L’armée de Terre s’engage sur le chemin de la robotisation pour accroître ses capacités opérationnelles, mais les systèmes robotiques militaires semi-autonomes seront déployés sous le contrôle d’un chef militaire pour des fonctions non létales.
L’impact des systèmes robotiques militaires pour l’armée de Terre et les enjeux liés à leur autonomie
La formidable transition capacitaire que représente Scorpion (1) est l’opportunité idéale pour permettre à l’armée de Terre de développer une capacité robotique propre à sa vision de l’action terrestre future. Cette capacité permettra notamment de générer des effets de masse : « la robotisation et l’automatisation de certaines tâches (systèmes de surveillance, de protection de la force et de détection des menaces, flux logistiques) visent à accélérer le rythme opérationnel pour augmenter le rendement de la force. » (2). Armée de haute technologie, l’armée de Terre se tourne résolument vers la robotisation qu’elle développe, notamment via son Battle Lab Terre, réponse directe à son besoin d’innovation technico-opérationnelle en boucle courte.
Par système robotique militaire, elle entend système terrestre, aérien ou naval caractérisé par un champ d’action variable qui dépend du niveau d’automatisation de ses fonctions propres. Le système est destiné à réaliser des tâches ayant pour objectif un effet d’intérêt militaire. Son emploi relève d’une décision de chef et d’une responsabilité humaine. Si l’usage des systèmes robotiques a et aura un impact sur la réalisation des missions de l’armée de Terre, leur degré d’autonomie pose des questions éthiques, juridiques et d’acceptabilité qu’il convient d’analyser dans le détail et de cadrer. Il n’est ainsi pas question que les robots et drones militaires écartent le combattant du champ de bataille.
L’emploi de Systèmes d’armes létaux autonomes (Sala) est une ligne rouge que l’armée de Terre ne franchira pas. En revanche, d’ici 2030, nous nous fixons l’objectif de développer des robots et drones autonomes non létaux, véritables équipiers sur lequel le combattant pourra s’appuyer pour des missions extrêmement variées comme l’ouverture d’itinéraire ou encore le convoi logistique. À cette échéance, l’armée de Terre devra également maîtriser la capacité d’annihiler le robot autonome de l’adversaire, létal certainement. D’ici là, elle s’appuiera de façon croissante sur des systèmes téléopérés ou programmés, juxtaposés puis intégrés qui la prépareront au bon usage du robot autonome non létal en 2030.
Comme le soldat demeure au centre de l’acte guerrier, le chef militaire responsable assume pleinement la responsabilité de l’emploi qu’il fait des systèmes robotiques dont il dispose, à l’instar des autres unités et moyens mis à sa disposition. Le robot/drone est donc bien un système qui contribue à accroître la capacité opérationnelle de l’armée de Terre sur les champs de bataille actuels et futurs mais dont le chef militaire doit maîtriser les effets pour conserver le contrôle et la responsabilité de la mission.
Multiplicateurs d’efficacité opérationnelle
Si l’utilisation de systèmes de robots terrestres va se développer au sein de l’armée de Terre, celle-ci n’est pas nouvelle. Dès les années 1990, des robots étaient utilisés au profit des équipes de déminage (minirobot ou char de déminage télécommandé). L’opération Pamir en Afghanistan a définitivement installé l’emploi des drones préexistants (SDTI (3) et DRAC (4)) et introduit de nouveaux minirobots et drones du Génie (Minirogen (5) et DroGen (6)) déployés en urgence opérationnelle dans ces unités pour la lutte contre les Engins explosifs improvisés (IED). Plus récemment, d’autres systèmes robotisés ont été déployés en opérations comme sur le territoire national. On peut citer les nano-drones Black Hornet pour la reconnaissance de sites et le suivi de personnes d’intérêts.
Ces systèmes sont des multiplicateurs d’efficacité opérationnelle. Ils participent à la compréhension de l’espace de bataille, à la performance du commandement et à l’agilité des unités. En ce sens, la robotique facilite la réalisation des missions de l’armée de Terre dans leur diversité et s’intègre plus largement dans sa vision de l’Action terrestre future. Au service du combattant, les systèmes robotiques ont vocation à améliorer sa protection en réduisant son exposition aux dangers du champ de bataille et en préservant ainsi son potentiel. Le développement de convois logistiques semi-autonomes ou encore de « mules » déchargeant les soldats d’un groupe de combat de leur sac de vie en campagne et de munitions supplémentaires, et la diffusion des micro-drones jusqu’au niveau du groupe d’infanterie comme « jumelles de vision déportée J+N » contribueront à cet effet. Les robots et drones participeront également à dégager le combattant des tâches réalisables par des machines pour le recentrer sur ses tâches essentielles. L’ensemble des missions de surveillance passive d’emprise militaire pourrait être ainsi réalisé par des systèmes téléopérés puis autonomes à terme. Plus largement, ces systèmes devraient permettre de produire des effets que l’homme ne parvient pas à produire et susceptibles de lui procurer un avantage sur son adversaire. Ainsi, l’emploi de mini-drones de reconnaissance et de drones tactiques de surveillance permettant de désigner un objectif permettra à l’homme le tir au-delà de la vue directe. Dans le domaine logistique, des convois autonomes permettront d’allonger les distances et les cadences de livraison puisqu’indépendants de la fatigue humaine des équipages. Enfin, l’emploi généralisé des systèmes automatisés tactiques permettra à l’armée de Terre de faire face plus globalement aux évolutions du combat moderne et d’être plus résiliente face à la dangerosité croissante de l’adversaire qui disposera de tels moyens, quel que soit son statut (symétrique, dissymétrique ou asymétrique).
Ces systèmes doivent s’intégrer dans l’ensemble des moyens mis à la disposition du chef militaire pour remplir sa mission et s’inscrire dans des doctrines d’emploi interarmes et interarmées. Leur plus-value, combinée avec les autres capacités, doit être évaluée à chaque mission et leur emploi adapté en conséquence.
L’armée de Terre, première armée d’Europe, doit se tourner vers l’utilisation de systèmes robotiques pour tenir son rang et maintenir un tempo de développement garantissant l’interopérabilité et sa place parmi ses alliés, tout en évitant le risque de décrochage capacitaire vis-à-vis d’un adversaire qui saura utiliser toutes les opportunités offertes par le progrès et l’innovation. Les nouveaux enjeux de défense identifiés dans ATF nous offrent quelques tendances envisageables dans ce secteur. De nombreux États comme la Russie (protection de sites nucléaires par des robots) ou encore la Chine (développement à marche forcée de l’Intelligence artificielle, IA) s’affirment comme de futurs champions du développement de robots de haute technologie. Des acteurs non-étatiques détournent, quant à eux, la technologie civile démocratisée pour développer une robotisation du pauvre. L’utilisation de drones civils de loisir transformés par Daech pour emporter des charges explosives ou grenades en est un exemple récent.
Plus globalement, les pays occidentaux devront produire des systèmes de haute technicité pour conserver une supériorité technologique indispensable mais qui ne préserve pas pour autant des capacités dites égalisatrices comme les smartphones, les drones civils transformés ou encore des petits engins explosifs au sol. Les prochains conflits verront s’affronter sur un même champ de bataille ces objets technologiques au service de la réalisation d’une mission planifiée par un chef militaire. Leur prise en compte, aussi bien dans l’étude des modes d’actions ennemis qu’amis, est de la responsabilité de ce chef.
Dans l’absolu, l’armée de Terre doit disposer de systèmes robotiques fiables (robustesses physiques et électroniques des systèmes), résilient au brouillage et précis (capteurs) mais également employables dans des milieux et des climats extrêmes. La résilience de ces systèmes est un enjeu majeur dans la montée en puissance des robots/drones autonomes non létaux d’ici 2030. Dans la pratique, il faudra savoir faire preuve de discernement et d’opportunisme quant aux performances selon les emplois. Le projet Éclaireur de robotique terrestre, premier projet porté par le Battle Lab Terre, a ainsi vocation à expérimenter les usages opérationnels permis par différents types de plateformes automatisées terrestres modulaires destinées à l’appui des unités au contact. Cela facilitera également l’expression du besoin pour les futurs standards de robotique terrestre jusqu’à 2030.
Ces systèmes doivent bénéficier à l’ensemble de l’armée de Terre dans la mesure où il n’y a pas de fonction opérationnelle robotique mais bien de la robotique dans toutes les armes. Par le biais de Scorpion, l’armée de Terre développe un combat infovalorisé dont certaines fonctions seront automatisées (sur les véhicules Griffon et Jaguar : détecteur laser, acoustique, proposition automatisée d’action de protection ou d’agression des systèmes d’armes) et à termes, couplées avec des robots et des drones. Cela répond à l’ensemble des besoins et missions de l’armée de Terre dans les domaines : du commandement (aide à la décision tactique, aide à l’entraînement), du combat embarqué et débarqué (aide au pilotage, riposte automatisée), de l’appui-feu (drone pour détecter et désigner des objectifs), du renseignement (capteurs fixes ou mobiles de guerre électronique, radar, multicapteurs opérant seul ou en réseau, brouillage, déception), de la logistique (convoi logistique automatisé, évacuation de blessés, drones ravitailleurs), du génie (ouverture d’itinéraire, déminage, lutte contre les IED, bréchage), des transmissions (mise en réseau via des relais radios automatisés ajustant leur position géographique en fonction de la manœuvre). La liste des possibles applications n’est pas exhaustive.
Le développement de ces systèmes, jusqu’au degré de l’autonomie envisagé en 2030, devra, comme n’importe quelle autre capacité, s’inscrire dans une approche complète : doctrine et emploi (7), organisation et ressources, équipements, soutien, formation et entraînement (8).
Si les systèmes robotiques militaires contribueront de manière croissante aux missions de l’armée de Terre en devenant, à terme, de véritables équipiers du combattant, la terminologie de mission, indissociable de la notion de responsabilité, continuera à relever exclusivement du champ d’action de l’homme. Même en rejetant le spectre du robot/drone tueur (dont, rappelons-le, l’adversaire ne s’affranchira pas), le degré d’autonomie de ces systèmes utilisés dans la réalisation d’une mission ne peut se défaire d’une réflexion éthique et juridique.
Autonomie maîtrisée par l’homme
L’autonomie d’un système robotique sous-tend sa capacité à être gouverné pas ses propres règles. Beaucoup trop large, cette définition a dû être déclinée au sein de l’armée de Terre en semi-autonomie et pleine autonomie. Le niveau d’autonomie d’un drone/robot peut être caractérisé par les adjectifs téléopérés, supervisés, semi-autonomes ou pleinement autonomes selon le niveau d’automatisation de chacune de ses fonctions. Un système téléopéré est un système sans équipage à bord, opéré à distance par un équipage via des moyens de télécommunication. Un système automatisé est soit :
a) supervisé, c’est-à-dire que ses tâches de base (navigation du système, observation, tenue de situation et pointage des armements) sont automatisées,
b) semi-autonome, c’est-à-dire qu’il exécute ses tâches sans intervention humaine au-delà de la programmation initiale,
c) pleinement autonome, c’est-à-dire qu’il n’a pas de liens de subordination (contrôle et désactivation) avec la chaîne de commandement.
Pour l’armée de Terre, l’autonomie des systèmes automatisés non létaux envisagée en 2030, ne se passera pas d’un environnement commandé par un chef militaire, quelle que soit la mission envisagée.
Si les systèmes robotiques militaires sont appelés à se développer, ils demeurent des outils réalisant des tâches au profit de l’homme. Le chef militaire doit pouvoir rester responsable de l’usage qu’il fait des moyens automatisés dont il dispose, à l’instar des unités et autres moyens mis à sa disposition. Leur emploi relève donc toujours d’une décision militaire, c’est la garantie du respect de l’éthique dans l’emploi de la force. La question centrale de l’éthique sur le champ de bataille se résume ici à comment garantir un emploi juste de ces nouvelles capacités militaires. Pour être juste, l’utilisation de ces systèmes devra respecter le droit des conflits armés et leur emploi être conforme aux règles d’engagement du théâtre sur lequel on les met en œuvre.
Sur le plan éthique également, la place de l’homme dans la guerre signifie pour la Nation la prise de risque pouvant aller jusqu’au prix du sang. Si l’homme devait être remplacé sur le champ de bataille par un système autonome, cela pourrait questionner sur la portée politique d’une telle action militaire de la France, vis-à-vis de nos alliés mais également de l’adversaire. Plus largement, la perception par la population des théâtres d’opérations de ce type de systèmes devra faire l’objet d’une réflexion. De même, la perception par la Nation de ses soldats affrontant des systèmes autonomes potentiellement létaux chez l’adversaire doit être prise en compte. Il est ainsi indispensable que la France maîtrise en 2030 la capacité de neutraliser les robots/drones autonomes de l’adversaire.
Sur le plan légal, les systèmes robotiques, même autonomes, resteront dénués de personnalité juridique. La responsabilité juridique sera donc bien humaine, c’est-à-dire celle du chef militaire employant ces systèmes sur le champ de bataille. La conformité à la loi des robots au regard du droit des conflits armés devra être systématiquement vérifiée (Protocole additionnel I de 1977 aux Convention de Genève).
L’usage de ces systèmes, même valorisés par l’IA (9), doit être éthiquement et juridiquement borné. Ceux-ci ne constituent en aucun cas une fin en soi, mais doivent faire partie de la panoplie de moyens mis à la disposition du chef militaire pour remplir sa mission. L’engagement de systèmes automatisés tactiques seuls pourrait être une limite à leur plus-value. La complémentarité combattants-machines semble être dimensionnante pour une bonne prise en compte de la complexité d’une situation de combat. L’engagement de systèmes automatisés tactiques sera intégré à la manœuvre de manière à démultiplier les effets produits par la combinaison combattants-machines. Dans le prolongement des systèmes de robots et de drones actuels, le plus souvent téléopérés ou supervisés, les systèmes futurs trouveront leur place en fonction de leurs capacités et de leur degré d’autonomie dans la réalisation de tâches plus ou moins complexes. Si les systèmes les plus basiques continueront à être utilisés comme des outils, les systèmes les plus aboutis pourront aussi être utilisés comme des équipiers capables d’accomplir des tâches de plus en plus complexes, et non des missions engageant la responsabilité humaine, de manière autonome. Les robots coopératifs (cobots) devront ainsi se généraliser comme véritable équipiers autonomes du combattant.
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Armée de haute technologie et de premier rang, l’armée de Terre s’engage résolument sur le chemin de la robotisation. Il s’agit aujourd’hui de consolider ses capacités, d’élargir le champ d’action des systèmes automatisés et de préparer l’avenir. Cette préparation de l’avenir doit prendre en compte la question centrale de l’éthique du champ de bataille avec des systèmes robotiques militaires futurs non létaux dont l’autonomie pourrait être sans limite. L’armée de Terre considère donc que le robot/drone est un système qui contribue à accroître sa capacité opérationnelle sur les champs de bataille actuels et futurs mais dont le chef militaire doit maîtriser les effets pour conserver le contrôle et la responsabilité de la mission. Ainsi, si les systèmes robotiques sont porteurs d’innovation et d’opportunités opérationnelles à ne pas manquer, leur usage doit être celui d’un moyen parmi d’autres mis à la disposition du chef militaire pour remplir sa mission et vaincre l’adversaire. Le développement de la fiabilité et de la résilience de l’intelligence artificielle, indissociable des axes de recherches sur les systèmes automatisés, devrait à terme permettre la délégation d’action voire de décision au robot/drone dans le cadre d’une mission commandée. ♦
(1) Programme dont la DGA assure la maîtrise d’ouvrage qui vise à assurer la modernisation des Groupements tactiques interarmes (GTIA) afin d’accroître dans une approche globale et cohérente leur efficacité et leur protection, en utilisant au mieux les nouvelles capacités d’échanges d’informations. Source : DGA (www.defense.gouv.fr/).
(2) État-major de l’armée de Terre, Action terrestre future : demain se gagne aujourd’hui, septembre 2016, p. 40 : étude de « La masse » comme « Facteur de supériorité opérationnelle (FSO) » (www.defense.gouv.fr/). Ce document prospectif est destiné à orienter et éclairer l’armée de Terre vers le futur (horizon 2035).
(3) Système de drone tactique intérimaire ou Sperwer (Sagem).
(4) Drone de reconnaissance au contact ou Tracker (EADS).
(5) Mini robot du Génie, développé par ECA Robotics.
(6) Drone du Génie, développé par ECA Robotics.
(7) Concept d’emploi des systèmes automatisés tactiques – robots et drones – de l’armée de Terre en cours de rédaction.
(8) Doctrine, organisation, ressources humaines, équipement, soutien et entraînement (Dorése).
(9) Sujet à part entière non traité dans cet article mais intimement lié au développement des systèmes automatisés.