Pour une défense démocratique et plus européenne
Toute politique de défense répond à une exigence majeure, vivre en paix. La paix non seulement comme état de non-guerre, mais bien davantage comme situation favorable à l’émancipation des individus et la concorde des sociétés. Pour répondre à cette exigence et assurer la protection de nos concitoyens et de nos intérêts nationaux, une vision écologiste de la politique de défense englobe l’ensemble des facteurs déterminant la paix, qu’ils soient sécuritaires, économiques ou environnementaux. Ce dernier facteur est de plus en plus crucial, comme nous le montrent tragiquement la guerre en Ukraine et la situation de dépendance des économies européennes aux ressources énergétiques, minières ou agricoles de Russie et d’Ukraine.
Comment assurer la paix et la sécurité dans un environnement stratégique dégradé, où les menaces grossissent ? Notre pays est engagé dans des conflits au Sahel, où nos forces sont enlisées du fait de l’absence de solution politique. Un certain nombre de pays de notre voisinage dotés de régimes autoritaires, comme la Russie ou la Turquie, menacent nos intérêts et nos valeurs démocratiques tout en étant manifestement animés de nouvelles velléités impérialistes. L’exacerbation de la rivalité entre la Chine et les États-Unis risque à tout moment de déraper en un conflit ouvert dans le Pacifique, dont les conséquences pour la France et l’Europe risquent d’être considérables.
À ces enjeux conventionnels se sont ajoutées de nouvelles menaces. Les confrontations ne sont plus strictement militaires, mais concernent la cybersécurité, l’espace, les fonds marins ou les sols. Le changement climatique et les dérèglements écologiques accentuent encore les tensions : parce qu’ils fragilisent les rendements agricoles, exposent des territoires à des événements plus extrêmes et plus fréquents, ils dégradent les conditions d’habitabilité de régions entières, exposant les populations à l’exil et aggravant les risques de conflits. Soulignant l’importance stratégique des ressources, la situation en Ukraine révèle une nouvelle fois la vulnérabilité structurelle de l’Europe à l’égard du gaz russe (mais le constat vaut pour le pétrole des Émirats) et l’urgence de la transition énergétique, y compris pour des raisons de paix et de sécurité.
Au regard d’une situation stratégique dégradée, il nous semble impossible en l’état de renoncer à une dissuasion nucléaire pleinement opérationnelle. Ce maintien des capacités stratégiques devra toutefois s’accompagner d’efforts diplomatiques accrus en vue de réduire la prolifération nucléaire, notamment vis-à-vis de l’Iran et de la Corée du Nord, tout en visant un objectif de désarmement multilatéral. Nous organiserons une conférence internationale sur le désarmement nucléaire en proposant d’élargir le processus P5 à l’Inde, au Pakistan et à Israël.
La France mettra également au cœur de ses priorités la lutte contre la militarisation de nouveaux terrains, en particulier l’espace. Nous proposerons aussi à nos partenaires internationaux la négociation de traités pour lutter contre le mercenariat et limiter les activités des sociétés militaires privées. De même, nous porterons une régulation internationale stricte des « robots-tueurs », l’homme devant toujours rester présent dans la boucle de décision.
Dès le mois d’avril, la question de notre engagement au Sahel se posera. Nous devrons faire évoluer radicalement notre approche afin de répondre aux besoins immédiats des populations et mieux prendre en compte les dynamiques sociales locales. Une intervention militaire n’est jamais à elle seule la solution à des problèmes sociaux et économiques, politiques et démographiques complexes tels que ceux que rencontre le Sahel. Elle peut et doit être, en revanche, un élément important d’une politique globale comprenant le soutien économique, une contribution au rétablissement de l’État de droit et la fourniture des services publics de base, en impliquant au premier chef les acteurs locaux. Au Mali en particulier, la situation rappelle douloureusement le précédent centrafricain, avec une implication russe très problématique. Notre réponse doit être étroitement coordonnée avec nos partenaires européens, mais aussi et surtout avec les acteurs de la région les plus directement exposés.
La montée des périls s’étend à d’autres régions du monde, notamment dans l’Indo-Pacifique, où il nous faut veiller avant tout à la sécurité de nos ressortissants, de nos territoires et de nos intérêts. Avec nos partenaires, nous devons assurer le respect du droit international, et particulièrement la libre circulation dans les eaux internationales, l’autonomie de Taïwan et l’intégrité des pays voisins de la Chine. Vis-à-vis de la Chine, notre approche ne doit et ne peut être strictement militaire. La Chine joue de la contrainte comme de l’influence, notamment via ses investissements dans le cadre des Nouvelles routes de la Soie, mais aussi à travers ses géants technologiques comme Huaweï et ses tentatives de redéfinir les normes de l’Internet. La seule réponse viable à son égard, c’est une souveraineté européenne renforcée dans tous les domaines et une action extérieure commune plus active, notamment en Afrique.
En Europe, face à la Russie, le respect du droit international, de la charte d’Helsinki et des accords conclus à la fin de la guerre froide constitueront notre boussole. Il est inacceptable que la menace militaire soit brandie pour redessiner les cartes. Nous entendons œuvrer fermement à la construction et la mise en œuvre d’une réponse européenne commune face aux menaces d’agression russe. Dans la crise ukrainienne, et après trop d’atermoiements, la France doit jouer tout son rôle pour aider à trouver une solution à la crise dans le cadre du format Normandie.
Pour autant, au-delà des tensions actuelles, la Russie est et restera un grand voisin de l’Union européenne (UE). L’Europe doit établir un cadre de relations stables et pacifiées avec elle, afin d’éviter la constitution d’une alliance durable entre la Chine et la Russie, susceptible de bloquer tout effort multilatéral visant à répondre aux crises globales, en particulier à la crise climatique, et pouvant conduire à des tensions mondiales de plus grande ampleur. L’une de nos principales priorités sera d’y contribuer. Dans ce contexte, la question de l’adhésion de l’Ukraine à l’UE, si elle doit rester ouverte, n’est pas une question d’actualité – y compris pour ce qu’elle supposerait de réformes en profondeur des institutions européennes, dont le fonctionnement est déjà très alourdi à 27. L’adhésion de l’Ukraine à l’Otan doit également rester ouverte, mais ne semble pas souhaitable à un terme prévisible.
Vers un renforcement du contrôle démocratique
Accroître le contrôle démocratique de la politique de défense sera un marqueur de la politique écologiste. Durant cette législature, le Parlement a été largement écarté du débat sur l’actualisation de la Loi de programmation militaire (LPM) 2019-2025. Nous ne l’acceptons pas. La démocratie est la condition de notre résilience : mettre tout en œuvre pour que les citoyens s’approprient la politique de défense du pays est la meilleure façon de s’assurer que nous pourrons faire face collectivement aux menaces. Concrètement, ce contrôle démocratique se manifestera par la tenue de débats parlementaires annuels sur les opérations extérieures (Opex), ainsi que par la création d’une délégation parlementaire bicamérale chargée du contrôle sur les exportations d’armement.
Aux responsabilités, tout en respectant la trajectoire budgétaire prévue par l’actuelle LPM, nous engagerons la rédaction d’un nouveau Livre blanc de la défense et de la sécurité nationale pour intégrer les évolutions de notre environnement stratégique. Il fera l’objet d’un débat et d’une validation par le Parlement. Ce Livre blanc débouchera sur une nouvelle LPM qui visera, entre autres, à garantir que nos soldats disposent bien de tous les équipements nécessaires pour nous défendre. Cette vigilance sur les équipements sera identique s’agissant des conditions de vie des militaires.
Par ailleurs, les cinq années qui viennent de s’écouler ont été exigeantes pour nos forces armées. Elles ont tout d’abord été employées à d’autres missions que militaires : si elles doivent naturellement contribuer à soutenir les services publics civils en cas de crise, ce recours n’a pas vocation à devenir la règle. L’engagement des armées ne saurait pallier ni le manque de moyens qui les frappe, ni la fragilisation qui en résulte.
La politique de défense écologiste se distinguera aussi par une attention particulière à la transition énergétique dans les armées. Nos industriels l’ont déjà prouvé : elle est une opportunité et non une contrainte. Les travaux d’Arquus autour de l’hybridation des véhicules militaires montrent qu’ils peuvent ainsi devenir plus discrets, ce qui est un atout opérationnel certain. De plus, la transition énergétique des armées doit nous permettre d’être plus autonomes quant à nos approvisionnements à l’avenir dans un monde où les ressources fossiles sont souvent détenues par des régimes autoritaires. De même, nous proposerons d’accélérer les travaux de l’Agence européenne de la défense sur l’économie circulaire dans les logiques industrielles de défense et sur les moyens du Fonds européen de défense (FED) allant à la transition.
Une politique de défense plus européenne
Aux responsabilités, nous maintiendrons nos alliances.
Tout en demeurant dans l’Otan, nous entendons faire en sorte que les intérêts stratégiques de l’Europe soient mieux pris en compte. C’est pourquoi le développement de la défense européenne sera une de nos principales priorités. Celle-ci doit éviter les redondances et viser les synergies. Comme l’autonomie stratégique de la France, l’autonomie stratégique européenne se fonde sur deux piliers : disposer de forces opérationnelles en nombre et en qualité suffisantes, et une industrie de défense souveraine répondant à leurs besoins.
Sur le premier aspect, nous soutenons la proposition du haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères Josep Borrell de construire une force d’intervention européenne. Le cas échéant, nous favoriserons la constitution d’un noyau dur d’États afin de concrétiser cette démarche. Nous souhaitons que la règle de l’unanimité en matière de politique étrangère et de défense européenne soit modifiée pour rendre cette politique réellement opérationnelle. Il n’y a pas de politique de défense légitime sans contrôle démocratique. Comme au niveau national, nous souhaitons que le Parlement européen puisse exercer pleinement ses prérogatives dans ce domaine.
Sur l’aspect industriel, nous proposerons de renforcer et de pérenniser le FED et nous accélérerons l’harmonisation des équipements des armées européennes. En pensant les projets d’équipements de manière conjointe dès leur conception, nous renforcerons l’interopérabilité, condition de la construction d’une défense véritablement européenne. Par ailleurs, il convient de renforcer l’harmonisation du contrôle des exportations en Europe et, à terme, de mettre en place un contrôle européen des exportations d’armement. Nous proposerons dans l’immédiat à nos partenaires de remplacer « la position commune sur les exportations d’armes » par un texte juridiquement contraignant.
Si nous sommes déterminés à renforcer la politique de défense au niveau communautaire, nous sommes conscients que la construction d’une défense européenne passera aussi par des partenariats intergouvernementaux, qu’ils soient bilatéraux ou avec des groupes de pays alignés sur nos objectifs. Ces partenariats devront d’ailleurs parfois englober certains pays extérieurs à l’Union européenne et particulièrement le Royaume-Uni avec lequel il faut poursuivre et approfondir la collaboration engagée sur le terrain de la défense avant qu’il ne décide de quitter l’Union. Le partenariat stratégique franco-belge sur la capacité motorisée (CaMo) est un exemple de rapprochement qui aboutit à une interopérabilité renforcée entre nos deux pays. Sur un plan industriel, l’émergence du champion européen MBDA a été permis par la coopération entre la France et la Grande-Bretagne. Nous nous inspirerons de ces exemples concrets pour faire émerger une Europe avec des capacités souveraines.
Les écologistes sont prêts à assumer la direction de notre pays et à conduire dans ce cadre la politique de défense, en y mettant les moyens nécessaires, en vue d’accroître l’autonomie stratégique de l’Europe et de la France. Seule cette approche intégrée permettra de doter la France et l’Europe d’une résilience accrue face aux menaces qui s’accroissent aujourd’hui dans le monde. ♦