Les militaires sont souvent soumis à des conditions extrêmes, avec une forte charge cognitive et émotionnelle. Dans ces situations, des stimuli auditifs – tels des alarmes sonores – qui seraient facilement perceptibles dans d’autres conditions ne le sont plus. On appelle ce phénomène la surdité attentionnelle. Nous avons exploré deux solutions pour y remédier : l’utilisation du son spatialisé (son 3D) et des alarmes rugueuses (plus saillantes auditivement). Les expériences menées montrent une diminution de la surdité attentionnelle pour ces alarmes spatialisées ou rugueuses. Ces contre-mesures auditives, faciles à mettre en œuvre, sont prometteuses et permettraient d’améliorer la sécurité des militaires.
Charge cognitive et surdité attentionnelle : des pistes opérationnelles
L’audition joue un rôle crucial dans le monde militaire : pour communiquer, le plus souvent par l’intermédiaire des radios ; pour avertir ou être averti de menaces, ou autre information critique, via des alarmes sonores ; pour mieux comprendre son environnement, en analysant les sources sonores autour de nous (type de bruits, armes, etc.). Cependant, les opérateurs se retrouvent parfois dans des conditions extrêmes, du point de vue perceptif, cognitif ou émotionnel, et des stimuli auditifs qui seraient facilement perceptibles dans d’autres conditions ne le sont plus. On appelle ces situations les « échecs de la conscience » pour traduire l’expression anglaise failure of awareness (voir Cohen, et al., 2012). La plus connue est celle de la surdité attentionnelle, régulièrement décrite par le BEA-É (Bureau enquête accidents pour la sécurité de l’aéronautique d’État), pour laquelle un opérateur ne perçoit pas un son, pourtant largement audible, du fait de sa focalisation attentionnelle importante sur d’autres tâches et stimuli (Dehais, et al., 2014 ; Macdonald et Lavie, 2011). Cette focalisation attentionnelle et la surdité attentionnelle qui en découle sont souvent la conséquence d’une surcharge cognitive. In fine, proposer des contre-mesures à ces situations d’échec de la conscience, et notamment la surdité attentionnelle, est un enjeu crucial, afin de préserver la santé et la sécurité du militaire. Pour cela, il faut tout d’abord mieux comprendre ces phénomènes perceptifs, ainsi que leurs mécanismes sous-jacents.
L’analyse des rapports d’incidents et accidents aériens révèle qu’un certain nombre d’entre eux trouvent leurs sources dans le manque de réaction à une ou plusieurs alarmes auditives (Bliss, 2003). Les systèmes d’alarmes actuels souffrent en effet de problèmes de conception majeurs qui en diminuent leur efficacité, et les rendent insuffisants voire contreproductifs. Initialement l’apanage des cockpits d’aéronefs, les alarmes ont récemment gagné le poste de commande des matériels de l’Armée de Terre, particulièrement les blindés. Elles sont également emblématiques des blocs opératoires des hôpitaux, où chaque alarme informe le personnel médical du suivi de certaines constantes, afin de connaître l’état du patient. Les problèmes de gestion des alarmes touchent ainsi un nombre croissant d’opérateurs, dans toutes les Armées.
Le fait que ces alarmes soient régulièrement non perçues par les pilotes (Bliss, 2003) ou par le personnel médical (Brunker, et al., 2024), aboutissant parfois à des accidents, interpelle. Plusieurs explications ont été avancées dans la littérature. Tout d’abord, si les systèmes d’alerte sont perçus comme peu fiables, ils provoquent un « cry-wolf effect », et sont ignorés (Breznitz, 1984 ; Wickens, et al., 2009). Ensuite, la nature parfois agressive de l’alarme (Edworthy, et al., 1991) peut conduire le pilote à chercher dans un premier temps à couper l’alarme plutôt que d’en comprendre la cause. Cependant, ces explications ne sont pas suffisantes ; dans les tentatives d’explications, l’alarme est entendue et le pilote choisi, consciemment, de ne pas y répondre.
Il est apparu judicieux de s’intéresser plus précisément à cette question de la surdité attentionnelle. Nous avons alors étudié ce phénomène en laboratoire, afin de mieux en comprendre les mécanismes.
Le pendant visuel de la surdité attentionnelle, un classique maintenant de la littérature et connu largement en dehors du milieu scientifique, est celui de la cécité attentionnelle, dont une des illustrations les plus marquantes est l’expérience « du gorille » (Simons et Chabris, 1999). Un film de deux équipes de basket qui s’échangent des passes est montré aux participants ; leur tâche est de compter le nombre de passes d’une des deux équipes, identifiée par la couleur de leur t-shirt. À la fin du film, il est demandé aux participants s’ils ont remarqué quelque chose d’inhabituel. Plus de la moitié ne remarque rien, alors qu’au milieu du match de basket, une personne déguisée en gorille traverse la pièce lentement, en faisant de multiples signes. Lorsque le film est montré de nouveau sans tâche particulière, tout le monde remarque le gorille. Ce phénomène et ses implications ont été étudiés de manière intensive en vision, et ont fait l’objet de quelques réplications en audition (Dalton et Fraenkel, 2012, pour une réplication presque exacte avec un « gorille auditif », une voix qui prononce « je suis un gorille »).
Nous présentons ici deux projets de recherche en cours, qui abordent la question de la surdité attentionnelle par des approches différentes mais complémentaires, du point de vue applicatif. Par ailleurs, l’objectif appliqué, in fine, est de développer des contre-mesures efficaces à la surdité attentionnelle. Agir directement sur la saillance du stimulus critique (ici, l’alarme) semble une piste prometteuse comme première contre-mesure. D’un point de vue théorique, car déjà suggéré dans la littérature (Koreimann, et al., 2014), et d’un point de vue pratique, car facile à implémenter et peu coûteux. Ces exemples de contre-mesures auditives, la spatialisation des sources sonores (son 3D) et la rugosité sont présentés dans les deux projets ci-dessous.
Surdité attentionnelle d’un stimulus critique non attendu
Plusieurs séries d’études issues du laboratoire de Nilli Lavie (Lavie, 1995, 2010) ont porté sur la capacité de pouvoir focaliser l’attention des sujets dans des tâches à charge perceptive ou cognitive élevée, et sur la manière dont certains distracteurs peuvent être ou non ignorés. En laboratoire, la surdité attentionnelle a été définie comme le fait de ne pas percevoir des distracteurs auditifs dans des conditions de charge élevée. La surdité attentionnelle peut être considérée comme une manière particulière d’aborder l’attention auditive sélective. L’éditorial de Bendixen et Koch en 2014 dans un numéro spécial de Psychological Research, présente clairement les diverses approches de l’étude de l’attention auditive, qui semblent parfois disparates, et met en regard les études sur la surdité attentionnelle avec celles sur la capture attentionnelle (Dalton et Hughes, 2014 dans ce même numéro spécial).
Macdonald et Lavie, 2011 ont démontré que, pour des participants qui devaient répondre à une tâche de discrimination auditive lorsque le niveau de charge perceptive était élevé, les participants ne percevaient pas la présence d’un son distracteur. Molloy, et al., 2015 ont plus récemment repris ce paradigme avec une tâche de recherche visuelle, en mesurant l’activité cérébrale avec de la magnétoencéphalographie. Ils ont ainsi démontré que, au cours d’une tâche visuelle demandant une charge perceptive élevée, le traitement sensoriel des stimuli auditifs était momentanément réduit, résultant de l’observation comportementale appelée surdité attentionnelle. L’explication suggérée repose sur un modèle cognitif de ressources visuelles et auditives communes : les tâches impliquant une charge perceptive élevée utilisant la plupart de notre capacité attentionnelle, peu ou plus de ressources cognitives seraient alors disponibles pour traiter des stimuli non pertinents pour la tâche, comme des stimuli sonores. Des études portant sur la surdité attentionnelle ont également été menées dans des contextes réalistes en simulateur de vol. Ils ont proposé un premier cadre pour l’étude des alarmes non perçues dans des environnements à charge cognitive élevée (Dehais, et al., 2014 et Giraudet, et al., 2015).
Nous avons récemment développé un nouveau paradigme d’étude de la surdité attentionnelle (Elisabeth, 2022). Nous avons choisi de nous placer en situation de double tâche uniquement auditive : par intérêt applicatif (les alarmes sonores retentissent en général dans des situations non optimales, donc impliquant de multiples flux radios), et car la littérature portant sur cette situation précise est assez éparse et aboutit à des conclusions opposées sur la présence de surdité attentionnelle en situation purement auditive. Le contexte sanitaire nous a imposé de revoir, en milieu de projet, le protocole, afin de pouvoir proposer une expérience en ligne, robuste à toute la variabilité introduite par la passation à distance.
Le nouveau paradigme proposé (Élisabeth, et al., 2024) mêle mémoire de travail et reconnaissance de parole au sein de stimuli de paroles. La tâche principale est une situation d’écoute multi-locuteurs, basée sur le corpus CRM (Coordinate Response Measure, Bolia, et al., 2000), déjà utilisé dans nos autres travaux. Un essai comprenait trois groupes consécutifs de trois phrases dont, pour chacun, une phrase était émise dans une oreille définie comme l’oreille cible et les deux autres étaient émises dans l’oreille opposée : celle à ignorer (Figure 1). À chaque essai, le participant devait mémoriser l’indicatif de la phrase ainsi que la couleur pour chacune des trois phrases consécutives émises dans l’oreille cible. La consigne précise ne portait que sur l’une des trois phrases consécutives, mais n’apparaissait qu’à la fin de l’essai (rapporter la couleur associée à un identifiant donné), obligeant ainsi le participant à maintenir un niveau élevé d’attention de manière constante (tâche N-back avec N variable au sein du bloc). Lors du dernier essai de l’expérience, un son d’alarme inattendu était diffusé, au-dessus du seuil auditif des auditeurs (une condition contrôle vérifie ce point). Ce stimulus critique était un son pur de 110 Hz (afin de se comparer à la littérature, par exemple (Macdonald et Lavie, 2011), d’une durée de 500 ms et de même niveau sonore que celui des phrases CRM. Ce son pouvait être émis dans l’oreille cible ou à ignorer. Chacune des conditions était réalisée par un groupe différent de participants.
Plus de 200 participants ont pour l’instant passé cette expérience. Le résultat principal, et le plus marquant, est le niveau élevé de surdité attentionnelle observé : 64 % et 94 % de sons critiques non perçus, lorsque diffusés du côté cible ou distracteur, respectivement (Figure 1). Deuxième résultat important, lorsque le stimulus critique est diffusé du côté distracteur, la surdité attentionnelle est beaucoup plus forte.
Figure 1. (haut) Illustration de la tâche de N-back : 2 flux dichotiques d’une succession de 3 phrases du corpus CRM ; dans cet exemple, le côté cible est le droit, il faut ignorer les 2 voix à gauche. La consigne n’apparaît qu’à la fin (reporter la couleur d’un indicateur donné ; N = 0 s’il faut reporter la couleur de l’indicateur de la dernière phrase, etc. pour N = 1 et N = 2). Lors du dernier essai de l’expérience, un son critique, inattendu (non pertinent pour la tâche) est diffusé, soit du côté cible soit du côté distracteur – côté cible dans cet exemple. Les participants sont interrogés sur la diffusion de ce son en fin d’expérience : la non perception de ce son est interprétée comme de la surdité attentionnelle, car comparé à une condition contrôle dans laquelle ils doivent reporter la présence ou l’absence de ce son en étant cette fois informé de sa présence. (bas) Résultats à la tâche N-back : les résultats élevés et la décroissance avec le N croissant confirment que les participants ont bien effectué la tâche ; point crucial pour une expérience en ligne. (droite) taux de sons critiques détectés ou non : le taux de sons critiques manqués traduit un fort niveau de surdité attentionnelle. Cette surdité est plus importante lorsque le son critique est du côté distracteur. Extrait de Élisabeth (2022).
Plusieurs points importants peuvent d’ores et déjà être soulignés, en comparaison avec Macdonald et Lavie, 2011 et Koreimann, et al., 2014. Les niveaux de surdité attentionnelle observés sont comparables, voire plus larges, que dans ces études, notamment pour les conditions de charge perceptive et cognitive élevée. Ils ne permettent pas nécessairement de tester la théorie de Lavie, puisque nous n’avons pas comparé les conditions de charge attentionnelle. En revanche, ils nous permettent d’étendre à l’audition un des résultats classiques de la cécité attentionnelle. En effet, la proximité perceptive entre le stimulus critique et la zone où se porte l’attention du participant influence l’ampleur de la cécité attentionnelle. Dans l’expérience du gorille (1) (Simons et Chabris, 1999b), ledit gorille est plus souvent remarqué lorsque les joueurs de basket dont on doit compter les passes sont habillés en noir (contrairement au blanc). Ici, dans le cas de la surdité attentionnelle, l’alarme est plus souvent entendue si elle est diffusée dans une zone de l’espace sur laquelle se porte l’attention des auditeurs (différence entre côté cible et côté distracteur).
Une première contre-mesure qui découle de ces résultats est donc l’utilisation du son spatialisé (ou son 3D) afin de réduire le taux de surdité attentionnelle. Le son spatialisé est un sujet d’étude à l’IRBA depuis plusieurs dizaines d’années. Une de nos études récentes (Andéol, et al., 2017) a montré que, outre l’avantage du son 3D pour améliorer la compréhension des messages radio, il permettait également de diminuer la charge cognitive.
Les résultats fiables et robustes obtenus malgré les conditions de passation inhérentes à une expérience en ligne sont un indice encourageant pour la suite. Ce projet est en cours, avec plusieurs pistes plus ou moins directement dans la continuité de cette expérience. Outre divers tests sur le stimulus critique en tant que tel (contenu fréquentiel, durée, rugosité, sons de voix humaine, …), nous allons également tester différentes conditions pour décrire les indices auditifs sur lesquels l’attention se porte (ici, attention spatiale), avec par exemple des indices fréquentiels (la tâche étant par exemple de suivre la voix de femme et d’ignorer les voix d’hommes). Nous rechercherons enfin des corrélations possibles avec certaines caractéristiques des participants (anxiété, stress perçu…).
Surdité attentionnelle d’un stimulus critique attendu
En collaboration avec l’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’Espace (ISAE, voir Riedinger, et al., 2024), nous avons récemment mis au point un protocole expérimental qui offre un bon compromis entre condition écologique et contrôle expérimental pour induire de la surdité attentionnelle de manière répétée (comme cela est le cas en situation réelle, où les alarmes non perçues peuvent avoir été diffusées pendant plusieurs minutes).
Au préalable à la présentation de cette expérience, il est important d’introduire ici la deuxième contre-mesure auditive, la rugosité. Une étude récente de signaux d’alarmes vocaux (comme des cris) a mis en évidence que les vocalisations d’alarme utilisent un un régime de modulations temporelles particulier, associé au percept de rugosité. Ces modulations temporelles à l’origine de la rugosité ne sont pas présentes dans les signaux de communication normale, non criée (Arnal, et al., 2015). L’étude de ces signaux par imagerie cérébrale a démontré qu’ils induisent des réponses dans l’amygdale, une région sous-corticale impliquée dans les réactions au danger. Cette étude multidisciplinaire est, à notre connaissance, la première à s’intéresser aux processus de traitement et de réaction à des sons longtemps ignorés (cris) et pourtant cruciaux pour la sécurité et la prise de décision rapide face à un danger. Elle révèle notamment que les vocalisations d’alarme humaines, qui ont co-évolué avec le cerveau humain depuis des millénaires pour garantir notre survie, utilisent une combinaison de caractéristiques acoustiques unique. Ils seraient ainsi capables d’induire des réactions comportementales rapides et efficaces. Arnal, et al., 2019 ont poursuivi cette étude de la rugosité, cette fois en utilisant des stimuli rugueux synthétiques et non porteurs de contenu sémantique (comme l’était un cri) : des trains de clics. Ces nouveaux travaux ont révélé l’existence de réponses non-linéaires dans le domaine de la rugosité sonore à l’échelle cérébrale, émotionnelle et perceptive. Ils ont mis en évidence le recrutement de circuits cérébraux dits de saillance et leur rôle probable dans les réponses aversives provoquées par les sons rugueux. Les sons rugueux sont donc perceptivement saillants et stimulent massivement des réseaux cérébraux impliqués dans le traitement de cette saillance.
Nous avons alors fait l’hypothèse que la rugosité sonore devrait également avoir un impact comportemental et nous nous sommes notamment intéressés aux réactions de défense. Le modèle de « conscience émotionnelle » proposé par LeDoux et Brown, 2017 stipule que nos circuits de défense sont responsables des réponses physiologiques et comportementales en réaction aux menaces, mais ne sont pas directement responsables de l’expérience subjective de la peur. Cela ne veut pas dire que les circuits de défense ne jouent aucun rôle dans la perception consciente de la peur, mais simplement qu’ils modulent cette sensation, sans en être directement responsables. Une manière indirecte et élégante de mesure comportementale de ces réactions de défense a été suggérée par Canzoneri, et al. en 2012, via la mesure de l’Espace péri-personnel (EPP). Cet EPP est considéré comme un espace de protection, et est défini comme l’espace perceptif situé immédiatement autour du corps. Les informations présentes dans l’EPP sont perçues et traitées comme des évènements hautement saillants et pertinents pour l’individu. L’augmentation de la taille de l’EPP est une réponse comportementale de défense typique qui permet la surveillance multisensorielle d’une zone plus large autour du corps (Bufacchi, 2017). Nous avons mesuré, en adaptant le paradigme de Canzoneri, et al. (2012), l’effet de la rugosité sonore sur les réactions de défense des participants : des sons perçus comme rugueux élargissaient l’EPP des auditeurs, ce qui est interprété comme une réaction de défense plus grande en réponse à des sons rugueux (Taffou, et al., 2021). Les sons utilisés étaient volontairement très simples : un son harmonique comparé au même son modulé en amplitude à 70 Hz, donc perçu comme rugueux (Fastl et Zwicker, 2007). La rugosité sonore, même appliquée à des sons simples, et non vocaux, est donc un indice sensoriel aversif inné.
Nous avons donc cherché à tester l’hypothèse selon laquelle la rugosité pourrait réduire la surdité attentionnelle (Riedinger, et al., 2024). Pour cela, une version modifiée de la MATB II de la NASA (Multi-Attribute Task Batter ; voir Roy et al., 2020) simulant une tâche de pilotage, combinée à un paradigme oddball auditif a été mise en œuvre. Dans le paradigme oddball, nous avons comparé les temps de réaction à deux types de sons rares : un son pur à 1 000 Hz modulé en amplitude à 10 Hz qui est perçu comme un battement, et un autre son pur à 1 000 Hz modulé en amplitude à 70 Hz qui est perçu comme rugueux. Le son fréquent est un autre son pur à 1 000 Hz, non modulé. Cette tâche nous permet ainsi de tester l’effet de la rugosité auditive dans une tâche cognitive complexe (MATB-II), susceptible de provoquer des situations de surdité attentionnelle.
Nous avons pu vérifier que la tâche MATB-II permettait de maintenir un niveau d’attention élevé et continu, grâce notamment au grand nombre de communications radios (un des paramètres possibles de la tâche MATB-II). Nous avons observé un nombre conséquent d’oublis dans la tâche obbball : les participants ont oublié de répondre à certains sons rares, ce qui est une signature de la surdité attentionnelle. De plus, dans des conditions de charge élevée, le son rugueux est moins ignoré (provoque moins d’omissions dans la tâche oddball). Cela suggérerait que la rugosité sonore permettrait de limiter le phénomène de surdité attentionnelle, avec ce type de paradigme.
Ce résultat est une piste extrêmement prometteuse dans un cadre applicatif. Ce projet se poursuit, afin de tester, dans des protocoles complexes et réalistes, l’effet de la saillance auditive sur la surdité attentionnelle.
Conclusion
Nous avons décrit une conséquence de la surcharge cognitive, potentiellement accidentogène, appelée surdité attentionnelle. Nous avons pu la reproduire en laboratoire, en la déclinant sous deux paradigmes différents. Nous avons également proposé deux contre-mesures auditives prometteuses afin de réduire cette surdité attentionnelle : le son spatialisé et la rugosité auditive.
Éléments de bibliographie
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