Le Danemark et la France entretiennent des relations depuis plusieurs siècles. Leur coopération s’est particulièrement développée dans le cadre de la construction européenne et de l’Alliance atlantique. Nourrie par des engagements opérationnels communs et des échanges réguliers, elle est aujourd’hui très soutenue dans le domaine de la défense au sein de la plupart des composantes terrestre, maritime et aérienne. À l’avenir, des perspectives de coopération apparaissent dans les nouveaux champs de conflictualité ou le domaine des ressources humaines et méritent d’être développées.
Alliés, partenaires, frères d’armes : la coopération militaire franco-danoise
La coopération entre la France et le Danemark, qui se structure progressivement, présente des opportunités de bénéfices stratégiques pour les deux Nations, notamment dans le domaine de la défense. Depuis la guerre civile en Yougoslavie, les armées de terre française et danoise entretiennent une coopération de plus en plus étroite, source de bénéfices mutuels. La coopération militaire franco-danoise s’est également considérablement renforcée depuis quelques années dans les deux autres milieux classiques (maritime et aérien). Cela a permis d’accroître l’interopérabilité et de développer les échanges à tous les niveaux, que ce soit en opérations ou lors de périodes de planification et d’entraînement.
La proximité des armées, leur estime professionnelle réciproque, ainsi que des intérêts mutuels pourraient conduire naturellement à un élargissement de cette coopération aux nouveaux espaces de conflictualité. Cette dynamique devrait amener les armées des deux pays à davantage se connaître et à partager leurs bonnes pratiques.
Ainsi, la France peut apporter son expertise militaire et intégrer toujours plus d’unités danoises dans ses opérations pour leur permettre de rester le plus opérationnelles possible. De son côté, le Danemark peut, sur le plan stratégique, aider la France au sein de l’Otan vis-à-vis de partenaires qui la mécomprennent ou ne voient souvent que de l’arrogance dans sa stratégie. Sur le plan tactique, il pourrait aussi apporter des capacités clés que la France ne possède pas en quantité suffisante.
Après une mise en perspective historique des relations entre les deux pays, puis une présentation des coopérations actuelles, nous évaluerons les enjeux géopolitiques communs. Enfin, nous mènerons une réflexion sur la manière dont la coopération entre la France et le Danemark pourrait encore monter en puissance, notamment dans les domaines de lutte liés aux nouveaux espaces de confrontation, l’espace exo-atmosphérique et le cyber.
Repères pour une histoire commune méconnue
Comme le remarquait avec humour le président Mitterrand dans l’une de ses dernières allocutions publiques (1), le Danemark est la seule Nation européenne avec laquelle la France n’a jamais été en conflit. Il faut bien entendu rappeler au lecteur averti qu’au IXe siècle, époque des sièges de Paris par les Vikings (2), le Danemark ne constituait pas encore une Nation à proprement parler… C’est à la fin du Xe siècle que le Danemark, comme la France, commence à apparaître en tant que tel. Bien que les Français l’ignorent le plus souvent, il va devenir une puissance dominante de l’espace baltique et un acteur majeur de la scène européenne jusqu’au début du XIXe siècle. Cette situation repose sur le contrôle de la Suède et de la Norvège à la fin du Moyen-Âge, puis de la seule Norvège par la suite, ce qui assure au Danemark une assise territoriale bien supérieure à celle qui est aujourd’hui la sienne.
Durant ce quasi-millénaire, la paix qui règne entre les deux pays est essentiellement liée au fait que leurs intérêts et les menaces qui pèsent sur eux sont différents. La France est ainsi d’abord focalisée sur l’intérieur du pays et ses frontières immédiates, l’outre-Manche, l’espace germanique et les péninsules italienne et ibérique alors que les intérêts danois se concentrent, pour leur part, dans l’espace baltique et en Atlantique Nord (îles Féroé, Islande, Groënland). Si dans les années 1640, à la fin de la guerre de Trente Ans, le Danemark et la France participent tous deux, pour la première fois, à un conflit dans des camps opposés, ils ne s’affrontent pas directement. Il en sera de même avec la guerre de Hollande (1672-1678). Par la suite, le Danemark reste à l’écart de tous les grands conflits européens dans lesquels la France joue un rôle majeur. Les deux pays ne sont pas davantage des compétiteurs outre-mer, en dépit de leur implication respective dans l’expansion coloniale.
Au début du XIXe siècle, le Danemark, État neutre au début des guerres napoléoniennes, est attaqué par la Grande-Bretagne en avril 1801, puis de nouveau en août 1807. Un traité d’alliance est alors signé entre Copenhague et Paris en octobre de la même année. Une première dans l’histoire des deux pays, mais elle ne leur porte pas chance. Cette alliance inédite conduit à l’écroulement financier et à la défaite diplomatique complète du Danemark en 1815, entraîné dans sa chute par l’effondrement de la France impériale. Le Royaume y perd le contrôle de la Norvège au profit de la Suède et entre dans une période de déclin relatif.
Dans ce nouveau contexte, l’histoire militaire géostratégique des deux pays se bâtit en parallèle. Le Danemark reste désormais à l’écart de l’expansion outre-mer dans laquelle la France continue de jouer un rôle majeur. Un point commun rapproche néanmoins les deux pays : ils sont tous les deux confrontés à la montée en puissance prussienne, qui aboutit à l’unification de l’Allemagne et à la proclamation de l’Empire en janvier 1871, à Versailles. Pour Paris comme Copenhague, cela se traduit par une défaite humiliante. À Berlin, la colonne de la Victoire (Siegssaüle) rappelle la victoire allemande lors de la guerre des Duchés de 1864 comme lors de la guerre de 1870-1871.
Pendant la Première Guerre mondiale, la neutralité du Danemark lui épargne l’hécatombe et les atrocités subies par la France, même si quelque 35 000 soldats allemands d’origine danoise (3) sont enrôlés de force dans l’armée du Kaiser, à l’instar de ce qui se passe en Alsace-Moselle : 5 000 trouveront la mort et ceux qui seront fait prisonniers de guerre en France connaîtront des conditions de détention que beaucoup jugeront respectueuses, voire « quasi-amicales ». Si le Danemark ne participe pas à la Conférence qui aboutit au Traité de Versailles (1919), il est parmi les membres fondateurs de la Société des Nations (SDN) aux côtés de la France, un engagement conjoint inédit au service de la paix et de la sécurité dans l’histoire des deux pays. Son premier président est le Français Léon Bourgeois de 1920 à 1921 ; un Danois, Herluf Zahle, le sera de 1928 à 1929.
En 1940, les destins des deux pays se révèlent de nouveau parallèles : ils sont envahis au printemps par les forces du IIIe Reich, avant d’être occupés. En août 1943, la flotte danoise se saborde pour éviter de tomber aux mains allemandes, à l’exemple d’une partie de la Marine française à Toulon, en novembre 1942. Si la libération du territoire est acquise pour l’essentiel fin 1944 dans l’Hexagone, les Danois doivent attendre mai 1945 pour que cesse l’occupation.
À l’issue de la guerre, les deux pays participent ensemble à la conférence de San Francisco et adhèrent à la nouvelle Organisation des Nations unies (ONU). Cependant, cette fois, le Danemark va plus loin et rompt avec la politique de neutralité qui était la sienne depuis la fin du XIXe siècle : une différence fondamentale avec la France disparaît. Avec elle, le Danemark est l’un des neuf pays signataires du Traité de l’Atlantique Nord, le 4 avril 1949, à Washington. Cet engagement va devenir structurant pour Paris comme Copenhague et leur offrir un terrain de rencontre inédit en matière de défense. Officiers et diplomates travaillent désormais ensemble dans ce cadre et, jusqu’en 1967, bien souvent à Paris même, où est installé le siège politique et militaire de l’Alliance. Néanmoins, appartenant pour l’essentiel à des commandements régionaux distincts, les forces armées des deux pays ont peu l’occasion d’interagir, d’autant que l’Otan n’est pas engagée militairement avant la fin de la guerre froide.
Le nouveau contexte géostratégique va graduellement conduire à un approfondissement de la coopération militaire des deux Nations. Si le Danemark, contrairement à la France, ne participe pas à la guerre du Golfe, il est très vite engagé avec elle dans les opérations de maintien et d’imposition de la paix en ex-Yougoslavie, que ce soit au sein des forces de l’ONU (Forpronu, 1992-1995 (4)) ou de l’Otan (IFOR, 1995-1996 ; SFOR, 1996-2004 ; KFOR (5), 1999-2014). Par la suite, cet engagement commun est étendu, pour la première fois, en dehors du théâtre européen, à l’occasion de la guerre en Afghanistan (ISAF (6), 2001-2014), guerre contre le terrorisme (CTF-150 (7) depuis 2002), puis des opérations de la coalition internationale en Irak et en Syrie contre l’État islamique (depuis 2014).
Ces engagements se font dans le cadre de larges coalitions qui rassemblent de nombreux pays. Toutefois – il faut le souligner –, c’est la première fois dans leur histoire que forces françaises et danoises se retrouvent impliquées conjointement dans des opérations. Sur la base de l’interopérabilité acquise durant des décennies au sein de l’Otan, il en résulte un approfondissement inédit des relations humaines et professionnelles entre militaires des deux pays. Déployés côte à côte pendant plus de dix ans au Kosovo – le bataillon danois est ainsi intégré à la brigade française de la KFOR –, les militaires des deux Nations développent à cette occasion des relations empreintes de fraternité d’armes et de respect mutuel, dans le cadre d’une éthique partagée.
C’est ainsi d’abord dans l’Otan que s’opère ce rapprochement franco-danois. L’organisation demeure, aujourd’hui encore, l’instance de coopération privilégiée entre les deux pays dans de nombreux domaines, qu’il s’agisse du contre-terrorisme, de la lutte contre la piraterie, de la cyberdéfense ou des exercices conjoints. Copenhague a en effet choisi de demeurer à l’écart de la Politique de sécurité et de défense commune (PSDC) développée par l’UE durant la même période, et dont Paris est un promoteur actif. Cependant, une toute première collaboration non-onusienne et non-otanienne entre les deux pays voit le jour en 2013 lors du lancement de l’opération Serval au Mali. Le Danemark soutient l’engagement français avec l’envoi d’une composante de transport aérien (Lockheed C-130J Super Hercules) pendant la première année d’opérations. Cette démarche se traduit, en juin 2014, par la signature d’une lettre d’intention qui prévoit l’intensification de la coopération franco-danoise dans les domaines stratégique, opérationnel et capacitaire (8). Ce document constitue une première dans l’histoire des deux pays qui, depuis, ont choisi d’approfondir cette nouvelle dynamique.
Aujourd’hui, une coopération militaire franco-danoise d’une importance inédite
La coopération franco-danoise se concrétise dans tous les milieux traditionnels de la guerre et sur tous les théâtres où les armées occidentales sont engagées. C’est un partenariat sans équivalent pour les deux pays. Il est d’ailleurs regrettable que cette situation soit si méconnue et ne serve pas davantage d’exemples en Europe.
• Dans la Bande sahélo-saharienne (BSS) :
– Depuis 2014, le Danemark participe à la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma, ONU) avec une composante de transport aérien (C-130J), en alternance avec d’autres pays européens. De mars 2015 à octobre 2016, le commandement de la mission était danois et un contingent de forces spécialisées dans le renseignement y était déployé.
– En soutien de l’opération Barkhane, une composante de deux hélicoptères de transport lourd (une capacité qui fait défaut à la France) du type Agusta-Westland EH101 Merlin de l’armée de l’air danoise est basée à Gao au Mali, depuis la fin 2019, pour une durée d’un an.
– Le 27 mars 2020, un accord politique est signé entre treize ministres de la Défense – dont ceux du Danemark et de la France – qui sera ensuite ratifié par le parlement danois, pour déployer des forces spéciales dans le cadre d’une task-force nommée Takuba. Cette force européenne sous commandement français viendra appuyer l’opération Barkhane et les efforts de la France pour stabiliser la région, mais aussi renforcer la capacité des armées des pays du G5 Sahel (Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad) à lutter contre le terrorisme.
Les missions sur le théâtre de la BSS perdureront vraisemblablement encore plusieurs années et seront donc le théâtre principal de la coopération entre les armées de terre danoise et française : la vision géostratégique des deux pays y est commune et l’interopérabilité opérationnelle des troupes, ainsi que la complémentarité stratégique y sont tangibles.
• Dans le domaine maritime, le Danemark a une forte tradition héritée de son histoire et de sa géographie. Aujourd’hui, plus de 50 entreprises spécialisées dans le secteur – dont Maersk, le numéro un mondial du transport maritime –, font la richesse du pays : la sécurité des voies d’approvisionnement constitue évidemment un enjeu de premier plan pour le pays. La coopération avec la France dans le domaine naval s’impose donc naturellement pour protéger les intérêts communs aux deux nations.
Ainsi, au printemps 2020, le Groupe aéronaval (GAN) français a été déployé en Atlantique Nord et en mer Baltique dans le cadre de la mission Foch (9), accompagné de la frégate danoise Niels Juel. Cette intégration faisait suite à la mission Clemenceau, au printemps 2019, qui avait déjà vu cette même frégate déployée au sein du GAN pendant trois mois. À partir du mois de septembre 2020, une frégate danoise participera dans le détroit d’Ormuz à l’opération EMASOH (European Maritime Awareness in the Strait Of Hormuz) ou Agenor, lancée par la France au premier trimestre 2020.
La coopération franco-danoise dans le domaine maritime est probablement celle qui se fait le plus aisément, tant les intérêts des deux pays sont imbriqués et les modalités de mise en œuvre aisées, sans difficultés politiques majeures.
• Comme de nombreux pays de sa taille, le Danemark mène une politique active au sein de l’Alliance atlantique et dans de nombreuses coalitions, pour développer un effet de levier sans lequel il ne pourrait pas faire valoir seul ses vues et ses intérêts.
Ainsi, bien que ne pouvant pas prendre part aux projets de la PSDC de l’Union européenne (UE) (10), le Danemark soutient fermement les efforts de renforcement de l’UE comme acteur mondial de la sécurité et de la défense. Copenhague contribue ainsi au Fonds européen de défense (FED), notamment par l’intermédiaire du Programme européen de développement industriel dans le domaine de la défense (EDIDP). Le Danemark est également membre fondateur de l’Initiative européenne d’intervention (IEI), lancée par la France en 2017. Enfin, Copenhague a demandé un statut d’observateur à l’Agence européenne de défense (AED).
Le Danemark et la France partagent également la charge de la réassurance de l’Otan, en prenant part à l’opération enhanced Forward Presence (eFP) en Europe de l’Est : ils déploient ainsi régulièrement des troupes en Estonie.
Les deux pays partagent une même vision pragmatique concernant la participation aux alliances et aux coalitions. Cette vision repose sur une série d’éléments : une structure incontournable avec l’Otan, une perception commune de la nécessité de défendre les frontières externes européennes, une stratégie majoritairement commune pour la défense des idéaux démocratiques et des capacités complémentaires. Seul le développement d’une véritable autonomie défensive européenne reste un sujet sur lequel le Danemark et la France ne sont pas en phase.
Les grands enjeux communs
Le Danemark et la France ont une perception identique des grands enjeux.
• En Afrique tout d’abord, il est évident depuis plusieurs années que les pays pauvres et notamment les États faibles peuvent devenir des berceaux de terrorismes de toute nature et aux multiples objectifs. Loin des idées reçues, les attentats et les afflux de réfugiés en 2015 ont montré que la déstabilisation de pays, aussi lointains soient-ils, pouvait constituer un problème majeur pour l’ensemble de la communauté européenne. Les pays de la BSS sont notamment victimes de maints conflits internes et transfrontaliers depuis, déjà, plus de cinq ans. Certaines régions de ces pays ne sont de facto plus sous le contrôle de leur gouvernement, et certains États sont si fragiles que l’on peut craindre leur effondrement pur et simple. Sans l’intervention militaire, initialement exclusivement française (Serval), mais devenue une coalition internationale depuis et à un échelon régional (Barkhane), cette crainte se serait vraisemblablement concrétisée au Mali. Il est probable cependant que, sans le maintien de forces militaires européennes en appui des autorités souveraines, cette menace ne perdure encore longtemps.
L’insécurité de cette région, la pauvreté ainsi que l’instabilité politique provoquent des déplacements internes significatifs, concentrant ainsi sur des zones déjà surpeuplées de nombreux réfugiés, ce qui intensifie les tensions existantes entre les groupes ethniques et amplifie les phénomènes migratoires vers le continent européen. Cette dynamique provoque ensuite une fracture politico-démocratique particulièrement dangereuse au sein de l’Union européenne (11). Simultanément, et par voie de conséquence, ces conditions sont très favorables aux groupes terroristes anti-occidentaux et leur permettent de garder des zones-refuges où ils évoluent en toute impunité, comme cela avait été le cas pour l’Afghanistan avant 2002.
Le Danemark partage cette appréciation de situation avec la France et souhaite participer activement à la solution globale, dont une partie passe par l’intervention militaire dans la BSS. L’apprentissage, la compréhension et l’appréciation des opérations militaires sur ce théâtre sont néanmoins différents des opérations conduites auparavant par les armées danoises (Kosovo, Afghanistan, Irak). Il s’agit donc d’intégrer les réalités de cet environnement particulier, en lien direct avec les unités françaises, mais aussi africaines, pour acquérir au plus tôt le maximum d’efficacité opérationnelle.
• Dans le domaine maritime : la France possède la deuxième Zone économique exclusive (ZEE) du monde et ses territoires sur tous les océans du globe font d’elle une grande Nation maritime. Les intérêts français dans le secteur de la mer sont solidement représentés dans le domaine de la marine marchande, mais aussi parmi les compagnies de croisière ou encore dans l’exploitation pétrolière offshore. Par ailleurs, le secteur de la construction navale est très important, réalisant un chiffre d’affaires de 7,5 milliards d’euros en 2019 pour 42 000 emplois (12). Cependant, au-delà de ses intérêts commerciaux propres, la France cherche à préserver le droit de libre navigation dans les eaux internationales. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, elle entretient une présence navale dans de nombreuses zones grâce aux bâtiments de la Marine nationale.
Le Danemark, cinquième Nation maritime du monde avec une flotte marchande dépassant 65 millions de tonnes brut et sans aucun doute au premier rang si on rapporte ce tonnage par habitant (5,8 M d’habitants) (13), partage cette vision avec la France. Il n’a donc pas hésité à soutenir les efforts entrepris par la communauté internationale pour assurer la liberté de navigation et offrir des mesures de protection contre la piraterie et le terrorisme, dans le golfe d’Aden et la mer d’Arabie ainsi que dans le golfe de Guinée. La liberté du commerce, le passage sans entraves de marchandises et, surtout, la sécurité des vies sont fondamentaux pour des pays démocratiques tels que la France et le Danemark. De fait, et quelle que soit sa puissance militaire, un pays aux intérêts maritimes doit manifester sa volonté de défendre à la fois ses intérêts et ses idéaux.
• Dans le Grand Nord enfin. L’Arctique, domaine stratégique pour le Danemark, est également un sujet que la France suit activement et pour lequel elle manifeste un grand intérêt. Assurant la souveraineté, la diplomatie internationale et la politique de défense de l’ensemble du territoire du Groenland et de sa ZEE (14), le Danemark doit faire face à des enjeux complexes. D’abord, le territoire groenlandais, sa ZEE, son sous-sol, sa population et son économie fragiles sont devenus l’objet de nombreuses convoitises géopolitiques. Ensuite, la « réémergence » du bras de fer entre grandes puissances militaires implique presque mécaniquement le Grand Nord, qui joue un rôle crucial en matière de défense comme de dissuasion. Enfin, les changements climatiques ouvrent dans cette zone de nouvelles opportunités économiques et de nouveaux corridors commerciaux. Cependant, le défi le plus important est celui des relations de « grand frère » avec une jeune démocratie (15) et un peuple dont un tiers des habitants rêve d’indépendance (16).
De son côté, la France est historiquement présente dans le Grand Nord depuis plus de cent-cinquante ans. Sa présence était scientifique au début, et ce n’est que vers la fin des années 1990 que ses efforts se sont peu à peu portés vers l’industrie pétrolière en particulier, et les minerais en général. Depuis une dizaine d’années, les intérêts de la France relèvent aussi bien du secteur privé que de l’État. Par exemple, dans le secteur pétrolier, le groupe Total concentre ses intérêts dans l’Arctique russe, après avoir abandonné les côtes groenlandaises depuis la crise financière de 2008 (17). Autres acteurs du secteur privé, les compagnies maritimes, notamment celles offrant des croisières touristiques, sillonnent les eaux du Groenland depuis une dizaine d’années.
La France montre également son intérêt pour l’Arctique à travers l’action de la Marine nationale : Paris a adopté une nouvelle feuille de route nationale en 2016 afin de répondre aux défis relatifs à la mutation de l’espace maritime boréal. La construction du brise-glace Astrolabe et sa mise en service – initialement au large de l’Antarctique – sont le précurseur d’une capacité nationale pour assurer et affirmer les intérêts de la France, de l’Europe et de la liberté de navigation partout dans le monde. La coopération et les entraînements conjoints réguliers avec les forces armées danoises permettent à la France d’améliorer son expérience de l’Arctique. En 2018 a ainsi eu lieu la première édition de l’exercice annuel Sarex Argus, composé d’une série d’opérations de recherche et de sauvetage au large de Nuuk (capitale du Groenland). C’était le premier exercice bilatéral franco-danois conduit à cette échelle dans la zone Arctique et nul doute qu’il ouvre la voie à des coopérations régulières dans une partie du monde dont le réchauffement climatique va significativement accroître l’intérêt géostratégique. Il suffit pour cela de rappeler les récentes déclarations du président des États-Unis, Donald Trump, sur le Groenland (18). L’enjeu prioritaire de cette région est bien de s’assurer de la liberté de navigation (19).
La coopération dans les nouveaux espaces
Le domaine cyber
La responsabilité de l’État à défendre son territoire, son peuple et ses intérêts vitaux s’applique depuis l’entrée dans l’« âge numérique » à un nouvel espace de confrontation non-tangible et pourtant bien réel : le cyberespace. Il s’agit d’un champ de bataille très actif et en mutation perpétuelle, où l’ennemi peut être aussi bien un individu qu’une entité gouvernementale ciblant tout et tout le monde, et utilisant une large gamme de modes d’action. Entre vol de propriété privée, chantage, sabotage de service public ou infiltration des réseaux numériques des forces armées adverses, ces modes d’action peuvent bien entendu se combiner à l’infini. La garantie de protection que l’État doit à chaque citoyen, mais aussi à chaque entreprise, contre les menaces cyber, est devenue fondamentale au XXIe siècle. Cependant, au-delà des menaces contre les intérêts privés, la société est surtout confrontée aux menaces contre les services publics, telle la perturbation des infrastructures critiques (eau, électricité, gaz, télécommunications, réseaux commerciaux). Un adversaire clandestin pourrait ainsi paralyser momentanément une société dite avancée, en ciblant un ou plusieurs sites vitaux. Une atteinte simultanée des systèmes numériques des armées provoquerait, en outre, une large neutralisation du système de défense et la déstabilisation, voire la fracturation, de cette société.
Le monde entier a été surpris par la gravité de la pandémie du coronavirus durant le premier trimestre 2020. La stupéfaction générale, l’incrédulité croissante à l’égard de nos sociétés démocratiques, jugées inaptes à faire face à cette menace par certains, et finalement les actions frénétiques pour maîtriser la situation ont dévoilé à quel point les sociétés modernes restent fragiles… À l’heure actuelle, cette crise n’a pas encore été surmontée et nul doute qu’elle laissera des traces durables sur les économies et dans les mentalités.
Un scénario parallèle dans le monde virtuel de l’espace numérique est tout aussi vraisemblable. Nous sommes déjà victimes d’attaques cyber au quotidien ! Les conséquences n’en seraient pas mesurables si les moyens de défense n’étaient pas déjà en place. En France, ce défi a été érigé au rang de priorité nationale par le Livre blanc sur la Défense et la Sécurité nationale de 2013 (20). La Loi de programmation militaire (LPM) 2019-2025 prévoit de renforcer les capacités en matière de prévention, de détection et d’attribution des attaques, notamment grâce à un investissement de 1,6 Md€ et au recrutement de 1 000 cybercombattants supplémentaires (21). Le Comcyber (Commandement des forces de cyberdéfense des armées françaises) a vu le jour en 2017 et constitue la preuve que les armées françaises prennent ces menaces clandestines très au sérieux. Par sa nature, le cyberespace est lié avec l’espace exoatmosphérique et, par voie de conséquence, avec la dissuasion nucléaire.
Bien que le Danemark ait connu des attaques cyber massives depuis des années (22) et qu’il en subisse au quotidien comme la France, sa défense cyber nationale dépend du Service de renseignement de la Défense (Forsvarets Efterretningstjeneste). Le bureau en charge de la défense dans l’espace cyber, le Centre de cybersécurité (Center for Cybersikkerhed), compte environ 100 personnes, mais reste davantage une agence de nature consultative qu’une véritable unité militaire. Le bureau est ainsi chargé de la fonction connaissance et anticipation dans le milieu numérique, de la consultation et du conseil vis-à-vis des corps gouvernementaux, des services d’infrastructures critiques et des plus grandes entreprises privées d’intérêt national, et enfin des analyses et des opérations cyber défensives. La coopération avec les services et les armées cyber alliés est primordiale pour le succès de ce bureau. Un rapprochement et une coopération étendue avec ses homologues de premier rang – comme la France – serait donc pertinente : il y a probablement là une zone de coopération à étendre.
L’espace exo-atmosphérique : la course vers un nouvel horizon
Les enjeux de l’espace exo-atmosphérique sont devenus multiples. Du point de vue pacifique et philosophique, l’Espace doit être ouvert à tous et non-militarisé. Du point de vue de la défense, aucun mouvement, aucune action militaire ne se fait sur terre sans communication et sans renseignement à partir de l’Espace. Un troisième enjeu est celui du New Space qui conduit à une forte commercialisation de l’Espace, un phénomène qui ne semble pas connaître de stagnation, tant les investissements y sont massifs. Enfin, l’enjeu environnemental est également en croissance quasi exponentielle : les débris (23) dans l’orbite basse (200-2 000 km d’altitude) menacent ainsi son exploitation et les vols habités.
Dès les années 1950, la France fut une des nations pionnières dans la course à l’Espace, un engagement qui s’est renforcé au fil des années car il s’agissait notamment d’assurer la dissuasion nucléaire dont la maîtrise est étroitement liée à l’espace exo-atmosphérique. Avec la création en 1961 du Centre national des études spatiales (Cnes), la France a regroupé l’ensemble de ses activités spatiales dans un établissement public unique. Le programme français a bénéficié, par ailleurs, d’investissements importants dès le départ, compte tenu de la volonté d’atteindre une autonomie nationale. Cela lui a permis de jouer un rôle moteur lorsqu’une véritable politique spatiale européenne s’est mise en place avec la création, fin 1960, de la Commission préparatoire européenne pour la recherche spatiale (Copers). Ses travaux ont débouché sur la fondation, en 1962, du Conseil européen de recherches spatiales (CERS/ESRO) puis, l’année suivante, du Centre européen pour la construction de lanceurs d’engins spatiaux (Cecles/ELDO). L’ensemble a été fusionné une dizaine d’années plus tard au sein de l’Agence spatiale européenne (ASE/ESA) créée en 1975. Le Cnes met en œuvre la politique spatiale française et dispose à cet effet d’un budget important (2 780 M€ en 2020), dont 35-40 % sont versés à l’ESA, ce qui fait de la France le plus gros contributeur de cette agence. En outre, le budget spatial civil demeure le second au monde, uniquement dépassé par celui de l’agence spatiale américaine, la NASA.
Le Danemark s’est joint aux programmes spatiaux au début des années 1960 en participant, avec la France, à la création de la Copers, puis à celle du CERS. Toutefois, contrairement à la France, l’intérêt initial danois pour l’Espace était purement scientifique et civil, sans ambition militaire et d’autonomie nationale. De ce fait, le Danemark ne rejoindra pas le Cecles, dont la France est un acteur essentiel. Par contre, le Royaume sera, dès le départ, de l’aventure de l’ESA. La poursuite de ces efforts en matière spatiale a mené à une collaboration continue entre secteurs industriels et universitaires, classant le Danemark comme la 21e puissance spatiale mondiale en 2018 (24).
Malgré l’intérêt croissant de l’industrie spatiale danoise, l’ambition de la classe politique demeure faible à ce jour. Sans même prendre en compte les enjeux militaires, la défense des intérêts commerciaux ou le maintien d’une libre navigation spatiale ne semblent pas être à l’ordre du jour politique actuellement.
En revanche, du côté de la France, la création du Commandement de l’espace en septembre 2019, soutenu par un budget de 3,6 Md€ pour la LPM 2019-2025, montre les efforts consacrés à défendre les intérêts français dans l’Espace. Au vu de ceux de l’UE, il serait pertinent d’envisager l’établissement d’un commandement européen indépendant de toute alliance militaire ou politique permettant aux pays neutres de l’Europe d’en faire part. La synergie des collaborations scientifiques dans le domaine spatial civil devrait pouvoir être répliqué dans le domaine militaire au bénéfice de toutes les Nations participantes. Pour de petits pays – tel le Danemark – n’ayant pas les moyens budgétaires d’établir un programme de défense spatial en propre, une telle initiative répondrait à leurs besoins. Une co-localisation, voire à terme une fusion, avec le Commandement de l’espace français soulignerait l’autonomie européenne dans ce domaine face aux grands compétiteurs mondiaux.
Apprendre et appliquer des nouvelles pratiques
Les pratiques cinétiques terrestres
La « pratique de la guerre » – la façon dont un soldat doit exercer son métier – dépend du théâtre et du champ de bataille. Ainsi, le combat urbain diffère de celui en terrains ouverts, montagneux, etc. Chaque pays prépare ses armées selon son terrain, son espace aérien et sa zone maritime pour sa propre défense. Ensuite, il planifie les opérations de ses armées selon ses intérêts propres et ses obligations, indépendamment ou dans le cadre d’une alliance. Vue sous l’angle français, cette pratique s’est manifestée depuis l’ère coloniale et reste en vigueur là où la présence militaire française a perduré : l’Afrique francophone, en premier lieu. Ceci a fait des forces armées françaises de véritables spécialistes de ce théâtre : même une armée plus nombreuse et puissante ne saurait s’adapter à cette façon d’œuvrer sans le soutien, la connaissance et le recul de son homologue français.
D’un point de vue stratégique européen, il est largement reconnu qu’afin de faire face aux grands défis du futur, particulièrement les flux migratoires, il faudra mener des opérations d’appui à nos partenaires africains, et non pas attendre l’arrivée de migrants illégaux sur le Vieux Continent. Stabiliser les pays et les États concernés peut se réaliser avec de nombreux moyens, dont l’action militaire contre le terrorisme ou le soutien des régimes légitimes contre les insurrections par exemple, en complément de l’aide au développement.
Le Danemark a conduit des opérations de combat à l’extérieur depuis presque deux décennies, une première dans son histoire depuis très longtemps. Les théâtres ont été différents, mais les objectifs largement les mêmes. À chaque fois que des troupes danoises ont été déployées dans une nouvelle campagne, l’apprentissage s’est fait en coalition, avec une armée habituée à l’environnement. À présent, la participation sur ces théâtres est réduite à l’instruction et à l’entraînement des forces locales. Afin de maintenir l’expérience du combat et de la confrontation militaire asymétrique, il faut donc « apprendre » à faire la guerre où elle se mène, tout en appliquant les bonnes pratiques : l’entraînement des forces locales et le renforcement capacitaire de celles-ci. Les armées danoises sont en pleine montée en puissance grâce à la Loi de programmation militaire en cours (2018-2023) (25). Dans ce cadre, l’armée de terre constitue une nouvelle brigade légère (3 500 militaires) composée d’unités de réserve avec différents niveaux d’alerte. La formation de ces dernières nécessite 12 à 15 mois à l’issue du service militaire obligatoire (4 mois) et se termine avec un déploiement de 6 mois en mission de haute intensité (26).
Afin d’apprendre l’intensité d’un nouveau théâtre et les particularités de zones d’engagement comme l’Afrique, notamment la BSS, une coalition avec la France est un modèle parfait de symbiose bien comprise entre les deux partenaires.
La réserve : une ressource quasi inépuisable si elle est bien gérée
La menace existentielle contre une Nation – ou son ambition expansionniste – définit les besoins de celle-ci en matière de forces armées. Cependant, il est impensable, voire irréalisable pour une Nation, de former, d’équiper, d’entraîner et de maintenir une armée d’active professionnelle avec un haut niveau d’alerte sans prendre en compte la taille de sa population civile. C’est un fait historique depuis l’émergence des armées permanentes nationales. En revanche, il est raisonnable de créer une réserve militaire pour faire face à toute éventualité.
La composante non permanente de l’Armée de terre française pendant la Première Guerre mondiale a vu la mobilisation de 8 M de réservistes sous les drapeaux. Le succès de ce concept et son bon fonctionnement ont assuré sa continuité de manière quasiment inchangée jusqu’à la suspension du service national obligatoire en 1997. La rénovation de la réserve militaire a été concrétisée par la loi du 22 octobre 1999 et celle du 18 avril 2006, toutes deux intégrées dans le Code de la défense. Avec la mise en place de la Formation militaire initiale du réserviste (FMIR) en 2003, la réserve opérationnelle dispose aussi de recrues issues du milieu civil, capables de compléter les effectifs d’active, en cas de crise sur le territoire national ou d’engagements importants sur les théâtres d’opérations extérieurs. Le Livre blanc sur la Défense et la Sécurité nationale de 2008 parle d’une réserve militaire moins nombreuse, mieux formée et plus intégrée dans le dispositif militaire (27). L’édition 2013 du Livre blanc a confirmé et renforcé les ambitions pour la réserve (28). Actuellement, les armées françaises ont comme objectif d’être en mesure de déployer sur le territoire national l’effectif de 1 000 réservistes par jour, afin d’assurer des missions de protection. L’Armée de terre, qui contribue à 80 % de l’effort, doit engager chaque jour 800 réservistes pour des missions de défense et de sécurité en France.
La composante réserve danoise était comparable et proportionnelle à celle de la France durant la guerre froide, avec un effectif d’environ 12 000 hommes – dont 85 % d’officiers – pour encadrer un total de vingt classes mobilisables, soit 140 000 soldats (29). La restructuration générale et le concept d’emploi des armées – dans un contexte de fortes contraintes budgétaires – ont temporairement arrêté la formation d’officiers de réserve pendant dix ans. La participation des armées à plusieurs missions internationales a cependant conduit à employer des officiers de réserve dans toutes les composantes, en complément des officiers d’active.
Toutefois, le déficit en effectifs des forces d’active, la refonte de la formation des officiers et la carence à moyen terme d’officiers de réserve dans les états-majors ont amené à une réforme du système de réserve au Danemark. Ainsi, dans la LPM en cours (2018-2023), toute personne ayant servi dans les armées est considérée comme réserviste à son départ du service et demeure sous ce statut jusqu’à l’âge de la retraite militaire. L’emploi du réserviste prend cependant en considération sa formation et son emploi civil, afin d’utiliser au mieux ses capacités. Une cellule de gestion et de coordination (Center for Reservestyrken, CFR) a d’ailleurs été créée pour optimiser les souhaits, les besoins et les contraintes des personnels, de leurs employeurs civils et des armées, y compris la garde nationale qui est une composante des armées.
L’adéquation à l’emploi et une meilleure considération des réservistes ont permis aux armées danoises d’améliorer substantiellement leur efficacité générale tout en atteignant une hausse des effectifs. L’application de cette nouvelle gestion de la ressource humaine particulière qu’est la réserve permet déjà, après 3 ans, un emploi plus rationnel – mesuré en ETP (Équivalent temps plein) – rapporté aux forces d’active (30).
La Garde nationale : l’armée du « citoyen de la défense » à la relève des armées
• Créée en 1945, la Garde nationale danoise, HJemmevaernetHjemmevaernet (littéralement « Protection domestique »), a beaucoup évolué en 75 ans. Elle a été initialement conçue comme une milice citoyenne capable de combattre sur l’ensemble du territoire national suite à une invasion. La Garde nationale est aujourd’hui constituée à 75 % d’unités terrestres, regroupées en compagnies, ainsi que d’unités aériennes en charge du renseignement aérien. Sa composante maritime est, pour sa part, responsable du soutien logistique de la marine royale et, plus généralement, de toute action de l’État en mer. La Garde nationale danoise a toujours fait partie intégrante du ministère de la Défense et constitue une « quatrième armée ». Elle compte aujourd’hui un effectif total d’environ 45 000 personnes contre environ 16 000 personnes dans les trois autres armées (plus environ 4 000 civils).
L’intégration dans la Garde nationale ne nécessite pas de passage préalable dans les armées et il n’y a pas de limite d’âge : le garde le plus âgé aujourd’hui est centenaire ! Il faut seulement être citoyen danois, sans casier judiciaire, pour l’intégrer. Pour faciliter le recrutement, la LPM en cours met à disposition de la Garde nationale tout conscrit pendant 5 ans, après sa période de service militaire.
Le concept de la Garde reste globalement le même, trente ans après la fin de la guerre froide, notamment concernant son ancrage populaire, mais l’encadrement et les missions ont été revus. Le rôle de milice de défense locale dévolu à la Garde nationale a évolué et comprend aujourd’hui le soutien aux armées, mais aussi à la Police nationale et à la Sécurité civile. Ainsi, pour le contrôle des flux migratoires illégaux, la surveillance et le contrôle des frontières ont été confiés à la Garde nationale depuis 2015, tout en demeurant une mission policière, sous le commandement et la responsabilité de la police. De même, les surveillances aérienne et maritime, la recherche de personnes, la régulation de la circulation et de nombreuses autres missions sont régulièrement conduites par la Garde nationale. Un soldat y servant sera considéré comme réserviste, mais il peut aussi servir dans l’armée d’active et y être rémunéré au même titre qu’un engagé. Des sections de la Garde nationale ont ainsi été entraînées pour des missions extérieures de haute intensité et intégrées dans des unités régulières de l’armée de terre.
• Héritière des milices de l’Ancien régime, la Garde nationale a été créée en France après la Révolution mais fut supprimée en 1872. À l’issue des attaques terroristes de 2015 et 2016, le président de la République, François Hollande, a décidé de reconstituer une Garde nationale. Celle-ci intègre la réserve opérationnelle de premier niveau de l’Armée de terre, ainsi que les autres réserves opérationnelles du ministère des Armées, de la Gendarmerie et de la Police nationale (31). L’effectif total compte 85 000 personnes d’un âge moyen de 40 ans, dont plus de 60 % n’ont aucun passé militaire. Les réservistes citoyens de défense et de sécurité n’étant pas armés, ils ne font pas partie de la Garde nationale.
Malgré l’existence d’une Garde nationale, les armées effectuent également des missions sur le territoire national alors que ce n’est pas leur vocation première. Ainsi, si la Garde nationale y participe en permanence avec près de 1 000 soldats, l’opération Sentinelle est menée principalement par l’Armée de terre qui y consacre 7 000 hommes en moyenne haute.
Un emploi plus important de la Garde nationale dans les opérations en France, à l’instar du Danemark, permettrait de soulager les unités d’active qui pourraient se consacrer uniquement aux missions militaires principales (32), telles les opérations extérieures. Cela renforcerait l’esprit de défense au sein de la population et la fierté des citoyens armés protégeant la patrie et ses concitoyens. Le modèle danois pourrait ainsi nourrir utilement les réflexions françaises concernant l’avenir de la Garde nationale.
Quelles perspectives ?
Depuis quelques années, la France et le Danemark ont vu leurs budgets militaires augmenter fortement pour permettre une remontée en puissance substantielle des capacités militaires des deux pays afin de pouvoir affronter les défis actuels et à venir.
Quels seront les défis externes et internes de demain ? Comment identifier nos futurs adversaires ? Comment traiter la question cruciale des ressources humaines permettant de répondre aux attentes des individus mais également aux besoins des armées ?
La réponse n’est pas simple, ni même unique. Mais, il est évident que seules les armées, sachant se transformer tout en maintenant leur aptitude et leur disponibilité opérationnelle, sauront rentabiliser de tels investissements.
L’acquisition de systèmes et de plateformes de combat terrestres, navales et aériennes demande une grande maîtrise dans la conduite des programmes et une solide capacité de prévision sur le long terme, au regard des coûts et des durées de service. Le cœur du métier militaire demeure toutefois la gestion des personnels qui servent les armées, c’est-à-dire les ressources humaines. Bien entendu, des forces qui, comme en France, comptent plus de 200 000 hommes, dont deux tiers dans leur composante terrestre, ne pourront pas être gérées de la même façon que celles du Danemark, qui ne représentent que 10 % de ces effectifs mais il est toujours utile de s’inspirer de l’autre.
La volonté de la France d’investir des sommes importantes dans les domaines du cyber et de l’espace exo-atmosphérique pour combler son retard et développer ses capacités devrait conduire les petits pays à faire de même, toutes proportions gardées. Une coopération renforcée avec la France dans ces domaines doit être explorée. Avec la mise en œuvre de nouvelles forces dans ces espaces émergents de confrontation, les armées françaises devront saisir l’occasion de repenser et redéfinir leur gestion en matière de ressources humaines. Les attentes et les ambitions sont très différentes entre un spécialiste de l’Espace, un cybercombattant et un fantassin classique. Le modèle de gestion des armées du Danemark, avec leur recours très développé et valorisé aux réservistes, pourrait se révéler efficace en France pour mieux recruter et fidéliser la nouvelle génération de défenseurs de la République.
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La coopération militaire franco-danoise s’est forgée récemment entre deux Nations très différentes du point de vue militaire : la France connaissait la guerre sans interruption depuis des siècles, alors que le Danemark venait seulement de s’y aventurer de nouveau. Les interventions dans le cadre de coalitions communes ont nourri la curiosité mutuelle et chacun a souhaité développer la relation bilatérale.
Nos soldats, nos marins et nos aviateurs ont depuis combattu côte à côte et prouvé que nous maîtrisons chacun et ensemble la guerre. La relation est donc particulièrement solide et se trouve nettement renforcée par le fait que nos deux pays ont des visions stratégiques très comparables, ce qui ne manquera pas de nous rapprocher encore davantage pour lutter dans l’espace exo-atmosphérique et dans le cyberespace. Nos deux pays défendent, en effet, inconditionnellement avec ténacité et inflexibilité des valeurs et des intérêts communs tels la démocratie et l’état de droit. Les méthodes varient puisque la France est l’avocate de l’Europe de la défense, alors que le Danemark émet depuis toujours certaines réserves et tend à favoriser les solutions otaniennes. Cependant, en fin de compte, la coopération militaire franco-danoise dans les différents domaines apporte des bénéfices remarquables. Le Royaume, très favorable à l’idée de coopération via les coalitions, et notamment entre pays européens, voit s’ouvrir de nouveaux domaines avec la France. Cette dernière, quant à elle, pourrait s’inspirer du modèle danois, flexible et dynamique, pour répondre à son défi le plus important qui est celui des ressources humaines. Cette coopération doit donc continuer à se développer !
Éléments de bibliographie
Ambassade de France à Copenhague, « Relation bilatérale de défense franco-danoise », 26 mars 2020 (https://dk.ambafrance.org/).
Center for Cybersikkerhed, « National it-sikkerhedsmyndighed » [Corps national de sécurité numérique], 16 janvier 2020 (https://fe-ddis.dk/).
Centre national d’études spatiales (CNES), « L’Espace, une ambition pour la France », 6 mars 2020 (https://cnes.fr/).
Dicod, « La cyberdéfense », Ministère des Armées, 17 octobre 2018 (www.defense.gouv.fr/).
Garde nationale, section « Armée de terre » (https://garde-nationale.gouv.fr/armee-de-terre).
Guisnel Jean, « “Trop demander aux armées se traduirait par moins de capacités à remplir leurs vraies missions” », Le Point, 3 mars 2018 (www.lepoint.fr/).
Guisnel Jean, « Georges-Henri Soutou : “Pour notre pays, l’utilité d’une garde nationale se discute” », Le Point, 12 janvier 2016 (www.lepoint.fr/).
Livre blanc sur la Défense et la Sécurité nationale, 2013 (www.livreblancdefenseetsecurite.gouv.fr).
Ministère des Armées, « La réserve de l’Armée de terre, un renfort indispensable », Site interarmées des réserves militaires, 5 février 2019 (www.reserve-operationnelle.ema.defense.gouv.fr/).
Ministère des Armées, « Loi de programmation militaire 2019-2025 : textes officiels », 16 février 2018, Dicod (www.defense.gouv.fr/).
Ministère des Armées, Stratégie spatiale de défense, Rapport du groupe de travail « Espace », 2019 (www.defense.gouv.fr/).
The Maritime Executive, « Newsletters » (www.maritime-executive.com/newsletter).
Entretiens
• Mme la préfète (Rigsombudsmand) Mikaela Engel, préfecture du Groenland (Rigsombuddet I Grønland), février 2020.
• Dr Henning Heiselberg, head of security, DTU Security (Université polytechnique du Danemark, Dk, Sécurité), décembre 2019.
• Général de division aérienne Kim Jesper Jørgensen, Commandement de l’Arctique (Arktisk Kommando), février 2020.
• M. Kaj Juul-Pedersen, space advisory board, DTU Space (Université polytechnique du Danemark, Espace), janvier 2020.
• Lieutenant-colonel Tom Stoltenberg, directeur du Center For Reservestyrken (Cellule de la Réserve de la Défense), mars 2020.
(1) Mitterrand François, « Discours sur le programme de la présidence française de l’Union européenne, notamment en matière d’élargissement, d’union économique et monétaire, d’organisation de l’Europe sociale, d’identité culturelle et de sécurité », Parlement européen, Strasbourg , 17 janvier 1995 (www.elysee.fr/).
(2) Quatre sièges se succèdent entre 845 et 887.
(3) Les duchés de Schleswig et de Holstein ont été conquis par la Prusse en 1864 ; un tiers de la population du Schleswig se considère toujours comme danoise cinquante ans après. De ce fait, en 1920, la moitié nord du Schleswig retourne au Danemark après référendum.
(4) C’est à cette occasion que les forces danoises sont engagées pour la première fois depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale : bataille de Saraci-Kalesija, près de Tuzla (Bosnie), 29-30 mai 1994.
(5) Forpronu : Force de protection des Nations unies ; IFOR : Implementation Force ; SFOR : Stabilization Force ; KFOR : Kosovo Force.
(6) ISAF : Force internationale d’assistance à la sécurité.
(7) CTF-50 : Force opérationnelle [navale] combinée 150.
(8) Ambassade de France au Danemark, « Défense : rapprochement franco-danois » (https://dk.ambafrance.org/).
(9) La mission Foch a pris fin après seulement 6 semaines, suite à la contamination d’un tiers de l’équipage du porte-avions par le coronavirus.
(10) Le refus populaire danois du Traité de Maastricht lors du référendum en mai 1992 a forcé le gouvernement à obtenir un compromis, l’Accord d’Édimbourg (décembre 1992), adopté par référendum l’année suivante. Par conséquent, le Danemark ne peut participer aux opérations militaires au sein de l’Union européenne, pas plus qu’aux développements et aquisitions capacitaires. Pour autant, ces réserves ne bloquent pas le développement d’une coopération toujours plus étroite avec les autres pays de l’UE.
(11) Cette fracture s’est accentuée. Elle est apparue au grand jour au mois d’avril 2020 durant la crise du Covid-19.
(12) Godoy Hilario Paul Manuel, « Chiffre d’affaires annuel du secteur de la construction navale en France de 2008 à 2017 », Statista, 12 juillet 2019.
(13) Source : IHS Markit, Sea-web, juin 2019. En comparaison, pour la France c’est 428 navires pour environ 6,4 M de tonnes brut (www.ecologique-solidaire.gouv.fr/marine-marchande-en-france).
(14) 2 271 000 km2, 15e rang mondial.
(15) Le Groenland a obtenu, le 21 juin 2009, un statut d’autonomie renforcée, avec un gouvernement et un parlement propre.
(16) Jacobsen Marc, Knudsen Rebekka J. et Rosing Minik T., « Kalaallit pilluaritsi: Perspektiver på 10 års Selvstyre, 40-året for Hjemmestyrets indførelse og vejen til selvstaendighed », Politik vol. 22, n° 1, 2019 (https://tidsskrift.dk/politik/article/download/114819/163314/).
(17) Laurek, « Le PDG de Total refuse le forage en Arctique », Le monde de l’énergie, 1er octobre 2012
(www.lemondedelenergie.com/).
(18) En août 2019, le Président américain a évoqué l’intérêt des États-Unis de littéralement acheter le Groenland, provoquant des échanges sur Twitter pendant une semaine avec la Première ministre danoise devant le monde entier : cf. Restuccia Andrew, « Trump Confirms Interest in Greenland », The Wall Street Journal, 18 août 2019.
(19) Convention des Nations unies sur le droit de la mer (Montego Bay), Article 87 « Liberté de la haute mer » (www.un.org/).
(20) Livre blanc sur la Défense et la Sécurité nationale, 2013, p. 7 (www.livreblancdefenseetsecurite.gouv.fr).
(21) Ministère des Armées, « Loi de programmation militaire 2019-2025 : textes officiels », 16 février 2018, p. 31 du rapport annexé (www.defense.gouv.fr/).
(22) Center for Cybersikkerhed, « Undersogelsesrapporter fra CFCS » [rapports d’enquête] (https://fe-ddis.dk/).
(23) United States Strategic Command : 34 000 objets > 1 m. Cf. Aerospace, « Space Debris and Space Traffic Management », 14 novembre 2018 (https://aerospace.org/). Agence spatiale européenne (ESA), « Distribution of Space Debris in Orbit around Earth », février 2019 (www.esa.int/) : 900 000 objets > 1 cm et 130 000 000 objets > 1 mm.
(24) Entretien de l’auteur avec Kaj Juul-Pedersen, space advisory board DTU Space (Université Polytechnique du Danemark, Espace), janvier 2020
(25) Forsvarsministeriet, « Forsvarsforlig 2018-2023 » (https://fmn.dk/videnom/).
(26) Suite au service obligatoire, le soldat est professionnel jusqu’à la fin de son contrat de 24 mois.
(27) Livre blanc sur la Défense et la Sécurité nationale, 2008, vol. 1, p. 244-245 (http://archives.livreblancdefenseetsecurite.gouv.fr/).
(28) Livre blanc sur la Défense et la Sécurité nationale 2013, op. cit., p. 113 et 140.
(29) Forsvaret, « Haerens Historie », 24 janvier 2019 (www2.forsvaret.dk/).
(30) Recherche effectuée conjointement par le service ressources humaines des armées danoises et la cellule de la réserve du ministère des Armées [document interne].
(31) Depuis le 13 octobre 2016, tous les réservistes opérationnels de premier niveau de l’Armée de terre font partie de la Garde nationale mais leur recrutement, leur gestion, leur administration, leur préparation et leur emploi restent une prérogative de l’Armée de terre. Cf. Garde nationale, section « Armée de terre » (https://garde-nationale.gouv.fr/).
(32) Tenenbaum Élie, « La sentinelle égarée ? L’Armée de terre face au terrorisme », Focus stratégique de l’Ifri n° 68, Institut français des relations internationale, juin 2016 (www.ifri.org/).