L’intérêt de la France, c’est d’être indépendante, non-alignée et altermondialiste. La paix des Français est à ce prix !
Dans le cadre de la Ve République, la défense et la politique internationale sont des responsabilités directes et personnelles du président de la République. Pour ma part, ces sujets ont mon intérêt depuis les débuts de mon militantisme et j’ai noué dans le temps des relations de confiance avec les militaires autant qu’avec les textes des penseurs de la guerre.
Hélas, ces questions restent des parents pauvres des campagnes électorales. Le moment rappelle pourtant qu’il est souhaitable de ne pas les découvrir au moment d’accéder à la magistrature suprême.
La guerre en Ukraine, l’enlisement au Sahel, le déséquilibre de la balance commerciale, la dépendance énorme envers la Chine ou bien d’autres fournisseurs de matières premières : les derniers présidents de la République ont négligé de penser au futur la place et le rôle de la France dans le monde. Ils n’ont pas proposé de vision qui puisse fédérer, aussi bien notre peuple que nos partenaires.
Dit simplement : je défends l’idée d’une France indépendante et non-alignée. Depuis environ quinze ans, la France a opté pour l’alignement sur les positions étasuniennes. Le résultat est funeste pour nous. Il l’est aussi pour le monde. La France n’est plus considérée comme un interlocuteur crédible et distinct des États-Unis d’Amérique. On l’a vu dans les tentatives d’existence diplomatiques d’Emmanuel Macron avec la Russie. Le Kremlin a plusieurs fois indiqué que Paris était un acteur de second rang. Nous n’avons jamais vraiment eu la main. Pour peser, la France doit se donner les moyens intellectuels et militaires du non-alignement. Ma doctrine est claire : ni Moscou, ni Washington, ni Pékin, mais Paris ! C’est une question d’efficacité et de lucidité.
Nous sommes dans une période où des puissances, apparemment amies, se comportent en même temps comme des rivales, des concurrentes, voire des ennemies. Il n’y a aucune illusion à nourrir. Cela ne signifie pas qu’il faille s’isoler. Le non-alignement n’est pas l’isolement. Et ce n’est pas non plus la neutralité. Le choix confirmé en défense du droit international existant ou à amender ou à produire ne permet pas la neutralité. Nous devons parler à tous, comprendre les points de vue ainsi que les intérêts – à commencer par les nôtres – et parler net pour faire prévaloir la paix.
Dans notre cas, il faut admettre les faits : les États-Unis d’Amérique ne conçoivent pas l’amitié en dehors d’une relation de vassalité. Le retour dans le commandement intégré de l’Otan en 2008 était présenté comme un pari pour peser. Il a échoué. L’incapacité des dirigeants à s’émanciper de la tutelle étasunienne est patente. Voyons l’absence de réaction lorsque le contrat de sous-marins avec l’Australie a été saboté. De même, nous avons adopté trop facilement le vocable « d’Indopacifique » et l’imaginaire étasunien qu’il charrie. Les États-Unis d’Amérique pensent à une ligne de la Californie à l’Inde en passant par Hawaï, Guam et le Japon. La France devrait avoir à l’esprit une ligne de Mayotte-La Réunion à la Polynésie française en passant par la Nouvelle-Calédonie. En nommant si mal les choses, les erreurs vont se multiplier. Dans cette région du monde aussi, je ferai valoir notre singularité.
Pour complaire aux États-Unis encore, Emmanuel Macron a accepté l’installation du « centre d’excellence » spatial de l’Otan à Toulouse. Ce serait la première fois depuis le général de Gaulle que nous accueillerions des forces étrangères en permanence sur notre territoire et cela sans discussion au Parlement. Compte tenu des habitudes des États-Unis d’Amérique en matière d’espionnage du gouvernement français, c’est inquiétant. J’annulerai cette décision. J’organiserai la sortie de la France de l’Otan.
Emmanuel Macron avait tout misé sur l’Europe de la défense. Il a commis une double erreur. Du point de vue des principes, cette Europe de la défense est impossible. La défense est par excellence une politique de souveraineté. Or, la souveraineté réside dans le peuple et il n’y a pas un peuple européen, juridiquement. Il y a des peuples aux intérêts et aux visions divergentes. La plupart des États européens ne conçoivent pas leur défense en dehors de la sphère étasunienne. Peut-être que la guerre en Ukraine ébranlera leur confiance aveugle. Rappelons-nous tout de même qu’Annegret Kramp-Karrenbauer, ministre de la Défense d’Angela Merkel, qui déplore aujourd’hui l’impréparation européenne face à la Russie, avait asséné qu’il fallait en finir avec « l’illusion » de l’autonomie stratégique européenne.
Si la real politique conduit au cynisme, l’irreal politique mène à l’abîme. On ne peut indéfiniment prendre ses rêves pour des réalités. En dépit du mythe du « couple franco-allemand », nous avons subi nombre de lâchages de la part du gouvernement fédéral allemand. Dans le domaine spatial, Berlin s’est donné pour objectif de supplanter la France, comme écrit explicitement dans son Livre blanc. Depuis, l’Allemagne est devenue temporairement première contributrice de l’Agence spatiale européenne, a dénoncé l’accord de Schwerin, développe un projet de plateforme de lancement qui doit concurrencer Kourou… Dans le domaine de la défense, elle a torpillé le programme de patrouilleur maritime ; la création de KNDS a considérablement marginalisé Nexter ; le projet de char du futur se fait avec la participation indue de Rheinmetall et le projet d’avion du futur vise à capter des savoir-faire que l’Allemagne ne possède pas… La relation doit être assainie, et nous ne tendrons pas l’autre joue.
Face à tout cela, Emmanuel Macron n’a pas réagi. Il s’est entêté et n’a pas été cohérent. Il a négligé la singularité de la France. Elle est une nation universelle et non « occidentale ». Elle possède le deuxième territoire maritime du monde. Sa plus longue frontière maritime est avec l’Australie. Sa plus longue frontière terrestre est avec le Brésil. Elle siège en permanence au Conseil de sécurité de l’ONU. Sa langue est partagée par plus de 300 millions de personnes. Sa parole est encore attendue dans le monde. Elle n’a pas à se rallier à un camp. C’est d’autant plus important désormais. La crise écologique met en question la survie même de l’humanité. Les catastrophes, les épidémies, l’aggravation des tensions liées aux pénuries en eau, alimentation, matières premières, tout indique qu’il faudra réussir à coopérer. La mondialisation capitaliste, qui met la concurrence et l’accumulation au sommet de la hiérarchie des normes, est donc non seulement obsolète, mais dangereuse pour les sociétés dont les inégalités ainsi aggravées fragilisent la cohésion et l’unité. C’est pourquoi je propose une diplomatie altermondialiste. Cela signifie un choix de relations au monde. Militairement, nous protégeons exclusivement nos frontières et notre espace maritime. Politiquement, notre géopolitique est celle des coalitions réunissant les États qui veulent agir collectivement au service de l’intérêt général humain. Son objet est la production de nouveaux traités et accords internationaux concernant la protection des biens communs et le respect des frontières, sauf décision contraire démocratiquement prise par les peuples souverains.
Des coopérations avec nos voisins sur tous les continents sont possibles, elles éloigneraient les risques de confrontation. J’ai proposé la constitution d’une force de prévention et de lutte contre les catastrophes naturelles, sous l’égide de l’ONU. La lutte contre les incendies, les inondations et pour la dépollution de notre mer commune sont indispensables autour du petit bassin méditerranéen. J’ai proposé aussi la création d’une université francophone des métiers de l’espace. C’est un enjeu majeur pour le continent africain, auquel la traite et la colonisation ont volé son histoire. Il est dans l’intérêt de la France d’aider à empêcher qu’on lui vole son avenir.
D’une manière générale, nous devons récuser une conception purement militaire de la puissance. Bien sûr, il ne s’agit nullement d’y renoncer. La force est une garantie dont nous devrons toujours pouvoir disposer. L’actualité le rappelle. Elle est aussi un moyen de se faire entendre. En revanche, elle ne suffit pas à définir le genre de puissance que peut être la France. La grandeur de notre pays tient à son rayonnement intellectuel, à l’attrait qu’il exerce sur les esprits les plus brillants de la planète, à la générosité dont il sait faire preuve, à sa capacité à faire primer le droit. Ces dernières années, le gouvernement n’a pas été à la hauteur. Il a fermé la porte des études à de nombreux francophones en augmentant les frais d’inscription à l’université ; il n’a pas pris position pour la levée des brevets sur les vaccins ; il a poursuivi sa fuite en avant en vendant des armes à des États violant manifestement les droits humains, en particulier à l’Arabie saoudite et à l’Égypte.
Il a dilapidé une grande part de notre crédit en Afrique de l’Ouest. Quoique la dispute avec la junte qui dirige le Mali soit juste, elle est l’issue prévisible de l’obstination d’Emmanuel Macron. Les élus insoumis ont appelé durant des années à établir un plan concerté de retrait de nos forces avec les autorités maliennes, l’ONU et l’Union africaine. Emmanuel Macron n’a malheureusement consulté personne et négligé les aspirations sociales et démocratiques de la population. Le non-sens de la « guerre au terrorisme » qui avait motivé la guerre en Afghanistan a produit des effets comparables au Mali. Cette guerre sans fin a usé les hommes et le matériel, et nous a rendus indisponibles pour d’autres engagements. La mission Sentinelle a fait de même, du reste.
Désormais, il faut organiser le retrait sans que nos soldats en pâtissent. Ils ont déjà payé un lourd tribut. Le sentiment qu’on ne leur en sait pas gré est fort et amer. Il faudra désamorcer les rancœurs. Compte tenu du nombre de Français là-bas, de Maliens ici et du nombre de binationaux dans les deux pays, il est impossible de rester durablement fâchés. Pour renouer la confiance, des gestes devront être faits de part et d’autre. Il faudra de la transparence : nous rediscuterons sereinement et ouvertement les accords de coopération que nous avons avec les pays de la région. L’opacité qui entoure souvent ces sujets nous nuit terriblement. Certains essaient de manipuler les opinions publiques, mais ce n’est ni nouveau ni inévitable. Des mécanismes de contrôle de l’exécutif par les parlementaires et une plus grande publicité donnée aux discussions rendraient les rumeurs moins dangereuses.
En matière de défense, spécifiquement, il faut faire le bilan de ces années d’engagement et préparer l’avenir. La Revue stratégique de 2017 était un simple catalogue de menaces. Je ferai donc rédiger un Livre blanc pour préparer une nouvelle loi de programmation militaire (LPM). En attendant, la hausse des crédits prévue sera respectée.
Il est acquis que l’espace, le cyber et la mer sont les milieux qu’il faut désormais investir massivement, par exemple en développant une flotte de drones sous-marins. C’est indispensable pour protéger notre souveraineté et éviter toute surprise. Je commanderai un audit serré des menaces qui pèsent sur notre dissuasion nucléaire. Elle demeure la clé de voûte de notre défense. Néanmoins, le lancement du chantier des SNLE 3G ne peut être décidé à la légère. Les ruptures technologiques successives et de plus en plus rapides obligent à réfléchir aux stratégies que nous devrions adopter si, peu après leur mise à l’eau, autour de 2040-2050, ces sous-marins n’étaient plus la garantie ultime de notre sécurité. L’une de ces alternatives pourrait être une « dissuasion spatiale ». Fondée sur des capacités déjà existantes ou en cours de développement, elle pourrait par exemple permettre l’anéantissement total des systèmes d’information et de communication d’une puissance, un dommage de nature à dissuader quelque puissance que ce soit de nous agresser. Ce changement n’est pas acquis, mais il donne une idée du genre de liberté intellectuelle que je veux donner aux futurs rédacteurs du Livre blanc. Il offrirait aussi une piste pour une dénucléarisation négociée du monde, puisque le nucléaire militaire deviendrait inutile.
Pour nous mettre en situation de faire face aux transformations de la guerre, nous devrons faire preuve de discernement et d’esprit de conséquence. L’hypothèse de la guerre de haute intensité doit être abordée ainsi. Il est clair que notre armée actuelle n’est pas taillée pour une guerre conventionnelle face à un État de premier ordre. Il faut y travailler sérieusement, mais cela ne signifie pas qu’il suffirait d’augmenter le budget pour se hisser à hauteur du besoin. Pour ma part, je le dis, il s’agit de protéger la population et le territoire lorsque la dissuasion nucléaire n’est pas suffisante ou quand elle est inopérante. Il s’agit aussi de pouvoir agir en coalition ou de faire face à une conjonction de crises et d’agressions opportunistes : une accumulation de crises dans les Outre-mer et dans l’Hexagone, des catastrophes naturelles, une épidémie, des cyberattaques et des violations de notre territoire peuvent survenir ensemble. Ce sont les hypothèses d’engagement majeur les plus crédibles du fait de la crise écologique. Nous devons nous y préparer : avoir la masse et la capacité d’encaisser et de se relever pour dissuader et faire face. Il serait trop simple d’attendre le retour pur et simple des guerres symétriques tant, du moins, que la France refuse d’être enrôlée dans le camp d’une ou l’autre des superpuissances qui cherchent des alliés pour asseoir leur hégémonie.
Pour la partie militaire, le retour de la conscription devra être l’occasion d’une pensée renouvelée sur la défense passive de masse dont nous serions capables en cas d’agression.
Pour faire face à ces scénarios, la France doit disposer de deux leviers : une industrie de défense souveraine et performante, et une population éclairée, consciente et prête à faire face. De là se déduit notre volonté de former un pôle public de l’armement sous la supervision de la DGA et l’instauration d’une conscription citoyenne. Le pôle public permettra de mobiliser notre industrie pour satisfaire les besoins de nos armées, des petites munitions aux gros équipements, au lieu de nous concentrer prioritairement sur les perspectives à l’export. Ce recentrage permettra également de développer des technologies duales et concourra à la planification écologique. En partant des besoins civils et militaires, et en les mutualisant, cette stratégie de planification donnera aux industriels la masse critique et le carnet de commandes nécessaires au développement des programmes les plus ambitieux. Ce pôle public mettra fin à la doctrine du « faire faire », privatisation qui ne dit pas son nom et déqualifie le personnel militaire et civil des armées, remplacé par des prestataires bien moins fiables et compétents.
La conscription citoyenne aura un volet militaire pour une partie de la classe d’âge de dix-huit à vingt-cinq ans, garçons et filles, qui ne pourra être mobilisée en Opex. Sur la base du volontariat, sans casernement, rémunéré à 1 400 € par mois, il permettra d’abonder une garde nationale, constituera un vivier de professionnels important pour certaines spécialités en tension et facilitera le recrutement. Ce sera un des éléments décisifs de la réappropriation des questions de défense par le peuple, condition nécessaire de la démocratie. L’autre partie de la classe d’âge participera à un service civil dans les différents grands services de l’État, dont la police, la gendarmerie, la protection civile, les eaux et forêts. Ils formeront ensemble l’armature d’une société « résistante et récupérante » et dans laquelle les citoyens confrontés à une crise ne restent pas les bras ballants, comme ce fut le cas lors du confinement.
Ce sont là quelques-unes des mesures les plus structurantes que je propose pour assurer notre défense. Je m’en tiens à l’épure, mais l’ensemble des propositions est rassemblé dans un document en ligne :
https://melenchon2022.fr/livrets-thematiques/defense/
J’espère qu’il pourra satisfaire la curiosité du lectorat de la Revue Défense Nationale. ♦