Le pilote de chasse embarquée est confronté à de nombreux défis simultanés auxquels la technologie peut apporter des réponses pour augmenter ses capacités sur les plans de la performance, de la protection et de l’ergonomie, en agissant à la fois dans les domaines physique et cognitif.
Le soldat augmenté dans la chasse embarquée
Les enjeux liés aux océans incitent plus que jamais les hommes à être présents en mer. L’environnement marin est pourtant un milieu particulièrement hostile auquel ils sont intrinsèquement très peu adaptés. Ainsi, la prise de possession des espaces océaniques n’a été possible qu’avec l’aide de navires et de technologies procurant à l’homme l’augmentation nécessaire en termes de protection, de mobilité et de compréhension de l’environnement. Dans le domaine militaire, ceci s’est traduit par la constitution de marines de guerre aptes à opérer durablement et par tout temps en haute mer.
Au début du XXe siècle, l’avènement de machines volantes capables de s’élever pour observer à distance et de surprendre l’adversaire grâce à une vitesse de déplacement élevée fit naître l’idée d’une aviation maritime qui augmenterait spectaculairement les capacités navales. L’histoire ne tarda pas à confirmer cette idée, et depuis plus d’un siècle les grandes marines de guerre ont toutes développé une aéronautique navale, embarquée ou basée à terre, dont elles perfectionnent sans cesse les capacités en tirant parti des derniers progrès technologiques.
(Quartier-maître Le Garrec, pilote de chasse dans l'aviation maritime, devant son Sopwith en 1917 [© Association pour la recherche en documentation sur l'histoire de l'aéronotique navale, ARDHAN]).
La chasse embarquée a eu pour vocation, dès l’origine, d’offrir les plus hautes performances – notamment de vitesse – permises par l’aviation depuis une plateforme navale dédiée : le porte-avions. Dès lors, l’étude des principales augmentations mises en œuvre à bord du Rafale, aboutissement d’un siècle de perfectionnement des avions de chasse embarquée, permet d’illustrer les enjeux de l’augmentation et les principes qui doivent présider à sa mise en œuvre.
Le pilote de chasse embarquée est confronté à plusieurs défis simultanés. Il doit en premier lieu contrôler le vol de son appareil à hautes performances et, dans le même temps, résister aux agressions de l’environnement dans lequel il évolue (haute altitude, grande vitesse, facteurs de charge en évolutions de combat). Il doit également gérer la mise en œuvre d’un grand nombre de capteurs embarqués (radar, optronique, systèmes de guerre électronique et de communications) et assurer la conduite tactique de la mission (manœuvre coordonnée de la patrouille, évitement des obstacles et des menaces). Ces tâches simultanées et les enjeux qui y sont associés impliquent pour le pilote un risque de stress très important, notamment quand la charge de travail dépasse ses capacités cognitives. Le pilote doit pourtant conserver à tout moment la lucidité nécessaire pour employer ses armes avec discernement.
La technologie est donc bienvenue pour augmenter les capacités du pilote, mais il convient de rappeler que comme tout soldat, il doit avant tout posséder et entretenir les aptitudes nécessaires à la réalisation de ses missions : la condition physique, les connaissances techniques, les aptitudes psychotechniques et psychiques, et enfin, la valeur morale. La sélection initiale des pilotes prend en compte l’ensemble de ces aptitudes, lesquelles sont par la suite développées et entretenues tout au long de la formation et de la préparation opérationnelle.
Le Rafale, un système d’arme augmenté conçu pour produire un haut niveau de performance tout en facilitant les tâches du pilote
Les technologies intégrées au Rafale offrent au pilote de multiples augmentations en termes de performance, de protection et d’ergonomie, qui agissent à la fois dans le domaine physique (performances cinématiques, protection contre les agressions et l’environnement, réduction de la fatigue) et dans le domaine cognitif (rapidité et fiabilité d’analyse de situation, rapidité de perception et de traitement des menaces, réduction de la charge de travail).
Le Rafale est capable de pénétrer les espaces non permissifs à très grande vitesse et à très basse altitude, par tout temps, de jour comme de nuit. Ces performances lui permettent de conduire des missions de reconnaissance et d’attaque dans la profondeur en limitant les risques d’interception par les forces adverses (effet de surprise et capacité d’évitement des menaces). Il dispose d’une autonomie intrinsèque en vol de plus de deux heures, extensible jusqu’à dix heures avec ravitaillement en vol.
Les commandes de vol électriques du Rafale offrent une réponse précise, prédictible et homogène dans tout le domaine de vol. Le pilote automatique prend en charge une grande partie des tâches de pilotage, y compris dans des phases de vol complexes comme la pénétration à très basse altitude. Le pilote peut de ce fait se consacrer à la gestion tactique de sa mission, à l’emploi des capteurs et des armes avec une disponibilité largement accrue par rapport aux appareils de génération précédente.
Le cockpit du Rafale a été conçu pour optimiser la performance du pilote : le siège incliné et la disposition optimisée des commandes augmentent la résistance aux facteurs de charge lors des manœuvres de combat, et limitent la fatigue lors des vols de longue durée. La présentation des informations d’état des différents systèmes sous forme de synoptiques et de codes couleur facilitent leur interprétation rapide. Le viseur « tête haute » présente au pilote des informations de navigation ou de conduite de tir en superposition avec le paysage extérieur (réalité augmentée), ce qui les rend particulièrement faciles à exploiter. Le système de signalisation des pannes présente explicitement au pilote la liste des actions nécessaires, ce qui permet d’éviter le recours laborieux à la check-list papier.
Les informations issues des différents capteurs du Rafale (radar, optronique, système de guerre électronique…) et des autres appareils intégrés au réseau de liaison de données tactiques sont automatiquement agrégées et présentées au pilote sur un écran unique. La situation tactique ainsi élaborée est complétée par une symbologie matérialisant les volumes d’engagement des missiles du Rafale et des systèmes adverses, ainsi que les espaces aériens d’intérêt (frontières, corridors de transit, etc.). L’ensemble de ces informations est visualisé en superposition d’un fond cartographique, le pilote peut ainsi appréhender instantanément sa position et celle des autres mobiles par rapport au terrain et aux menaces. Ces principes améliorent la perception de la situation tactique de manière spectaculaire et facilitent les décisions d’engagement et d’évitement des forces adverses.
Le système d’autoprotection du Rafale détecte et identifie automatiquement les menaces (en particulier les radars et autodirecteurs électromagnétiques), en évalue la dangerosité, les présente aussitôt au pilote et propose des actions de brouillage et de leurrage appropriées. Ces fonctionnalités permettent au pilote de réagir sans délai pour adapter sa trajectoire et faire échec aux tirs adverses.
Il convient de noter qu’une grande partie des augmentations que nous venons d’évoquer peuvent être appliquées à tout type de combattant, c’est en particulier le cas pour l’ensemble des fonctions numériques de recueil, traitement et présentation de l’information. La numérisation de l’espace de bataille en cours dans l’armée de Terre en est d’ailleurs une illustration concrète.
Des augmentations choisies avec discernement
La plupart des augmentations offertes par le Rafale constituent des avancées significatives par rapport aux avions de combat de génération précédente. Certains domaines font toutefois exception.
Ainsi, la vitesse maximale du Mirage 2000 était de Mach 2,2, contre Mach 1,6 pour le Rafale. Il a en effet été jugé préférable de renoncer à la vitesse maximale techniquement atteignable, très coûteuse, et d’investir sur la portée du radar et des missiles pour assurer les performances attendues en mission d’interception.
De même, l’altitude de vol maximale du Rafale (50 000 pieds), est en retrait par rapport aux capacités du Mirage 3. L’acceptation de cette limitation a permis d’éviter les contraintes liées à l’emploi de la combinaison pressurisée, indispensable à la protection du pilote à très haute altitude. Les performances du missile MICA (Missile d’interception, de combat et d’auto-défense), et bientôt du Meteor, permettent toutefois l’interception des appareils évoluant au-dessus de 50 000 pieds.
(Pilote de l'aéronautique navale devant un Rafale Marine)
Enfin, dans le domaine de la protection du pilote, l’emploi d’un gilet spécifique compressant le thorax pour augmenter encore la résistance aux facteurs de charge a été envisagé pendant un temps, mais a été abandonné en raison du gain opérationnel jugé modeste en comparaison des contraintes d’emploi induites. Le pilote de Rafale utilise de ce fait un pantalon anti-g très comparable à celui employé sur les appareils de génération précédente.
Ces quelques exemples de renoncements illustrent la nécessité d’évaluer méticuleusement la valeur opérationnelle, la robustesse aux différents cas d’emploi et la soutenabilité (coût de possession) de chaque augmentation techniquement accessible. Les augmentations à retenir doivent en outre être choisies en veillant à la cohérence globale de la capacité résultante.
Des pistes de progrès
Le Rafale offre donc à nos pilotes de chasse un haut niveau d’augmentation et de cohérence opérationnelle, pour autant, de nouvelles technologies continuent d’émerger et leur exploitation doit être étudiée pour continuer à préparer l’avenir. Une des tendances lourdes de l’évolution technologique actuelle est l’importance croissante des échanges de données numériques, il est donc intéressant d’examiner les pistes d’augmentation futures de l’avion de chasse embarquée en considérant également les plateformes avec lesquelles il sera amené à coopérer. En effet, dans la perspective d’un système de combat collaboratif, le pilote sera en mesure d’interagir avec l’ensemble des systèmes intégrés au réseau. Tout capteur, engin téléopéré ou armement participant à la mission fournira en temps réel des informations utiles au pilote de chasse, qui pourra également leur transmettre ordres et requêtes, par exemple pour mettre à jour la position d’un objectif ou solliciter le recueil d’une information.
Ainsi, l’emploi de drones discrets capables de recueillir des renseignements et d’attaquer des objectifs à haute valeur dans les zones fortement défendues pourrait permettre d’améliorer les capacités d’action et la survivabilité des avions de combat pilotés. Le recours à des engins autonomes non récupérables à coût modéré pour localiser les systèmes de défense sol-air ennemis, provoquer leur activation en simulant un raid d’avions de combat, ou encore les saturer par le nombre est également envisagé.
Les armements supersoniques ou hypersoniques pourraient améliorer les capacités de pénétration des espaces contestés. La généralisation des armements connectés devrait permettre d’actualiser en vol les désignations d’objectif pour contrer les manœuvres d’esquive adverses et améliorer la maîtrise des dommages collatéraux.
Les progrès des capacités de traitement numérique devraient permettre d’envisager des capacités d’appontage et de ravitaillement en vol automatiques, applicables aux drones aériens embarqués, mais également aux avions de chasse embarquée pour augmenter encore la sécurité, tout en réduisant la charge de travail des pilotes et leurs besoins d’entraînement.
De la même manière, l’avènement de l’intelligence artificielle devrait permettre la mise au point de systèmes d’évitement automatique des obstacles (terrain, mauvais temps, autres aéronefs) et des menaces. L’orientation des capteurs, le tri des informations numériques recueillies, leur valorisation et leur distribution au sein de la force devraient également être réalisables automatiquement, au profit de l’accélération de la boucle décisionnelle. Ces fonctions pourront être appliquées aussi bien aux drones qu’aux avions habités et profiteront dans les deux cas à l’opérateur humain (opérateur de drone ou pilote).
L’emploi d’un viseur de casque et la superposition des images produites par les capteurs optroniques sur la représentation synthétique de la zone de travail sont envisagés pour faciliter les transitions « champ large » – « champ étroit » pour les pilotes et les opérateurs de drones. L’usage du son tridimensionnel pourrait permettre de percevoir instantanément à l’oreille la direction des menaces détectées par le système, ou la position relative d’un équipier lorsqu’il émet un message radio.
Pour les missions d’appui feu, la messagerie instantanée, le partage en temps réel des images des capteurs, de la situation tactique et des points d’intérêt entre les aéronefs et les troupes au sol devraient permettre d’accélérer les délais de traitement des cibles et la maîtrise des dommages collatéraux.
La mise en réseau des capteurs de veille de nos bâtiments de combat et de nos aéronefs devrait permettre d’améliorer la performance et la discrétion de notre capacité globale de détection et d’identification.
Enfin, l’exploitation des sources d’information ouvertes est envisagée pour compléter la panoplie de nos capteurs usuels afin de mieux déceler les activités illicites et de contrer les menaces asymétriques.
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L’augmentation des capacités du combattant n’est pas un fait nouveau et l’expérience acquise dans le domaine nous incite à rechercher toujours l’innovation, sans jamais perdre de vue la finalité opérationnelle. Toutes les opportunités d’augmentation doivent donc être étudiées, en évaluant au cas par cas leur apport réel pour les forces, leur robustesse aux différents cas d’emploi, leur soutenabilité et leur cohérence avec la capacité globale. ♦