Étude de cas – La France et la paix au Mali
« La France ne menace personne. Elle veut la paix, une paix solide, une paix durable (108) ». Dans ce discours prononcé par le président Macron, la stratégie de défense de la France a pour objectif de contribuer au maintien de la paix et la sécurité, tant sur le territoire national qu’à l’étranger. La France, dans sa lutte contre le terrorisme au Mali, vise à réinstaurer la paix dans cet État gangrené par les conflits. Le sous-ensemble régional de la zone sahélienne, dans lequel se situe le Mali, se trouve effectivement dans « l’arc de crise » que le Livre blanc de 2008 identifie comme « zones critiques » (109) en raison de la vulnérabilité des intérêts économiques et politiques, la France face à l’émergence du terrorisme. On y insiste, au-delà du Mali, sur les risques liés aux États fragiles et aux zones de non-droit. Après des années de stabilité politique et démocratique jugée exemplaire en Afrique, le Mali traverse depuis 2012 une crise socio-politique faisant suite à un coup d’État. Cette situation a engendré une crise institutionnelle et sécuritaire dans le pays, mais également dans toute la Bande sahélo-saharienne (BSS). Les mouvances terroristes profitent des faiblesses en matière de gouvernance, de sécurité et de développement pour s’enraciner durablement et ainsi déstabiliser une région entière en menaçant de transformer la sous-région en foyer de terrorisme (110).
La pertinence d’un engagement extérieur est en partie évaluée en fonction du « caractère grave et sérieux de la menace contre la paix et la sécurité nationale et internationale (111) ». Par ailleurs la France fut légitime à intervenir car appelée par le Mali en raison des liens qu’entretient la France avec l’Afrique francophone. Des siècles d’interventions justifient son rôle clé dans la résolution des conflits africains, au point qu’on ait pu parler de Pax Gallica (112) pour la présence française en Afrique. Après un retrait progressif dans les années 1990, la France s’est affirmée comme une force permanente en Afrique avec des opérations menées à partir des années 2000 (113). En 2013, les opérations Serval puis Barkhane permettent à la France de prendre pied au Sahel. Ces interventions renouvellent la légitimité de la posture militaire française en Afrique qui met ses forces armées au service de la paix. Toutefois, avec l’intervention des forces onusiennes dans le cadre Minusma depuis 2013, la France, contrairement à ce qu’affirment certains (114), n’a pas de rôle exclusif mais conserve un rôle particulier.
Aujourd’hui, la France est enlisée dans une guerre qui semble être sans fin, faisant de l’objectif de la paix une utopie lointaine. Ainsi en quoi cette intervention armée pour la paix est-elle mise au défi par la présence de multiples obstacles ?
Intervention et présence françaises contre des acteurs terroristes pour préserver la paix
2013-2014 : Serval, stopper l’expansion territoriale rebelle
L’offensive djihadiste sur Bamako le 11 janvier 2013 entraîne une réaction immédiate de la France. Après concertation avec les chefs d’États africains, l’ordre est donné aux Forces spéciales (FS) sur place et à l’Armée de l’air d’intervenir. C’est le début de l’opération Serval au Mali qui rompt avec des années d’hésitation sur l’utilisation de la force armée pour frapper l’ennemi djihadiste. Ce changement soudain résulte d’échecs diplomatiques qui ont laissé la situation malienne s’envenimer : celui de la communauté internationale à mettre un terme à la crise de 2012 et celui de la diplomatie française à convaincre des alliés pusillanimes de l’urgence terroriste (115). L’aide que la France fournit au Mali, inapte à retrouver la stabilité seul, dévoile une politique réaliste et défensive de la paix. En recourant à la force, elle évite un affrontement généralisé dans la bande sahélienne et s’assure ainsi de la stabilité de ses partenaires africains pour garantir ses intérêts sécuritaires (116), diplomatiques, stratégiques et politiques ainsi que l’intérêt économique qui en résulte (117). La volonté du président François Hollande est alors assez forte pour obtenir la légitimité d’une action française dont les objectifs sont l’endiguement de l’avancée djihadiste, l’arrêt de leur violence et la libération des populations déjà sous leur joug (118). En 2014, l’opération Serval est un succès unanime. Elle a été menée avec diligence par l’armée française grâce à une rapidité de commandement et d’exécution ainsi qu’à un outil de renseignement performant. Avec ses alliés tchadiens, la France a évité, au prix de combats violents et d’un ratissage méthodique, l’enracinement des Groupes armés terroristes (GAT), elle a neutralisé plusieurs cadres importants et rétabli la sécurité pour les populations locales, le tout en faisant un « sans-faute sur l’utilisation de la force » (119). Elle prouve ainsi qu’une intervention militaire peut permettre d’instaurer la sécurité préalable à la paix. En arrêtant le terrorisme dans son projet expansionniste, l’usage mesuré de la force pose les bases d’un processus de pacification (120).
Depuis 2014, Barkhane, lutter contre le terrorisme à l’échelle régionale
Pourtant, l’opération Serval n’avait qu’une stratégie locale, focalisée sur la défense du Mali. Son ambition n’a jamais été l’anéantissement de la menace terroriste, mais bien l’empêchement de la création d’une puissance sahélienne homologue à l’État islamique. Ainsi, en 2014, Barkhane succède à Serval pour débusquer et neutraliser les djihadistes restants. L’appareil militaire doit alors s’adapter à cette nouvelle mission plus ardue face à un ennemi devenu une hydre et à un territoire plus vaste. L’usage de la force devint hybride avec l’installation de troupes conventionnelles au niveau local tout en utilisant fréquemment des FS pour une capacité de déploiement plus grande, ainsi qu’en travaillant avec les forces du G5 Sahel qui sont en première ligne contre les résidus de l’opération Serval (121).
Le choix du contre-terrorisme continue de former le prisme à travers lequel la France intervient au Sahel. Les djihadistes constituent la menace principale à laquelle il faut arracher le monopole de la violence (122). C’est ce que réitère le général François Lecointre en affirmant, lors de son audition au Sénat à l’automne 2020, qu’abattre l’hydre terroriste reste ce qui guide aujourd’hui la force française au Sahel (123). Dans ce combat, la France peut difficilement agir sur les causes profondes de l’existence des djihadistes (124) : son action ne peut être efficace qu’en les neutralisant et en accompagnant les acteurs qui œuvrent pour l’installation d’une paix durable. L’opération Barkhane est donc complexe, elle doit répondre aux urgences du court terme et aux nécessités du long terme (125) ce qui implique, de fait, une importante durée d’engagement.
L’horizon d’un désengagement : la décennie
À l’heure où le bilan français s’alourdit, la question du désengagement devient récurrente quand la crainte d’un enlisement au Sahel hante les dirigeants français et l’opinion publique. L’opération Barkhane semble devenir un puits sans fond (126). Le retour à l’État de droit malien paraît bien loin et l’armée française a vu l’inertie de la victoire de l’opération Serval se stopper par la nécessité de former et d’équiper des forces locales opérationnelles, mais aussi par la nécessité de contrôler un territoire danaïdien. Ainsi, on ne voit pas encore au Sahel l’horizon d’un désengagement.
Reste que Michel Goya relativise l’opinion pessimiste de la fin de l’année 2020, pour lui, le coût humain plus important des derniers mois témoigne d’une plus grande agressivité de l’armée française face à des GAT réellement affaiblis. Pour l’ancien colonel, Barkhane arrive à son terme, mais cela n’implique en aucun cas un désengagement des forces françaises. Au contraire, il réaffirme la nécessité de trouver un successeur à l’opération pour lutter contre la menace terroriste persistante. C’est alors la piste d’une présence française moins visible, en utilisant davantage de drones et de FS, qu’il privilégie. La ministre de la Défense Florence Parly a, elle aussi, réaffirmé la permanence des forces françaises au Sahel en annonçant le 3 janvier 2021 qu’elles resteraient jusqu’à ce que les partenaires sahéliens soient capables de répondre eux-mêmes à la menace (127). Quant aux militaires, ils estiment être au Sahel encore pour les quinze à vingt prochaines années (128).
Une intervention militaire française mise à l’épreuve
Une intervention légitime ?
L’intervention française trouve sa légitimité de départ dans la demande d’aide énoncée par le président malien Dioncounda Traoré en janvier 2013 dans une lettre à François Hollande. Le Mali en appelait à l’ONU, mais aussi à la France, pour repousser les offensives des groupes islamistes. C’est à la suite de la chute de Konna, dernier rempart entre les insurgés islamistes d’Ansar Dine, du Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO) et d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) et les forces gouvernementales, que l’ancien Président par intérim du Mali demande de l’aide. Ces islamistes étaient d’abord alliés aux rebelles du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) pour conquérir les grandes villes du Nord. Le MNLA fut rapidement exclu de la gestion des territoires en raison de divers désaccords, notamment sur l’application de la charia. Après s’être seulement engagée dans un soutien technique, la France finit par intervenir militairement. La justification française est celle de « l’action en cas de menace contre la paix » portée par le chapitre VII de la Charte des Nations unies. L’aval de l’ONU constitue un autre levier légitimant l’intervention française. La résolution 2100 (2013) (129), vient cependant en approbation a posteriori de Serval en autorisant l’armée française à user de tous les moyens nécessaires pour endiguer la menace terroriste en soutien aux éléments de la Minusma. Pourtant, dès le départ de l’opération, Ban Ki-moon alors Secrétaire général de l’ONU, avait encouragé les partenariats bilatéraux afin de repousser les avancées vers le Sud des GAT.
D’un point de vue local, l’intervention française sera célébrée au Mali lors de l’investiture du président Ibrahim Boubacar Keïta, en recevant le chef d’État français en tant qu’invité d’honneur en septembre 2013. La coopération avec les forces locales rend l’opération plus légitime car elle sera plus efficace avec des acteurs locaux, comme en témoigne l’opération Éclipse (130).
La nécessité du multilatéralisme dans un contexte de déstabilisation régionale
Ce conflit régional nécessite une coopération multilatérale et ce, dès les débuts de la crise « La France a su mobiliser tant la communauté internationale que les États africains, et ses partenaires européens. Cela montre la crédibilité dont elle dispose encore (…) pour ce qui concerne l’Afrique » (131). Des agissements concertés sont nécessaires, notamment financièrement. Cependant au niveau européen, une aide plus solide serait requise. L’UE est certes le premier bailleur de fonds au Mali, mais sa coopération en matière de lutte contre le terrorisme reste trop limitée. L’Europe de la défense n’agit qu’à travers des initiatives « restées singulièrement limitées, ou plutôt cantonnées à un petit nombre de domaines, importants mais circonscrits, comme la formation de l’armée malienne » (132). À cet effet la Mission de formation de l’Union européenne au Mali a été mise en place en 2013 sur la base de la résolution n° 2071(2012) du Conseil de sécurité des Nations unies et des articles 42(4) et 43(2) du traité de l’Union européenne. Le premier mandat de l’EUTM Mali a été approuvé par la décision 2013/34/PESC du Conseil de l’Union européenne (133). L’objectif de cette mission est de fournir des conseils en matière militaire et de former les forces armées maliennes afin de leur permettre de rétablir l’intégrité territoriale du Mali (134).
Au niveau international, la coopération s’est faite par le Conseil de sécurité (par la résolution 2100 qui instaure la Minusma). Celle-ci peut réaliser des opérations isolément mais aussi en coopération avec les forces de défense et de sécurité maliennes. À l’échelle régionale, le G5 Sahel (Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad) est créé suite au Sommet de Nouakchott en février 2014. Le but est d’instaurer un cadre institutionnel de coordination et de suivi de la coopération régionale en matière de politiques de développement et de sécurité. La force conjointe du G5 Sahel, force militaire anti-terroriste, est ensuite créée en 2017. Elle est appuyée par un financement multilatéral de l’UE, de l’Arabie saoudite et des États-Unis. Néanmoins, celui-ci demeure incomplet, un tiers n’ayant pas été versé en 2018 (135). Les activités de la force conjointe ne sont pas à la hauteur des attentes puisque seulement 75 % de la capacité opérationnelle prévue est déployée, et cela à cause d’« un manque important de formation, de moyens et de matériels » (136).
Les difficultés de sa mise en place
Face à une nébuleuse d’acteurs aux revendications distinctes au Sahel, il a été nécessaire pour la France d’être appuyée par d’autres forces dans sa lutte contre l’insécurité comme le démontre la carte ci-dessous. On trouve donc une diversité accrue d’acteurs intervenant au Mali aux côtés de la France. Cependant, cette pluralité d’acteurs ne joue pas toujours en faveur du maintien de la paix, compte tenu de la difficulté à croiser les priorités et intérêts divergents (137).
Parmi les éléments déclencheurs du conflit, on a la rébellion touareg menée par le MNLA et Ansar Dine qui s’emparent de plusieurs villes du Nord à partir de janvier 2012 et cherchent l’indépendance de la région. Cela est intimement lié à l’afflux d’armes et d’anciens combattants touaregs de la Jamahiriya arabe libyenne après la chute du colonel Kadhafi en octobre 2011 (138).
Les enjeux sont ici d’une nature nationaliste, pour la reconnaissance identitaire et culturelle du peuple touareg. Par ailleurs, ils sont aussi économiques tant le Nord du Mali, région désertique, excentré et sous-peuplé, a été marginalisé par les autorités centrales (139). S’appuyant sur cette instabilité, des groupes djihadistes influencés par AQMI cherchent l’instauration de la charia sur l’ensemble du pays. Ces éléments ne sont pas homogènes. Leurs enjeux, politiques ou idéologiques, divergent : la ligne d’Al-Qaïda consiste à intégrer la politique locale en abandonnant sa tactique insurrectionnelle tandis que Daech cherche uniquement à déstabiliser la région. De plus, les frontières sont floues entre les différents acteurs de la déstabilisation : certains Touaregs peuvent être islamistes et différentes milices agissent pour des chefs traditionnels. Si les ambitions politiques diffèrent, l’objectif et les moyens sont similaires par le contrôle de trafics dans la zone sahélienne, que ce soit des otages et des drogues (140). Pour contrer ces velléités d’expansion et de déstabilisation de la région, la France est présente aux côtés de l’ONU. Cependant, notons que le premier soutien derrière la France est américain et non européen : l’UE « ne prévoit pas à ce stade, contrairement à ce que demandait la France, de meilleur partage du fardeau, notamment financier » (141). Enfin, deux réponses proprement africaines sont apportées aux conflits. Premièrement, le G5 Sahel intervient depuis 2014 au Mali. Deuxièmement, une force de coalition constituée du Cameroun, du Niger, du Nigeria et du Tchad concentre leurs forces plus à l’Est contre Boko Haram.
D’un côté cette mosaïque d’intérêts revendiqués sur le territoire, et de l’autre une diversité d’acteurs intervenant pour tenter de stabiliser l’État malien et y maintenir la paix. La mise en place d’OMP sera d’autant plus complexe que les objectifs et les alliés sont difficiles à saisir sur le terrain.
Un processus de paix entre l’État malien
et les autonomistes du Nord-Mali
Un État faible, cadre propice aux tensions
Tout d’abord, le processus de paix est particulièrement difficile car le Mali apparaît de plus en plus comme un État défaillant. En effet, il ne détient pas le monopole de la violence sur son propre territoire et pour faire face aux groupes armés, il a dû en appeler à une intervention armée extérieure. C’est notamment l’argument avancé par Yaouaga Félix Koné, chercheur de 1981 à 2017 à l’Institut des sciences humaines (ISH) au Mali : « l’État n’est plus en mesure d’assurer la protection de la population, encore moins de satisfaire à ses besoins sociaux de base » (142). Cette défaillance régalienne a poussé le Mali à demander l’intervention de la France en 2013.
Si cette dernière permet depuis plus de sept ans de repousser et de réduire la menace terroriste, elle ne peut la neutraliser définitivement sans le rétablissement d’un État malien fort et légitime. Or, celui-ci n’est pas parvenu à se rétablir, comme l’a montré le coup d’État militaire du 18 août 2020 à Bamako. Dans un contexte de graves contestations et de manifestations au cours de l’été, des militaires ont procédé à l’arrestation des principaux dirigeants du pays. Ce pouvoir militaire s’est engagé, sous pression de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao), à une transition d’une durée de dix-huit mois à partir du 25 septembre (143). Ces troubles mettent en difficulté la légitimité de l’État dans la mise en place d’un processus de paix qui nécessite une action publique forte.
L’accord de paix de 2015 avec les autonomistes : un équilibre précaire
« L’accord pour la paix et la réconciliation au Mali », dit « accord d’Alger », est signé en juin 2015 à Bamako entre la République du Mali, la Plateforme des mouvements du 14 juin 2014 d’Alger (alliance de groupes armés maliens loyalistes) et la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA). La CMA est une alliance de groupes rebelles divers, touareg ou arabes, luttant pour l’indépendance de l’Azawad (région Nord du Mali). Un Comité de suivi de l’accord (CSA) est formé, auquel participent les parties, les pays de la médiation conduits par l’Algérie, les Nations unies, l’UA et l’UE. Après trois ans de guerre, cet arrangement diplomatique vient consacrer les limites du prisme de moyens militaires employés au Nord-Mali à l’encontre des rebelles touareg et arabes, avec lesquels il apparaît possible et nécessaire d’entamer un processus de paix, alors que le conflit continue avec les GAT.
Si cet accord ne reconnaît pas d’existence légale à l’Azawad, il le reconnaît comme une « réalité socioculturelle, mémorielle et symbolique » (144). L’objectif majeur est d’équilibrer le besoin de stabilité et de légitimité de l’État malien, et le besoin de reconnaissance et d’autonomie des régions du Nord. Par exemple, une régionalisation des pouvoirs est lancée, mais aussi un redéploiement des Forces armées maliennes (FAMa) dans le Nord, forces armées dans lesquelles doivent être intégrés les groupes armés signataires.
Un processus de paix sensiblement enlisé depuis 2015
La mise en œuvre de l’accord depuis cinq ans se caractérise par un enlisement dont les causes sont multiples : « instabilité de la période (…), manque de confiance entre les parties (…), rejet de l’accord par différents pans de la société civile et des figures politiques » (145). L’extrême complexité du conflit malien, la multiplicité des acteurs, locaux et extérieurs et des facteurs de crises, conduisent les parties à préférer un statu quo à court terme, au détriment d’une véritable résolution des conflits à court et moyen termes.
Il apparaît que, cinq ans après la signature, les objectifs fixés ne sont pas encore atteints et que « le processus de paix n’est toujours pas irréversible » (146). La responsabilité des parties dans cette lenteur semble largement engagée. Le Centre Carter, observateur indépendant, voit dans la transition mise en place à la suite du coup d’État une « opportunité », alors qu’un tel trouble a fait craindre une rupture du processus de paix car pour la première fois, l’ensemble des mouvements signataires de l’Accord sont représentés au gouvernement. Selon Mathieu Pellerin, seuls 23 % des dispositions de l’accord ont été mises en œuvre en 2020 (147) : les réformes de régionalisation n’ont que peu été entreprises et celles qui l’ont été n’ont pas reçu les moyens nécessaires. Sur les 85 000 combattants enregistrés dans le cadre du processus de DDR, seuls 1 840 ont été pris en compte. La dissension Nord/Sud persiste, et aucune amélioration économique réelle ne semble se dessiner. La commission « Vérité, Justice et réconciliation » (148) a commencé ses travaux fin 2019 mais « peine à susciter un quelconque engouement » (149). La population malienne n’est que faiblement intégrée à ce processus de paix puisque 61 % de la population n’a aucune connaissance de l’accord (150).
Or, l’équilibre trouvé en 2015 conduit les parties à ne pas réellement faire avancer le processus de paix : les anciens rebelles conservent de facto une très large autonomie dans le Nord-Mali tandis que l’État malien ne s’engage pas dans les efforts que lui demandent les mesures prévues par l’engagement. Les populations du Sud ne soutiennent pas la régionalisation, alors qu’une révision constitutionnelle par référendum est nécessaire à la mise en œuvre de l’Accord. L’équilibre induit par l’enlisement est précaire et le Mali ne peut se satisfaire de ce statu quo. À moyen et long termes, une réelle mise en œuvre de l’Accord de 2015 est la condition nécessaire pour instaurer la paix au Mali.
Ainsi, les opérations françaises au Mali, ayant pour objectif de rétablir la paix dans le pays et plus largement, dans une région minée par les attaques terroristes, semblent être compromises par de nombreuses dynamiques tant internes qu’externes. Néanmoins, rétablir la paix nécessite au-delà des actions militaires, des actions civiles au bénéfice de la population. À cet effet, Barkhane offre, en partenariat avec des forces locales, des aides médicales gratuites et soutient des projets apportant une aide directe aux populations en termes d’accès à l’eau, à l’électricité ou à l’éducation. Ces actions ont pour but de consolider la sécurité et la concorde civile, dans la mesure où elles favorisent l’acceptation des forces étrangères par les populations locales (151). ♦
(108) Macron Emmanuel, « Discours sur la stratégie de défense et de dissuasion devant les stagiaires de la 27e promotion de l’École de Guerre », Paris, 7 février 2020 (https://www.elysee.fr/).
(109) Livre blanc sur la Défense et la Sécurité nationale 2008, p. 43 (https://www.vie-publique.fr/).
(110) Revue stratégique de Défense et de Sécurité nationale, 2017, p. 21 (https://www.defense.gouv.fr/).
(111) Livre blanc sur la Défense et la Sécurité nationale 2008, op. cit., p. 76.
(112) Bat Jean-Pierre, « Le rôle de la France après les indépendances. Jacques Foccart et la Pax Gallica », Afrique contemporaine, vol. 235, n° 3, 2010, p. 43-52 (https://www.cairn.info/).
(113) Interventions françaises notamment en Côte d’Ivoire (2002 et 2011) et au Tchad (2006 et 2008). Le Livre blanc sur la Défense et la Sécurité nationale de 2008 espérait ne maintenir que deux points d’appui, un sur la façade atlantique, l’autre orientale au lieu de sept implantations. Cf. « La reconfiguration des moyens prépositionnés », Odile Jacob, 2008, p. 156 (https://www.vie-publique.fr/).
(114) Vallin Victor-Emmanuel, « France as the Gendarme of Africa, 1960-2014 », Political Science Quarterly, vol. 130 n° 1, été 2015, p. 79-101.
(115) Charbonneau Bruno et Sears Jonathan, « Faire la guerre pour un Mali démocratique : l’intervention militaire française et la gestion des possibilités politiques contestées », Canadian Journal of Political Science, vol. 47, n° 3, 2014, p. 597-619.
(116) C’est-à-dire se prémunir de l’objectif assumé des terroristes sahéliens de menacer ses ressortissants et son territoire comme le rappelle le patron de la DGSE, Bernard Émié cité dans Cognard Franck, « La DGSE lève (un peu) le voile sur son activité au Sahel », France Info, 2 janvier 2021 (https://www.francetvinfo.fr/).
(117) Goya Michel, « Vers la fin de l’opération Barkhane », La Voie de l’Épée, 14 novembre 2020 (https://lavoiedelepee.blogspot.com/).
(118) Vallin Victor-Manuel, op. cit.
(119) Expression in Evry Antoine « L’opération Serval à l’épreuve du doute, vrais succès et fausses leçons », Focus stratégique, n° 59, juillet 2015, Ifri, p. 42 (https://www.ifri.org/sites/default/files/atoms/files/fs59devry_0.pdf).
(120) Centre de doctrine d’emploi des forces (CDEC), Gagner la bataille. Conduire à la paix. Les forces terrestres dans les conflits aujourd’hui et demain, Armée de terre, janvier 2007, p. 12-14 (https://www.c-dec.terre.defense.gouv.fr/).
(121) Ibid., p. 43-44.
(122) Charbonneau Bruno, « Intervention in Mali: Building Peace Between Peacekeeping and Counterterrorism », Journal of Contemporary African Studies, vol. 35, n° 4, juillet 2017, p. 415-431 ; et Charbonneau Bruno, « Faire la paix au Mali : les limites de l’acharnement contre-terroriste », Le Monde, 27 mars 2019 (https://www.lemonde.fr/).
(123) Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, « Projet de loi de finances pour 2021 - Audition du général François Lecointre, chef d’état-major des armées », Sénat, 14 octobre 2020 (http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20201012/etr.html#toc6).
(124) Goya Michel, « L’équation de la mort - Huit ans de guerre d’usure au Sahel », La Voie de l’Épée, 3 janvier 2021 (https://lavoiedelepee.blogspot.com/).
(125) CDEC, Gagner la bataille …, op. cit., p. 12.
(126) Vincent Élise, « “On a fait le tour du cadran” : la France cherche une stratégie de sortie pour l’opération “Barkhane” au Sahel », Le Monde, 17 décembre 2020.
(127) Challier Pierre, « Opération Barkhane : “On arrive à la limite de ce qui est acceptable en coût humain et financier”, selon Michel Goya », La Dépêche, 11 janvier 2021 (https://www.ladepeche.fr/).
(128) Charbonneau Bruno, « Faire la paix au Mali », op. cit.
(129) Résolution 2100 (2013), adoptée par le Conseil de sécurité lors de la 6 952e session, le 25 avril 2013 (https://digitallibrary.un.org/record/748429?ln=fr).
(130) Opération conjointe entre les forces françaises Barkhane et maliennes menée du 2 au 20 janvier 2021 dans la zone des trois frontières, cf. « Une centaine de djihadistes tués lors d’une opération militaire franco-malienne », Le Monde Afrique, 27 janvier 2021 (https://www.lemonde.fr/).
(131) Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, Mali : comment gagner la paix (Rapport d’information n° 513), Sénat, 16 avril 2013 (https://www.senat.fr/rap/r12-513/r12-5131.pdf).
(132) Ibid., p. 144
(133) Commission de la défense nationale et des forces armées, L’Opération Barkhane (Rapport d’information n° 4089), Assemblée nationale, 14 avril 2021 (https://www.assemblee-nationale.fr/).
(134) Ibid., p. 48
(135) Bourreau Marie, « L’ONU s’inquiète du manque de moyens de la force du G5 Sahel », Le Monde, 17 novembre 2018 (https://www.lemonde.fr/).
(136) Rapport du Secrétaire général de l’ONU sur la Force conjointe du Groupe de cinq pays du Sahel, 12 novembre 2018 (https://undocs.org/pdf?symbol=fr/S/2018/1006).
(137) Pour une infographie de qualité, voir Barluet Alain, « Au Sahel, l’opération “Barkhane” face aux limites de son action », Le Figaro, 11 février 2018.
(138) Pellerin Mathieu, « Le Sahel et la contagion libyenne », Politique étrangère, vol. 4/2012, p. 835-847.
(139) Martineau Michelle, « Le conflit nord-malien et les Touaregs », Raison d’État, 8 novembre 2018 (https://raisondetat.com/2018/11/08/le-conflit-nord-malien-et-les-touaregs/).
(140) Jacquemot Pierre, « Mali : “chaque acteur du conflit a ses propres intérêts” », Iris, 4 avril 2012 (https://www.iris-france.org/44813-mali-chaque-acteur-du-conflit-a-ses-propres-intrts/).
(141) Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, Rapport d’information n° 513, op. cit.
(142) Koné Yaouaga Félix, « Faillite sécuritaire de l’État et résistance citoyenne au Mali », Mande Studies, vol. 21, 2019, p. 115-127.
(143) Pellerin Mathieu, « L’accord d’Alger cinq ans après : un calme précaire dont il ne faut pas se satisfaire », International Crisis Group, 24 juin 2020 (https://www.crisisgroup.org/fr/africa/sahel/mali/laccord-dalger-cinq-ans-apres-un-calme-precaire-dont-il-ne-faut-pas-se-satisfaire).
(144) Accord d’Alger, 2015, Titre I, chapitre II, Article 5 (https://peacemaker.un.org/).
(145) Bencherif Adib, « Le Mali post -“Accord d’Alger”, une période intérimaire entre conflits et négociations », Politique africaine n° 150, 2018/2, p. 179-201 (https://www.cairn.info/).
(146) The Carter Center, « Observations sur la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la Réconciliation au Mali, issu du processus d’Alger (Rapport de l’observateur indépendant) », décembre 2020 (https://pubhtml5.com/qpno/sumi/).
(147) Pellerin Mathieu, « L’accord d’Alger cinq ans après : un calme précaire dont il ne faut pas se satisfaire », op. cit.
(148) Accord d’Alger, 2015, Titre V, chapitre XIV, Article 46.
(149) Pellerin Mathieu, « L’accord d’Alger cinq ans après : un calme précaire dont il ne faut pas se satisfaire », op. cit.
(150) Fondation Friedrich Ebert (FES) – Bureau Bamako, « Mali-mètre XI, 12-26 novembre 2019 », mars 2020 (http://www.fes-mali.org/images/Rapport_Final_Malimetre_N11_Site.pdf).
(151) Dossier de presse, Opération Barkhane, juin 2020 (https://www.defense.gouv.fr/).