Nouveaux outils et nouveaux pions tactiques pour le combattant, les systèmes robotiques vont progressivement révolutionner les usages militaires de demain.
Essai sur les nouveaux usages robotiques
À tout nouvel outil correspond une nouvelle façon de penser le travail. Un tel axiome peut tout à fait s’appliquer à la révolution qu’apportent les systèmes robotiques dans l’organisation et la manœuvre du champ de bataille de demain. Les systèmes robotiques sont en effet de nouveaux pions tactiques, voire de nouveaux pions de manœuvre, que le chef militaire va dorénavant utiliser en amont pour préparer son action, puis en appui pour faciliter sa progression, lui permettant de nouveaux effets sur l’ennemi, le terrain, l’occupation de l’espace et le rythme de l’action.
Ils vont lui permettre de contrôler le champ de bataille en y déportant des effecteurs ou des capteurs permettant de contrôler les divers dimensions et espaces du champ de bataille, terrestre, aérien, maritime et électromagnétique. Ces derniers vont ainsi progressivement déplacer le combattant en arrière de la zone de contact, afin de l’éloigner de la zone dangereuse et de réduire les risques, ou lui permettre de s’y plonger avec le maximum de moyens à sa disposition, diminuant ainsi significativement la vulnérabilité des combattants.
Enfin, graduellement l’introduction de fonctions présentant un degré avancé d’automatisation au sein de ces systèmes va progressivement laisser aux robots, ou à des systèmes de robots, dans un cadre d’emploi spécifique et borné par le chef militaire, la possibilité d’effectuer sans intervention humaine la tâche ou la mission qui lui aura été confiée, ainsi que d’adapter son comportement aux évolutions de la situation sur le terrain.
Cadre d’utilisation
Il est clair que l’utilisation des systèmes robotisés va dépendre du cadre d’emploi des forces armées et de la conflictualité à laquelle elles sont confrontées. Ainsi, comme le dit le colonel Éric Ozanne, l’occurrence de situations asymétriques demeurera très forte sans que l’on puisse écarter le retour à des confrontations sinon symétriques du moins dissymétriques. Les espaces d’engagement devraient s’élargir, tandis que les actions au milieu des populations en zone urbaine deviendront de plus en plus la norme, ainsi que la multiplication des acteurs sur les théâtres d’opération (1).
Concept d’emploi
Il apparaît trois grandes familles d’emploi de systèmes robotiques pour les engagements futurs :
1. Les systèmes robotiques de surveillance et d’observation de l’espace de bataille. Dotés d’une certaine autonomie, tout en restant subordonnés à un commandement militaire, ces systèmes seront actifs de façon omniprésente et nécessiteront des relais réguliers pour assurer en tout temps (24h/24 et 7 j/7) et toutes conditions les missions qui leur seront dévolues. Ces systèmes seront gérés au niveau opératif, par des unités de soutien en charge de leur déploiement en protection d’infrastructures, de frontières, ou au cœur de l’espace terrain occupé par les unités opérationnelles.
2. Les robots intégrés au sein des unités opérationnelles : ces robots sous la responsabilité des unités tactiques accompagneront le soldat dans son action militaire. Ils seront répartis au sein des unités qui en auront la responsabilité de mise en œuvre et d’emploi, du niveau groupe de combat au niveau de la compagnie en fonction du type de robots. Ils serviront à la fois à donner à l’unité un avantage opérationnel sur l’ennemi, mais aussi à réduire le risque et le danger d’exposition pour le combattant. Principalement dans les missions à dominante renseignement comme « éclairer » et/ou « reconnaître », les missions de sûreté comme le « contrôle de zone » et enfin la mission « appuyer » par leurs capacités de feu et de mouvement.
3. Les robots utilisés au sein de formations spécialisées ou détachées au niveau brigade en accompagnement et en soutien de la manœuvre, sur requête ou besoin. Ces formations spécialisées regroupent des métiers nécessitant une expertise technique et opérationnelle particulière que seule une formation dédiée peut couvrir dans certaines unités. Ces métiers embrassent notamment les spécificités interarmées de milieux et le combat électromagnétique, ou des logiques de concentration des efforts. Le robot pourra devenir un outil absolument indispensable, un partenaire de l’action militaire pour les soldats qui les utilisent. De même, tout comme les blindés lors de la Seconde Guerre mondiale, les robots peuvent être utilisés en masse pour porter un effort précis et des capacités de destruction sur un secteur déterminé du terrain : ce sont notamment l’emploi de systèmes robotisés en essaim ou en première vague lors d’une action offensive, ou bien pour couvrir un point particulier du terrain.
Caractéristiques du robot
Le système robotique militaire, ici pour l’exemple idéalisé c’est-à-dire s’affranchissant de toute contrainte technologique ou d’autonomie énergétique, a ceci de particulier qu’il offre le déport de capteurs et d’effecteurs en permanence sur zone. Un tel déploiement, outre qu’il élargit la zone d’action possible d’une unité, va permettre de baisser le délai de réponse d’une unité, soit pour sa prise de décision une fois le renseignement acquis, soit par l’utilisation de ses effecteurs déportés, ne laissant plus à l’ennemi la possibilité de maîtriser l’initiative par la surprise.
De plus, la machine est plus réactive et plus précise que l’individu. En effet, si l’individu met plusieurs secondes à réagir à un stimulus, la machine le fera, elle, de façon automatique en quelques millisecondes, sans même que son action ne soit visible par l’homme, permettant la protection optimale d’un dispositif en cas d’attaque ennemie. Les systèmes prendront en compte l’analyse de paramètres donnant une meilleure précision dans l’effet à obtenir afin de s’affranchir ou de compenser les effets du mouvement, les paramètres météorologiques tels que le vent, le brouillard, les conditions de visibilité (pénombre, nuit), etc.
Déportés au plus proche de l’action militaire, omniprésents ou projetables, ces systèmes robotisés restent cependant des outils dépendant d’un opérateur qui a la responsabilité de leur emploi et de leur configuration. Toute capacité de discernement sera celle de l’opérateur, le système effectuant exactement ce pourquoi il a été configuré.
Néanmoins, avec l’apparition de l’Intelligence artificielle (IA), le robot va progressivement acquérir une capacité d’analyse de la situation, allant jusqu’à lui permettre de gérer l’imprévisible, et de tendre vers une autonomie, laquelle doit rester sous supervision. C’est là que le chef militaire naturellement intéressé par la délégation d’une certaine forme d’autonomie à ses outils que sont les robots, doit intervenir pour contrôler la machine et donner du sens à l’action militaire tout comme nous le rappelle l’article du colonel Guillaume Venard et du même auteur dans ce Cahier (p. 118-132) : moins libre, il sera contraint par le pilotage et le contrôle de la machine ; plus libre, il sera dans son action, mais sous réserve qu’il puisse en garder le contrôle. Ainsi, inéluctablement, nous allons assister dans les décennies à venir à une progressive amplification des capacités autonomes de ces systèmes qui migreront vers une semi-autonomie dans le sens où l’opérateur militaire devra toujours s’assurer de :
– borner les capacités de la machine : par exemple, définir les limites de l’espace dans lequel ces systèmes pourront évoluer ;
– conserver une capacité d’accès direct à la machine pour la reprendre en main ou la désactiver ;
– recevoir régulièrement des comptes rendus de cette machine sur son état propre et sur ses objectifs de mission.
Nouvelles méthodes de combat
Le champ des possibles est immense avec les robots militaires et va très probablement être une des modifications majeures de l’art de faire la guerre à l’avenir. Sans vouloir être exhaustif, on s’attachera ici à donner quelques exemples des évolutions possibles des techniques de combat à venir.
La couverture robotique du champ de bataille
• L’omni-surveillance : le renseignement ne peut plus se passer de drones, que ce soit au niveau opératif (comme actuellement au Mali avec l’emploi des drones MQ-9 Reaper de l’Armée française), tout comme à l’échelon tactique lorsque la menace est à préciser, comme pour certaines missions de recherche des forces spéciales. La France équipée en satellite d’observation, va se munir de robots militaires d’observation au niveau opératif (à des altitudes d’une vingtaine de kilomètres comme le programme Stratobus de la société Thales) mais aussi pour la surveillance de certaines infrastructures militaires (bases, zones sensibles) ou dynamiquement sur des secteurs de terrain dans le cadre d’une action militaire.
• En complément de cette fonction de surveillance, la désignation de cibles permettra de transmettre les coordonnées précises de tout élément suspect ou toute cible potentielle, à valider par l’autorité militaire. Les robots seront ainsi en mesure de géolocaliser des cibles potentielles.
• Une infiltration de l’espace par des drones de taille moyenne voire miniaturisés, apportant des capacités d’observation directe, ainsi que de harcèlement et de menace pour ceux qui les emploient. Ceci sera particulièrement notable dans les espaces homogènes tels que les milieux aérien et maritime.
De nouvelles capacités offensives
• L’occupation de l’espace aérien 24h/24 rendant possible une omni-couverture et le déport d’effecteurs permanents sur zone va permettre une réactivité maximale et une réduction du cycle OODA (Observer, Orienter, Décider, Agir) en vue de traiter la menace dès sa concrétisation et, par réaction immédiate, d’éviter à l’ennemi de déployer son dispositif.
• Avec le déport d’une artillerie aérienne au plus près du contact : les robots embarquant des charges létales, activables à distance, vont progressivement investir la 3e dimension. Les unités opérationnelles auront ainsi la possibilité de lancer ces robots à des altitudes d’attente, pour déplacer au plus près de la menace une charge potentiellement activable.
• Concernant les Armes de l’infanterie et de l’artillerie, à moyen terme une évolution des mortiers terrestres en mortiers aériens tactiques (ou missiles d’opportunité) et l’apparition de systèmes de contre-artillerie robotique, poseront la question de la répartition de ces robots dans les unités, notamment au sein des unités de contact. En outre, les robots d’observation seront couplés aux moyens d’artillerie lourds classiques pour la désignation des cibles, permettant le déclenchement de tir à de plus grandes distances encore.
• Les écrans robotiques : comme les Russes l’ont historiquement initié à Lattaquié en Syrie en décembre 2015, des systèmes robotiques blindés et armés en avant des unités progresseront pour neutraliser les lignes ennemies et subir le premier choc des combats (2). Dans le même esprit, à l’avenir ce seront des formations compactes de drones terrestres et aériens qui tenteront de percer les lignes ennemies ou les fixer, comme les chars l’ont fait durant la Seconde Guerre mondiale avec l’appui de l’aviation, révolutionnant ainsi l’art de la percée après la cavalerie et les blindés. Après la percée ou la neutralisation de l’ennemi, suivra une phase d’exploitation de la situation, coordonnée par l’homme mais réalisée en complémentarité entre combattants et robots.
• Des capacités offensives plus ciblées par des systèmes robotiques de neutralisation à faible létalité et d’hyperprécision : tel que le robot Snibot exposé dans cet ouvrage (p. 83-94), qui intègre un algorithme d’« Exclusion des zones vitales » dans tout déclenchement du feu.
Et défensives
• Des unités aériennes robotiques spécialisées seront créées en fonction d’un effet précis à apporter sur le champ de bataille. Selon l’effecteur embarqué, on peut envisager un brouillage de proximité ou bien des décharges d’impulsion électromagnétique ciblée sur un équipement ennemi à neutraliser, voire d’intrusion. Notons par exemple qu’en 2017, 4 000 soldats de l’Otan ont été victimes d’une attaque massive russe de cyber-intrusion qui, à l’aide de drones spécialisés et d’antennes portables, ont pu accéder aux appareils mobiles personnels des militaires (3).
• Des systèmes déployables spécialisés dans la contre-menace robotique, neutralisant des drones d’observation ennemis, ou s’interfaçant entre des missiles ou des charges tirées et le dispositif à protéger. Si la robotique militaire apporte de nouveaux moyens de faire la guerre, l’ennemi ne se privera pas de l’utiliser à son profit comme le montrent les drones utilisés par Daech en Syrie et en Irak. Il faut donc pouvoir contrer les menaces ennemies par des moyens contre-robotiques qui prendront la forme de drones chasseurs ou d’intercepteurs de drones ennemis, ultra-réactifs, principalement dans la 3e dimension.
Soutien
• Des tâches de soutien comme le déplacement ou le transport seront déléguées à des plateformes robotiques, notamment pour le déplacement des véhicules en convoi sur les axes, ainsi que pour le ravitaillement au plus près en zone hostile. Dans le cas des convois, une composante escorte humaine sera indispensable pour assurer la protection de ces plateformes et intervenir si nécessaire. À l’inverse, pour un ravitaillement au plus près du danger, il sera préférable de risquer les plateformes seules plutôt que d’exposer des hommes à les accompagner.
• Plusieurs emplois verront leur mode opératoire se transformer par les robots. Citons le parachutage de colis en terrain difficile ou sur des zones occupées par des rebelles, des plateformes de parachutage robotisées, manœuvrables et guidées à distance depuis l’avion largueur, octroieront une meilleure précision dans la livraison au sol. Avec un retour caméra pour l’aide au pilotage depuis l’avion largueur et l’éventuelle aide d’une personne au sol pour éclairer ou indiquer la localisation.
• La lutte contre la vulnérabilité de ces systèmes va également nécessiter des mécanismes de protection. Ils sont en effet particulièrement sensibles au brouillage et ont une totale absence de protection contre la menace IEM (Impulsion électromagnétique, pouvant détruire des appareils électroniques et brouiller les télécommunications). L’instabilité du réseau de communication support lui-même peut entraîner des pertes de contrôle, ce qui ne sera résolu que par le développement de comportements autonomes par ces robots. De même, les données numériques utilisées par ces systèmes devront être cyberprotégées. Face à ces vulnérabilités, c’est dès la phase de design de ces systèmes que les ingénieurs doivent intégrer les conditions de sécurité minimale, en imaginant les pires scénarios et les réactions appropriées de ces machines, pouvant aller d’un retour en autonome à sa base de départ jusqu’éventuellement à une autodestruction si nécessaire.
Formation
• Meute de robots avec une intelligence collective qui lui permet de se déplacer en un ensemble cohérent, les formations en swarming (essaim), terrestre ou aérien, vont permettre de saturer un espace donné pour une action spécifique, allant du renseignement à une saturation par les feux. Reprenant exactement les formations de batailles aériennes ou terrestres en cours au sein des flottilles d’avions, de navires ou d’engins blindés, les robots en essaim s’articuleront pour une meilleure progression sur le terrain tout en respectant les principes de protection optimaux.
• La coordination de formations robotisées multirobots, avec chacun des fonctionnalités et spécificités différentes, devra être assurée au niveau de la coordination de l’action militaire au niveau des Sous-groupements tactiques interarmes (SGTIA).
Avec comme prérequis, la maîtrise des dimensions spatiales et cyber
• Actuellement, tout comme la maîtrise de l’espace aérien pour la domination du ciel est une première exigence pour le succès d’une opération, la maîtrise de l’éventail électromagnétique va en devenir une seconde. En effet, la numérisation de l’espace de bataille l’exige pour une disponibilité d’accès aux fréquences d’émission et l’usage de la bande passante requise. Cette maîtrise hertzienne suivra la conquête physique du ciel et impliquera la nécessaire protection de nos équipements déployés contre les agressions électroniques : les attaques IEM (Impulsion électromagnétique) et le brouillage ennemi. Ces deux aspects entraîneront le déploiement sur le théâtre d’unités spécialisées en appui de nos forces au contact.
• Une troisième exigence sera la nécessaire maîtrise des données échangées au sein du cyberespace, à savoir la protection des données face aux éventuelles cyber-attaques (destruction des données, altération, espionnage, etc.).
Vers un recul de l’homme du combat
Le combat entre unités robotiques est la future étape de cette évolution, pour s’assurer de la maîtrise de l’environnement tactique. Le combat au contact deviendra fortement robotisé, s’appuyant sur des machines sophistiquées analysant les menaces en temps quasi réel, prenant des décisions en fonction et déclenchant une action bien plus rapidement que l’être humain ne pourrait le faire (émission d’une alarme, pointage automatique d’un effecteur vers la direction dangereuse, activation de ce même effecteur, repositionnement, recul vers une position stratégique en arrière, etc.).
Ceci s’opérera de façon notable dans la 3e dimension où, tout comme l’aviation à ses débuts, les premiers robots vont progressivement s’articuler en formations constituées, reprendre les tactiques d’approche par surprise, augmenter leur protection par des systèmes d’évitement et de leurrage, et même développer des stratégies de sacrifice pour faire face à des menaces de destruction ciblées ou saturantes.
Arrêtons-nous quelques instants sur le combat aérien du futur : en ce début du XXIe siècle, force est de constater que l’évolution du coût des aéronefs de combat depuis leur origine est telle qu’elle va impliquer une adaptation des programmes d’armement futurs. À coût constant, on peut en effet approximer que :
1 F-35 = 2 Rafale = 10 MQ-9 Reaper = 100 SDTI (4) = 230 Spitfire
Or, une telle hausse quasi-exponentielle des coûts ne peut se poursuivre à ce rythme, les systèmes devenant trop onéreux du fait de l’intégration de technologies hautement complexes dans un espace restreint (l’avion). Une réponse à long terme peut être de changer de paradigme et de décomposer et distribuer les fonctions systèmes sur des plateformes avec pilote et des plateformes sans pilote (UAV). La plateforme avec pilote resterait la pièce centrale et décisionnelle, entourée d’autres plateformes inhabitées pour à la fois assurer sa protection et déporter des effets avec une meilleure réactivité et précision. Cet éclatement aurait également l’effet vertueux de réduire les coûts de développement, ainsi que les cycles des programmes d’armement, les évolutions des modules fonctions systèmes devenant décorrélées dans le temps, ainsi que leurs certifications.
En outre, étant donné qu’un aéroplane voit sa manœuvrabilité réduite par les capacités physiques de l’homme (un pilote entraîné, qui est déjà un individu aux caractéristiques exceptionnelles, ne peut supporter ponctuellement que moins de 10 G au maximum et est de plus un poids embarqué), le fait de rendre inhabités les aéronefs du futur leur assurera une bien meilleure manœuvrabilité.
L’avenir apparaît ainsi comme une inéluctable évolution vers des systèmes aériens de cohabitation pilote/robots, permettant une complémentarité entre l’homme et les machines qui sont à son service. Surviendront dès lors des drones spécialisés dans la surveillance et la détection, la protection, le leurrage et la diversion, la neutralisation, la guerre électronique, le tout avec une possibilité de déports de ces drones pour assurer l’occupation de l’espace aérien 24h/24, 7j/7. La place physique de l’homme pilote se déplacera progressivement du milieu du dispositif vers un recul du dispositif, voire même vers un déport au sol. Ce pilote en chef de la manœuvre gérera non pas une seule machine, mais une flottille de machines, chacune ayant une mission diverse. Ainsi, tout comme un porte-avions a besoin de plusieurs bâtiments de surface pour le protéger, le pilote pourra, en fonction de la situation tactique, activer la semi-autonomie de certains de ses UAVs de combat pour protéger son dispositif aérien, et notamment activer la fonction létale d’autodéfense, tout en conservant la possibilité de reprendre la main à tout moment. Le combat aérien de demain sera ainsi déshumanisé au contact, coordonné à distance par un pilote en chef qui utilisera les moyens robotisés à sa disposition, auxquels il déléguera certaines tâches ou mission en fonction de la manœuvre qu’il conduira, et avec selon le besoin plusieurs opérateurs spécialistes en appui du contrôle de ces moyens à distance.
De nouvelles organisations
L’utilisation de systèmes robotisés nécessite une véritable adaptation du monde militaire au niveau global. Ces systèmes nécessitent en effet :
• Sur le plan humain, des compétences techniques nécessitant des expertises et des formations spécifiques. Ce qui nécessitera des soldats ayant une appétence pour la technologie afin d’être affectés à leur pilotage.
• Une remise en cause d’une planification trop précise des capacités robotiques au sein des programmes d’armement de long terme. Tout comme l’informatique, le robot doit être considéré comme un outil indissociable et évolutif de la manœuvre militaire étant donné la variété de forme et d’usage qu’il peut adopter. En conséquence, il devient inadéquat pour un programme de circonscrire temporellement le type de systèmes robotiques utilisables et la doctrine d’emploi adaptée, mais il convient d’être réactif dans l’expression de nouveaux besoins et d’emploi de ces systèmes. Autrement dit, ne pas s’interdire de considérer en boucle courte des solutions robotiques innovantes en fonction des technologies duales mises à disposition dès à présent et demain dans le monde civil. C’est le cas du programme Scorpion (5) qui devra laisser une place à de futures capacités robotiques nouvelles et innovantes, et être réactif pour les inclure même une fois déployé.
• Un maintien à la pointe de la technologie. De la même façon, un robot est un outil qui s’accommode très mal des temps de cycles des programmes d’armement actuels ou des phases de planification à long terme. L’obsolescence des composants technologiques étant estimée ici à 6 années, ce qui est le temps de mise en dotation d’un ordinateur au sein de l’armée française, il convient de mettre à niveau très régulièrement les plateformes robotiques avec les technologies du moment. Actuellement le Véhicule de l’avant blindé (VAB) a été en dotation plus de 40 ans. Si un châssis de plateforme robotique pourrait être utilisé longtemps, il faut en revanche revoir complètement la partie « composants embarqués » toutes les X années pour les plateformes de grande taille. Avec standardisation des interfaces pour modularité.
Pour ce qui est de la dotation de ces équipements au sein des unités, une adaptation pour la mise à disposition de ces matériels est indispensable, malgré les efforts d’ajustement des processus et usages en cours.
• Des moyens de transport pour chaque système robotique embarqué. Si aujourd’hui il n’est pas ou peu prévu d’emplacement dans nos équipements militaires pour le transport des robots, il faudra transporter ces systèmes et leur assurer une base de remise en condition matérielle et entretien. Cette préoccupation peut être un frein très notable au déploiement de ces systèmes. A minima, il nous semble que la mise à disposition d’un moyen de transport supplémentaire à l’échelon de la compagnie est nécessaire pour les plateformes d’un certain volume, ainsi que l’ajout de coffres ou d’espace de rangement sur certains véhicules existants pour les robots de moindre taille, voire de plateformes d’envol pour les UAVs sur les superstructures.
• Entre les exigences de rusticité et de manœuvrabilité, et les avantages qu’apporte l’emploi de ces systèmes, des choix devront être effectués en amont de chaque mission. Les besoins en robotique seront donc « modulables » en fonction de celle-ci : on peut ainsi envisager un pool de robots conservés sur une base opérationnelle (type FOB – base avancée) que le chef militaire configure et embarque selon le besoin.
• Une relative autonomie de gestion des moyens de maintenance de ces robots par les unités (possibilité de production de pièces de rechange par des imprimantes 3D sur le terrain).
Enfin, ces systèmes impliquent potentiellement une révolution au sein même des unités militaires :
• Au niveau des unités opérationnelles, l’emploi des robots pourrait être soit effectué par les unités constituées, soit réservée à des groupes de combat robotisés en appui et soutien des autres groupes de combat. La création de groupes de combat robotiques semble particulièrement pertinente pour des systèmes robotiques nécessitant une expertise d’emploi et une concentration forte pour leur pilotage, ce qui requiert de mettre en second échelon leurs utilisateurs œuvrant en appui ou soutien des autres unités.
• Pour les systèmes robotiques spéciaux, il convient pareillement de penser la création de régiments ou de compagnies robotisées en charge de ces matériels spécifiques : par exemple, une compagnie de robots armés de combat au contact pourrait être projetable sur tout point du front, et mise à la disposition de la brigade ou de la division. Une tactique d’emploi interarmes devra encadrer leur mise à disposition et leur utilisation.
• La suprématie de l’espace aérien robotique est une des clefs de la maîtrise du champ de bataille du futur, l’utilisation des drones tactiques devenant indispensable dans les opérations militaires de demain. Si actuellement le 61e Régiment d’artillerie (RA) est en charge des drones tactiques de l’armée de Terre, on peut tout à fait envisager la création d’un ou plusieurs autres régiments de ce type afin d’assurer l’occupation de l’espace aérien basse altitude par les forces terrestres dans toutes les opérations où la France est engagée.
La vraie question : l’autonomie dans la décision de tir
Reprenant ici les propos du même auteur dans la Revue Défense Nationale de juin 2016 (6), la question fondamentale qui concentre l’attention lorsque l’on parle de létalité en robotique militaire concerne l’autonomie dans la décision de tir. Or, il semble tout à fait inéluctable que des systèmes d’armes létaux ayant une certaine forme d’autonomie supervisée pour la décision de tir verront le jour dans les prochaines décennies car ils offrent tout simplement les avantages suivants sur le plan défensif :
– Ils sont plus rapides que l’homme sur le plan de la réactivité et du traitement de la menace.
– Ils permettent de faire face à des attaques saturantes.
– Ils peuvent opérer 24h/24 avec une grande constance, là où l’homme est sujet à la fatigue et à l’inattention.
Il est néanmoins fondamental que le chef militaire qui les emploie conserve la maîtrise de leur usage et de leur contrôle. Leur autonomie sera donc supervisée, ce qui qualifie ces systèmes de Salsa (Systèmes d’armes létaux semi-autonomes). De tels systèmes ne devront passer en mode « tir semi-autonome » que sur décision d’un opérateur humain, à savoir un décideur militaire formé à ces questions. Ce dernier le fera selon sa connaissance de la menace, du milieu et des règles d’engagement ainsi que de la situation tactique. Il y engagera sa responsabilité. Il donnera, en outre, les conditions d’activation et les contraintes à respecter par ces systèmes, tout en bornant leur activation dans le temps et dans l’espace. Il devra pouvoir également désactiver ce mode « tir semi-autonome » à tout moment, ce qui implique une communication constante avec la machine, ce qui – encore une fois – fait sortir ces systèmes de la catégorie pleinement autonome.
Notons enfin que certains espaces semblent plus propices que d’autres pour leur utilisation : les domaines aérien, marin et sous-marin, désertique ou souterrain. À l’inverse, le milieu urbain ne paraît pas approprié car il est déjà extrêmement difficile pour un homme de pouvoir discriminer et caractériser le comportement d’une cible potentielle dans un milieu aussi intense et hétérogène, avec un risque de non-maîtrise trop élevé.
* * *
Nous assistons aujourd’hui aux prémices d’une véritable révolution dans l’art de faire la guerre. La raison en est la numérisation des équipements militaires, permettant de déporter de façon active et mobile des capteurs et effecteurs en tout point du champ de bataille et ainsi réduire le danger pour le combattant. Les outils deviennent intelligents et leur utilisation sera prédominante en amont de l’action militaire pour voir l’ennemi et anticiper avant lui la manœuvre, puis au cours de la bataille pour réagir plus vite et plus précisément que lui.
La semi-autonomie de ces systèmes va permettre une omniprésence de l’action robotique, qui s’adaptera au terrain et aux conditions pour remplir la mission qui leur aura été confiée par les chefs militaires.
Mais il faut accompagner cette révolution. Pour ce faire, la simulation est un excellent outil, car elle permet de tester de nouvelles méthodes de combat sur des jeux de plateau (wargames) ou des simulateurs. Ce travail éminemment prospectif devra être effectué sous l’impulsion et le contrôle des états-majors, et des directions des études et de la prospective de chaque Arme, lesquels auront l’expérience et le poids décisionnel nécessaire pour orienter les choix de nos Armées après une analyse globale des enjeux de l’intégration de la robotique (par exemple, dans le combat du SGTIA Scorpion pour l’armée de Terre) effectuée avec le soutien d’organismes tels que la Direction générale de l’armement (DGA) et de la Section technique de l’armée de Terre (STAT), et sous réserve de développer une intelligence économique qui nous permette d’avoir une autonomie… industrielle en la matière !
Il reste que c’est l’intention du chef qui donne sens à l’action militaire qui va prévaloir dans l’usage de la machine. En fonction des circonstances, des menaces, de la mission et des règles d’engagement, c’est lui qui décidera de l’emploi de ces systèmes, en garantira la maîtrise d’utilisation et en assurera la responsabilité. ♦
(1) Ozanne Éric, « La robotisation du groupement tactique interarmes : perspectives », in Danet Didier, Hamon Jean-Paul et Boisboissel (de) Gérard, La guerre robotisée, Économica, 2012, p. 303.
(2) Voir Malis Christian, « Nouvelles extrapolations », La guerre robotisée, op. cit., p. 62.
(3) Observatoire du monde cybernétique, L’utilisation du smartphone en milieu militaire, CEIS/DGRIS, Newsletter du 27 juillet 2018.
(4) Système de drone tactique intérimaire.
(5) Programme dont la DGA assure la maîtrise d’ouvrage qui vise à moderniser les Groupements tactiques interarmes (GTIA) afin d’accroître dans une approche globale et cohérente leur efficacité et leur protection, en utilisant au mieux les nouvelles capacités d’échanges d’informations. Source : DGA (www.defense.gouv.fr/).
(6) Boisboissel (de) Gérard, « De l’autonomie dans les systèmes robotiques militaires et de la place de l’homme », Revue Défense Nationale, juin 2016, p. 142.