrâniennes non invasives, soit par champ magnétique ponctuel (TMS pour Transcranial Magnetic Stimulation) ou par champ électrique (TCS pour Transcranial Current Stimulation). Dans le cas des stimulations électriques, une distinction peut être faite selon que le courant appliqué est continu (tDCS pour transcranial Direct Current Stimulation) ou alternatif (tACS pour transcranial Alternative Current Stimulation). Dans le premier cas, l’application du courant continu à la surface du scalp va induire une modification du potentiel membranaire des neurones sous-jacents et, en principe, faciliter la transmission nerveuse. On comprend ici que cette stimulation appliquée pendant la réalisation d’une tâche entraînée a pour but de faciliter les mécanismes cérébraux (plasticité cérébrale) en lien avec cette tâche (Lu, et al., 2021). Dans le cas d’une stimulation à courant alternatif, les mécanismes sont différents dans le sens où l’effet principal recherché est de trouver une fréquence de stimulation proche de celle de la population neuronale ciblée pour faciliter la décharge (Moreno-Duarte, et al., 2014). Enfin, dans une technique appartenant à une sous-famille de la tACS, un courant alternatif dont la fréquence d’oscillation est aléatoire (par exemple, comprise entre 100 et 500 Hz) est utilisé. Il s’agit alors de la tRNS (transcranial Random Noise Stimulation). Dans ce cas, il n’existe pas de consensus sur les mécanismes permettant d’expliquer une amélioration de l’efficacité neuronale. Toutefois, l’explication la plus souvent mise en avant stipule que le balayement de cette gamme de fréquence permettrait la mise en place de mécanismes de résonance stochastique (Pavan et al., 2019 ; van der Groen, et al., 2018) – mécanismes par lesquels le « bruit électrique » induit dans le système neuronal pourrait potentialiser certaines fréquences de la communication neuronale. De nombreuses études ont ainsi montré qu’il était possible d’améliorer les performances comportementales en lien avec les fonctions cognitives de haut niveau grâce à une stimulation tRNS concomitante à la tâche. Il s’agit d’un large éventail de fonctions cognitives de haut niveau, allant de l’attention (Lema, et al., 2021) à la mémoire de travail (Murphy, et al., 2020), en passant par l’inhibition (Brevet-Aeby, et al., 2019) ou la gestion multitâche (Snowball, et al., 2013). Dans la plupart de ces études, le cortex préfrontal dorsolatéral (DLPFC) a été choisi comme cible de la stimulation pour son rôle majeur dans la mise en jeu du contrôle exécutif au sein du réseau fronto-pariétal (Friedman et Robbins, 2022).
À travers deux études, c’est ce dernier type de stimulation, en lien avec la pratique d’une tâche complexe, que nous avons souhaité évaluer. Plus précisément, nous avons souhaité tester l’efficacité de la tRNS à améliorer les performances comportementales au jeu Space Fortress par un entraînement de quelques jours (étude 1) et tester la possibilité d’un transfert d’apprentissage – d’un entraînement plus long à Space Fortress et à la MATB-II couplée à la tRNS – vers la gestion de situations complexes en simulateur de vol (étude 2).
Le jeu Space Fortress comme outil écologique de mise en jeu des fonctions exécutives
Bien que ce jeu ait été développé avec l’intention de solliciter les fonctions exécutives nécessaires à la gestion de tâches complexes (voir description détaillée des règles dans l’article de Donchin, 1995), il n’existe pas d’étude, à notre connaissance, ayant établi un lien comportemental quantitatif entre ces deux dimensions. Un travail parallèle nous a conduits à évaluer celui-ci en procédant à des analyses corrélationnelles entre la performance obtenue à Space Fortress et celle obtenue en fonctionnement exécutif. Pour ce dernier, nous avons choisi d’utiliser une batterie de neuf tâches évaluant la mémoire de travail (mise à jour), l’inhibition et l’alternance de tâche (switching) selon les travaux de Friedman et Miyake (voir Friedman et Miyake, 2017 ; Miyake, et al., 2000). Sur une population de 66 personnes, nos résultats montrent un lien positif très fort (31 % de variance expliquée ; voir Figure 1) entre ces deux performances comportementales. Autrement dit, plus une personne avait un score élevé en fonctionnement exécutif, plus elle était performante à Space Fortress.
Figure 1. Résultat de l’analyse de corrélation entre les performances à la batterie de tests exécutifs et le jeu Space Fortress. Valeurs en z-scores. La ligne en gras correspond à l’ajustement linéaire et la zone grisée à l’intervalle de confiance à 95 %.
Étude 1 : entraînement et stimulation cérébrale lors d’une tâche complexe
Protocole expérimental étude 1
Dans cette première étude, trois groupes de participants ont été inclus dans un protocole d’entraînement au jeu Space Fortress durant une semaine, à raison de deux sessions de 10 minutes par jour, puis une session d’évaluation à moyen terme, 10 jours plus tard. Le premier jour (sans entraînement) correspondait à l’évaluation de la performance initiale au jeu, qui servira de référence pour évaluer les effets de l’entraînement. Les jours 2 à 4 correspondaient aux sessions d’entraînement au jeu avec stimulation tRNS appliquée sur le DLPFC droit. Les 5e et 15e jours (sans stimulation) permettaient respectivement la mesure de la performance au jeu à court et moyen termes (voir Figure 2).
Figure 2. Plan expérimental de l’étude 1.
A. Participant face au jeu, équipé d’un système de stimulation tRNS (Strastim®, Neuroelectrics).
B. Capture d’écran du jeu Space Fortress.
C. Décours temporel de l’expérience.
GSn : Game session n.
Les trois groupes de participants ont été construits de manière à évaluer trois types de montages d’électrodes de stimulation (Figure 3). Le groupe 1 (n=22) a reçu une stimulation placebo au cours des trois journées d’entraînement. Le groupe 2, SD-tRNS (montage Simple densité ; n=22) a été stimulé avec un montage conventionnel comportant 2 éponges circulaires de 25 cm² dont l’anode (stimulatrice) était placée sur le DLPFC droit (position F4 du système international 10-20) et la cathode (retour) sur le DLPFC gauche, en position F5. Enfin, le groupe 3, HD-tRNS (montage Haute densité ; n=22) a été stimulé avec un montage comprenant 5 électrodes (pistim®, 1 cm²) dont une électrode de stimulation placée en F4 et 4 électrodes de retour du courant placées sur le cortex préfrontal droit respectivement en C4, Fz, F8 et FP2 (voir Figure 3). Ce dernier montage, permettait une stimulation plus focale du DLPFC que le montage conventionnel. L’administration de la stimulation s’est faite en double aveugle. Enfin, pour tenir compte d’un biais possible en lien avec l’expertise initiale des participants aux jeux vidéo, un questionnaire sur leurs habitudes de jeu leur a été soumis.
Figure 3. Représentation des montages d’électrodes pour les trois groupes et leurs cartes d’influence (champs électriques sur la matière blanche) correspondant. Sham = placebo.
Résultats étude 1
Les analyses statistiques (analyse de la covariance [ANCOVA] : effet du groupe + expérience aux jeux vidéo) ont montré que la vitesse d’apprentissage entre les trois groupes (learning rate) n’était pas significativement différente. Lorsque les participants revenaient 10 jours après la dernière séance de stimulation, le groupe 3, stimulé avec le montage HD sur le DLPFC droit (HD-tRNS) a toutefois montré un effet de rétention de la performance plus important que les deux autres (Figure 4). Autrement dit, ce qui a été appris au cours de l’entraînement de trois jours semble avoir été mieux consolidé chez ce groupe. Aucune différence entre le groupe placebo (sham) et le groupe SD n’a été observée.
Figure 4. Performance au jeu Space Fortress au cours du temps selon le groupe de stimulation transcrânienne.
Étude 2 : transfert d’apprentissage d’une tâche complexe vers l’activité de pilotage en simulateur de vol
Protocole expérimental étude 2
À partir des résultats obtenus dans l’étude 1, nous avons sélectionné le montage HD comme étant le plus prometteur. De plus, nous avons souhaité augmenter le nombre de sessions d’entraînement dans le but de mieux échantillonner les courbes d’apprentissages et de favoriser un apprentissage distribué pour maximiser les chances d’un transfert vers l’activité de pilotage. Ainsi, deux groupes de jeunes pilotes de l’aviation légère civile (PPL : Licence de pilote privé) ont été créés. Le premier groupe (n=15) a reçu une stimulation tRNS HD sur le DLPFC droit pendant un entraînement à Space Fortress et à la tâche MATB-II. Le second groupe (n=15) a suivi le même entraînement mais avec une stimulation placebo. Les paramètres de stimulation étaient strictement identiques à ceux de l’étude 1.
Pour les deux groupes, le protocole expérimental, sur onze semaines, était strictement le même (Figure 5). La première semaine, une session d’évaluation de la performance de pilotage dans des scénarios de vols complexes (balise VOR [système de positionnement radioélectrique], pannes, visibilité réduite, etc.) était réalisée. Au cours des semaines 2 à 6, les pilotes ont effectué dix sessions d’une heure d’entraînement avec ou sans stimulation (la stimulation était appliquée pendant les 20 premières minutes) en alternant la pratique de la MATB-II et de Space Fortress toutes les 3 minutes. Enfin, deux sessions d’évaluation de la performance en simulateur de vol ont été réalisées la semaine 7 (court terme) et la semaine 11 (long terme) avec à nouveau, des scénarios de vols en situation complexe.
Figure 5. Plan expérimental de l’étude 2.
La performance de vol a été calculée sur la base d’un score composite réaliste, intégrant le maintien de la bonne altitude, de la vitesse, du temps de vol, ainsi que de la qualité de l’approche et de l’atterrissage dans le simulateur 3-axe Pégase de l’ISAE-SupAéro. Pour chaque session d’évaluation, les pilotes ont répondu à un questionnaire d’évaluation subjective de la charge de travail (NASA - TLX ; Hart, 2006). De plus, une mesure objective de la charge mentale a été réalisée en leur demandant de presser un bouton sur le manche de pilotage à chaque fois qu’un son particulier (bip de 200 ms à 2000 Hz) était présenté (Oddball auditif ; Dehais, Roy et Scannella, 2019 ; Scannella, et al., 2018).
Résultats étude 2
Le premier résultat intéressant concerne l’absence de différence significative entre les deux groupes en ce qui concerne les performances aux tâches entraînées. Autrement dit, quel que soit le type de stimulation (vraie vs Placebo) les pilotes des deux groupes ont progressé de manière équivalente et les performances finales à la MATB-II et à Space Fortress n’étaient pas différentes (Figure 6). De la même manière, que ce soit pour la session d’évaluation à court terme ou celle un mois plus tard, les deux groupes ne se sont pas différenciés dans la gestion des scénarios de vol (Figure 7). Enfin, la même absence d’effet du groupe a été observée sur le ressenti subjectif et la mesure des ressources attentionnelles auditives.
Figure 6. Performance aux tâches entraînées pour la MATB (à gauche) et Space Fortress (à droite).
Les scores sont représentés en Z-scores, les barres verticales représentent l’intervalle de confiance à 95 %.
Figure 7. Performance (score composite) aux scénarios de vol en simulateur.
Les scores sont représentés en Z-scores, les barres verticales représentent l’intervalle de confiance à 95 %.
VFR : Visual Flight Rules ; IFR : Instrument Flight Rules.
Discussion
Ce travail réalisé à travers deux études distinctes avait pour objectif d’évaluer le bénéfice possible d’une stimulation cérébrale non invasive sur l’apprentissage de tâches complexes. La première étude a consisté en un entraînement au jeu Space Fortress, qui sollicite les fonctions clefs du contrôle cognitif. Cet entraînement a été associé à une stimulation vraie en montage classique (tRNS-SD), vraie en montage haute définition (tRNS-HD) ou placebo du DLPFC droit. Les résultats montrent qu’il existerait un gain supérieur de la qualité de rétention des processus comportementaux acquis lors de l’entraînement associé à une stimulation focale du DLPFCdroit (tRNS-HD) par rapport au montage conventionnel ou une stimulation placebo. Cet effet pourrait s’expliquer par une meilleure consolidation des processus cérébraux impliqués dans la tâche et donc un meilleur accès lorsque ces derniers sont à nouveau sollicités, 10 jours plus tard. En effet, un des mécanismes d’action supposé de la tRNS reposerait sur la mise en jeux de processus de Potentialisation à long terme (PLT) ; (Bliss et Collingridge, 1993 ; Stuchlik, 2014).
Sur la base de ces résultats, nous avons retenu le montage tRNS-HD pour une seconde étude visant à évaluer les effets de transfert de ce type d’entraînement sur l’activité de pilotage en situations complexes. Toutefois, les résultats ont montré une absence d’effet de ce type de stimulation non seulement sur la performance de pilotage mais aussi sur les tâches directement entraînées. Ainsi, bien que nous ayons augmenté le nombre de sessions d’entraînement par rapport à l’étude 1, nous n’avons pas reproduit les résultats précédemment observés. Plusieurs explications peuvent être apportées. Premièrement il se pourrait que l’effet observé dans l’étude 1 soit un faux positif. En effet, seule une vingtaine de participants étaient présents dans chacun des trois groupes conduisant à une puissance statistique relativement faible. De la même façon, si ce résultat de l’étude 1 n’est pas un faux positif, le manque de puissance a pu aussi cacher un effet significatif dans l’étude 2 où seulement 15 pilotes par groupe ont pu être inclus. Enfin, en vertu du principe de précaution, les paramètres de stimulation cérébrale non invasive en Europe (intensité du courant, durée de la stimulation, etc.) peuvent conduire à une influence faible sur l’activité cérébrale. Quelle que soit la ou les explications, il demeure que la question de l’utilité d’un système sans danger pour l’utilisateur qui permettrait un gain même faible pour un investissement en temps et en argent considérable se pose. Enfin, les implications éthiques de la stimulation cérébrale doivent également être soulignées. Si certains participants ont perçu des bénéfices potentiels, tels que l’amélioration cognitive et un intérêt pour la technologie, d’autres ont soulevé des préoccupations concernant son coût, l’équité sociale et les possibles impacts à long terme sur la santé.
Perspectives
De ces travaux, nous pouvons tirer plusieurs enseignements et pistes de développement. Pour pallier les limites présentées, une étude avec des paramètres de stimulation plus audacieux pourrait être menée. Toutefois, la littérature sur le sujet ne semble pas confirmer que cela se joue en matière d’intensité du courant, avec des résultats très proches entre des sessions à 1 mA comparées à 2 mA (Ehrhardt, et al., 2021 ; Esmaeilpour, et al., 2018 ; Ho, et al., 2016). Il se pourrait donc que les paramètres affectant la forme du courant lui-même soient une meilleure piste. Par exemple, l’ajout d’un DC-offset (Direct Current offset ou valeur fixe de courant direct) à un courant alternatif, c’est-à-dire d’une valeur constante continue, permettrait de faire circuler le courant dans un seul sens, contrairement à une oscillation autour de 0 mV, avec potentiellement de plus grands effets sur la plasticité cérébrale (Murphy, et al., 2020). Enfin, un champ nouveau de la stimulation cérébrale est actuellement en train de voir le jour et semble prometteur, tout du moins sur la faible invasivité de la méthode. Il s’agit du domaine de la stimulation visuelle (Michael, et al., 2023). Cette étude en particulier, a montré que des stimulations lumineuses oscillant à la fréquence propre d’un individu (e.g. à la même fréquence que le rythme alpha de l’activité cérébrale propre à une personne) permettaient d’améliorer de manière significative l’apprentissage dans des tâches de prise de décision perceptuelle. Bien que cette voie soit prometteuse, il est nécessaire aujourd’hui de travailler sur l’ergonomie de tels dispositifs et notamment sur le confort d’utilisation. Ce dernier point fait actuellement l’objet d’une recherche au sein de l’équipe de neuroergonomie de l’ISAE-SupAéro.
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(1) Cette fédération de recherche regroupe l’École nationale d’aviation civile, l’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’Espace ainsi que l’Office national d’études et de recherches aérospatiales.
(2) « Pourquoi l’avion est le moyen de transport le plus sûr ? », Delayed, 22 mai 2023 (https://delayed.co/blog/pourquoi-avion-moyen-plus-sur).
(3) National Safety Council, « Deaths by Transportation Mode », Injury Facts (https://injuryfacts.nsc.org/).
(4) « Aviation and Plane Crash Statistics | Up to Date List », Panish | Shea | Ravipudi LLP (https://www.panish.law/).
(5) Source PubMed 2024 (https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/?term=Brain+stimulation&filter=years.2001-2025&timeline=expanded).