Introduction à l’étude
« Bien des gens trouvent que la guerre n’est plus de notre siècle ; la gloire des armes et la conquête touchent peu une société livrée au mercantilisme, qui sait ce que coûtent les batailles […] Quant aux questions de nationalité, d’unité, de frontières, et autres ; ce n’est faire la critique de personne, de dire que la contradiction est partout. » (1). Pierre-Joseph Proudhon, théoricien politique français du XIXe siècle, dresse en 1869 une analyse quasi-phénoménologique du fait guerrier dans son essai de La Guerre et la Paix, au sortir de la campagne d’Italie de 1859. La naissance des États-nation a, selon lui, créé un environnement propice à l’effacement des diverses composantes discernables de la guerre, alors que celle-ci est elle-même créatrice d’États par le processus unificateur qu’elle imposa à des sociétés primitives (2). Est ainsi illustrée la complexité de « captation » de ce sujet. Une facette millénaire de l’histoire dont on ne saurait dresser un portrait figé, tant le mouvement et l’innovation la caractérisent. Les Grecs, les Romains, les Byzantins, les Ottomans comme les Prussiens l’ont chantée, pratiquée, théorisée. Pourtant, si la guerre est la matrice de toute civilisation, nul n’a su la maîtriser et tous sont passés au fil de cette même épée, preuve de son caractère insaisissable.
Ce mercantilisme que Proudhon évoque, qui voudrait bannir la guerre, concrétisé aujourd’hui dans l’interdépendance économique, n’a pas débouché sur un plus fort multilatéralisme. Montesquieu pouvait écrire en 1746 dans L’esprit du commerce que « L’effet naturel du commerce est de porter à la paix. Deux nations qui négocient ensemble se rendent réciproquement dépendantes : si l’une a intérêt d’acheter, l’autre a intérêt de vendre ; et toutes les unions sont fondées sur des besoins mutuels. ». Au contraire, la pandémie de la Covid-19 a rappelé que les organisations internationales et la gouvernance mondiale ne se placent « pas au-dessus ni même à côté des États » (3). Elle a redonné la priorité aux préoccupations le plus souvent légitimes de souveraineté et de sécurité, en rappelant que l’interdépendance économique reste asymétrique, vectrice de coercition et soumise à la stratégie. L’absence de guerre entre grandes puissances et les soi-disant garanties contre le retour de celles-ci, comme l’interdépendance et surtout la dissuasion nucléaire, ne sont pas suffisantes pour interdire un retour à la guerre.
La guerre demeure dans les cercles académiques et de recherche actuels un objet d’étude parmi lequel s’opposent nombre de conceptions. Clausewitz la définissait comme telle : « la guerre est un acte de violence dont l’objectif est de contraindre l’adversaire à exécuter notre volonté. » Elle se veut contraignante et coercitive par la violence physique qu’elle inflige à l’antagoniste, qui opte lui aussi pour l’affrontement (4). Acceptée et reconnue des deux camps, sa dénomination devient légitime par l’action réciproque de la force armée. C’est ce qui fait la guerre. Spécialiste de l’étude du phénomène guerrier, Gaston Bouthoul la définissait ainsi : « La guerre peut être définie comme une mise en œuvre collective et coercitive de l’hostilité, par l’emploi réglé de la force armée se traduisant par des combats durables portant atteinte aux personnes et aux biens, donc causant des victimes. » Vectrice de destruction matérielle comme physique, la finalité de la guerre se veut un gain politique, territorial, diplomatique, mercantile, du dominant sur le dominé. Son déclenchement marque la culmination de volontés contraires qui ne peuvent se régler autrement que par des combats.
Le casus belli, motivant le déchaînement d’une violence directe et volontaire, traduit l’opposition idéologique, politique, religieuse et identitaire, dont aucune ne saurait être exhaustive. La nature et les formes de la guerre conservent des résurgences millénaires immuables. Elle est un déchaînement de violence, dirigé vers des groupements ethniques, sociaux ou religieux, s’opposant sous bannière étatique, tribale ou communautaire. Les formes de conflictualités infra- ou supra-étatiques anciennes, à savoir les Croisades, les guerres privées et l’institutionnalisation du mercenariat (5), connaissent des résonances contemporaines qui trahissent l’existence d’une nature de la guerre, certes mouvante mais peu novatrice, pour autant difficilement cernable. Le brouillard de la guerre clausewitzien n’est alors plus une zone de flou tactique héritée du XIXe siècle, mais bien une incertitude stratégique comme réalité de la guerre de nos jours.
La conception politique de la guerre chez Clausewitz ne désignait-elle pas une forme de guerre idéalisée, propre, noble (6) ? Comment ne pas évoquer la transgression des lois de la guerre, une violence endémique, par exemple la « petite guerre » (7) pratiquée par des troupes irrégulières spécialisées, faite de viols, de rapts et de destructions. Un visage bestial de la guerre pourtant actuel, en témoignent les clichés du Yémen, de la Syrie ou du Mali (8). La guerre ne semble pas morte (9). Cette violence est le résultat d’un long processus historique de désignation du civil, de son corps comme de son habitat, comme cible et moyen rationnel de victoire politique, tout citoyen étant la prolongation de l’État auquel il appartient. Déplacé, exterminé ou interné de force, le non-combattant est un acteur central que l’on ne peut négliger dans le cadre d’une prospective quant à l’avenir de la guerre.
En effet, l’idée de La guerre impossible, évoquée par Ivan Bloch en 1899 (10), partait du constat selon lequel les armes nouvelles, par leurs capacités destructrices, conféreraient au combat un tel spectre d’horreur que la guerre ne pourrait perdurer car psychologiquement insupportable. Cyniquement, l’émergence d’une arme aux possibilités d’annihilation nouvelles, la bombe atomique comme arme de non-emploi par excellence, fut la clé de voûte d’un système international dans lequel elle demeure l’ange-gardien d’une relative stabilité entre États souverains. Il est ainsi légitime de s’interroger sur les formes de guerre échappant à cette stabilité permise par la dissuasion nucléaire. La présence d’acteurs pouvant s’affranchir de la menace nucléaire est questionnable, dans la perspective de la haute intensité de demain.
Au regard d’une instabilité stratégique causée par des intérêts politiques divergents, le fait guerrier occidental comme exception redeviendrait-il permanence ? La guerre s’inscrit généralement dans une temporalité longue. Les batteries ne rugissent réellement qu’à un moment circonscrit dans le temps et l’espace. L’expérience guerrière se traduit bien plus par l’attente et la crainte de l’affrontement que par sa réalisation, instant de cristallisation de la violence. Le combattant est alors confronté à ses instincts les plus primaires, l’expérience du feu est traumatisante pour le soldat (11). Pour autant, l’horizon d’une tendance à la baisse de la violence guerrière demeure cependant utopique. Si l’Occident a connu en son sol une relative stabilité depuis 1945, les campagnes récentes dans le Donbass ukrainien ou le Haut-Karabagh ont prouvé que la perspective d’une cessation des feux dans un environnement géographique proche semble utopique.
La guerre est le maelström qui concentre et cristallise l’attention. Dès lors qu’un conflit éclate, la situation de paix est balayée de l’échiquier. À l’inverse, une paix, aussi large et généralisée soit-elle, si elle est entachée par la présence de deux acteurs menant une guerre de manière isolée, l’existence d’une situation dite de paix se voit disparaître. En ce sens, la guerre, comme état destructeur et asphyxiant, est à saisir de manière englobante, envahissante, débordant sur les pans de la paix.
Généralement réduite à l’absence de la guerre, la notion de paix est sommairement définie par la négative. La paix serait l’ensemble des périodes sans actes de guerre. Encore faut-il se mettre d’accord sur la définition même de guerre. Dans cette hypothèse, la Corée du Nord et la Corée du Sud seraient en paix (12). Pourtant, ces deux pays entretiennent des relations conflictuelles et violentes, en témoignent les menaces nucléaires actuelles. Par l’absurdité de cet exemple, cette définition, reposant sur une opposition antinomique et simplificatrice de la guerre et la paix, apparaît inopérante. Confrontés à ces lacunes, les théoriciens préfèrent décrire la paix comme l’absence de violence politique directe. Cette dernière renvoie à un usage de la force physique ou psychologique motivé par l’hostilité qui a pour enjeu le pouvoir dans l’espace public et qui est justifiée par une cause collective (13). En ce sens, l’assaut du Capitole du 6 janvier 2021 constitue une violence politique car elle a entraîné un usage de la force physique. Toutefois, une simple altercation politique n’empêche pas l’établissement de la paix. La violence politique recouvre une notion plus large que la guerre : dès lors, découle de cette définition un entre-deux sans paix, ni guerre.
Entendue positivement, la paix peut renvoyer à un état de sécurité et de justice. Depuis ce prisme, la paix a bel et bien existé, quoique circonscrite géographiquement et temporellement. À cet égard, l’Europe occidentale entre 1947 à 1989 fut un espace et un moment de paix malgré les tensions de la guerre froide. En raison de l’absence de victimes, de destructions notables et de la préoccupation modérée de la population pour ce conflit (14), l’Europe occidentale ne peut pas être considérée comme en guerre.
Toutefois, la préparation à la guerre demeure-t-elle une phase de paix (15) ? En ce sens, le concept de paix positive correspond à une situation dans laquelle les États et les institutions ne se préparent plus à la guerre. En posant ce constat, seule la période de 1989 à 2014 apparaît véritablement comme une période de paix (16). Il est vrai qu’à la chute du mur de Berlin, consacrant le monopole des États-Unis comme superpuissance, la compétition n’avait plus lieu d’être, aucun État n’ayant d’intérêt à confronter directement le gendarme autoproclamé du monde. La rivalité se jouait ailleurs, notamment sur le champ économique.
Néanmoins, les revers politiques subis par les Américains, que ce soit dans le domaine sécuritaire sur leur propre sol par la frappante émergence du terrorisme, dans les opérations extérieures en Afghanistan ou dans le domaine économique, ont affaibli la puissance des États-Unis et dès lors leur capacité à dissuader l’adversaire. Le bouleversement induit dans le système international facilite aujourd’hui le développement d’inimitiés déstabilisatrices.
De nombreuses tensions apparaissent, aussi bien par la résurgence d’un terrorisme mondialisé que par l’accroissement des tensions interétatiques. La littérature témoigne de périodes troubles par multiples allusions à la guerre (guerres invisibles, guerres économiques, guerres climatiques, cyberguerres, guerres de l’information). L’on constate trois phénomènes imbriqués qui participent à ces tensions : une tendance à la construction d’une menace par le discours (17) avec un caractère performatif ; augmentation des budgets sur l’ensemble du globe ; des échauffourées dans des territoires circonscrits. Les pratiques chinoises témoignent de cette escalade par leur volonté affirmée depuis 2017 de bâtir un nouvel ordre international, en adéquation avec les valeurs du Parti communiste, mais également, par leurs revendications territoriales en mer de Chine.
Si le temps de la paix semble révolu, pourtant la guerre n’est pas encore là. Le monde serait confronté à un entre-deux comportant un fort degré d’incertitude. L’incertitude renvoie à l’ensemble des éléments établis avec inexactitude, dont on ignore la probabilité de se produire, et dont la forme et l’intensité sont vagues. À cet égard, l’incertitude est plurielle : on ignore à la fois l’état futur lié aux bouleversements climatiques futurs et aux changements de production économique ; le développement des nouvelles technologies déterminant les moyens de faire la guerre ; les intentions et les représentations véritables de l’adversaire. Or, toute prise de décision ferme tend à aggraver des rivalités et les tensions déjà exacerbées. Cependant, l’inaction selon la position de l’adversaire pourrait être encore plus coûteuse. Surgit de cette contradiction un dilemme.
Subir ou maîtriser cette incertitude, voilà la question.
Il semble requis d’abord de se préparer à un conflit armé pour assurer une sécurité contre des potentiels ennemis car il faut bien rappeler que c’est l’ennemi qui nous désigne (18). Néanmoins, cette politique doit être nécessairement accompagnée par une diplomatie et un renseignement efficaces, afin de rassurer les autres États en montrant nos véritables intentions pacifistes mais également en nous renseignant sur les véritables intentions étrangères. En ce sens, il convient dans ces temps troubles de penser la diplomatie et le militaire comme deux faces d’une même pièce. Si une dichotomie entre guerre et paix ne peut se concevoir, la résurgence d’une « zone grise », d’un entre-deux, définit dès lors la caractéristique centrale d’une nouvelle face de la guerre, celle de la ruse plutôt que la force. Raymond Aron, pour concevoir cet équilibre fragile entre deux notions opposées, évoquait la « paix belliqueuse » et la « guerre pacifique » (19) de la guerre froide. L’incertitude règne, il s’agit pour les États, garants du pouvoir militaire et politique, de maîtriser cet entre-deux.
Le militaire est ainsi et à nouveau une préoccupation centrale dans un monde qui se réarme. Or, avec la duplicité inhérente aux affaires stratégiques, le risque de conflit majeur augmente avec la multiplication d’incidents mineurs, entre flottes rivales notamment. La Chine a doublé son budget militaire depuis 2012 tout en augmentant ses activités paramilitaires (20), accroissant le risque de crises diplomatiques et militaires. Quant aux États-Unis, sous la présidence Trump (donc budgets 2017-2020), le budget de la Défense a atteint 717,6 milliards de dollars alors qu’il était stabilisé à 705 Md sous le second mandat de Barack Obama (21).
Cette confrontation entre la Chine et les États-Unis ouvre des « fenêtres d’opportunités » pour des puissances qui s’enhardissent et auxquelles est confrontée la France, comme la Russie ou la Turquie. La Russie s’appuie sur une stratégie indirecte sapant la confiance des sociétés occidentales libérales en leurs décideurs. Elle a conforté sa domination en mer Noire depuis 2014 et s’est imposée comme arbitre militaire au Moyen-Orient et dans le Sud-Caucase. La Turquie, à son tour, démontre le poids de sa technologie militaire depuis la victoire azérie au Haut-Karabakh et la survie du gouvernement libyen. Son budget militaire a augmenté de 86 % en 2019 par rapport à 2010. Les pays comme le Japon, la Corée du Sud et la Suède se réarment et anticipent le retour de la guerre de haute intensité contre les velléités de leurs voisins. La mondialisation ne se sera pas faite au détriment de la conflictualité.
La confrontation avec la Chine, perpétuée par Donald Trump et la pandémie, confirme la fermeture d’un cycle de complémentarité commerciale de quarante ans entre la Chine et les États-Unis, désormais « rivaux systémiques » (22). Cette mise en compétition perpétuelle des systèmes politiques et économiques subordonne tout à une logique de grande stratégie. Admettant ce paradigme, la pandémie est alors une opportunité pour engranger de la puissance sur l’échiquier international. Par exemple, la Chine n’a cessé de vanter son modèle à l’étranger, notamment par l’envoi de médecins en Italie, par la dissémination « d’infox » sur une supposée origine américaine de la Covid-19, ou par la mise en scène d’un retour à la normale à Wuhan, alors que les démocraties occidentales connaissent une deuxième vague de l’épidémie. La France et l’Europe doivent encore trouver leur place dans cette recomposition stratégique accélérée. La question d’une Europe de la défense revêt une importance toujours plus aiguë.
L’Administration Trump a fait reculer l’influence américaine, affectant l’efficacité de la diplomatie. Le retour potentiel du « trumpisme » en 2024 prolonge ces incertitudes (23) sous la présidence de Biden. Dans le monde de la post-vérité, l’assaut du Capitole américain a fait vaciller la démocratie américaine, mais constitue également un symbole d’une tendance mondiale au Myanmar et en Pologne par exemple. C’est aussi le leadership normatif des États-Unis qui est mis à mal avec une nouvelle période de blocage de l’ONU, l’absence de gestion commune forte des problématiques environnementales et un apport nul de réponses collectives aux guerres du Moyen-Orient. Quel soutien international peut-on espérer pour les valeurs partagées de la France et des États-Unis ?
Ces incertitudes conjoncturelles se dénouent sur fond de problèmes structurels mondiaux que sont le développement économique, la gestion de la démographie et le changement climatique. Une bonne gestion de ces dernières s’impose pour espérer revenir à la sécurité et à la paix. La pire crise économique depuis 1929 hypothèque la prospérité et sape le contrat social de biens des États. Cela pourrait pousser la Chine, de façon comparable à la Russie en 2014, à mener une guerre de « distraction » (24) dans la perspective du centenaire de la République populaire (2049) pour compenser les conséquences économiques du vieillissement démographique la plus rapide de l’histoire. Ce problème se pose aussi dans le Sud « trop plein », on retrouve un nombre croissant de jeunes désœuvrés qui sont un vivier pour l’immigration de masse, la criminalité et le terrorisme (25).
C’est dans ce contexte déjà troublé et incertain que le changement climatique conduit à des problèmes d’accès à l’eau et de sécurité alimentaire, est la cause de catastrophes naturelles et de la montée des océans ; autant d’éléments qui laissent craindre une insécurité croissante ainsi qu’une compétition accrue pour les ressources. L’envoi par la Russie de son premier satellite météorologique et de surveillance au-dessus de l’Arctique atteste d’une prise de conscience sur les conséquences stratégiques du changement climatique. Une telle dégradation de l’environnement favorise les crises en chaîne pouvant déboucher sur des « guerres en chaînes » (26). Remédier à ces problèmes nécessite une meilleure gestion, actuellement minée par les convoitises sino-américaines (27).
Cette fin progressive de la paix est de même accélérée par la menace climatique. Observons par exemple le lien entre la sècheresse en 2010 en Syrie et le développement de groupes terroristes (Daech) comme conséquence directe (28). L’accès à l’eau et les risques alimentaires restent déterminants pour des pays comme l’Égypte et le Soudan. Ces derniers ont le regard tourné vers l’Éthiopie, avec sa guerre civile de plus depuis le 4 novembre 2020 qui tend à inclure de nouveaux acteurs : des milices de l’Érythrée, mais aussi l’imposant barrage « Renaissance » qui contrôle le débit du Nil en amont. Le XXIe siècle pourrait-il bien finir par ressembler au XXe avec un renouveau du concept d’« espace vital » ?
Ainsi, nous avons dû approfondir ces trois concepts – guerre, paix, incertitude – et délimiter les questions qui leur sont associées. Prenant en compte les multiples enjeux actuels et ceux à venir, nous avons donc réalisé une étude en trois parties.
La guerre serait-elle cette exception devenant à nouveau permanence ? Son étude est ici profondément démonstrative, en intégrant la singularité stratégique française dans un environnement de défense européen et mondial, pour y discuter la notion de fait guerrier moderne, entre combats de haute intensité et conflits discrets comme silencieux, sous le triptyque acteurs, moyens et objectifs, qui caractérise notre étude. Enfin, les modèles de réponse apportés par chaque État, sous forme de réarmement globalisé, optant pour diverses approches de la souveraineté et de la défense, conduisent notre questionnement vers l’étude de la mutation du modèle d’armée français, qui se présente comme un outil ductile et adapté, en réponse à une incertitude qui règne désormais sur le champ de bataille, d’aujourd’hui comme de demain, par la réactualisation de formes de guerres d’autrefois.
Si la paix était considérée comme acquise durant une décennie 1989-2001, l’émergence du terrorisme mondialisé met à mal tragiquement cette croyance. Nous étudions l’ambiguïté qui se rattache à la paix au travers de l’ensemble de ses définitions. Les actuelles tensions et les velléités de certains acteurs de changer l’ordre du monde mettent en exergue l’inefficience des acteurs institutionnels traditionnels. De surcroît, l’étude des acteurs issus de la société et non institutionnels conduit au même constat d’inefficacité. De ce fait, on peut en déduire que la paix n’existe plus.
Confrontés à ce double constat paradoxal, nous montrons l’ambivalence de la période actuelle ; celle d’entre-deux avec de multiples incertitudes qui imposent de dépasser le cloisonnement militaire/civil pour penser la sécurité de l’ensemble de la société, française d’abord pour nous mais aussi celle de nos alliés, ennemis et autres, ainsi que des capacités à faire face aux défis structurels du XXIe siècle. Parmi eux se trouvent notamment les menaces posées par les belligérants en compétition avec la France, qui s’inscrivent intentionnellement dans un entre-deux. Nous y interrogeons les réponses apportées à de telles menaces, mais aussi la nécessité d’un maintien des forces conventionnelles et nucléaires pour se prémunir contre le déclin et la défaite.
Maîtriser pour ne pas avoir à subir. ♦
(1) Proudhon Pierre-Joseph, La Guerre et la Paix, Tome I, Lacroix, 1869, p. 4.
(2) Weber Claude, « La fonction de la violence dans les sociétés primitives selon les écrits de Pierre Clastres », Les Champs de Mars, vol. 12, n° 2, 2002, p. 61-83.
(3) Montbrial (de) Thierry (dir.) et David Dominique, Ramses 2021 : Le grand basculement ?, Dunod/Ifri, 2020, 368 pages.
(4) Cumin David, Histoire de la guerre (2e édition), Ellipses, 2020, 336 pages.
(5) Lynn John A., De la guerre, une histoire du combat des origines à nos jours, Tallandier, 2006, 603 pages.
(6) Keegan John, Histoire de la guerre, Perrin, 2014, 628 pages.
(7) Vo-Ha Paul, Rendre les armes. Le sort des vaincus, XVIe-XVIIe siècles, Champ Vallon, 2017, 432 pages.
(8) Crisis Group, Enrayer la communautarisation de la violence au centre du Mali, Rapport n° 293, 9 novembre 2020 (www.crisisgroup.org/).
(9) Hervé Pierre, « Paix-guerre : le monde selon André Beaufre », Inflexions, vol. 36, n° 3, 2017, p. 99-115
(https://www.cairn.info/revue-inflexions-2017-3-page-99.htm).
(10) Delpech Thérèse, « La “Guerre impossible” selon Ivan Bloch », Politique étrangère, n° 3, 2001, p. 705-712 (https://www.persee.fr/).
(11) Goya Michel, La mort comme hypothèse de travail, Tallandier, 2014, 272 pages.
(12) Schmitt Olivier et David Charles-Philippe, La Guerre et la Paix, Presses Sciences Po, 2020, 568 pages.
(13) Cumin David, op. cit.
(14) Capdevila Élisa, « Culture, Médias, Pouvoirs, 1945-1991 », Documentation photographique n° 2, 2019, 64 pages.
(15) Gomart Thomas, Guerres invisibles : nos prochains défis géopolitiques, Tallandier, 2021, 320 pages.
(16) Mandelbaum Michael, The Rise and the Fall of Peace, Oxford University Press, 2019, 232 pages.
(17) Waever Ole, « Identity, Integration and Security: Solving the Sovereignty Puzzle in EU Studies », Journal of International Affairs, 1995, p. 389-431.
(18) Freund Julien, L’Aventure du politique, Critérion, 1991, 249 pages.
(19) Aron Raymond, « La paix belliqueuse », Commentaire, vol. 76, n° 4, 1996, p. 913-917.
(20) Urbina Iam, « Secrets et puissances de la flotte de pêche chinoise », Le Monde Diplomatique, novembre 2020.
(21) SIPRI, Military Expenditure Database en dollars constant de 2019 (https://sipri.org/).
(22) Commission européenne, EU-China, A Strategic Outlook, 12 mars 2019, 16 pages (https://ec.europa.eu/).
(23) David Charles-Philippe et Schmitt Olivier, op. cit., p. 21-43.
(24) Ibid.
(25) Dockès Pierre et Lorenzi Jean-Hervé (dir.), Le choc des populations : guerre ou paix, Fayard, 2009, 333 pages.
(26) Lecoq Tristan, « France : de la défense des frontières à la défense sans frontières », Questions internationales n° 79-80 (« Le réveil des frontières »), La Documentation française, mai-août 2016.
(27) Gomart Thomas, op. cit.
(28) Collectif, Imagine : penser la paix, Exhibitions International, 2020, 456 pages.