Faire de la France une puissance stratégique de premier rang
Rarement, la France n’aura été si proche de la sortie de l’Histoire. Le temps des dividendes de la paix, issus de la fin de la guerre froide, nous a rendus pusillanimes au plan diplomatique et naïfs au plan militaire. La guerre en Ukraine révèle les turpitudes françaises : le monde réarme, les puissances accroissent leurs sphères d’influence, et nous regardons ailleurs. Si la prise de conscience est violente parce que tardive, pire encore serait une absence de réponse. C’est la raison pour laquelle il faut redéfinir le rôle de la France dans le monde compte tenu des menaces qui nous entourent et qui se font pressantes ; en tirer toutes les conséquences en matière budgétaire afin de pouvoir donner à nos armées le format et les équipements nécessaires à notre sursaut national.
L’Ukraine, précisément, nous rappelle que la paix n’est jamais un acquis historique définitif. Si dans ce conflit, la réaction de l’Europe ne peut être militaire, nous pouvons saluer sa réactivité et la mise au point immédiate de sanctions économiques massives et, espérons-le, efficaces dans la durée, car nous devons tout faire pour obtenir un cessez-le-feu. C’est un préalable absolu pour établir une solution politique. La France est dans son rôle quand elle appuie les efforts de médiation. Au sein de l’Union européenne (UE), l’histoire et notre statut nous mettent dans la meilleure position pour promouvoir une solution de paix, grâce à l’amitié traditionnelle qui nous lie au peuple russe, actuellement égaré par un pouvoir dictatorial qui se joue de toutes les règles et veut reconstituer un empire au mépris de la souveraineté de l’Ukraine. Nous devons, à terme, tenir une grande conférence sur la sécurité en Europe réunissant l’UE, la Russie et les pays concernés de l’Atlantique à l’Oural, en vue de fixer de nouvelles garanties de sécurité et de mettre en place une organisation paneuropéenne dotée d’un Conseil de sécurité européen. Si, compte tenu des combats en cours, cette proposition n’est évidemment pas à l’ordre du jour, c’est au cœur du tunnel le plus sombre qu’il faut dessiner la lueur de l’espoir.
Dans ce contexte instable et menaçant, la France a vocation à être une puissance stratégique.
Stratégique, parce que notre pays est une puissance nucléaire. Stratégique, parce que nous sommes prêts à payer le prix du sang pour défendre nos compatriotes, nos intérêts et nos valeurs. Stratégique, parce que notre histoire millénaire nous hisse au premier rang des puissances mondiales et que c’est vers la France que se tournent de nombreux peuples en quête de liberté, de démocratie et d’indépendance. Stratégique, parce que nous siégeons au Conseil de sécurité de l’ONU. Stratégique, enfin, parce que l’esprit de défense doit être au cœur de notre nation. De la transmission de l’histoire de la patrie à nos enfants, de la fierté d’avoir construit nos Rafale ou le porte-avions Charles-de-Gaulle, jusqu’au défilé militaire du 14 juillet, l’idée de défense de la Nation en France est une idée globale, qui dépasse de loin le strict cadre militaire.
La clef de voûte de cette puissance stratégique est la dissuasion nucléaire. Garantie inaliénable de la liberté et de la sécurité des Français, elle est un attribut fondamental de notre souveraineté et le restera. Notre doctrine de dissuasion doit rester strictement nationale et l’appréciation de nos intérêts vitaux relève de la responsabilité exclusive du chef de l’État. Dans le domaine conventionnel, je fais évidemment mienne notre ambition affichée de disposer d’un modèle d’armée complet et cohérent à l’horizon 2030, apte à « gagner la guerre avant la guerre » et capable d’être la nation-cadre d’une opération majeure.
La France est une puissance stratégique dans la mesure où nous sommes en situation de défendre l’intégralité de nos territoires et notamment les outre-mer. Leurs zones économiques exclusives doivent redevenir une priorité. Je n’accepterai ni que notre souveraineté soit contestée, ni que nos ressources maritimes soient pillées. Sur le territoire national, susceptible d’être frappé par des menaces hybrides, notamment terroristes, je réactiverai le concept de défense opérationnelle du territoire (DOT) dans lequel les réserves auront une grande place à jouer.
Afin de baliser ce retour de la France au premier rang des puissances mondiales, je lancerai la rédaction d’un nouveau Livre blanc, le dernier datant en effet de 2013, avec pour objectif de doter la France d’une stratégie intégrée. Je lui fixerai un double horizon : 2030 et 2050. 2030 pour l’horizon opérationnel ; 2050 pour l’horizon stratégique, car c’est l’échéance que s’est fixée la Chine pour dépasser les États-Unis. Ce sera un document politique ayant vocation à être adapté par des revues stratégiques régulières. Mais, pour être immédiatement efficace, dès mon élection, je ferai réaliser une Revue flash de la loi de programmation militaire (LPM), car je veux garantir son exécution pleine et entière qui est menacée par l’ampleur actuelle des déficits creusés par le gouvernement.
Notre modèle d’armée doit être cohérent, crédible et complet. Il demeure, à ce stade, par trop échantillonnaire. Nous sommes à la hauteur qualitativement, mais pas quantitativement. Les efforts, relatifs, de ces dernières années, n’ont été que de réparation. Nous subissons encore trop de réductions temporaires de capacité. La guerre en Ukraine, par exemple, révèle crûment nos insuffisances en matière de transport stratégique dont nous avons besoin pour rapatrier nos forces du Mali. Dès les résultats de la Revue flash et sans attendre le Livre blanc, il faudra consentir un effort financier immédiat pour reconstituer les stocks de munitions, les stocks initiaux de projection et les capacités d’entraînement. Je créerai un fonds spécial dédié à remédier à ces manques. À plus long terme, nos trous capacitaires devront être comblés.
Des décisions aussi nombreuses que décisives devront être prises dans les toutes premières semaines du quinquennat. Nous augmenterons le format de l’aviation de chasse ; nous confirmerons la construction du porte-avions nouvelle génération, successeur du Charles-de-Gaulle ; nous augmenterons le nombre de navires de premier rang afin d’être à la hauteur de notre statut de grande puissance maritime tout en rénovant régulièrement l’armement de notre flotte ; nous utiliserons tout le potentiel de la robotisation en déployant des drones terrestres, sous-marins et de surface ; nous développerons une large gamme de systèmes de lutte anti-drones pour les forces terrestres et aériennes, permettant un équilibre entre rusticité et haute technologie ; nous renforcerons les capacités nécessaires à la défense sol-air basse altitude (radars, systèmes d’armes sol-air) ; nous préparerons le renouvellement de notre parc de chars de combat et la robotisation des forces terrestres ; nous renforcerons les capacités de frappe dans la profondeur et les capacités du génie ; s’agissant de notre puissance militaire spatiale nous poursuivrons la recherche de redondance avec le secteur civil et le développement de patrouilleurs spatiaux ; nous renforcerons enfin les moyens défensifs et offensifs cyber, ainsi que les moyens humains et techniques de nos services de renseignement.
Ce sera bien évidemment l’affaire de deux LPM. Le respect de la LPM actuelle permet d’atteindre 50 milliards d’euros de budget en 2025. Je souhaite le porter à 65 milliards en 2030, bien au-delà des 2 % du PIB, ce qui signifie au total un effort supplémentaire de 108 milliards. Les moyens devront être trouvés. En d’autres temps, ils l’ont été. Tout au long des années 1960 et 1970, la part du budget de la défense dépassait 3 % du PIB, et jamais cela n’a entravé la croissance, bien au contraire, car les dépenses de défense contribuent à la richesse nationale de manière plus forte que d’autres secteurs économiques avec une faculté d’entraînement sur l’emploi, l’innovation et la recherche civile. En projetant notre effort de défense à l’horizon de la décennie, je prends l’engagement de mettre un terme aux à-coups qui ont fait tant de mal à notre outil de défense.
Seul un engagement de cette nature et à cette hauteur nous permettra de redonner à la France son rang. Mais la France n’est pas seule et d’ailleurs ne peut tout faire seule. L’Ukraine est là pour nous rappeler que l’Europe doit construire sa propre sécurité. Je plaide pour que la défense de l’Europe soit solidement appuyée sur ses deux piliers, l’Otan et la défense européenne.
C’est ne pas comprendre nos partenaires européens que croire que « l’autonomie stratégique européenne » pourrait se bâtir contre l’Otan. De la Baltique à la mer Noire, en passant par le cœur de l’Europe centrale, nos partenaires européens se fient d’abord à l’Otan. Refuser cette donnée, c’est refuser de voir la réalité en face, c’est s’enfermer dans une orgueilleuse solitude, ce sont les dégâts que le président Macron a causés en parlant de l’Otan en « mort cérébrale ». La France doit rester dans le commandement intégré de l’Otan. C’est un outil d’influence, un outil d’interopérabilité et, pour tout dire, d’efficacité. Mais alliance ne signifie pas allégeance. L’alliance ne peut se réaliser que dans le respect de la souveraineté des États. Les prérogatives d’appréciation autonome de notre engagement que garantit l’article 5 du traité doivent être jalousement préservées : la France ne peut être engagée dans un conflit qui ne correspondrait pas à ses intérêts propres. Il faut bâtir autant que possible cette architecture européenne et cette autonomie stratégique, mais en privilégiant ce qui fonctionne, c’est-à-dire les coalitions ad hoc. La rapidité des décisions prises par l’Union ou par l’Allemagne tranche avec les lenteurs habituelles. Il faut en tirer les leçons pour renforcer le pilier européen. Le fonds européen de défense (FED) devra être étoffé. La « défense européenne » doit d’abord être une défense des intérêts de l’Europe.
Mais la défense des intérêts de la France ne se situe pas qu’en Europe. La France est présente en Afrique depuis de nombreuses années et notamment au Sahel où nous avons perdu 58 soldats. Leur sacrifice n’est pas vain et nous devons poursuivre sous un format différent les missions qui protègent les intérêts français : lutter contre l’islamisme au Sahel en empêchant le développement des groupes armés terroristes, en évitant la déstabilisation de l’Afrique de l’Ouest et en rendant impossible la constitution d’un califat africain. Nous devons restaurer l’image et la place de la France sur le continent africain.
Le rôle militaire de la France en Afrique sera de venir en soutien de nos partenaires africains pour des opérations ponctuelles, avec des objectifs limités, clairement définis. Nous devrons être capables de refaire, si nécessaire, des missions Serval, des missions caractérisées par la fulgurance de l’arme aérienne ou des forces spéciales avec un usage calibré des forces conventionnelles, avec une empreinte limitée dans son ampleur et sa durée. Pour y parvenir, dans le cadre des accords de défense, de la Côte d’Ivoire au Niger, de Djibouti au Sénégal, il nous faudra renforcer nos bases et augmenter le volume de nos forces prépositionnées. Ainsi, aux côtés de nos partenaires africains, nous jouerons notre rôle en évitant les risques d’enlisement. La même règle prévaudra sur les autres théâtres. Nous devrons renforcer notre ancrage dans l’océan Indien et dans l’ensemble de la France ultramarine pour garantir que notre souveraineté ne soit pas contestée.
Enfin, la défense ne se conçoit pas sans une puissante industrie de défense. C’est à la fois un enjeu de souveraineté et un enjeu pour l’emploi. Enjeu de souveraineté, car notre industrie de défense, fondée sur le grand export, est seule à même de nous permettre d’acquérir à des coûts acceptables et en conservant la maîtrise des technologies, les équipements dont nous avons besoin. Pour cela, la coopération européenne est nécessaire. Rien n’est pire que de devoir acheter sur étagère des capacités que nous avons perdues faute de solutions européennes. Mais la coopération doit respecter quatre conditions : offrir des outils militaires répondant à nos besoins opérationnels, ne pas entraîner in fine une explosion des coûts, ne pas conduire à la perte d’actifs stratégiques, préserver notre liberté de manœuvre à l’export.
J’encouragerai l’innovation par le développement des activités duales et la facilitation des liens entre le monde des start-up, des grands groupes et des acteurs étatiques. Je renforcerai les moyens de l’Agence de l’innovation de défense (AID) et assouplirai les procédures d’achat public, en simplifiant le recours aux appels à projet pour davantage d’agilité technologique et industrielle. Il faut aussi en finir avec une forme de naïveté européenne qui consiste à handicaper en permanence notre industrie de défense et nos exportations. C’est pour cela que je ferai du suivi des processus d’élaboration des normes internationales susceptibles d’affecter la défense une priorité de ma diplomatie. Je ferai du soutien à l’exportation une des missions clefs de notre réseau diplomatique. Enfin, tirant les leçons de la crise ukrainienne, et face au risque d’un conflit de haute intensité, dont nul ne peut prévoir la durée, je créerai une cellule à vocation interministérielle. Elle sera chargée de planifier une remontée en puissance de l’industrie de défense et un passage en économie de guerre avec la Direction générale de l’armement, et je lancerai un appel d’offres pour la constitution d’opérateurs privés de stockages stratégiques mutualisés. Notre industrie de défense contribue fortement à la prospérité du pays.
La France et les Français ont toujours su se ressaisir aux moments cruciaux de son Histoire. Tâchons d’être à nouveau au rendez-vous que nous fixe l’histoire et celui-ci commence par la défense nationale, car comme le disait le général de Gaulle : « La Défense ! C’est la première raison d’être de l’État. Il n’y peut manquer sans se détruire lui-même. » ♦