Comment, à partir d’un évènement vécu de maintien de l’ordre, identifier des pistes d’augmentation des policiers. L’auteur a souhaité, à travers une vision de terrain, mettre en lumière les contraintes opérationnelles pesant sur les agents de maintien de l’ordre et en tirer les enseignements permettant d’envisager des besoins d’augmentation de leurs capacités.
L'article n'engage que son auteur.
Le Maintien de l’ordre et l’augmentation : de la réalité aux besoins, la manifestation du 15 septembre 2016 à Paris
L’engagement
Le 15 septembre 2016 à 04 h 15, la CRS 13 (1) se rassemble et fait mouvement vers Paris afin d’être intégrée dans un groupement opérationnel de 11 compagnies mis à disposition de la Préfecture de Police de Paris à l’occasion du conflit contre la loi Travail. À 10 h 45, accompagnée de TI520 (2), l’unité prend place Gare du Nord. Elle y procède sans difficulté majeure au contrôle de la zone afin d’éviter le regroupement de casseurs. Vers 14 h 45, sur instructions du centre de commandement, la CRS 13 et TI520 font mouvement sur la tête de manifestation.
Leur mission consiste à intégrer un nouveau dispositif tactique dénommé le « Tube ». Il s’agit pour l’unité de flanc-garder au plus près une partie du cortège des manifestants. En l’occurrence, elle couvre le flanc droit d’une « nébuleuse composée de plusieurs centaines de casseurs avides d’en découdre » (3). C’est un dispositif tactique en cours de rodage qui s’inspire de la gestion allemande du maintien de l’ordre. Ce déploiement contrevient à l’un des trois principes du maintien de l’ordre français celui de la distanciation entre les forces de l’ordre et les manifestants. De plus, il présente l’inconvénient d’étaler la ligne et de lui faire perdre en épaisseur et en profondeur. Il n’autorise que très peu de capacités de projection en raison du contact qu’il induit avec la foule. Mais il interdit aussi le repli car, en suivant la progression du cortège, l’unité se trouve adossée à des immeubles qui sont autant d’obstacles à la manœuvre.
Quant aux contestataires appartenant en grande partie à la mouvance ultra- gauche, ils sont déterminés, équipés et développent une organisation tactique naissante : « Nous constatons la présence de plusieurs centaines d’individus cagoulés, masqués, équipés de lunettes de protection et rassemblés en groupes tactiques de type “black block” (4) ». Ils ont comme objectifs prédéterminés tout symbole du « monde capitaliste » et son bras armé que représente pour eux la police.
Dès le début du défilé, les incidents éclatent, la mouvance anarcho-autonome prend la tête du cortège et s’arroge la maîtrise de l’action. « À plusieurs reprises, entre “Filles du calvaire” et “République”, il a été nécessaire de procéder à des bonds offensifs et charges pour repousser les assauts de ces groupes hostiles » (5). Le niveau de violence est très rapidement élevé, coordonné. La manifestation traditionnelle sert de refuge aux émeutiers et certains points du cortège sont des sources d’approvisionnement en projectiles plus ou moins propulsés mais surtout en engins incendiaires improvisés. « Constatons également que les manifestants sont approvisionnés en engins incendiaires explosifs et bouteilles incendiaires, au niveau de la partie centrale de la place de la République » (6). Une manœuvre coordonnée d’estoc pourrait les en priver mais ce choix n’est pas retenu pour des raisons de risques de réactions solidaires de l’ensemble des manifestants et de mouvements de foule incontrôlés que la manœuvre peut déclencher. Arrivée Place de la République, l’unité est chargée de contrôler le débouché du Boulevard du Temple. Elle subit des attaques répétées, jets de projectiles, de bitumes et d’engins incendiaires, qu’elle contient par des charges successives et par des lancers de grenades lacrymogènes.
À 16 h 05, la CRS 13 reçoit l’ordre de porter assistance à une section isolée de la 11CI (7) de la Préfecture de Police très violemment prise à partie. Elle est contrainte de se déployer de nouveau en ligne le long des immeubles pour atteindre son objectif et subit jusqu’à 16 h 35 de très nombreux jets d’engins incendiaires : « un de mes hommes s’enflamme brièvement… un autre sera brûlé aux deux cuisses au second degré » (8). Requis par un de ses chefs de section à court de grenades, le commandant de la CRS 13 lui remet ses propres munitions afin de tenir jusqu’au réapprovisionnement qui se révèle à l’instant impossible. Alors qu’il a terminé ce transfert et qu’il veut donner un ordre de tir à un de ses lanceurs Cougar afin de soulager la section de la 11CI mise à mal, le commandant et TI520 sont sciemment pris pour cibles et reçoivent de plein fouet un engin incendiaire et explosif qui en se déclenchant les entoure d’une boule de feu. « Le commandant de la CRS 13 est touché à la jambe et son uniforme prend feu. Un effectif bouclier est brûlé aux cuisses, tandis qu’un autre CRS a le bras droit en flamme. Nous sommes pris par l’effet de blast du souffle de l’engin explosif » (9). « (…) il y a eu une explosion qui a blasté le commissaire de Police qui s’est écroulé, et moi… je prends feu au niveau des jambes et les flammes me lèchent le corps jusqu’à mon visage » (10). Les hommes du commandant de la CRS 13 le couchent à terre, selon la procédure, et éteignent les flammes sous la protection des porteurs de boucliers alors que les projectiles pleuvent et qu’une partie de la foule hurle sa joie d’avoir touché des policiers. Le commandant se relève pour reprendre la tête de son unité, il fait quelques pas et s’écroule, il se relève de nouveau et tombe encore. À cet instant un chef de section le plaque contre le mur puis le fait évacuer par un groupe d’appui jusqu’à un restaurant transformé en poste de soins par les pompiers. Il est alors, après stabilisation de ses brûlures, transféré vers un hôpital avec d’autres policiers blessés. Le bilan de ses blessures fait apparaître trois nappes de brûlures, toutes au second degré, de la cheville à la cuisse droite et une quatrième au niveau du nez. Il se plaint de sensations de douleurs de brûlures à la jambe gauche.
TI520 quant à lui est brûlé aux bras, il perd l’équilibre et le sens de l’orientation. Il est pris d’acouphènes violents aux deux oreilles. Les effectifs de la 11CI le récupèrent et l’évacuent vers un passage abrité où des pompiers le prennent en charge et refusent malgré ses demandes, de le laisser reprendre son service. Il est évacué vers l’hôpital. Son bilan médical relèvera des brûlures au second degré sur le bras droit et un traumatisme sonore avec perte sensible de l’audition.
La CRS 13 sera commandée par le capitaine adjoint jusqu’à la fin de son service sur le terrain à 18 h 25. L’unité gagnera son cantonnement pour être finalement libérée à 19 h 30. Au final elle comptera dans ses rangs, 3 blessés hospitalisés et 15 contusionnés. Elle aura tiré ou lancé 25 grenades de désencerclement, 12 grenades à main et 42 grenades à fusil. Elle aura subi des jets de projectiles de 15 h 10 à 16 h 55 et réalisé de nombreuses manœuvres visant à alléger la pression, faire cesser les agressions ou contrôler sa zone d’action de 11 h 00 à 18 h 05.
Les pistes d’augmentation
Cette relation des événements, abordée sciemment du point de vue du terrain, permet d’identifier de vraies pistes d’augmentation. Avant même de focaliser sur l’événement majeur ayant entraîné les brûlures et blast de nombreux policiers, il est nécessaire de s’arrêter sur d’autres points pour lesquels l’augmentation peut être envisagée.
La CRS 13 a pris son service à 04 h 15 pour se voir libérée à 19 h 30 soit 15 h 15 de service continu intense avec des engagements très violents. Dans les situations de police et particulièrement de maintien de l’ordre, les contraintes pesant sur des policiers totalement immergés dans une société en paix, qui continue à fonctionner, qu’il convient de perturber le moins possible et dont les libertés fondamentales doivent être absolument préservées, rendent les missions très délicates et le déroulement du temps extrêmement usant. Les équipements lourds portés par les fonctionnaires (entre 22 et 46 kg par agent de maintien de l’ordre) sollicitent fortement les organismes. Très naturellement, les besoins en améliorations s’identifient ici rapidement. Ils nous orientent vers l’hypothèse de la pharmacopée qui autoriserait une forte résistance à la fatigue et au stress. On pourrait aussi penser à des compléments alimentaires permettant de compenser les pertes en nutriments essentiels.
Les ressentis du commissaire et du commandant laissent transparaître dans les échanges que nous avons pu réaliser ensemble, sans qu’eux-mêmes ne le verbalisent explicitement, un déficit d’informations sur le sens de la manœuvre de soutien à la 11CI au-delà de la simple assistance à une unité. Si les objectifs majeurs sont clairement définis dès le départ par le Directeur du Service d’ordre, le traitement des micro-objectifs semble s’imposer aux chefs tactiques sans que leur origine ne soit bien comprise et intégrée dans l’idée générale de manœuvre. Le sens de leur action se limite alors à l’effet majeur à obtenir au détriment d’une vision permettant de choisir la tactique adéquate. Il apparaît ici que le traitement de l’information doit être amélioré – et particulièrement son agencement – afin de permettre aux chefs tactiques de disposer d’une vision précise de la situation et des enjeux du microthéâtre couplés à ceux du champ opératoire. C’est donc d’une augmentation cognitive opérative et centrée sur leur environnement proche dont les autorités de terrain ont besoin à cet instant.
De même, afin de porter assistance à la 11CI, la CRS 13 adopte une progression d’estoc mais contrainte par la topographie et la promiscuité des contestataires, elle s’organise en colonne. Elle méconnaît à cet instant la gravité de la situation et le positionnement des agresseurs les plus violents et les plus déterminés. Elle engagera une colonne ténue entre un obstacle inamovible et des opposants agressifs, équipés, organisés et maîtres des lieux. En complément des augmentations cognitives opératives, un échange intégré et organisé des données produites par les différentes unités et agencées via un système d’aide à la décision, permettrait aux décideurs tactiques d’interagir entre eux à l’échelle de leur zone d’action et de rendre leurs manœuvres plus efficaces. Une action coordonnée de la CRS placée sur les latéraux des agresseurs (flanc gauche) eut allégé la pression à la fois sur la 11CI et sur les renforts de la CRS 13. Encore eut-il fallu pour cela que le champ tactique soit présenté en temps réel aux différents commandants d’unité afin qu’ils puissent coordonner leur action. C’est donc bien d’une augmentation cognitive tactique dont il est ici question.
Toujours dans le cadre du cognitif, nous pouvons aussi nous arrêter sur le moment précédent la blessure du commandant de la CRS 13 et de TI520. Le commandant se trouve dans l’obligation de différer légèrement un ordre de tir destiné à soutenir la 11CI en raison d’autres tâches qui l’accaparent. Il sera touché au moment où il donne cet ordre. Nous voyons ici que la charge cognitive du commandant est très élevée depuis que l’unité est engagée. Des ordres simples sont différés ou retardés par l’urgence, voire impossibles à donner. Il convient donc de s’interroger sur la pertinence d’un dispositif d’assistance par intelligence artificielle à disposition du chef d’unité afin de prendre en compte des routines ou des ordres simples après validation humaine. Nous sommes bien là dans un des principaux objectifs de l’augmentation qui vise à dégager du temps d’action en soulageant la charge cognitive.
Le projet Descartes (11) de la DCCRS (Direction centrale des CRS) œuvrant pour le compte de la DGPN (Direction générale de la Police nationale), vise à traiter et fournir de la manière la plus automatisée et intuitive possible les informations recueillies par les unités et le centre de commandement. Divers supports dont des lunettes à réalité augmentée seront intégrées au projet.
Enfin, l’intensité de l’engagement et le déplacement naturel du cortège au sein d’un dispositif de type « tube », très étanche, ne favorisent pas les chaînes de logistique opérationnelle. Le réapprovisionnement en moyens est notamment perturbé. Le brigadier-chef, chef d’une section de la CRS 13, se trouve à cours de grenades. De plus, le compartimentage et le mobilier urbain s’avèrent aussi des freins aux possibilités de ravitaillement.
Dans la même veine, on notera que des matériels spécifiques sont utilisés pour éteindre les agents en flamme et que des policiers évacuent les blessés vers des postes de soins. On constatera alors que la gestion des fonctionnaires blessés a nécessité des interventions humaines physiques et techniques. Il apparaît ici un besoin réel d’augmentation de la force et des capacités d’emport de matériels pour certains fonctionnaires spécialisés (12). Des options anthropotechniques sont alors envisageables. Les exosquelettes semblent pouvoir répondre à ces exigences opérationnelles.
D’autres problématiques peuvent encore être évoquées telles que la protection contre les projectiles, contre le bruit, les gaz et la protection des yeux notamment.
Augmentation et équipements du policier s’entremêlent alors comme réponses possibles à ces exigences. Nous y travaillons activement. Les lourds extincteurs portables actuellement en service ne répondent plus aux besoins. D’autres modèles plus légers, plus efficaces et multipliables sans obérer les capacités fonctionnelles des unités sont déjà à l’étude.
Il existe incontestablement de réels besoins d’augmentation des policiers en maintien de l’ordre. Mais il apparaît aussi que, dans un premier temps, il sera nécessaire de bien distinguer ce qui ressort du domaine du concept « équipement-formation-entraînement-aguerrissement », de ce qui relève de l’amélioration capacitaire individuelle.
Le maintien de l’ordre n’est indubitablement pas le seul domaine d’augmentation du policier, l’investigation, le commandement et le renseignement au-delà de l’ordre public, offrent aussi de nombreuses pistes de recherche. Mais avant de commencer ces études, devront être posées les bases humaines, éthiques, juridiques et administratives de l’augmentation du policier, acteur immergé dans la société. Le second article traitant du policier augmenté dans ce Cahier de la Revue Défense Nationale en esquisse les contours (p. 161-170).
Remerciements : L’auteur tient à remercier le Commissaire divisionnaire Olivier Bagousse et le Commandant Philippe Deroff pour leur active et précieuse collaboration qui a permis la rédaction de cet article. ♦
(1) Compagnie républicaine de sécurité n° 13.
(2) Indicatif radio de l’autorité habilitée par mandat du Préfet de Police à décider de l’usage de la force et attaché à une unité.
(3) Témoignage de TI520 recueilli par l’auteur.
(4) Ibid.
(5) Ibid.
(6) Ibid.
(7) 11e Compagnie d’intervention de la Préfecture de Police.
(8) Témoignage du commandant de la CRS 13 recueilli par l’auteur. Le gardien de la Paix brûlé aux jambes, alors que ses collègues lui procurent les premiers soins sera blasté par l’explosion d’un deuxième engin, celui qui touchera le commandant et le commissaire. D’autres fonctionnaires le seront aussi.
(9) Témoignage de TI520, op. cit.
(10) Témoignage du commandant de la CRS 13, op. cit.
(11) Descartes : Dispositif d’exploitation des systèmes de cartographie appliqué aux ressources terrestres engagées sur des services.
(12) On pensera particulièrement aux chefs de sections, aux secouristes-opérationnels, aux lanceurs de grenades…