La méditation est un ensemble de techniques qui développent des compétences attentionnelles singulières de pleine conscience. Elle permet une plus grande acceptation de la réalité, instant après instant, ainsi que des capacités accrues d’adaptation aux situations. Si de nombreux travaux ont montré son rôle dans la qualité de la santé et de l’adaptation au stress, des travaux plus récents ont attesté de son intérêt pour une meilleure gestion de la charge cognitive et de la charge mentale. Ces bénéfices posent le fonctionnement en pleine conscience comme un fonctionnement d’intérêt au regard du besoin cognitif militaire, particulièrement en situation opérationnelle.
La mindfulness, une aide à la gestion de la charge cognitive ?
Mindfulness, pleine conscience : de quoi parle-t-on ?
La mindfulness (1), traduite en français par « pleine conscience », a vu sa popularité croître ces trente dernières années dans plusieurs domaines séculiers, comme la médecine, la recherche en neurosciences, le management en entreprise ou encore l’entraînement au profit de professions dites à risques, comme les militaires.
La mindfulness est un état de conscience qui résulte du fait de porter son attention, intentionnellement, au moment présent, sans jugement, sur l’expérience qui se déploie moment après moment (Kabat-Zinn, 2003). Dans la littérature, le terme mindfulness renvoie à la fois un état psychologique transitoire (état mindful), un fonctionnement stable de la personnalité (disposition mindful : DM) et la méthode utilisée (e.g, : pratique de méditation, programme clinique, etc.) pour atteindre un état mindful ou cultiver la DM (Grossman, 2008). Cette polysémie souligne deux acceptions non exclusives : une « manière de fonctionner », propriété émergente d’un cerveau qui s’est développée avec une certaine façon de percevoir par une attention de chaque instant, et la méditation mindfulness (MM) comme moyen d’atteindre cette manière de percevoir, voire encore l’association des deux.
Si le premier programme à proposer la mindfulness a été la Mindfulness-Based Stress Reduction (MBSR ; Kabat-Zinn, 2003), de nombreux autres programmes ont montré leurs bénéfices dans le champ de la santé, de la cognition ou encore de la performance. Ces programmes partagent plusieurs modalités de pratiques, parmi lesquelles : (i) un entraînement à se concentrer sur ses sensations lors d’exercices respiratoires représentant alors une ligne de base attentionnelle ; cet entraînement permet ainsi de notifier toute autre sensation corporelle par rapport à ce référentiel, et (ii) une analyse corporelle consistant à focaliser son attention de façon séquentielle sur les différentes parties corporelles sans interprétation subjective. Le focus attentionnel sur la respiration au cours de la méditation sert d’ancrage au sujet. Ce point focal soutient une acceptation en conscience de l’expérience du moment présent en ce qu’il permet, lorsque le sujet prend conscience des sensations plus ou moins douloureuses, des émotions plus ou moins pénibles et surtout des pensées associées qui provoquent des jugements ou des ruminations, de prendre note, de laisser aller ces informations et de revenir au présent de sa respiration, comme élément de sa réalité, instant après instant. Quelles que soient la modalité de pratique de la MM, la conservation et a fortiori l’amélioration du niveau de mindfulness passe par une pratique régulière et quotidienne des exercices enseignés pour entraîner le sujet à faire avec les contraintes internes, externes, notamment cognitives.
La mindfulness, comment ça marche ?
Si la littérature abonde d’études qui démontrent les bénéfices de la mindfulness sur la santé physique et mentale ainsi que sur le fonctionnement cognitif (NIH, 2021). Cette littérature met en évidence un certain nombre de mécanismes qui participent à expliquer ces bénéfices.
D’un point de vue phénoménologique, la mindfulness améliorerait la qualité de la relation du sujet à lui-même et au monde grâce à une meilleure qualité de perception de ce qui est vécu, instant après instant. Elle autorise de ce fait un détachement en conscience à ce qui survient, ce qui permet une régulation de l’expérience affective et notamment des réponses affectives automatiques. Elle augmente par ailleurs la flexibilité comportementale favorisant curiosité et créativité. De plus, elle améliore la gestion des situations de conflits qu’ils soient perceptifs, cognitifs ou encore moraux. Ces observations posent la mindfulness comme un enjeu des prises de décisions que ce soit à un niveau opérationnel, tactique ou stratégique.
Les sujets considérés comme mindful présentent des caractéristiques neuro-physiologiques particulières à de nombreux égards susceptibles de rendre compte de la phénoménologie clinique. Force est de constater qu’indépendamment de la manière dont la mindfulness émerge, c’est l’ensemble du fonctionnement neurophysiologique qui doit être considéré. S’appuyant sur une revue des données de neuro-imagerie, comportementales et psychométriques (auto-questionnaires) de la littérature sur la DM et les interventions MM, la docteur en psychologie Britta Hölzel et ses collègues ont proposé en 2011 quatre mécanismes cognitifs pour expliquer les bénéfices de la mindfulness :
(i) la régulation de l’attention ;
(ii) l’amélioration de la métacognition (qui est la connaissance qu’un individu a sur son propre fonctionnement cognitif) ;
(iii) l’augmentation du niveau de conscience du corps ;
(iv) et l’amélioration de la régulation des émotions (Hölzel, et al., 2011).
Ces quatre processus cognitifs sont en interaction. La régulation attentionnelle permet à l’individu mindful d’accéder à une expérience sensorielle riche et dénuée de tout jugement. L’attention portée sur le contenu de la pensée permet d’améliorer la métacognition. L’augmentation de la conscience corporelle résulte de l’attention qui est portée sur le corps, et ce mécanisme est particulièrement travaillé au cours de l’entraînement à la mindfulness (la cible de l’attention étant le plus souvent la respiration). Enfin, l’amélioration de la régulation émotionnelle passe par la mise en place de stratégies visant à limiter l’impact des émotions négatives (stratégie d’extinction), et la réévaluation constructive des contextes à forte valence émotionnelle (stratégie de réévaluation cognitive). La validité de ce modèle mécanistique a été récemment étendue aux données électrophysiologiques que sont les potentiels évoqués cérébraux (ERPs pour Event-Related Potentials ; Verdonk, et al., 2020). Les ERPs qui correspondent à l’activité cérébrale particulière qu’on observe en synchronisant le signal EEG sur un événement particulier (ex : la présentation d’un stimulus, la réponse motrice du sujet, etc.) confirment que la mindfulness est associée à une optimisation de la régulation de l’attention, à une diminution de la réactivité aux stimuli émotionnels et à un meilleur contrôle cognitif. Ils renforcent les constats phénoménologiques en soutenant que le sujet mindful est caractérisé par un traitement conscient de l’information en provenance du corps et de l’environnement, et ce, y compris pour des informations de bas niveau. Intégrée dans le cadre de la théorie de l’espace global de travail, théorie qui modélise le phénomène de conscience (Dehaene, et al., 2011), la mindfulness diminuerait le seuil nécessaire pour qu’une information devienne consciente participant ainsi à la qualité de l’attention et de sa régulation. Elle pourrait également rendre compte des bénéfices du fonctionnement mindful face au risque de cécité attentionnel (Bailey, et al., 2023).
L’ensemble de ces corrélats posent la mindfulness comme un fonctionnement d’intérêt pour la gestion de la charge cognitive.
L’intérêt de la mindfulness pour la gestion de la charge cognitive
La théorie de la charge cognitive implique que nos ressources cognitives sont limitées. La charge cognitive se concentre sur l’effort mental requis pour traiter des tâches spécifiques et apprendre. Cet effort mental implique un certain nombre d’étapes successives qui débutent par la nécessité de conserver en mémoire de travail l’information utile pour la tâche, et ce, le temps nécessaire pour l’analyser, la transformer, la mettre en relation avec d’autres informations, et éventuellement la mémoriser (i.e., la transférer dans la mémoire à long terme sous forme de souvenir ou d’apprentissage). Ces opérations demandent de l’attention à chaque étape. Le traitement de l’information est donc affecté par les limites de notre mémoire de travail et par celles de l’attention. Plus une tâche demande d’attention, plus elle est exigeante du point de vue de la charge cognitive. Il convient de noter que celle-ci diffère de la charge mentale qui englobe, quant à elle, une vision plus large incluant les aspects émotionnels et psychologiques de la gestion des responsabilités et des préoccupations quotidiennes comme professionnelles.
En premier lieu, les qualités attentionnelles associées à la mindfulness (Sumantry & Stewart, 2021 ; Verhaeghen, 2021 ; Yakobi, et al., 2021) posent l’intérêt de ce fonctionnement pour aider à gérer, voire diminuer, la charge cognitive. Une première cible est directement en lien avec les bénéfices cognitifs per se du fonctionnement mindful.
• La qualité attentionnelle permettrait de meilleures compétences de concentration dans la durée de la tâche. De plus, en se focalisant sur une tâche à la fois et en minimisant les distractions, le fonctionnement mindful optimiserait l’utilisation des ressources cognitives disponibles. Il participerait ainsi à un travail plus efficace mais également à diminuer la fatigue mentale.
• Bien que les données demandent encore à être confirmées, le fonctionnement mindful serait associé à une un meilleur fonctionnement de la mémoire de travail. En augmentant la capacité de la mémoire de travail, on réduit la surcharge cognitive causée par la nécessité de retenir et de manipuler plusieurs informations simultanément.
• Enfin, en encourageant une approche plus monofocale des tâches, le fonctionnement mindful participerait à une réduction du multitâche. Le multitâche, bien que souvent perçu comme productif, augmente en réalité la charge cognitive en forçant le cerveau à jongler entre plusieurs tâches. En se concentrant pleinement sur une seule tâche à la fois, la charge cognitive s’en trouve de fait allégée pour permettre une réalisation séquentielle plus sereine de l’ensemble des tâches allouées.
Ensuite, les bénéfices du fonctionnement mindful pourraient réduire la charge mentale par une meilleure appréhension de l’impact des responsabilités sur la gestion des défis professionnels, notamment en situation de crise (Gonzáles-Palau & Medrano, 2022).
• La mindfulness aide à réduire le stress et l’anxiété, qui sont souvent des sources importantes de charge cognitive. En apprenant à se concentrer sur le moment présent, les individus peuvent diminuer les pensées ruminatives et les préoccupations excessives qui occupent une grande partie de la capacité cognitive. Cette meilleure gestion du stress et de l’anxiété qui a été associée au fonctionnement mindful agirait finalement à la fois sur la charge cognitive et la charge mentale.
• La pratique de la mindfulness aide à développer une meilleure résilience face aux défis et aux stress quotidiens. Cela se traduit par une meilleure gestion des émotions et une diminution des pensées automatiques négatives, ce qui libère des ressources cognitives pour d’autres activités. Le renforcement de la résilience mentale apparaît comme un prérequis pour la gestion de la charge cognitive.
• En promouvant des pauses régulières et une prise de conscience des besoins mentaux et physiques, la pleine conscience aide à prévenir l’épuisement mental. Ces pauses permettent de recharger les capacités cognitives et d’améliorer la performance globale. Il convient ainsi de considérer l’impact du stress professionnel dans la durée et l’importance de cibler la diminution de l’épuisement mental pour permettre aux acteurs à responsabilités de mieux gérer leur charge mentale et de libérer le plus de ressources pour sa gestion.
Enfin, des données encore à confirmer soulignent l’intérêt de la mindfulness pour la gestion des tâches cognitives en situation opérationnelle, non seulement parce que le fonctionnement mindful est associé à davantage de créativité (Henriksen, et al., 2020) mais aussi parce qu’il pourrait limiter les biais cognitifs (Maymin & Langer, 2021) dans la prise de décision. Cet effet est d’autant plus pertinent que les biais cognitifs sont décrits comme particulièrement présents lorsque la charge cognitive est importante et que le sujet est fatigué et/ou stressé.
Conclusion
La mindfulness reflète une capacité d’attention et de conscience qui se réfère à tous les événements et expériences du moment présent, à la fois en lien avec les stimuli internes et externes, et ce, avec acceptation et sans jugement. Elle peut être entraînée par des programmes de formation et/ou d’entraînement utilisant la méditation. Les données disponibles dans la littérature posent ce fonctionnement comme opérant non seulement pour la gestion de la charge cognitive, particulièrement en situation opérationnelle, mais aussi pour la régulation de la charge mentale dans la durée de la mission.
Éléments de bibliographie
Bailey Neil W., Baell Olivier, Payne Jake E., Humble Gregory, Geddes Harry, Cahill Isabella, Hill Aron T., Chung Sung W., Emonson Melanie, Murphy Oscar W. & Fitzgerald Paul B., « Experienced Meditators Show Multifaceted Attention-Related Differences in Neural Activity », Mindfulness, 14, 2023, p. 2670-2698. https://doi.org/10.1007/s12671-023-02224-2.
Dehaene Stanislas (dir.), Apprendre à lire : Des sciences cognitives à la salle de classe, Odile Jacob, 2011, 160 pages.
González-Palau Fátima & Medrano Leonardo A., « A Mini-Review of Work Stress and Mindfulness: A Neuropsychological Point of View », Frontiers in Psychology, 13, 2022, 854204. https://doi.org/10.3389/fpsyg.2022.854204.
Grossman Paul, « On Measuring Mindfulness in Psychosomatic and Psychological Research », Journal of Psychosomatic Research, 64(4), avril 2008, p. 405-408. https://doi.org/10.1016/j.jpsychores.2008.02.001.
Henriksen Danah, Richardson Carmen & Shack Kyle, « Mindfulness and Creativity: Implications for Thinking and Learning », Thinking Skills and Creativity, 37, septembre 2020, 100689. https://doi.org/10.1016/j.tsc.2020.100689.
Hölzel Britta K., Lazar Sara W., Gard Tim, Schuman-Olivier Zev, Vago David R., & Ott Ulrich, « How Does Mindfulness Meditation Work? Proposing Mechanisms of Action from a Conceptual and Neural Perspective », Perspectives on Psychological Sciences, 6(6), 2011, p. 537-559. https://doi.org/10.1177%2F1745691611419671.
Maymin Philip Z. & Langer Ellen J., « Cognitive Biases and Mindfulness », Humanities and Social Sciences Communications, 8, 2021, 40. https://doi.org/10.1057/s41599-021-00712-1.
National Institute of Health, « Mindfulness for your Health. The Benefits of Living Moment to Moment », NIH News in Health Newsletter, n° 6, Washington DC, US Government Printing Office, juin 2021. https://newsinhealth.nih.gov/2021/06/mindfulness-your-health.
Kabat-Zinn Jon, « Mindfulness-Based Interventions in Context: Past, Present, and Future », Clinical Psychology: Science and Practice, 10(2), 2003, p. 144-156. https://doi.org/10.1093/clipsy/bpg016.
Sumantry David & Stewart Kathleen E., « Meditation, Mindfulness, and Attention: A Meta-Analysis », Mindfulness, 12(6), 2021, p. 1332-1349. https://doi.org/10.1007/s12671-021-01593-w.
Verdonk Charles, Trousselard Marion, Canini Frédéric, Vialatte François & Ramdani Céline, « Toward a Refined Mindfulness Model Related to Consciousness and Based on Event-Related Potentials », Perspectives on Psychological Sciences, 15(4), 2020, p. 1095-1112. https://doi.org/.
Verhaeghen Paul, « Mindfulness as Attention Training: Meta-Analyses on the Links Between Attention Performance and Mindfulness Interventions, Long-Term Meditation Practice, and Trait Mindfulness », Mindfulness, 12(3), 2021, p. 564-581. https://doi.org/10.1007/s12671-020-01532-1.
Yakobi Ofri, Smilek Daniel & Danckert James, « The Effects of Mindfulness Meditation on Attention, Executive Control and Working Memory in Healthy Adults: A Meta-analysis of Randomized Controlled Trials », Cognitive Therapy and Research, 45, 2021, p. 543-560. https://doi-org/.
(1) Dans un souci d’exactitude de terme, et devant l’ambiguïté consubstantielle de la traduction, nous utiliserons donc dans ce travail le terme de Mindfulness comme un véritable néologisme. Par convention, un sujet « mindful » est considéré ayant une forte intensité d’éveil en conscience (meilleure capacité à observer, accepter et suspendre son jugement sur l’expérience en cours) et la propriété d’éveil en pleine conscience est la « Mindfulness ».