Pour une politique de défense démocratique, européenne et respectueuse du rôle de nos militaires
Les socialistes ont toujours été au rendez-vous des enjeux de défense : en 1936, en enclenchant un plan de réarmement quelques mois après l’arrivée au pouvoir du Front populaire ; en 1981, en se rangeant du côté de l’Otan lors de la crise des euromissiles ; et en 2015, à la suite des attentats, en augmentant les moyens alloués à la défense. Inspirés par notre histoire et guidés par nos convictions, nous continuerons à « aller à l’idéal, en comprenant le réel » pour reprendre les termes de Jean Jaurès.
Les principes qui guideront notre action
L’idéal de la gauche, c’est un état de paix. En effet, la sécurité est la condition de la transformation sociale que nous portons, celle-ci devant permettre l’émancipation des individus et leur épanouissement. Cette approche est fondamentale, car elle nous sort d’une logique « militaro-centrée ». Une politique de défense qui cherche la paix insiste sur la prévention des conflits ainsi que la capacité à y mettre fin, en prenant en compte les inégalités sociales, le respect des intérêts des différentes parties au conflit et les conséquences du changement climatique. De même, toute intervention militaire doit être envisagée comme l’ultime recours, tout en étant une phase transitoire vers la paix. La situation récente au Mali tout comme la guerre qui vient de commencer en Ukraine illustrent la nécessité de cette stratégie, qui est la seule façon d’être efficace dans la durée.
Au-delà de cette approche intégrée, notre politique de défense sera guidée par quatre principes d’action :
• Garantir à la France les moyens d’une défense permettant de dissuader tout agresseur potentiel.
• Assurer la sécurité collective avec l’Union européenne (UE) et l’Otan.
• Permettre au Parlement d’exercer pleinement sa mission de contrôle.
• Respecter les missions de nos forces armées.
L’état du monde appelle un nouveau Livre blanc et une nouvelle LPM
Nous sommes lucides sur l’état sécuritaire du monde : il continue de s’aggraver. La guerre en Ukraine en est la triste démonstration. En termes d’acteurs, des organisations terroristes continuent de nous menacer, alors que des États décident désormais d’utiliser ouvertement la menace ou la force. En termes de méthode, le continuum « compétition-contestation-affrontement » proposé par le chef d’état-major des Armées est une grille de lecture utile. Les frontières de la guerre et de la paix ne sont plus claires, certains acteurs en profitant pour effectuer des gains stratégiques. En termes de milieux, de nouveaux domaines continuent de prendre une part de plus en plus importante, comme les fonds marins, le cyber, mais aussi l’espace. Face à cette situation, nous devons adapter notre stratégie afin que nos armées soient capables de répondre à l’ensemble des menaces.
Le contexte géopolitique évolue vite et en permanence, ce que prouve la profusion de documents stratégiques récents : la Revue stratégique de 2017, son actualisation de 2021, la vision du CEMA de 2021, sans oublier la Boussole stratégique européenne en 2022. Nous souhaitons capitaliser sur ces différents documents dans la rédaction d’un nouveau Livre blanc. Cet exercice sera démocratique, en associant pleinement des parlementaires et des représentants de la nation à sa rédaction, mais aussi en faisant adopter ses conclusions par le Parlement. Les travaux démarreront dès l’été 2022, afin d’aboutir début 2023 au plus tard.
Ce Livre blanc sera suivi d’une nouvelle loi de programmation militaire « Objectif 2030 » englobant la période 2024-2030. L’objectif est d’adapter la trajectoire actuelle tout en inscrivant l’effort dans la durée pour mettre en place une défense à la hauteur des enjeux. Là aussi, je souhaite que le Parlement soit pleinement associé : les choix de défense qui nous engagent doivent être légitimés par la représentation nationale.
Dans un contexte incertain, affirmer nos choix
Étant donné le contexte stratégique, l’incertitude n’est pas permise. Elle pourrait inquiéter nos alliés et encourager nos ennemis. La guerre en Ukraine montre qu’il est essentiel d’envoyer des signaux clairs quant à notre détermination. Sur le plan national, en tant que cheffe des armées, je garantirai l’augmentation des moyens dédiés à nos militaires et la préservation de la dissuasion nucléaire.
Concernant le budget de nos armées, nous continuerons l’augmentation entamée en 2015. En 2023, la trajectoire de la LPM actuelle sera poursuivie avec une augmentation de 3 milliards. Je soutiendrai aussi tout effort supplémentaire qui pourrait être nécessaire au regard de l’évolution de la guerre en Ukraine. À partir de 2024, la LPM « Objectif 2030 » doit nous permettre de répondre à l’ensemble des menaces envisageables, et notamment à la potentialité d’un conflit de haute intensité, en sachant que cette hypothèse est particulièrement exigeante en termes de masse et de stock. La crise du coronavirus a prouvé qu’une approche budgétaire fondée sur un niveau de dépenses en part du PIB est vaine, tandis qu’un objectif chiffré répond à une logique uniquement comptable. Nous aurons donc une stratégie en termes de capacités, avec l’objectif de faire face à la haute intensité, en coalition.
La dissuasion nucléaire, pilier de notre défense, sera préservée dans ses deux composantes. Elle aura tous les moyens nécessaires pour être pleinement opérationnelle et pourra poursuivre son renouvellement. La France ne signera pas le Traité d’interdiction des armes nucléaires (TIAN), qui est un traité inefficace sur le plan opérationnel. Le désarmement multilatéral restera toutefois au cœur de notre diplomatie et les nouvelles initiatives diplomatiques que nous entreprendrons s’inscriront pleinement dans la mise en œuvre des objectifs de réduction des armes nucléaires prévus dans le Traité de non-prolifération (TNP).
Notre industrie de défense est nécessaire à notre autonomie stratégique et nous aurons une vigilance particulière à son égard. Elle permet à nos forces de s’équiper de façon souveraine, dans la quasi-totalité des domaines. Dans cette logique, l’anticipation par la programmation est une nécessité, aussi bien au niveau français qu’européen. L’outil industriel doit être capable d’accompagner une remontée en puissance rapide de nos armées. Je veillerai à ce que la politique industrielle de défense le permette. Nous serons particulièrement vigilants au niveau d’investissement dans l’innovation, qui doit être porté au-delà du milliard d’euros actuel dédié à l’Agence de l’innovation de défense (AID). De même, l’enjeu du financement de l’industrie de défense par le secteur bancaire est capital. Nous veillerons à la cohérence des politiques publiques, en garantissant que les investissements durables permettent à l’industrie de défense de faire sa transition énergétique, à son rythme, et en ayant comme priorité l’impératif opérationnel.
L’Europe comme boussole
La défense européenne sera un axe central de notre politique. L’UE semble enfin saisir à bras-le-corps les enjeux de défense en réponse à l’agression russe contre l’Ukraine. Dès 2014, les socialistes français avaient pris la mesure, en annulant la vente des porte-hélicoptères Mistral à la Russie. Sur le plan militaire, les traités qui nous lient font de nous des alliés perpétuels, ce qui nous permet d’envisager un destin commun et une défense commune. Sur un plan économique, elle est une nécessité pour s’émanciper des contingences du grand export, en élargissant le marché domestique avec des alliés.
Dans ce sens, la prise de conscience depuis l’annexion de la Crimée et l’accélération du déploiement des politiques européennes depuis 2016 est à saluer. L’ensemble des outils existants doit désormais être mis en cohérence, avec une attention particulière pour le Fonds européen de défense. Nous veillerons à son fonctionnement, à ses résultats et à sa pérennisation.
En parallèle de l’UE, la défense européenne passe aussi par des partenariats intergouvernementaux. Nous sommes attachés à la poursuite des coopérations en cours, avec par exemple nos partenaires britanniques dans le domaine des missiles, belges dans le terrestre, mais aussi allemands pour les MGCS (Main Ground Combat System) et Scaf (système de combat aérien du futur), ce dernier associant également l’Espagne. Sur ces programmes en coopération, qu’ils soient industriels ou opérationnels, nous n’avons qu’un seul impératif : l’efficacité. La pression géopolitique et les besoins de nos armées nécessitent des garanties, avec notamment un calendrier partagé sur l’ensemble de la durée de vie des programmes. Si besoin, nous engagerons des discussions avec nos partenaires pour aller dans ce sens.
La France restera dans l’Otan et répondra pleinement à ses missions. Si nous sommes conscients des limites de l’Otan, avec une prédominance américaine, cette alliance reste une assurance de sécurité collective. La singularité du prisme français ne doit pas faire omettre l’importance de cette organisation pour nos voisins européens. Sur un plan pragmatique, quitter l’Otan reviendrait à nuire à la crédibilité de la France et donc à nos projets de construction européenne. Par ailleurs, il est plus efficace d’être présent au sein des espaces de dialogue existants plutôt que de s’ostraciser, ce qui permet de peser sur les orientations choisies.
Au-delà de la défense européenne et de l’Otan, la France veillera à poursuivre ses partenariats stratégiques. La France ne se résume pas à la métropole et nous sommes un acteur dans des régions comme les Caraïbes et l’Indopacifique. Ce statut de puissance d’équilibre doit nous amener à continuer la relation avec des pays comme l’Inde et l’Indonésie, afin de veiller à nos intérêts et au respect du droit international.
Impliquer le Parlement pour légitimer nos choix
Nous ne dérogerons pas au principe de contrôle démocratique dans le domaine de la défense. Le Parlement n’est pas un détour obligé, mais une garantie nécessaire pour la légitimité et l’efficacité de notre politique. Au-delà de l’association aux rédactions du Livre blanc et de la LPM, le Parlement sera renforcé dans son rôle. Le gouvernement sera respectueux des missions du pouvoir législatif, ce qui n’a pas toujours été le cas sous ce quinquennat, comme le rappelle l’absence en 2021 d’actualisation de la LPM 2019-2025 alors qu’elle était inscrite dans la loi par le gouvernement lui-même.
Concrètement, le Parlement aura un débat annuel en séance plénière sur les engagements de nos armées, qu’ils soient intérieurs ou extérieurs. De même, des votes concernant les opérations extérieures (Opex) seront organisés à des échéances régulières, afin que le seul vote existant aujourd’hui lors du début d’une Opex ne soit pas un blanc-seing. Enfin, dans le domaine du contrôle des exportations, les conclusions du rapport Maire-Tabarot seront écoutées. Une délégation parlementaire bicamérale sera mise en place pour en garantir un contrôle a posteriori sur le modèle de la délégation parlementaire au renseignement.
Renforcer une approche intégrée de la défense
Dans le domaine des politiques publiques, nous privilégierons une action stratégique intégrée. Cette nécessité est imposée par les puissances étrangères. Par exemple, la Chine se distingue par une approche intégrale, combinant les dimensions militaire, économique ou encore diplomatique. Son omniprésence en mer de Chine méridionale doit être lue en parallèle des « routes de la Soie », de sa base militaire à Djibouti, de ses « trolls » sur Twitter et de la multiplication des instituts Confucius faisant la promotion de la culture chinoise.
Concrètement, le rôle du Premier ministre dans la défense nationale sera réaffirmé, dans la logique des articles 20 et 21 de la Constitution. Un ministre délégué lui sera adjoint, afin de s’assurer de la cohérence politique de nos approches dans les différents domaines concernés par la défense. Le ministère des Armées continuera à agir sur l’opérationnel. Ce retour de la stratégie globale de défense doit permettre la concrétisation de notre agenda de souveraineté : la France et l’Europe doivent se donner les moyens d’agir, sans dépendre des autres.
Le respect de la mission de l’armée comme condition nécessaire
En tant que cheffe des armées, je serai particulièrement attachée à ce que le rôle de notre armée soit scrupuleusement respecté. Comme le rappelle le code de la Défense : « L’armée de la République est au service de la Nation. Sa mission est de préparer et d’assurer par la force des armes la défense de la patrie et des intérêts supérieurs de la Nation. »
Nos armées sont aujourd’hui les premières victimes de l’affaiblissement de nos services publics, ce qui nuit au principe de disponibilité. En 2020, lors de la crise de la Covid-19, elles ont effectué un travail extraordinaire, mais elles ont avant tout suppléé à un hôpital à bout de souffle. Dans un autre domaine, la pérennisation de l’opération Sentinelle est un symptôme du manque de moyens de nos forces de sécurité intérieure. Les militaires seront donc des bénéficiaires indirects du retour des services publics.
Plus largement, en tant que cheffe des armées, j’arrêterai le « kaki-washing » qui met tout à la sauce militaire. Le statut militaire et ses exigences répondent à une mission simple : si nécessaire, assurer par la force notre sécurité. La discipline militaire n’est pas un plaisir, elle répond avant tout à un besoin d’être opérationnel à tout instant. La reproduire au travers d’un service national est donc strictement vain et inutile. Ce mélange des genres nuit à la clarté de la mission militaire et donc au lien armée-nation.
Enfin, si nous devons aux militaires la possibilité de se concentrer pleinement à leurs missions, leur statut exige également la neutralité. C’est une condition de leur cohésion et de leur acceptabilité par la société. Les événements récents comme les « tribunes de militaires » sont des entorses graves : je serai sans complaisance vis-à-vis de celles et ceux qui nuisent à la discipline, y compris les officiers généraux en 2e section.
Conclusion
Nous sommes prêts à assumer la charge du pouvoir et de notre politique de défense. Je suis préparée à être cheffe de nos armées. Présidente, je m’attellerai à renforcer le lien armée-nation, notamment au travers du Parlement et la construction de la défense européenne. Surtout, nos soldats auront les moyens de répondre aux menaces auxquelles nous faisons face, afin d’atteindre notre unique objectif : la paix. ♦