Synthèse des débats et conclusions
Georges-Henri Soutou
Pour introduire cette dernière séance de conclusion je voudrais effectuer un rappel de ce qui a été dit pendant la journée, à la fois pour en tirer quelques éléments de synthèse et, en même temps, l’effectuer à l’attention des deux intervenants de cette dernière session, le ministre Hubert Védrine et le général François Lecointre, Chef d’état-major des armées (Céma).
Notre colloque a été tout du long passionnant. Il faut en remercier les orateurs. Les relations entre diplomates et militaires, par moments, ont presque semblé être ce que les Anglais appellent « A love feast », une fête d’amour. Il y a eu cependant quelques petits « Scud » – discrets, je m’empresse de vous rassurer.
Nous avons, en particulier, assisté à des moments d’étroite coopération entre diplomates et militaires, ou entre militaires et diplomates, là où il ne pouvait pas en être autrement pour être efficace. Cela ne concerne pas seulement les opérations qui ont été rappelées, mais, aussi quelque chose d’aussi central que le retour de la France dans l’Alliance atlantique. C’était vraiment une question politico-militaire au premier chef.
Permettez-moi un très rapide rappel d’historien pour montrer où nous en sommes maintenant. Pour ma génération, le point de départ pour la période de l’histoire contemporaine, c’est 1954, Diên Biên Phu et le rapport de la Commission présidée par le général Catroux pour le post mortem de cette catastrophe, soixante pages publiées dans un des volumes de l’Histoire de la IVe République de Georgette Elgey, que j’invite tout officier stagiaire à l’École de Guerre à lire. C’est extrêmement intéressant.
Un deuxième épisode est la catastrophe diplomatico-militaire de l’opération de Suez en 1956, où le Quai d’Orsay a été à peu près totalement court-circuité. L’ambassadeur à Londres, Chauvel, raconte dans ses mémoires qu’il voit arriver un jour quelqu’un en costume civil qui se présente comme M. Challe. Il s’étonne de le voir porter un imperméable de couleur Armée de l’air et de coupe militaire. C’était bien entendu le général Challe qui venait parler avec les Anglais en contournant notre service diplomatique.
Même au début des années 1960, les premières opérations en Afrique, que l’on qualifie aujourd’hui d’Opérations extérieures (Opex), sont gérées en principe, sous l’autorité du général de Gaulle, par Jacques Foccart. Seulement, une fois sur deux, Jacques Foccart n’est pas joignable parce qu’il est en Méditerranée en train de chasser et de pêcher. Il n’a pas d’appareils de communication à bord. Du coup, on se tourne vers le Quai d’Orsay, à l’époque, en l’occurrence, mon père, directeur Afrique et Levant. La coopération se passe très difficilement.
À mon avis, la date charnière qui voit la première organisation plus rationnelle se mettre en place est celle de la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, avant d’en arriver aux périodes tout à fait cruciales – cela a été très bien souligné au cours de notre colloque – des opérations en ex-Yougoslavie. C’est en quelque sorte le baptême du feu de la coopération moderne entre diplomates et militaires.
Avant d’entrer dans un ou deux détails plus précis, il y a eu de remarquables observations des uns et des autres sur la nécessaire prudence qui marque en général les interventions françaises, y compris concernant le multilatéralisme. Le multilatéralisme, c’est bien, mais est-ce vraiment efficace et utile ? Chaque fois, il faut s’interroger, sans hésiter à poser l’autre question, peu à la mode et peu politically correct, des intérêts français. Le mot est revenu parfois et n’a pas été considéré comme obscène dans notre assemblée…
Nous avons eu ensuite une description historique, diplomatique et militaire montrant la montée en puissance de nos engagements et le perfectionnement progressif, avec les différentes crises yougoslaves, les hésitations du début, la reconnaissance du fait que la bonne formule est le mandat de l’ONU avec un commandement français national ou dans un cadre atlantique coopérant, bien entendu, avec l’ONU – je résume rapidement. La formule tentée au début des affaires de Yougoslavie d’un commandement onusien a montré ses limites, comme en Afrique à d’autres occasions. Une sorte de doctrine a paru se dégager. Le mandat international de l’ONU est indispensable. Certes, il faut ensuite collaborer avec les organismes de l’ONU, mais la gestion militaire du problème nécessite un commandement national ou intégré dans le cadre de l’Otan ou de l’Union européenne, qui soit bien connu, maîtrisé, préparé très tôt, interopérable, etc.
Il y a évidemment des constantes. Cette charnière politico-militaire est particulièrement bien mise au point en France. Elle est moins facilement mise en œuvre par nos collègues d’Europe continentale – je laisse de côté les Anglais et les Américains. En particulier, cela pose le problème spécifique de l’Allemagne, que vous connaissez bien, et ceci pour de nombreuses raisons. Pour élargir ce modèle à l’ensemble de l’Union européenne, dans un idéal encore lointain, il faudra consentir de considérables efforts.
Pendant ce temps, l’Otan a peut-être des problèmes « neurologiques », mais je constate qu’au moment de la récente conférence de la Wehrkunde à Munich (1), les Américains débarquaient en Europe pour un exercice (2), comprenant 35 000 hommes dont 20 000 Américains et le matériel correspondant. La leçon de choses pour nos amis européens est évidemment assez parlante.
On pourrait faire d’autres remarques de ce genre, mais je ne veux pas prendre votre temps. Je me permettrais peut-être de terminer par quelques questions pour lesquelles ma curiosité n’a pas été totalement satisfaite par le colloque, ce qui nous incitera à poursuivre les recherches.
On a évoqué un point qui est un peu une de mes marottes, c’est l’importance du renseignement dans les opérations. Cela a été clairement mis en valeur pour le renseignement tactique. Le renseignement stratégique, à plus long terme, c’est-à-dire la connaissance en profondeur du partenaire, voire de l’adversaire, a été mentionné pour l’Afrique. C’était bien net. Dans le cas des Balkans, – et je ne m’en souviens pas à l’époque de l’avoir noté – y avait-il une connaissance extrêmement approfondie, par exemple, des débats entre dirigeants serbes, que ce soit les Serbes de Belgrade, les Serbes de Bosnie avec Karadzic – en fait, à couteaux tirés avec Milosevic ? Les Serbes de Bosnie sont des tchetniks, les Serbes de Belgrade sont des communistes. Leur coopération est aussi délicate qu’à la Libération entre gaullistes et communistes. Je prends cet exemple très rapide pour me faire comprendre. À l’époque, cela ne m’a pas paru suffisamment pris en compte.
Autre question. Dans l’affaire des Balkans, nous voyons bien des objectifs français généraux (stabilisation, arrêt des catastrophes ethniques, etc.). On voit un peu moins bien l’intérêt français. Du moins constate-t-on un changement de pied français considérable. La France a commencé en 1991 en soutenant les Serbes de façon excessive. Un certain communiqué franco-serbe, lors d’une visite à Paris en juin 1991, est caricatural. Mais la France a fini par faire tout à l’inverse. Les Allemands, eux, sont restés parfaitement constants dans une politique définie depuis la Première Guerre mondiale : appui aux Croates et soutien aux Musulmans des Balkans. C’est exactement ce qu’ils ont fait jusqu’au bout.
Nous avons entendu des remarques très intéressantes sur les questions de mandat international et de légitimité de l’ONU. Cela a été très bien expliqué, avec beaucoup de finesse, et répondait à beaucoup de critiques. Ce n’est peut-être pas évident pour vous, mais, circule l’affirmation selon laquelle certaines opérations auraient été menées au Kosovo sans mandat de l’ONU, etc. On y a largement répondu.
Une autre de mes inquiétudes concerne la Grande-Bretagne. Nous en avons évidemment souvent parlé. Il m’a semblé que se dessinait une tendance à considérer que le Brexit n’allait pas changer fondamentalement notre coopération militaire et stratégique avec elle. Je crains fort que ce ne soit pas le cas. Je redoute que le Brexit, surtout par la façon dont il se passe, entraînant ses conséquences successives, ne remette en cause ce qui pouvait être, jusqu’à maintenant, considéré comme acquis : Lancaster House, ou du moins dans sa mise en œuvre. Pour ma part, je ne vous cache pas que j’en suis fort préoccupé.
Une remarque. Après avoir entendu les uns et les autres, je me suis trouvé conforté dans une de mes idées : l’Otan, l’ONU et les organismes internationaux – l’Union européenne éventuellement – deviennent essentiellement des prestataires de services : soit des services militaires (comme l’Otan qui fournit des avions d’observation, des moyens de communication, etc.), soit des services juridiques, voire politiques (légitimité que l’ONU accorde à telle opération). C’est à la carte. L’idée, forte dans les années 1990, qu’existerait un cadre multilatéral, juridique, parfaitement stable et établi dans le cadre de ces différentes organisations me paraît avoir cédé la place à quelque chose de beaucoup plus pragmatique et au coup par coup.
Ainsi que cela a été encore rappelé dans les derniers discours du président de la République ou lors de la conférence de Munich à laquelle je faisais allusion, reste le problème de la culture stratégique européenne, avec tout ce que cela comporte. Je plaiderais pour que l’on étudie très objectivement et très calmement les différentes déclarations et tendances allemandes, même si l’Allemagne est dans une profonde crise en ce moment. Mais elle en sortira, comme toujours. Prenez la conférence de la Wehrkunde. Très franchement, le discours du Président allemand n’était pas bon. Il a été rédigé de pièces et de morceaux, dont certains étaient tirés du Livre blanc allemand de la sécurité et de la défense de 1999 – et ce n’était pas forcément les meilleurs passages. Il a dit néanmoins deux choses importantes. L’une a été largement reprise dans la presse : « attention, dit-il, il convient d’améliorer les relations, vis-à-vis de la Russie », mais il y a aussi l’obligation, souligne le Président allemand, de tenir compte de l’opinion de l’Europe centrale (de la Scandinavie jusqu’au sud de l’Europe) où demeure une méfiance nourrie par l’histoire et l’actualité à l’égard de la Russie.
Par ailleurs, il a été moins souligné que le Président allemand a aussi évoqué le dialogue stratégique franco-allemand. Les structures ou les modalités prévues sont très discutées, mais le principe du dialogue est accepté. En fait, il ressort que ce dialogue ne peut concerner que deux axes stratégiques essentiels, avant de savoir si on participera à des exercices communs en matière de dissuasion nucléaire, etc. La première décision stratégique consiste à faire comprendre à l’Europe de l’Est et du Nord que nous avons de très sérieux problèmes au Sud de l’Europe et à faire comprendre au Sud de l’Europe, y compris à nous-mêmes, qu’il n’est pas possible de négliger l’axe Est. Ce n’est pas que je crois que la Russie va nous faire la guerre, mais, si nous ne prenons pas en compte cet axe Est, nous n’arriverons pas à comprendre les soucis stratégiques de nos voisins et nous aurons encore moins de chance pour leur faire comprendre nos propres soucis. Le problème d’une alliance est qu’elle est toujours, sur le plan stratégique, suboptimale. Il est évident que ce type de réflexion n’est pas parfait du point de vue stratégique, mais il est absolument indispensable politiquement. Et c’est là, à mon avis, que la coopération de nos diplomates et de nos militaires, avec leurs collègues correspondants européens et, en particulier, allemands, mais pas seulement, est tout à fait urgente.
Je sais bien qu’on a tendance à dire qu’il n’y a rien à faire actuellement avec l’Allemagne sur le plan militaire. Mais c’est une vue excessive. J’ai suffisamment fréquenté les universités de la Bundeswehr ou la Führungs-Akademie de Hambourg pour vous dire que, dès que l’on commence à parler sérieusement de stratégie, il y a une sorte de sortie de l’hibernation (Brunehilde se réveille !). On peut parler stratégie avec les Allemands, à condition d’étudier leurs propositions et leurs remarques. À propos de l’Afrique, par exemple, ils ne sont plus du tout dans l’idée qu’il s’agit des histoires de la Françafrique, ce qui était encore l’idée dominante. Depuis, ils admettent qu’il y a des problèmes très réels en Afrique qui intéressent l’ensemble de l’Europe et qui ne concernent pas seulement les intérêts français classiques. C’est bien là-dessus qu’il faut jouer. Ce sera, me semble-t-il, le travail de nos diplomates et de nos militaires pour la suite.
Hubert Védrine
Je suis très heureux de cette occasion. Je regrette de ne pas avoir été présent toute cette journée et de ne pas avoir entendu l’introduction et les propos de M. de Broglie, de Gérard Errera, du général Bentégeat et de tous les autres. Le programme était très intéressant.
Je dirai simplement qu’il me semble qu’une partie croissante de l’opinion, même dans nos pays un peu chimériques, a tout de même compris que nous n’étions pas encore dans une « communauté internationale » et qu’il n’y avait pas d’ordre multipolaire stable, mais une sorte de « bataille de chiffonniers » ou une mêlée. Il me semble que ce réalisme progresse, sous le coup de déceptions, d’un désenchantement ou d’une inquiétude. L’opinion va davantage dans ce sens actuellement que dans les années de la fin de l’Union soviétique. Cela devrait donc rendre évident que, dans ce monde-là, on a vraiment besoin de diplomates et de militaires compétents qui travaillent bien ensemble.
Ce devrait être une évidence mais cela reste fragile. Rappelez-vous, il y a quelques années, Henry Kissinger s’est senti obligé d’écrire un livre aux États-Unis pour se demander s’il y avait encore besoin d’une diplomatie et d’une politique étrangère ! En effet, le sentiment dominant était : « on a gagné et tous les autres comptent pour du beurre, les Russes n’existent plus… ». C’était avant de réinventer, de façon exagérée, la menace russe. Et, dans cette logique, on fera des sermons, on infligera des sanctions à tous ceux qui ne se sont pas alignés sur les valeurs occidentales universelles, ou on les bombardera mais, de toute façon, on n’aura plus besoin de négocier. Cette façon de voir a duré plusieurs années mais cela n’a jamais touché complètement la fonction militaire, puisqu’il fallait relever en permanence de vrais défis.
La fonction diplomatique a été alors très affaiblie par cela. Il suffit de regarder la bataille budgétaire entre Bercy et le Quai d’Orsay – bataille perdue par le Quai d’Orsay. C’est l’une des manifestations les plus néfastes de cette façon de voir. Or, je pense que c’est l’inverse pour traiter avec le monde qui se trouve devant nous, qui n’a aucune chance de se stabiliser et de sortir rapidement de ce que même Antonio Guterres (3) appelle « un chaos », au sens scientifique d’une instabilité et d’une imprévisibilité (mais pas au sens de « on est au bord de la guerre »). Il y a un réel besoin à cet égard et le travail ensemble se doit d’être remarquable. Je ne vais pas répéter ce qui a été dit. Sur chacun des épisodes, on a vu ceux où les choses ont bien fonctionné et les autres où cela a été moins le cas. Cependant, le travail entre les diplomates et les militaires français fonctionne globalement bien.
Je voudrais ajouter un commentaire d’un ordre un peu différent. On ne peut pas faire comme si cette rencontre et cette réflexion avaient lieu indépendamment de la question de l’opinion, au sens tel que Tocqueville l’avait pressenti avec son génie particulier, il y a plus de deux siècles : il avait compris qu’inévitablement, les démocraties allaient traiter les questions extérieures sur la base des considérations intérieures. De toute façon, il ne pouvait pas imaginer la dégénérescence que représentent les réseaux sociaux, l’information continue – qui est une machine à débiliter et à hystériser – et l’ensemble des médias audiovisuels qui suivent ce mouvement. En gros, il n’y a que la presse écrite à résister, puisqu’elle nécessite de savoir à peu près lire et écrire. Elle fait preuve d’une résistance relative. Tout cela change complètement la donne.
Les diplomates sont dans un rapport délicat à l’opinion – pas uniquement lorsque l’on essaie d’enseigner aux ambassadeurs à s’exprimer en public, etc. – par rapport à la détermination de la politique étrangère ou de la diplomatie. Au moment du déclenchement ou non des opérations, les militaires sont engagés par des processus de décision qui ne sont évidemment pas que rationnels. Il en est de même de l’analyse des résultats. L’exemple typique est le fait que, pour le moment, la France a perdu la bataille d’opinion sur le Rwanda, mais ce n’est qu’une étape et, un jour, l’histoire sera rétablie.
Le monde militaire et le monde diplomatique sont dans un rapport étroit avec le pouvoir. Il faudrait donc enrichir l’approche en la démultipliant : comment le pouvoir, à un moment, en France ou ailleurs, se détermine-t-il pour prendre une décision ? Quelle idée se fait-il de ce qui va être confié aux diplomates et aux militaires ? Comment ceux-ci vont-ils s’entendre ensuite ? Ils peuvent s’entendre tellement bien qu’ils corrigent à certains moments les errements, ou l’absence, de la décision politique mais cela peut être l’inverse, et cela peut être plus compliqué.
Il me semble qu’il faut intégrer dans notre raisonnement, dans votre raisonnement, les relations pouvoir/opinion, diplomates/opinion et militaires/opinion. On pourrait dire que ces relations évoluent et changent mais, pour ma part, j’estime que ces relations se dégradent tellement vite que j’en suis à demander si l’expression de « leader » a encore un sens aujourd’hui dans les démocraties modernes contestées. Ne sommes-nous pas déjà dans le monde de followers ? Il y a, en effet, une crise importante dans toutes les démocraties existantes, où l’impatience, la demande furieuse de démocratie directe, instantanée, s’attaque au fondement même de la démocratie représentative qui est censée faire émerger à un moment donné des chefs politiques, lesquels sont censés donner des instructions aux uns et aux autres. Tout cela est remis en cause, on l’a vu dans le mouvement des « Gilets jaunes ». Ce fut le cas dans de nombreux pays. Nous avons affaire à des mouvements dans lesquels les gens ne veulent plus être représentés, ils disent « ce n’est pas démocratique si on ne me demande pas mon avis à moi »… C’est tout le pacte d’origine de la démocratie représentative, où 95 % d’agriculteurs, qui n’avaient pas le temps, étaient harassés, qui n’avaient pas de communications, et n’étaient au courant de presque rien, en tout cas en temps réel, élisaient quelqu’un que l’on envoyait à Paris et que l’on gardait ou non à l’issue de son mandat s’il s’était avéré utile ou non. Ce monde-là a totalement disparu. Les gens vont élire quelqu’un le dimanche et être déjà furieux le jeudi du fait d’une déclaration de travers ou d’une nomination contestée, énorme fragilité. C’est plus net dans un pays comme la France où il y a énormément d’informations en continu et moins fort en Allemagne où il y en a moins. C’est un phénomène global qui hystérise tout. Il faudrait des dirigeants qui soient des sortes de Romains antiques, capables de résister à tout pour continuer à prendre en compte l’histoire, la longue durée, la projection, tout ce qui a par ailleurs été largement désintégré.
Tout cela conduit à un système très instable. C’est presque un miracle si, dans les périodes relativement récentes sur lesquelles vous avez travaillé, des décisions assez justifiées ont été prises, certes parfois critiquables mais pas à la marge. Elles ont fonctionné à peu près. C’est assez remarquable, mais cela ne peut pas s’améliorer. À juste titre, vous avez fait allusion à l’opinion publique dans les pays de l’ancienne Europe de l’Est. Si on s’était déterminé sur ce genre de crainte, il est évident qu’il n’y aurait jamais eu de négociations SALT, START, FNI ou ABM (4). Le fait de tenter de négocier, de faire évoluer un statu quo stérile, le fait que cela soit pris pour une sorte d’affaiblissement, historiquement, est absurde. Les Américains ont mené de grandes négociations avec l’URSS, qui était bien plus dangereuse que la Russie, bien plus menaçante, dirigée par des vieillards gâteux et dangereux – avant Gorbatchev –, qui assassinaient beaucoup plus de gens en douce que dans le cas des récents événements de Londres. Quand l’Occident a négocié, l’Occident ne s’est jamais affaibli. Jamais ! Cela n’a jamais été accompagné d’un affaiblissement parallèle du dispositif militaire. Au contraire.
Le mélange des deux est le résultat de vingt ans de « BHLo-kouchnérisme » dans les médias. Je dis cela sans attaquer personne, car je m’entends bien avec eux personnellement. Je ne parle pas des individus mais d’idées. Il s’est répandu des notions sans aucun sens comme s’interroger sur le fait de « peut-on parler avec ces gens qui ne partagent pas nos valeurs ? ». Cette attitude a envahi la sphère publique. Et les dirigeants, aussi honnêtes et engagés dans leur poste qu’ils soient, sont obligés d’en tenir compte. On est arrivé ainsi à une espèce de méli-mélo. Si on reprenait l’ensemble des interventions occidentales après la fin de l’URSS, – ou même un peu avant, puisque la guerre du Golfe a eu lieu auparavant –, si on déterminait les conditions de leur déclenchement, cela nous apprendrait beaucoup de choses.
Je plaide donc, pour l’avenir, qu’il demeure des structures politiques. Il faut absolument préserver le système de décision hérité du général de Gaulle. Dans la sphère militaire, comme dans la sphère diplomatique, il faut que cette culture soit préservée et transmise, ce qui n’empêche évidemment pas de faire l’évaluation, le post-mortem, des opérations pour déterminer ce qui a fonctionné ou non.
Le rôle de l’opinion me préoccupe. Pour le moment, je ne vois pas le début d’une correction de ce risque. Même si les militaires et les diplomates arrivent à corriger beaucoup de choses, cela les expose et les fait travailler dans des conditions extraordinairement fragiles, surtout au moment où se pose la question de relancer une discussion stratégique avec les autres Européens qui ont – en gros – décidé, mais sans le dire ainsi, d’abandonner toute approche stratégique après la guerre. Il n’y a que la France et la Grande-Bretagne à avoir gardé cela, pour des raisons coloniales au départ et puis de raisonnement de puissance ensuite. Je suis donc favorable au dialogue stratégique. J’ai trouvé très juste le discours du Président sur la dissuasion : il a réussi à combiner, d’une part, le rappel fondamental qui est que la dissuasion doit être dissuasive – il ne s’agit pas de l’utiliser pour faire plaisir à on ne sait qui – et, d’autre part, le souhait d’échanges, de discussions avec d’autres Européens qui peuvent être embarrassés jusqu’ici de discuter de ces points, ce qui révèle leurs contradictions. J’y suis tout à fait favorable, mais je souhaiterais que ce soit abordé avec une âme d’airain par rapport à l’ambiance du moment.
Voilà mes réflexions sur le sujet. C’est un peu différent de ce dont vous avez parlé, mais ce n’est pas contradictoire. C’en est un prolongement.
Georges-Henri Soutou
Monsieur le Ministre, c’en est même le soubassement ! L’opinion se traduit tôt ou tard par des courants davantage structurés pour aboutir à des votes. Le cas du Royaume-Uni a été cité cet après-midi. On y a vu les conséquences d’une évolution dans l’opinion, puis au Parlement, après les aventures irakiennes du Royaume-Uni dont ce pays ne s’est pas bien tiré sur le plan stratégique – pour dire les choses succinctement. Vous avez donc fort justement évoqué un soubassement qu’il ne faut pas oublier, dans des régimes qui reposent quand même sur telle ou telle forme d’expression d’une volonté populaire. Sans cela, il faudrait rétablir la monarchie !
Hubert Védrine
Cela dépend de la forme de la monarchie…
J’ajoute un mot avant que nous n’écoutions le général Lecointre. C’est pire que cela pour ce qui concerne la mise en cause des régimes démocratiques modernes. La demande de démocratie directe et instantanée peut conduire au fait que l’on soit questionné tous les matins – ce n’est pas une utopie pour un canton suisse – pour savoir si on est favorable ou non au rétablissement de la peine de mort. Je prends cet exemple parmi d’autres. S’il y a eu un crime atroce la veille, la peine de mort est rétablie. Le lendemain, on peut réfléchir et peut-être revenir à une autre opinion : la peine de mort est alors abolie. Il y a beaucoup trop d’impôts en France, c’est le pire pays au monde : on les diminue de moitié mais, le lendemain, je vote pour le doublement du budget des hôpitaux. C’est aujourd’hui technologiquement possible. C’est ce qui est derrière le refus d’être représenté. Quand Matignon a cherché à parler à des « Gilets jaunes », quatre ou cinq personnes étaient prêtes à accepter mais elles ont été quasiment menacées de mort si elles y allaient ! L’aboutissement est que plus personne n’est représenté par qui que ce soit : « D’ailleurs tout le monde est pourri, il n’y a donc que moi qui me représente ». C’est une forme de dictature, c’est un totalitarisme sans visage. On ne peut même pas tuer le tyran, parce que le tyran, c’est tout le monde. C’est donc gravissime.
Dans la bataille d’opinion que les diplomates, les militaires et les politiques sérieux pourraient perdre, malheureusement, c’est un peu comme dans l’affaire de l’énergie nucléaire. Regardez où nous en sommes. Cela fait quand même très longtemps que l’on n’a pas osé dire que l’énergie nucléaire pose, certes, de très sérieux problèmes, mais n’émet pas de CO2. Cela fait vingt à trente ans que les mouvements écologistes, sous l’influence des écologistes allemands, manipulés par l’URSS à l’origine contre la présence nucléaire américaine en Allemagne, ont entraîné tout le système de pensée européen dans cette seule direction. On a perdu vingt à trente ans à s’exciter contre le nucléaire et ce n’est pas terminé : la fermeture de Fessenheim est totalement irrationnelle, par exemple. Et ceci au lieu de s’occuper de la réduction du charbon (en Allemagne, en Pologne, en Chine, en Inde, etc.) ! À la longue, peut-être que la prise de conscience écologique deviendra tellement forte qu’elle finira par rétablir les choses et que l’on verra que l’on ne peut pas se passer du nucléaire pendant encore un certain temps, jusqu’à ce qu’on ait une énergie solaire perpétuelle, stockable, etc., je ne sais pas. Mais c’est similaire : on est au cœur des raisonnements régaliens. Et, en fait, c’est ce que détestent, ou ne comprennent pas, les phénomènes d’opinion qui montent, et dont nous parlons. Tous ces réflexes vont dans l’autre sens. D’où ma préoccupation et mon souhait qu’il y ait des groupes, des organisations, des responsables, des ministères et des corps assez forts pour y résister.
Georges-Henri Soutou
Je vous remercie. Au passage, c’est aussi la situation des universités que vous avez décrite !…
Général Lecointre
Je ne vais évidemment pas reprendre tout ce que vous avez dit, d’abord parce que je n’ai pas assisté aux débats, pas davantage que Monsieur le Ministre. Je voudrais rebondir sur deux éléments.
Vous avez parlé de l’opinion. Il me semble que l’opinion est en train aujourd’hui d’oublier ce que sont l’armée et la guerre. Parmi tout ce vous avez mentionné sur l’évolution du couple diplomate-militaire et sur les différentes crises qui se sont déroulées depuis Diên Biên Phu jusqu’à aujourd’hui, je suis frappé que vous n’ayez pas parlé de la guerre froide. Or, au terme de cette longue période, il y a eu une phase de gestion de crise dans laquelle, vous l’avez évoqué, nous parvenons à un sommet du couple militaire-diplomate au moment du conflit dans les Balkans. J’étais capitaine lors de ce conflit, il ne me semblait pas alors être un sommet. Cela a sans doute été vécu ainsi dans d’autres sphères.
Vous n’avez donc pas parlé de la guerre froide. Or, pendant tout ce temps, nous étions réellement en guerre. Il faudrait aujourd’hui que l’on se pose collectivement la question de la guerre, de la possibilité de la guerre, de l’éventualité de la guerre. Si une armée existe, c’est pour être en mesure de faire la guerre le jour où il le faudra et pas seulement pour être en mesure de participer à de la gestion de crise, aussi importantes que puissent être ces crises. Je crois que c’est quelque chose qui a été oublié parce que notre opinion publique ne se rend plus compte de la profonde singularité de l’armée. Le métier militaire consiste à déchaîner la violence et à mettre en œuvre la force de manière délibérée, jusqu’à tuer. Évidemment, ceci est absolument exorbitant dans tous les sens du terme, sur un plan philosophique, mais aussi juridique et moral. De cette fonction des armées – la mise en œuvre de la mort de manière délibérée, parce que l’existence même de la Nation peut être mise en question et en jeu –, découlent des caractéristiques qui, entre autres, fondent l’organisation et l’efficacité des armées, et qui font que la fonction militaire n’est pas qu’une fonction parmi d’autres.
L’institution militaire n’est pas qu’une institution parmi d’autres. Pour moi, elle est l’institution régalienne par excellence. Quand Monsieur le Ministre évoquait cette espèce de construction politique héritée directement du général de Gaulle qui fait de celui-ci, et aujourd’hui du président de la République, le chef des armées, ce qui est presque sa première fonction en tant que Président, on voit bien qu’il y a une traduction de cette fonction sacrée, en réalité, tout à fait extraordinaire que remplit une armée. C’est, je pense, quelque chose aujourd’hui largement perdu de vue par l’opinion publique qui, dans une sorte de perversion des principes et des concepts, mélange allègrement force de l’ordre, force de sécurité, force armée, armée, etc. Cela me paraît très dangereux. Je vous rejoins donc : il faut faire un travail de clarification sur ce que l’état militaire signifie et implique. Dans tous les cas, les armées, dans la forme qui est la leur aujourd’hui, ne survivraient pas à une perversion définitive de ce sens et de cette fonction fondamentale.
Pourquoi cette affirmation ? Il me semble que ma génération d’officiers a vécu précisément, dans toute cette période que vous avez évoquée au cours de ce colloque, ce moment de la fin de la guerre froide, ce moment où on a pensé que, parce que cette dernière était terminée, il n’y aurait plus besoin que d’un outil militaire. Un outil militaire est tout à fait autre chose qu’une armée. Notre génération – je regarde les quelques officiers généraux qui sont en face de moi – a vécu ce moment de déconstruction de l’armée.
Je voudrais prendre quelques exemples. Dans un contexte de guerre froide – parce que nous étions en guerre, même s’il s’agissait d’une guerre froide –, dans une alliance otanienne et, par ailleurs, dans une organisation des armées françaises fondée sur le cœur de la dissuasion face à un référentiel ennemi parfaitement clair, menaçant l’existence même de la Nation, personne ne pouvait douter que son objectif était de menacer la survie et l’existence de la Nation. Il a été mis en place un système de grande ampleur et reposant sur la complétude des compétences et des capacités de l’armée. Son dimensionnement, le statut militaire préservé, sa capacité à fonctionner dans une situation de chaos intégral en parfaite autonomie pour être capable de mener cette guerre de survie, cette guerre existentielle, était assurée par la composition même de cette armée et les compétences qu’elle détenait. Or, cette armée a été déconstruite au moment de la fin de la guerre froide. Par exemple, en ce qui concerne l’Armée de terre, nous avons vécu ce passage à la construction d’un outil militaire, un outil de gestion de crise subordonné à la diplomatie. Cela a d’ailleurs « donné des boutons » – je vous prie d’excuser l’expression – à un certain nombre de militaires. C’est ce que j’ai entendu dès mon entrée à l’École de Guerre : le diplomate définit la politique d’emploi des armées et le militaire exécute ce qui a été décidé par le diplomate. Or, je prétends qu’il y a deux expressions de la politique : il y a une politique militaire et une politique diplomatique, de la même façon qu’il y a une politique culturelle ou économique. Subordonner l’une à l’autre est une erreur majeure.
Au-delà de la réduction de l’armée, qui était liée à la professionnalisation d’une institution voulue comme n’étant plus d’abord l’outil de la préservation, de la survie et de la défense de l’existence même de la Nation, elle deviendrait un corps expéditionnaire, utilisé finalement à des degrés divers en fonction de l’appréciation que le politique ferait de la gravité de la crise et en fonction de la perception qu’en aurait sa propre opinion publique. Au-delà du fait que l’armée a été professionnalisée pour mieux être engagée à l’extérieur dans des opérations dont la légitimité paraissait moins nette, l’armée a été réorganisée en la modularisant. Pour l’Armée de terre, il y avait auparavant un système complet d’armées, de corps d’armée, de divisions prêtes à s’engager sans délai face à l’ennemi, dans une lutte de survie. Puis, avec un sens de l’anticipation tout à fait remarquable et un sens de l’adaptation des militaires qu’il faut saluer, on a construit une sorte de Lego. Comme on allait devoir gérer des crises différentes, on considérait que l’outil, tel qu’il était constitué pour faire face à un référentiel ennemi bien connu, résultant du Pacte de Varsovie, n’était plus adapté. Dès lors, dans un souci d’efficience, il convenait d’être capable de calibrer au plus juste, avec des fonctions spécifiques, l’outil militaire que l’on allait engager dans une crise donnée. Cet outil militaire évoluerait d’ailleurs au cours de la crise en fonction des considérations diplomatiques, de l’entrée, du déclenchement maximum et de la sortie de crise. C’était absolument remarquable mais la réalité est que tout cela s’effectuait dans un contexte d’économies drastiques, ce qui a conduit aussi à ce que cette armée, ne devenant plus qu’un outil de gestion de crise subordonné à une vision diplomatique et politique, finisse par abandonner une partie de ses fonctions et de ses capacités de résilience, d’autonomie et à sous-traiter un certain nombre de fonctions.
Aujourd’hui, dans la situation dans laquelle nous sommes – je ne critique personne –, où les armées ont été considérées comme un outil de gestion de crise, j’observe que nous sommes désarmés face à la possible résurgence d’une vraie situation de guerre. Même si une très belle loi de programmation a été votée, la réalité est qu’il nous faut progressivement reconstruire cette armée capable de résilience, capable de s’engager en autonomie dans un conflit d’importance et de faire face à un état du monde qui, lui, est en train de devenir très violent.
Ce qui me frappe est que cette phase, qui nous a vus assister à la fin de la guerre froide, à la fin de l’armée et à la création d’un outil militaire à finalités diplomatiques, est aujourd’hui terminée. Le politique français en a pris la mesure, même si, comme le disait le Ministre, cela reste à partager avec nos partenaires européens qui, semble-t-il, ne l’ont pas encore prise. En réalité, on est face à la nécessité de réinventer une armée et donc, de réinventer ce que devront faire diplomates et militaires dans la politique étrangère de la France et dans la politique de défense de la France. Ce cadre est encore difficile à déterminer. Nous voyons bien que le contexte évolue car nous nous trouvons dans une période d’inflexion stratégique importante. Elle se caractérise par la fin du multilatéralisme, ce qui a dû être amplement évoqué et ce qui est une réalité incontestable. Nous évoquions le chaos tout à l’heure. En effet, les crises, que les raisons en soient démographiques ou climatiques, l’effondrement d’États et une dérégulation très inquiétante du recours à la violence vont provoquer des tensions extraordinaires et être de plus en plus nombreuses. Par ailleurs, ces crises sont en train de s’étendre. Les possibilités de conflits et de confrontations s’étendent à des champs géographiques nouveaux que l’on considérait jusque-là à l’écart – l’Arctique, l’Espace –, à des champs immatériels – le cyber. Ces confrontations auxquelles on va avoir affaire demain seront de plus en plus hybrides, c’est-à-dire qu’elles s’exprimeront dans tous les champs à la fois, souvent au-dessous du niveau qui permet de décider d’une entrée en guerre ou non, souvent avec une très grande difficulté à caractériser le moment où se produit l’agression et à caractériser l’agresseur. Par ailleurs, il y aura également une simultanéité de risques d’engagement qui ira de la nécessité de devoir s’engager dans une gestion de crise, telle qu’on l’a connue dans cette époque magnifique de la fin de la guerre froide qui a conduit à la fin d’un modèle d’armée, à des engagements régionaux importants et majeurs et, peut-être, à une confrontation encore plus importante. C’est pourquoi j’estime que cela est très inquiétant.
Je pense donc qu’il nous faut être capables de recréer dans ce couple diplomate-militaire une meilleure articulation en partant de quelques principes très simples, que sont la créativité et l’anticipation.
Que les diplomates présents aujourd’hui me le pardonnent, je pense que l’habitude qui a été prise d’utiliser les armées comme un outil, comme un marteau auquel on recourt systématiquement pour gérer une crise, même de façon symbolique, pour donner le signal d’un engagement de la France, d’une préoccupation marquée pour telle ou telle zone, en réalité, a fini par appauvrir la capacité de créativité et d’inventivité de nos diplomates. Ils ont fini par considérer que tout allait se régler avec un marteau et que finalement, aujourd’hui, il suffit d’engager les armées, de recourir à cette espèce d’outil militaire avec lequel on allait pouvoir gesticuler, s’agiter, bouger… Or, sans trahir de secrets, et certainement comme mes prédécesseurs l’ont fait quand ils étaient à ma place, j’observe que, de plus en plus, hormis la capacité que les armées ont à agir sur un théâtre de crise – Sahel et ailleurs – personne, aucune autre institution de l’État et surtout aucune initiative diplomatique d’envergure ne sont mises en œuvre pour aborder les autres aspects du sujet qui sont nécessairement tout aussi importants. Dans ces crises qui se poursuivront demain, les armées ne possèdent qu’une partie de la solution. Elles ne peuvent que créer les conditions d’un règlement de la crise en évitant qu’elle ne dégénère, mais elles ne peuvent pas la régler en tant que telle. Ce que je demande aux diplomates, c’est qu’ils soient d’abord prêts à faire preuve de créativité et à considérer que les armées n’ont qu’une partie de la solution, et à être des coordinateurs des actions de développement et de gouvernance réellement diplomatiques. Je trouve qu’ils ne se soucient pas assez aujourd’hui de coordonner ces aspects.
Je pense aussi que les diplomates doivent faire preuve, avec nous, d’un souci constant d’anticipation. Nous avons besoin, pour construire un outil militaire, d’imaginer ce que sera demain un nouvel ordre du monde. C’est ce que vous évoquiez, Monsieur le Professeur, nous avons besoin d’imaginer les intérêts de la France à dix, vingt et trente ans. Nous avons donc besoin, non pas de la définition d’une politique, mais bien d’imaginer, avec les diplomates, de quelle façon la construction de la force, d’une armée et d’un outil militaire, seuls ou en coopération dans une alliance, permettra de faire valoir demain les intérêts de la France dans le monde. Nous avons besoin que les diplomates élaborent avec nous des instruments d’une politique militaire et d’une politique diplomatique. C’est ce que j’appelle de mes vœux.
Par ailleurs, d’un point de vue spécifiquement militaire, j’appelle aussi de mes vœux que nos amis diplomates nous permettent de faire prendre conscience à notre opinion publique de la dangerosité et du caractère chaotique du monde qui vient, et qu’il nous faut donc penser nos armées comme étant capables demain de faire la guerre, réellement, dans ces configurations qui seront d’une très grande complexité. Il est impossible d’exclure la possibilité de conflits et d’engagements de très haute intensité et pour cela, nous devons penser à la remontée en puissance de nos armées et à la capacité à mobiliser dans ce contexte toute une société. ♦
(1) Février 2020.
(2) Defender Europe 20.
(3) Secrétaire général de l’ONU depuis 2017.
(4) SALT : négociations sur la limitation des armes stratégiques. START : Traité de réduction des armements stratégiques. FNI : Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire. ABM : Traité anti-missile balistique.