« La surcharge mentale en dehors de l’action » est un paradoxe traduisant la maladaptation à l’environnement et la vulnérabilité d’un individu affrontant les défis qui l’assaillent. Appelé burnout, cet état associe épuisement émotionnel, distanciation au monde ainsi qu’altération des performances professionnelles et cognitives. Accompagné d’un état de stress chronique, il peut évoluer vers des pathologies médicales. Les facteurs de risque de burnout sont : la charge de travail, son absence de maîtrise, le défaut de reconnaissance et un contexte difficile voire hostile. Combattre les conditions de burnout, c’est améliorer la santé individuelle comme les performances et résiliences collectives.
La surcharge mentale hors de l’action : un indice de burnout ?
Introduction
« La surcharge mentale en dehors de l’action » apparaît comme un paradoxe. Sans doute vaudrait-il mieux parler de surcharge mentale survenant pour des niveaux d’activité requis qui ne la justifient pas. La discordance entre les niveaux d’activité ressentis et objectifs est au cœur de cette réflexion.
Que recouvre la notion de surcharge mentale ? Celle-ci peut se définir comme le déséquilibre entre une demande (la charge) et la capacité de l’organisme à y répondre. Ce déséquilibre provient d’un excès de demandes, d’une diminution de la capacité de réponse de l’organisme ou toute combinaison de ces sources. Usuellement, la surcharge mentale est la conséquence d’une sollicitation exagérée, c’est-à-dire d’une tâche que tout le monde s’accorde à trouver excessive au regard de ce qu’il est humainement possible de faire. Ce point de vue relatif ne représente cependant qu’une fraction de la réalité. Des modulations individuelles, fonctionnelles (fatigue, degré d’entraînement et de compétence) et structurelles (personnalité, maladies sous-jacentes), ainsi que des contraintes contextuelles (technologiques, ergonomiques, sociales) se greffent au travail assigné et font diverger la tâche objective de la tâche perçue par le sujet. D’une manière générale, le travail assigné induit une charge ressentie qui dépend des compétences du sujet et de son histoire immédiate.
Un déséquilibre entre l’intensité des tâches exécutées et la qualité de la récupération effectuée se traduit par une fatigue résiduelle contingente qui impacte le travail à venir, mais reste accessible à une récupération adéquate. Nous restons dans le cadre physiologique habituel dans lequel la fatigue induite par la surcharge, effacée par le sommeil, reste transitoire. Cependant, le fonctionnement psychique de l’individu, voire de sa psychopathologie, ajoute à sa charge mentale. L’existence de pensées imposées, qu’elles soient reliées à l’anxiété anticipatrice, à la rumination dépressive ou à l’intrusion de psychotraumatismes anciens, représente une source de charge mentale. De même, l’existence de conflits éthiques entre ce qui doit être fait et ce qui peut être fait empêche de solder une réponse, faute de décision par l’individu ou autrui, et peut aboutir à une forme d’impuissance qui représente une autre source de charge mentale. La fatigue qui en résulte est plus difficile à éliminer en raison de la pérennité de ces charges mentales connexes et de leur impact délétère sur le sommeil. Enfin, lorsque ces activités psychiques involontaires sont portées à leur paroxysme, le cadre devient celui de la pathologie qu’elle relève d’un Trouble de stress post-traumatique (TSPT), d’une anxiété pathologique ou d’une dépression.
En dehors de ces cadres particuliers qui tiennent à l’individu et son histoire, le cas le plus habituel est celui d’interactions difficiles entre l’individu, son travail et l’environnement dans lequel il agit. À la charge ressentie du travail assigné vient alors s’ajouter une charge émotionnelle fonction de la manière dont l’individu perçoit sa tâche et son environnement, ainsi que du nombre de stresseurs auquel il est exposé. Cette charge émotionnelle connexe est le prix que l’individu paie pour effectuer sa tâche dans son environnement. Elle peut être consciente ou non, alléguée ou tue, identifiée par le sujet ou simplement suspectée sur la base d’une émotion ou d’un malaise. Elle est au cœur de « la surcharge mentale en dehors de l’action ». Lorsque l’individu souffre du contexte, que ce soit en raison de sa sensibilité, de son sentiment de maîtrise de la mission assignée ou de la violence de l’environnement, la charge émotionnelle qu’il ressent excède largement celle liée au travail effectué. La fatigue qui découle de cette double charge ne sera pas nécessairement éliminée par une nuit de sommeil. L’individu s’inscrit alors dans une dynamique qui peut se transformer au fil du temps en cercle vicieux.
Cet entre-deux, ni normal ni clairement pathologique, est celui d’une maladaptation de l’individu à son travail et/ou son environnement. L’organisme s’y use sous la pression conjointe du travail assigné et de la charge émotionnelle. « La surcharge mentale en dehors de l’action » devient le marqueur de l’entrée de l’individu dans les phases initiales du burnout, phases qui restent cependant compatibles avec une vie sociale et professionnelle, même difficile. La surcharge mentale non expliquée par le travail objectif devient alors le signe alertant le commandement et le médecin du travail de l’existence d’une maladaptation au travail et/ou à l’environnement. L’enjeu de cet article est de décrire ces phases de maladaptation compensée.
Le burnout
Définition
Le concept d’épuisement professionnel, abordé par Claude Veil, psychiatre et médecin du travail français, a reçu son nom de baptême « burnout » en 1971 de Herbert J. Freudenberger, psychiatre new-yorkais avant que la psychologue américaine Christina Maslach n’en structure le concept. L’épuisement au-delà d’un seuil laissant l’individu vide est la clé de voûte du concept (Olié & Légeron, 2016).
Le syndrome de burnout survient dans un contexte professionnel stressant et s’articule autour de 3 axes cliniques : (i) l’épuisement émotionnel (difficulté à ressentir des émotions), physique (fatigue) et psychique (perte d’énergie, irritabilité) ; (ii) la distanciation vis-à-vis d’autrui ou dépersonnalisation qui se traduit par une relation détachée, voire déshumanisée avec autrui, des affects négatifs et la perte du sens professionnel, voire l’apparition du cynisme ; et (iii) l’altération de l’efficacité professionnelle (dégradation des relations à autrui, transformation d’une activité créatrice en une activité bureaucratique désincarnée, désengagement du travail, séparation des vies professionnelle et personnelle, moindre investissement physique et psychique dans l’exercice professionnel) (Maslach, 1976). Si toutes les approches du burnout convergent sur l’épuisement, des différences d’appréciation concernent l’importance du désengagement ou de la perte de sens du travail, et les dimensions de l’épuisement – i.e., fatigue, usure cognitive, émoussement émotionnel (Maslach, et al., 2001).
Le cadre conceptuel
La première difficulté conceptuelle vient du polymorphisme symptomatologique du burnout qui peut être considéré comme l’expression d’un spectre fondé sur la priorisation des symptômes, le degré de désadaptation de l’environnement ou la gravité clinique. Comme les signes cliniques résultent de la charge de travail (mobilisation de ressources, fatigue), du stress secondaire à la maladaptation (anxiété, irritabilité), des conséquences physiologiques (réduction de performances) ou des conduites d’adaptations (gestion de l’environnement par distanciation conduisant à la dépersonnalisation), ils structurent autant d’approches différentes du burnout.
La deuxième difficulté concerne les degrés de désadaptation qui peuvent être considérés comme autant d’entités. Considérons cette échelle de sévérité : (i) un comportement ajusté sur l’objectif et sans burnout ; (ii) un comportement de lutte induisant un coût adaptatif et une expression clinique du burnout plus ou moins intense, et enfin ; (iii) un comportement d’abandon et d’apathie, rupture témoignant de l’usure profonde (Lindsäter, et al., 2022). Une moindre réponse cérébrale à la douleur d’autrui peut exister dès le premier stade. Elle est interprétée comme une optimisation, une manière de protéger la régulation émotionnelle dans un contexte de soins psychiquement lourd (Decety, et al., 2010). Le second stade peut être plus finement analysé par l’insertion de deux degrés supplémentaires : (ii’) la pression du travail sollicite à l’excès les ressources de l’individu et (ii’’) il se rajoute la pression émotionnelle anxieuse consécutive au déséquilibre entre sollicitation et ressources (Maslach & Leiter, 2016). Par ailleurs, la gravité clinique peut aussi s’apprécier par le score à l’échelle de Maslach avec 5 stades allant de la normalité (hyper-engagement professionnel avec score bas) au burnout intense (un score élevé dans les 3 axes) en passant par des « burnouts partiels » (un score élevé à l’un ou l’autre des 3 axes). Les différences entre les axes pourraient alors se rapporter au mode d’interaction avec l’environnement : un excès de charge de travail induit plutôt un épuisement alors qu’un excès de variété dans l’environnement entraîne plutôt un désengagement selon la théorie « Job Demands–Resources » (Bakker & Demerouti, 2017).
La troisième difficulté conceptuelle provient de la confusion entre les dimensions psychosociales et médicales du burnout. Si la difficulté des interactions contextuelles est à la source du burnout, lui conférant de facto un aspect psychosocial, l’atteinte des individus en fait un problème médical. Les solutions sont donc à la fois psychosociales et médicales avec une graduation inverse selon le stade de sévérité (i.e., interventions psychosociales dans les phases initiales et prise en charge médicale dans les phases avancées). Le burnout se place de facto dans un continuum entre normalité et pathologie psychiatrique. Il devient l’expression d’un syndrome global d’usure émergeant d’une maladaptation chronique à l’environnement. Usuellement, le burnout est donc exclu de la pathologie psychiatrique (Olié & Légeron, 2016), même si sa forme pathologique ultime (i.e., l’épuisement) relève d’une prise en charge médicale au titre de ses répercussions sur l’organisme (dépression, anxiété) (Lindsäter, et al., 2022).
La relation au stress
Dès la première description de C. Maslach, le contexte est décrit comme éminemment stressant (Maslach, 1976). Au quotidien, l’interaction rugueuse entre le sujet et son environnement entraîne un certain niveau de stress se traduisant par l’activation de l’axe corticotrope libérant le cortisol, et de l’axe nerveux sympathique produisant de l’adrénaline. L’activation de stress est sous le contrôle du cerveau, et particulièrement du réseau d’alarme dont la fonction est de signaler le risque vital par le truchement de l’activation de l’amygdale, véritable chef d’orchestre de la réponse de stress. Cumulés dans la durée, ces stress modérés du quotidien finissent par générer un état de stress chronique avec l’usure physiologique que cela suppose. Cet état, conceptualisé par le médecin montréalais d’origine hongroise Hans Selye et le neuroendocrinologue américain Bruce McEwen sous les noms respectifs d’hétérostasie et d’allostasie, se traduit par une imprégnation chronique de l’organisme par l’adrénaline et le cortisol qui finissent par dégrader les tissus et générer des pathologies dites de stress (McEwen, 2008). Cet état allostatique a été observé dans le burnout (Juster, et al., 2011), expliquant pourquoi certains concepts architecturés autour de la notion d’épuisement sont proches du burnout et renvoient directement à la notion de stress chronique. L’épuisement vital (vital exhaustion) qui associe fatigue inaccoutumée, tension intérieure intense, irritabilité, démoralisation et activation de l’axe corticotrope, est considéré à la fois comme la forme ultime d’un burnout chronique et, par exemple, un facteur de risque d’infarctus myocardique (Kudielka, et al., 2006). Parallèlement, le concept de trouble de l’épuisement (exhaustion disorder) a été développé en Suède sur des bases proches de celles du burnout dont il figure le cadre extrême (Lindsäter, et al., 2022).
Le burnout comme facteur de surcharge mentale
Introduction
Conjointement aux durées ou intensités excessives de travail, le travail posté et l’exposition au stress dans l’environnement professionnel sont réputés altérer la cognition. Le burnout, conséquence psychophysiologique de la maladaptation chronique d’un individu à son environnement vécu comme stressant, devrait donc être associé à une cognition dégradée dont la traduction est ipso facto « une surcharge mentale en dehors de l’action » ?
Lorsque les sujets en burnout répondent à des tests cognitifs dans leur environnement personnel, les altérations relevées sont modestes à modérées (Föyen, et al., 2023). Cependant, l’altération de la cognition lors d’un burnout est difficile à mettre en exergue pour de nombreuses raisons méthodologiques. L’évaluation cognitive n’est pas intra-individuelle, car le sujet ne peut pas être étudié avant et après son burnout afin qu’il soit son propre contrôle. Compte tenu de la prévalence du burnout, une telle stratégie scientifique supposerait des études prospectives trop lourdes à mettre en œuvre. Le burnout cache une pléthore de niveaux de gravité et de formes cliniques. Les sujets peu atteints compensent leurs possibles altérations cognitives par un recrutement cérébral, c’est-à-dire l’activation de neurones jusque-là quiescents pour effectuer l’action. Inversement, les sujets très atteints présentent un déficit de motivation, éventuellement associé à une dépression et/ou une anxiété comorbide(s), qui impacte(nt) les réponses aux tests cognitifs. De plus, les altérations cognitives varient selon les fonctions cognitives évaluées (temps de réaction, mémoire, fonctions exécutives, problèmes abstraits) et les critères choisis (temps de réaction, nombre d’erreurs, performance globale, maintien dans le temps de la performance), obligeant à une véritable dissection fonctionnelle de la cognition (Grossi, et al., 2015). Enfin, les plaintes subjectives, particulièrement présentes dans le burnout, ne cadrent pas toujours avec des performances souvent conservées (Grossi et coll., 2015).
Impact du burnout sur la cognition
Évaluer l’impact du burnout sur la cognition suppose de comprendre la façon dont le cerveau répond aux sollicitations. La manière dont la performance est altérée peut être appréhendée par la qualité de l’attention, la vitesse et le contrôle de la réponse et la soutenabilité de la performance dans le temps. Ces dimensions sont souvent dégradées dans le burnout (Gavelin, et al., 2022 ; Grossi, et al., 2015). Le cerveau est donc globalement plus fatigable même si la performance maximale est souvent respectée.
Par ailleurs, toutes les fonctions cognitives ne sont pas atteintes de la même manière. Les fonctions a priori les plus vulnérables sont celles de haut niveau comme les fonctions exécutives – mémoire de travail, inhibition comportementale, attention et flexibilité cognitive – ou de très haut niveau – raisonnement, résolution de problèmes et planification (Diamond, 2013). Ces fonctions partagent le privilège d’être portées par le cortex préfrontal, structure vulnérable aux agressions, au stress et à la fatigue, et qui est altérée dans le burnout (Savic, 2015).
La mémoire de travail ainsi que la mémoire épisodique sont aussi altérées dans le burnout (Gavelin, et al., 2022). La mémoire de travail dont le contenu est à la fois non-sémantique (calepin visuo-spatial) et sémantique (boucle phonologique) permet la conservation des informations à l’esprit durant les diverses tâches (mémoire tampon épisodique), incluant le langage (Diamond, 2013). Elle est particulièrement affectée dans le burnout, y compris dans des formes légères, quoique de manière variable selon les tâches concernées. Ainsi, les mises à jour mnésiques des activités sont moins atteintes que les tâches alternées. Même si les erreurs sont mieux détectées, l’inhibition comportementale est dégradée, conduisant à davantage d’erreurs. Ces altérations fonctionnelles concernent à la fois les mécanismes conscients et inconscients de la gestion de l’erreur. Enfin, la flexibilité cognitive permettant d’aller d’une stratégie à l’autre est réduite. Ainsi les sujets en burnout font davantage d’erreurs que les témoins lors d’une activité de tâches alternées avec une moindre réaction cérébrale lors de l’épreuve. Au total, ce sont donc toutes les dimensions des fonctions exécutives qui sont atteintes. Certaines altérations comme celles portant sur la détection de signaux non cohérents ont été identifiées dans le cadre militaire (Wu, et al., 2022).
Les causes de l’altération cognitive
Les causes de ces altérations cognitives restent très discutées et probablement multivariées. Si l’on ne peut exclure les effets du stress sur la dysfonction cognitive, on ne peut davantage éliminer l’effet propre de la dynamique conduisant au burnout. Ainsi, l’intensité de la dépersonnalisation apparaît corrélée au niveau de déficit visuo-spatial ou à l’altération des processus automatiques de haut niveau (gestion d’informations congruentes) alors que le score de dégradation d’efficience personnelle est corrélé aux capacités de gestion de conflits informationnels (Koutsimani & Montgomery, 2022). Ces résultats qui restent à confirmer laissent à penser qu’au moins trois dynamiques sont à l’œuvre, qu’elles soient liées au burnout per se, au stress chronique ou à la dépression. Ces dynamiques s’enchevêtrent dans le contexte professionnel, l’altération de la cognition étant un véritable pivot. Le déficit cognitif augmente la charge mentale, et donc la gravité du burnout, ainsi que le stress relié à l’impossibilité d’exécuter le travail, les deux accroissant le risque dépressif et les altérations cognitives. Ainsi, le déficit mnésique visuo-spatial quoique prédit par le score de burnout avant l’exposition à un stage militaire de survie (Morgan III, et al., 2011) est aussi altéré par l’exposition au stress (Morgan III, et al., 2006).
La détection précoce du burnout
Introduction
Le constat d’une baisse de performance ou la prise en compte de plaintes subjectives ne sont qu’une manière tardive de mettre en évidence un burnout qui a taraudé longtemps sa victime, générant une souffrance psychique inutile et une altération de la performance opérationnelle. De ce fait, il est important de pouvoir détecter le burnout alors que les manifestations sont encore ténues. Ceci conduit naturellement à une politique de détection systématique dans les contextes professionnels à risque. Restent quelques questions à résoudre : quels sont les contextes à risque ? Existe-t-il des biomarqueurs du burnout ?
Les contextes à risque
Dès l’origine du concept, la description du burnout s’est faite dans le cadre professionnel des soignants et a eu tendance à s’y restreindre. L’extension s’est faite ultérieurement à tous les métiers et tous les champs d’application. Le burnout s’est invité aux cadres sportif – surentraînement (Gustafsson, et al., 2016) –, familial (Blanchard, et al., 2023), militaire (Adler, et al., 2017 ; Hosseini, et al., 2023), etc. La notion d’environnement à risque ne se limite donc pas au strict milieu professionnel immédiat. Elle inclut la famille, le contexte social général et, dans le cadre professionnel, l’environnement organisationnel.
Le contexte n’est cependant pas suffisant à considérer. Il faut rechercher les inducteurs de burnout en son sein. Ces sources de burnout sont classées en 6 domaines : la charge de travail, le degré de contrôle, le niveau de reconnaissance, le respect des valeurs, l’environnement social immédiat du sujet et le degré d’équité (Maslach & Leiter, 2016). Si l’importance de la charge de travail est une source classique de burnout, c’est le degré de contrôle exercé sur son exécution qui est crucial. Ce sentiment de contrôle est mis à mal par l’excès de travail, le sentiment d’incompétence et d’absence de maîtrise. Tout défaut de contrôle conduit à un sentiment d’impuissance apprise, facteur majeur de stress. La reconnaissance de l’individu et de son travail, que ce soit d’un point de vue social, financier ou organisationnel, renvoie à la confrontation entre la motivation du sujet, son retour social attendu et le retour social réel. Toute discordance entre l’attendu et le perçu est également un facteur de stress. Le respect et le partage des valeurs sont également essentiels, car il sous-tend la motivation à l’action et le sens de la mission. Il porte également en filigrane les conflits éthiques si les valeurs communes à l’individu et l’institution ne sont pas respectées. Enfin, l’environnement social immédiat du sujet, professionnel comme non-professionnel, contient à la fois les dimensions de protection, liée au soutien social, et d’agressions, y compris micro-agressions, liées aux compétitions et discriminations. Le sentiment d’injustice, inducteur de burnout via le stress qu’il engendre, est également un facteur important à prendre en compte (Taris, et al., 2001). C’est un puissant levier de démotivation et d’apparition du cynisme. Ces sources de burnout pointent le rôle central des interactions sociales dans la genèse du burnout au côté de la charge de travail. Nous retrouvons ici le concept de double charge, de travail et émotionnelle.
Les dynamiques à risque
Le burnout ne peut être réduit à l’exposition à un environnement agressif. C’est aussi la conséquence de la dynamique de son installation dans la chronicité. Cette dynamique repose sur le déséquilibre entre la demande émanant de l’environnement et la nécessaire récupération psychophysiologique. L’insuffisance de récupération après l’exposition aux agressions via le manque de sommeil est un facteur de risque du burnout (Membrive-Jiménez, et al., 2022) par le truchement du développement d’un syndrome de stress chronique (Metlaine, et al., 2018). Le déficit de sommeil peut être d’origine structurelle (travail posté, réduction de temps alloué au sommeil), contingente (excès d’éveil retardant l’endormissement) ou intrinsèque à la maladie (insomnie de stress lié à l’installation du burnout). Les mécanismes par lesquels la dette de sommeil favorise l’émergence du burnout en situation de contrainte concernent la récupération énergétique et la restructuration du cerveau à l’œuvre durant le sommeil lent de la première partie de nuit et la correction des conditionnements délétères acquis durant la journée, plutôt actifs durant le sommeil paradoxal de la seconde partie de nuit.
Les individus à risque
Même en prenant en compte toutes les dimensions du contexte, certaines personnes seront victimes de burnout alors que d’autres en échapperont. Ces facteurs individuels concernent la personnalité ou une plus grande vulnérabilité de l’individu causée par une réactivité excessive au stress ou une plus grande sensibilité à l’environnement (empathie ou perception excessive de la détresse d’autrui). Ils sont à prendre en compte même si la cible prioritaire des actions de prévention reste l’environnement. La personnalité à risque renvoie à des sujets cotant fortement pour le neuroticisme, mais faiblement pour l’agréabilité, la conscientisation, l’extraversion et l’ouverture selon la classification du « big five » (Angelini, 2023).
D’autres dimensions sont apparues comme le perfectionnisme (Gustafsson, et al., 2016), la faible estime de soi (Rosse, et al., 1991) ou l’irritabilité (Marmuse, et al., 2024). Même s’il est difficile de savoir si ces dimensions sont cause(s) ou conséquence(s) du burnout, leur apparition est un signal d’alerte d’un cercle vicieux en place. La notion d’irritabilité est particulièrement porteuse car, reliée au risque de psychopathologies de stress, elle renvoie directement à la notion de stress chronique et à celle de réactivité au stresseur. Cette dernière, facteur de risque pour le burnout, est un élément de maladaptation à l’environnement si elle est excessive – hypertonie sympathique – ou insuffisante – hypertonie vagale (Wekenborg, et al., 2019). Enfin, l’empathie, marque d’une plus grande sensibilité aux émotions d’autrui, contribue au risque d’émergence de burnout lorsque l’activité professionnelle implique l’exposition aux émotions et aux souffrances (Maslach, et al., 2001).
Les biomarqueurs biologiques du burnout
À côté des indices de burnout précédemment décrits, aucun biomarqueur spécifique du burnout n’existait jusqu’à une date récente (Danhof-Pont, van Veen, et al. 2011). Il faut donc remonter à la mesure électrophysiologique de différences de qualité de détection cérébrales des informations émotionnelles (Decety, et al., 2010) ou visuelles (Wu, et al., 2022). Certains biomarqueurs (sécrétion de glucocorticoïdes) relèvent du stress chronique et non du burnout. Alternativement, il est possible de mesurer les conséquences cérébrales de l’interaction du sujet avec son environnement en analysant le mode d’activation de l’amygdale. Cette dernière approche pourrait différentier le tonus sympathique de fond des activations brutales liées à l’interaction avec l’environnement (Trousselard & Claverie, 2024). La détection de ces biomarqueurs se heurte à l’absence actuelle de compréhension des mécanismes qui expliquent comment un individu qui interagit de manière fluide avec son environnement, se met à le faire avec de plus en plus de difficultés et finalement à être désadapté au point de vivre un état de stress chronique qui altère in fine sa santé.
Le burnout dans l’environnement militaire
Cette réflexion autour du burnout dévoilé par une chute de performance mentale est particulièrement importante dans le milieu militaire. La plus emblématique description de burnout est celle du « vieux sergent » dans laquelle figure la dénomination de « burnt out » ! (Sobel, 1947). Dans cet environnement, les prévalences médianes du burnout oscillent selon les axes de 6,4 % – accomplissement personnel – à 14 % – dépersonnalisation – et 19 % – épuisement émotionnel (Hosseini, et al., 2023). En d’autres termes, le burnout est tout sauf rare ! Si cette méta-analyse retrouve majorité des facteurs de risque observés dans la population générale (cf. ci-après), elle insiste sur certains facteurs de risque spécifiquement militaire : les antécédents de Trouble de stress post-traumatique (TSPT), les conflits entre nécessités familiales et professionnelles, ou la qualité du leadership (Adler, et al., 2017 ; Hosseini, et al., 2023). Placer le burnout dans une dynamique de stress revient à considérer que tout facteur induisant une vulnérabilité à la dépression ou au TSPT est aussi un facteur de risque de burnout. Placer le burnout dans un environnement social revient aussi à considérer que ce contexte recèle, outre des éléments agressifs, des éléments protecteurs (Bakker & Demerouti, 2017). Dans le cadre militaire, les dynamiques d’attention à soi et à autrui, que ce soit au niveau de l’individu – le binôme (McCool, et al., 2022) – ou du commandement – leadership (Kelly & Hearld, 2020) –, sont autant de facteurs de protection (Adler, et al., 2017). Ce constat ouvre la voie à une coordination entre prises en charge individuelle médicale et collective institutionnelle. Elle représente une voie de renforcement des résiliences individuelles et collectives dès lors que le groupe est mis sous tension et en pâtit dans sa santé et sa performance opérationnelle.
Conclusion
Le burnout est certes la conséquence individuelle d’une maladaptation à l’environnement qu’elle soit causée par l’agressivité de l’environnement, la vulnérabilité du sujet ou surtout l’interaction des deux. Prendre en compte le burnout c’est aussi développer la résilience de l’individu et du groupe. La perte de performance mentale, qu’elle soit rapportée par l’agent ou qu’elle soit constatée par l’organisation, est un moyen simple de détecter un burnout et d’enchaîner les prises en charge individuelle et collective en mobilisant toutes les ressources de l’environnement institutionnel, dont la médecine, au profit des individus et de leur collectif indissociablement liés.
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