L’article examine la nécessité de contrôler la licéité d’une nouvelle arme en vertu du droit international humanitaire. Pour faire respecter ce cadre juridique, l’auteure analyse les discussions actuelles sur les nouveaux systèmes d’armes robotisés.
L’analyse des nouveaux systèmes d’armes robotisés sous le prisme de l’article 36 du Protocole additionnel I (1)
« Si les terribles moyens de destruction dont les peuples disposent actuellement paraissent devoir, à l’avenir, abréger la durée des guerres, il semble que les batailles n’en seront, en revanche, que plus meurtrières ».
Henry Dunant, Un Souvenir de Solferino (1862)
Le droit international humanitaire est un ensemble de règles qui s’appliquent pendant un conflit armé avec pour objectifs de protéger les personnes qui ne participent pas, ou plus, aux hostilités (comme les civils et les combattants blessés, les malades ou les prisonniers de guerre) et de réglementer la conduite des hostilités (c’est-à-dire les moyens ou méthodes de guerre).
Contrôler la licéité d’une nouvelle arme avant sa mise en service est un principe que l’on retrouve dès 1868, dans la Commission [militaire internationale] ayant fixé : « d’un commun accord, les limites techniques où les nécessités de la guerre doivent s’arrêter devant les exigences de l’humanité… » (2).
Par l’article 36 du Protocole additionnel I (PA I), les Hautes parties contractantes s’engagent à déterminer l’illégalité éventuelle d’une nouvelle arme, aussi bien au regard des dispositions du Protocole que de toute autre règle du droit international applicable, sur la base de l’usage normal qui en est escompté au moment de l’évaluation. Si ces mesures ne sont pas prises, la responsabilité de l’État sera en tout cas engagée s’il y a dommage illicite.
La nécessité de contrôler la licéité d’une nouvelle arme implique plusieurs éléments, en premier lieu, de déterminer, quels types d’armes doivent faire l’objet d’un examen juridique. Puis, de définir le cadre juridique applicable aux nouvelles armes, c’est-à-dire, aux nouveaux moyens et méthodes de guerre en lien avec les interdictions ou restrictions suivantes : les interdictions ou restrictions découlant du droit international des traités, les interdictions ou restrictions découlant du droit international coutumier et enfin les interdictions ou restrictions fondées sur les principes de l’humanité et les exigences de la conscience publique (la « Clause de Martens », voir infra). Enfin, pour faire respecter ce cadre juridique, il convient aussi d’analyser les discussions actuelles sur les nouveaux systèmes d’armes robotisés, qui révèlent que des efforts considérables doivent être entrepris pour décloisonner la réflexion sur le sujet et le mettre dans une perspective plus opérationnelle.
Quels types d’armes doivent faire l’objet d’un examen juridique ?
Le droit de choisir les moyens et méthodes de guerre (l’expression « moyens et méthodes de guerre » désigne les « outils » de la guerre) n’est pas illimité : il s’agit là de l’un des principes de base du Droit international humanitaire (DIH). Ce principe est énoncé, par exemple, à l’art. 22 du Règlement de La Haye de 1907 (3) concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre ainsi qu’à l’art. 35 § 1, du PA I (4).
Le champ d’application matériel de l’examen juridique couvre notamment, par exemple :
1. les armes de tous types, qu’elles soient destinées à un usage antipersonnel ou antimatériel, « létales », « non-létales » ou « moins létales », de même que les systèmes d’armes ;
2. toutes les armes dont l’acquisition est prévue, qu’il soit envisagé de les obtenir par le biais de la recherche et du développement sur la base de spécifications militaires ou de les acheter ;
3. toute arme que l’État prévoit d’acquérir pour la première fois, sans que celle-ci soit nécessairement « nouvelle » au sens technique ;
4. une arme existante, quand un État se lie à un nouveau traité international qui est susceptible d’avoir une incidence sur la licéité de l’arme.
Pour ce dernier critère cela signifie donc qu’un traité sur l’usage des robots semi-autonomes et autonomes peut avoir un effet sur l’usage d’une arme autonome existante.
Il faut également rappeler qu’en cas de doute quant à savoir si l’engin ou le système dont on prévoit l’étude, la mise au point ou l’acquisition, est bien une « arme », des conseils juridiques devraient être sollicités auprès de l’autorité chargée de déterminer la licéité des armes. De même qu’une arme ne peut pas être évaluée sans tenir compte de la méthode de guerre selon laquelle elle sera utilisée. Il s’ensuit que la licéité d’une arme ne dépend pas uniquement de sa conception ou du but recherché, mais aussi de la manière dont on peut attendre qu’elle sera utilisée sur le champ de bataille. De plus, une arme utilisée d’une certaine manière peut « réussir » l’examen prévu à l’article 36, mais « échouer » quand elle est utilisée d’une autre manière. C’est la raison pour laquelle l’article 36 demande aux États de déterminer si l’emploi d’une arme donnée « serait interdit, dans certaines circonstances ou en toutes circonstances » par le droit international, nous y reviendrons.
Le cadre juridique applicable aux nouveaux systèmes d’armes robotisés
Pour définir le cadre juridique applicable aux nouvelles armes et aux nouveaux moyens et méthodes de guerre, il est nécessaire de le faire en lien avec les interdictions ou restrictions découlant du droit international des traités. Le droit des combattants de choisir leurs moyens et méthodes de guerre est donc limité par un certain nombre de règles fondamentales du DIH relatives à la conduite des hostilités. De fait, beaucoup de ces règles figurent dans le PA I de 1977 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux. D’autres traités interdisent ou limitent l’emploi de certaines armes spécifiques, telles que, notamment, les armes biologiques et les armes chimiques, les armes incendiaires, les armes à laser aveuglantes et les mines terrestres (5).
Comme mentionné en préambule, l’examen de la conformité au droit des armes nouvelles et des nouveaux moyens ou méthodes de guerre n’est pas un concept récent. Le premier instrument international faisant référence à l’évaluation, sous l’angle juridique, des technologies militaires émergentes fut la Déclaration de Saint-Pétersbourg, adoptée en 1868 par une Commission militaire internationale. La mise au point des armes futures y est évoquée en ces termes : « Les Parties contractantes… se réservent de s’entendre ultérieurement, toutes les fois qu’une proposition précise serait formulée en vue des perfectionnements à venir que la science pourrait apporter dans l’armement des troupes, afin de maintenir les principes qu’elles ont posés et de concilier les nécessités de la guerre avec les lois de l’humanité » (6). La seule autre référence, dans des traités internationaux, à la nécessité de procéder à l’examen juridique des armes nouvelles et des nouveaux moyens et méthodes de guerre se trouve à l’article 36 du PA I de 1977 que nous allons aussi aborder maintenant.
Cette règle du DIH a d’ailleurs fait l’objet de nombreuses discussions lorsque l’on revient aux conférences diplomatiques : « entre ceux qui vont faire de cet article, une condition d’acceptation de l’ensemble du Protocole et ceux qui considèrent qu’une telle proposition visait le désarmement, et donc qui n’était pas de la compétence de la Conférence diplomatique… visant à conduire à une prolifération d’organes internationaux, ce qui ne ferait que compliquer la recherche d’une solution. Cet échange d’arguments a abouti, en séance plénière, au rejet, par une majorité de circonstance, d’un projet d’article. Ultérieurement, et à titre de compromis, la Conférence adoptera, par consensus, la Résolution 22, intitulée : Suite à donner aux travaux sur l’interdiction ou la limitation de l’emploi de certaines armes conventionnelles » (7).
Pour résumer, en droit des conflits armés, l’article 36 est le seul frein, avec les règles de La Haye, aux abus engendrés par la course aux armements ou à des possibilités d’abus. Cet article porte aussi sur les armes futures. Indépendamment des problèmes de la guerre atomique, bactériologique et chimique, voire spatiale, qui ne sont pas évoqués dans le cadre de la Conférence diplomatique, les experts évoquaient éjà « l’usage d’armes à longue portée, télécommandées ou combinées à des senseurs placés sur le terrain, qui conduirait à une automatisation du champ de bataille, où le soldat jouerait un rôle de moins en moins important. Les contre-mesures provoquées par cette évolution, notamment le brouillage électronique, accentueraient le caractère indiscriminé de la lutte » (8).
Parmi les États ayant mis en place des mécanismes formels pour évaluer la conformité au droit des nouvelles armes, certains ont demandé à l’autorité chargée de procéder à cette vérification de prendre en considération non seulement le droit en vigueur au moment de l’examen, mais aussi les probables développements futurs du droit. Ainsi citons pour exemple le Manuel militaire du Royaume-Uni (9) qui, dans sa procédure d’examen, tient compte du droit en vigueur au moment de l’examen mais s’efforce également de tenir compte des probables développements futurs du droit des conflits armés. De même, une directive de la Norvège prévoit « des règles pertinentes du droit international dont on peut attendre qu’elles entreront en vigueur pour la Norvège dans un avenir proche doivent également être prises en considération » (10). La même disposition ajoute : « une importance particulière sera accordée aux opinions sur le droit international présentées par la Norvège au niveau international » (11). Une telle approche vise à éviter les coûteuses conséquences d’une décision consistant à approuver et acquérir une arme dont l’emploi risquerait d’être frappé de restrictions, voire même d’interdiction, dans un avenir proche.
En outre, un grand nombre de règles fondamentales d’interdictions et de limitations spécifiques relatives aux moyens et méthodes de guerre découlent de ce que l’on nomme le droit international coutumier, c’est-à-dire des règles qui résultant d’une « pratique générale acceptée comme étant le droit », et qui existent indépendamment du droit conventionnel. Ce droit est d’une importance capitale car il comble certaines de ses lacunes, renforçant ainsi la protection dont bénéficient les victimes. Nous pouvons citer en exemple quelques règles :
1. Il est interdit d’employer des moyens ou des méthodes de guerre de nature à causer des maux superflus (12).
2. Il est interdit d’employer des armes qui sont de nature à frapper sans discrimination (13). Cette disposition inclut les méthodes ou moyens de guerre qui ne peuvent pas être dirigés contre un objectif militaire déterminé ainsi que les méthodes ou moyens de guerre dont les effets ne peuvent pas être limités comme le prescrit le droit international humanitaire (14).
3. Les attaques par bombardement, quels que soient les méthodes ou moyens utilisés, qui traitent comme un objectif militaire unique un certain nombre d’objectifs militaires nettement espacés et distincts situés dans une ville, un village ou toute autre zone contenant une concentration analogue de personnes civiles ou de biens de caractère civil, sont interdites (15).
4. L’utilisation de méthodes ou moyens de guerre conçus pour causer, ou dont on peut attendre qu’ils causeront, des dommages étendus, durables et graves à l’environnement naturel est interdite. La destruction de l’environnement naturel ne peut pas être employée comme une arme (16).
5. Il est interdit de lancer des attaques dont on peut attendre qu’elles causent incidemment des pertes en vies humaines dans la population civile, des blessures aux personnes civiles, des dommages aux biens de caractère civil, ou une combinaison de ces pertes et dommages, qui seraient excessifs par rapport à l’avantage militaire concret et direct attendu (règle de proportionnalité) (17).
Enfin, certaines interdictions ou restrictions peuvent se fonder sur les principes de l’humanité et les exigences de la conscience publique. Nous pouvons nous appuyer sur la Clause de Martens, instrument clé du DIH, qui offre un moyen de réguler efficacement des systèmes autonomes. La Clause de Martens fait partie du droit des conflits armés depuis sa première apparition dans le préambule de la Convention (II) de La Haye de 1899 concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre (18). La Clause se fondait sur une déclaration lue par le professeur Frédéric de Martens (d’où son nom), délégué russe à la Conférence de la paix. Martens l’a présentée après que les délégués à cette Conférence n’eurent pas réussi à se mettre d’accord sur la question du statut des civils qui prenaient les armes contre une force occupante. La Clause de Martens est importante parce que, de par sa référence au droit coutumier, elle souligne la portée des normes coutumières dans le règlement des conflits armés. En outre, elle invoque les « principes de l’humanité » et les « exigences de la conscience publique ».
Ainsi, il convient d’examiner si l’arme en cours d’évaluation est conforme aux principes de l’humanité et aux exigences de la conscience publique, tels qu’ils sont énoncés à l’article 1er, § 2, du PA I, dans le préambule de la Convention (IV) de La Haye de 1907 et dans le préambule de la Convention (II) de La Haye de 1899. Cette référence à la Clause de Martens est énoncée de la manière suivante à l’article 1er, § 2, du PA I : « Dans les cas non prévus par le présent Protocole ou par d’autres accords internationaux, les personnes civiles et les combattants restent sous la sauvegarde et sous l’empire des principes du droit des gens, tels qu’ils résultent des usages établis, des principes de l’humanité et des exigences de la conscience publique ».
Dans son avis consultatif sur la Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, la Cour internationale de Justice (CIJ) a affirmé l’importance de la Clause de Martens « qui continue indubitablement d’exister et d’être applicable », ajoutant qu’elle s’était « révélée être un moyen efficace pour faire face à l’évolution rapide des techniques militaires » (19). La CIJ a également estimé que la Clause de Martens représentait « l’expression du droit coutumier préexistant » (20).
Une arme non couverte par les règles existantes du droit international humanitaire serait considérée non conforme à la Clause de Martens s’il est établi qu’elle contrevient aux principes de l’humanité ou aux exigences de la conscience publique.
Les débats autour des nouveaux systèmes d’armes robotisés
Les discussions autour des nouvelles technologies de guerre suscitent un regain d’attention pour l’obligation qu’ont les États, en vertu de l’article 36 du PA I, de soumettre toute nouvelle arme à un examen juridique rigoureux. Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a donc engagé le dialogue avec plusieurs États concernant son projet de mise à jour du Guide de l’examen de la licéité des nouvelles armes et des nouveaux moyens et méthodes de guerre. Dans le cadre des débats internationaux sur les nouvelles technologies de guerre, et notamment lors des réunions informelles d’experts sur les systèmes d’armes autonomes organisées en 2014 et 2015 dans le cadre de la Convention sur certaines armes classiques (CCW), le CICR a rappelé l’obligation d’examiner la licéité des armes nouvelles et appelé les États qui ne l’avaient pas encore fait à établir des procédures permanentes pour soumettre toute nouvelle arme à un examen rigoureux et pluridisciplinaire.
Le CICR a présenté son point de vue sur le sujet lors de plusieurs réunions, dont la réunion d’experts informelle sur les systèmes d’armes autonomes en avril 2016 (21), la 39e table ronde de San Remo sur le droit international applicable aux armes et armements en septembre 2016 (22) et le Forum annuel d’examen des nouvelles armes à la lumière de l’article 36 organisé par le ministère de la Défense du Royaume-Uni en octobre 2016. Une étude du CICR intitulée Autonomous Weapon Systems: Implications of Increasing Autonomy in the Critical Functions of Weapons est également disponible et reflète le travail de plusieurs experts sur le sujet (23).
En 2017 s’est tenue la première réunion du Groupe d’experts gouvernementaux sur les Systèmes d’armes létaux autonomes (Sala). Alors que les Hautes Parties contractantes à la Convention sur certaines armes classiques entamaient des discussions plus formelles, les États avaient pu identifier et développer un socle de travail commun, notamment fondé sur le large accord existant quant à la nécessité de conserver un contrôle humain sur les systèmes d’armes et sur l’utilisation de la force.
En 2018, les États se sont réunis dans le cadre de la CCW pour discuter des armes autonomes. Ils ont fait valoir à l’occasion de cette Conférence, que le concept de « contrôle humain significatif » devait être un des éléments sur lequel les débats devaient avoir lieu. Néanmoins, il n’y a pas d’accord sur le sens donné à ce « contrôle humain significatif ». À cet égard, on peut d’ailleurs relever que les discussions des États ne prennent pas suffisamment en compte le contexte opérationnel. On peut en déduire que, pour maintenir un certain degré de contrôle humain, il y aura des limites à fixer aux niveaux de la licéité de l’autonomie conférée aux nouveaux systèmes d’armes robotisés. La nécessité d’un contrôle humain fait également apparaître un certain nombre de questions relatives à des aspects techniques que les juristes vont devoir appréhender au regard de l’application de l’article 36 du PA I. On peut soulever, par exemple, les sources d’imprédictibilité d’un système d’arme robotisé dans sa conception par le fait d’introduire dans le processus de ciblage des algorithmes d’apprentissage automatiques issus de l’Intelligence artificielle (IA). Cela peut conduire à soulever des préoccupations majeures d’ordre juridique, dans la mesure où le fonctionnement et les effets des systèmes d’armes seraient alors intrinsèquement imprédictibles.
Il est souhaitable de faire respecter les obligations juridiques par les combattants de maintenir un niveau minimum de contrôle humain dans l’examen de la licéité de l’utilisation des nouveaux systèmes d’armes robotisés, à partir d’un certain nombre de critères, notamment : la prédictibilité, la supervision et la capacité d’intervention d’un humain sur le système d’arme, les restrictions opérationnelles pesant sur les tâches, les types de cibles et l’environnement opérationnel imposant des limites dans le temps et dans l’espace. Il est également nécessaire d’approfondir la réflexion sur le sujet et d’examiner le contexte dans lequel ce contrôle humain significatif doit être exercé, plus spécifiquement : qui doit exercer un contrôle humain significatif et sur quoi ?
Chaque situation dans une opération militaire peut nécessiter plusieurs formes de contrôle humain et celui-ci est bien souvent distribué à différents niveaux. Par conséquent, l’utilisation des nouveaux systèmes d’armes robotisés doit être examinée comme une partie seulement d’un cycle. Le contrôle humain significatif pourrait être mieux décrit comme un contrôle réparti sur un éventail d’individus et parfois de technologies intervenant à différentes étapes du cycle de ciblage. Alors que le contrôle humain significatif suppose théoriquement l’existence d’une décision ultime, la pratique militaire montre que la prise de décision est généralement répartie. De plus, alors qu’un contrôle humain significatif concerne généralement la relation entre les armes et leurs opérateurs, la pratique militaire montre une division du travail. En effet, les décisions critiques sont prises par plusieurs individus à plusieurs moments du processus de ciblage et elles doivent avoir un lien de causalité direct avec l’utilisation de l’arme.
En dépit de l’évolution rapide des nouvelles technologies de guerre, de l’obligation prévue à l’article 36 du PA I et des nombreux appels lancés lors de précédentes conférences internationales, seuls un petit nombre d’États ont, à ce jour, fait savoir qu’ils avaient établi des mécanismes permanents pour examiner la licéité des nouvelles armes. L’attention croissante que portent les gouvernements et le public aux nouvelles technologies de guerre offre l’occasion aux organisations humanitaires de rappeler aux États leur obligation d’examiner la licéité des armes nouvelles ainsi que les engagements qu’ils ont pris en la matière aux conférences internationales de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge. Dans cette optique, les acteurs humanitaires vont intensifier leur dialogue avec les États, tant bilatéralement que dans le cadre de forums multilatéraux, comme les réunions organisées dans le cadre de la Convention sur certaines armes classiques.
Le CICR s’attachera également à promouvoir, dans la mesure du possible, l’échange de données d’expérience sur les mécanismes et procédures d’examen des armes. Par exemple, le ministère de la Défense du Danemark a sollicité les conseils de la Croix-Rouge danoise pour élaborer une procédure d’examen des armes fondée sur l’article 36. À cette fin, la Société nationale organise, avec la Croix-Rouge finlandaise, un symposium auquel participent des représentants de la Suisse, de la Suède, du Royaume-Uni et le CICR. Ce congrès a pour objectif de favoriser les échanges entre les autorités des pays nordiques et des représentants chevronnés d’États qui se sont déjà dotés d’une telle procédure. Enfin, la Croix-Rouge de Norvège a appelé à une application plus rigoureuse de l’article 36 dans son pays, attirant notamment l’attention sur les problèmes liés aux systèmes d’armes autonomes. Le gouvernement norvégien affine actuellement sa procédure d’examen fondée sur l’article 36, dans le cadre de son processus d’acquisition d’armes destinées aux forces armées du Royaume.
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Tous les États ont intérêt à évaluer la licéité des nouvelles armes. Cet examen contribuera à donner l’assurance que les forces armées d’un État sont en mesure de conduire des hostilités conformément à ses obligations internationales. Même si l’article 36 du Protocole additionnel I ne précise pas comment doit être conduit l’examen de la licéité des armes autonomes, l’évaluation doit porter à la fois sur les armes au sens le plus large et sur les façons dont elles sont employées. La détermination de la conformité d’une arme au droit en vigueur exige un examen de toutes les données empiriques pertinentes relatives à cette arme. Il convient aussi que les États déterminent à quelle autorité nationale ils souhaitent donner cette responsabilité et qui devrait y être associé. Les stades du processus d’acquisition auxquels l’examen juridique doit avoir lieu sont aussi à définir, de même que les procédures à prévoir en matière de prise de décisions et de conservation des données. ♦
(1) Article 36 « Armes nouvelles » du Protocole additionnel I (relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux) de la Convention de Genève (pour l’amélioration du sort des blessés et des malades dans les forces armées en campagne) de 1949 signé le 8 juin 1977 (https://ihl-databases.icrc.org/).
(2) Déclaration de Saint-Pétersbourg, 1868.
(3) Article 22 du Règlement de La Haye de 1907 : « Les belligérants n’ont pas un droit illimité quant au choix des moyens de nuire à l’ennemi ».
(4) Article 35 § 1 du PA I : « 1. Dans tout conflit armé, le droit des Parties au conflit de choisir des méthodes ou moyens de guerre n’est pas illimité ».
(5) Convention sur l’interdiction de la mise au point, de la fabrication et du stockage des armes bactériologiques (biologiques) ou à toxines et sur leur destruction, ouvert à la signature à Londres, Moscou et Washington le 10 avril 1972 (https://ihl-databases.icrc.org/) ; Convention sur l’interdiction de la mise au point, de la fabrication, du stockage et de l’emploi des armes chimiques et sur leur destruction, Paris, 13 janvier 1993 (https://ihl-databases.icrc.org/) ;
Protocole sur l’interdiction ou la limitation de l’emploi des armes incendiaires (Protocole III), Genève, 10 octobre 1980 (https://ihl-databases.icrc.org/) ; Protocole relatif aux armes à laser aveuglantes (Protocole IV à la Convention de 1980), 13 octobre 1995 (https://ihl-databases.icrc.org/) ; Convention sur l’interdiction de l’emploi, du stockage, de la production et du transfert des mines antipersonnel et sur leur destruction, 18 septembre 1997 (https://ihl-databases.icrc.org/).
(6) Déclaration à l’effet d’interdire l’usage de certains projectiles en temps de guerre, signée à Saint-Pétersbourg le 29 novembre [11 décembre] 1868.
(7) Actes VII, p. 30, CDDH/SR.47, § 76 ; pour la discussion en séance plénière de la Conférence, p. 16-50.
(8) Ibid.
(9) The Manual of the Law of Armed Conflict, Oxford University Press, 2004, p. 119, § 6.20.1
(10) Ministère de la Défense (Norvège), Direktiv om folkerettslig vurdering av vapen, krigforingsmetoder og krigforingsvir-kemidler [Directive relative à l’examen juridique des armes, méthodes et moyens de guerre], 18 juin 2003.
(11) Ibid.
(12) Henckaerts Jean-Marie et Doswald-Beck Louise (dir.), Droit international humanitaire coutumier, CICR et Bruylant, Bruxelles, 2006, vol. I, règle 70, p. 315.
(13) Ibid., règle 71, p. 244. Voir également règle 11, p. 50.
(14) Id., règle 12, p. 54.
(15) Id., règle 13, p. 58.
(16) Id., règle 45, p. 201. Voir également la règle 44, p. 320.
(17) Id., règle 14, p. 62.
(18) (https://ihl-databases.icrc.org/).
(19) CIJ, Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires (avis consultatif), La Haye, 8 juillet 1996, § 87 (www.icj-cij.org/fr/affaire/95).
(20) Ibid.
(21) Réunion d’experts informelle sur les systèmes d’armes autonomes, Genève, 11 au 15 avril 2016 (https://cd-geneve.delegfrance.org/).
(22) International Institute of Humanitarian Law, Weapons and the International Rule of Law, 2017 (http://iihl.org/).
(23) Réunion d’experts des 15 et 16 mars 2016. Document téléchargeable en langue anglaise ou chinoise (https://shop.icrc.org/).