Garantir l'indépendance du pays et la protection du territoire, terrestre et maritime
Aux yeux de la plupart de nos concitoyens, les enjeux de la défense nationale prennent un nouveau relief avec l’inadmissible et inexcusable agression guerrière de la Russie envers l’Ukraine. De manière générale, j’aborde ces enjeux en cohérence avec mon projet visant à assurer pour chacune et chacun une sécurité humaine, telle que proposée par les Nations unies, c’est-à-dire dans toutes ses dimensions et comme contribution à la préservation de la paix.
Je dénonce avec la dernière énergie la guerre déclenchée par M. Poutine, qui sème la mort et les destructions d’habitations, d’écoles, d’hôpitaux. Cette guerre jette sur les routes un long cortège de femmes, d’hommes et d’enfants qui cherchent refuge en Pologne, en Roumanie, en Hongrie ou en Moldavie.
Comme le réclament la résolution votée par l’Assemblée générale des Nations unies, les mouvements pour la paix partout dans le monde, nombre d’artistes, de scientifiques, de simples citoyens courageux de Russie en butte à la répression, tout doit être entrepris pour arrêter cette guerre dans le respect de la souveraineté des peuples, ainsi que le respect des engagements pris, de part et d’autre, et jamais appliqués.
La France a raison de multiplier les initiatives diplomatiques, en agissant avec la communauté des nations pour isoler politiquement et économiquement le pouvoir russe, au moyen de sanctions visant à imposer au plus vite un cessez-le-feu et le retrait des troupes russes du territoire ukrainien.
Le magnifique élan de solidarité alimentaire et médical, comme celui qui se lève pour accueillir les réfugiés d’Ukraine, doit être renforcé et soutenu. En application du droit international et des directives européennes, nos pays ont le devoir d’accueillir et de protéger les Ukrainiennes et les Ukrainiens, comme les opposants au pouvoir russe réprimés et menacés.
Ces événements tragiques rendent plus urgent encore la nécessité d’ouvrir les voies à la réunion d’une conférence paneuropéenne garantissant la sécurité et la paix sur notre continent, de l’Atlantique à l’Oural. La garantie de la paix, la protection des biens communs de l’humanité deviennent un pressant défi à relever dans un contexte inédit, marqué par l’enchevêtrement des crises sanitaire, climatique, financière, ainsi que par une intensification explosive des inégalités. Le réchauffement climatique est potentiellement porteur de bouleversements et de menaces pour la paix, avec le risque d’expansion de zones inhabitables engendrant migrations massives de populations, crises démographiques, alimentaires ou hydriques, générant de nouvelles discordes, attisant des nationalismes et des violences xénophobes. Le défi climatique peut aussi, comme l’a montré la pandémie de Covid-19, faire prendre conscience d’un monde commun où doivent primer la coopération et l’entente.
Nous vivons une période où il devient impossible à un pays seul, ou même à un ensemble continental, de protéger isolément ses populations et son système social. Je considère qu’aucun de ces défis, aucune de ces menaces, ne trouvera de réponse durable par l’usage de la force. Le nouvel ordre du monde qui se met en place est marqué par de grandes incertitudes et de grands dangers. Dans un tel contexte, la responsabilité de la France est engagée.
La recherche de coopérations doit donc être privilégiée en toutes circonstances. C’est d’autant plus indispensable qu’on assiste à l’exacerbation brutale des nationalismes, qu’une compétition stratégique mondiale est attisée par l’émergence de nouveaux pôles de puissances, économiques ou politiques, particulièrement de la Chine, relativisant l’influence des puissances occidentales jusque-là dominantes, en premier lieu les États-Unis.
La guerre au cœur de l’Europe, les compétitions économiques et industrielles entre grandes puissances, avec les crises qui leur sont associées et auxquelles s’ajoutent l’instabilité au Proche et au Moyen-Orient ainsi que la menace permanente du terrorisme, rendent la situation mondiale dangereuse.
Dans un tel panorama, je considère que la paix, la coopération et la sécurité collective sont conditionnées à notre capacité de promouvoir le dialogue et la diplomatie et à relever les grands défis mondiaux – sociaux, économiques, démocratiques, environnementaux. Nous voulons, dans ce cadre, faire de notre souveraineté un projet de société dans lequel s’inscrit la dimension militaire de la sécurité, avec la défense nationale.
Cette souveraineté induit les moyens de notre indépendance et l’autonomie de nos décisions. La souveraineté nationale ne peut être pensée sans souveraineté populaire. Elle est donc liée à nos capacités de décider démocratiquement, et redéployer une reconquête industrielle, énergétique, agricole, numérique.
Je refuse donc que notre pays soit impliqué dans des offensives militaires ou militaro-politiques que nous n’aurions pas choisies. Notre nation ne doit pas être entraînée dans des logiques de confrontation, dans une nouvelle course aux armements.
Je regarde avec inquiétude la décision de modification de la Constitution du Bélarus pour y autoriser l’implantation d’armes nucléaires, comme l’annonce par l’Allemagne de son réarmement, sans parler de l’abandon par la Finlande, le Danemark ou l’Autriche de leur statut de neutralité.
Nous agirons à l’inverse pour que la France et l’Union européenne s’engagent, à partir d’actions diplomatiques et politiques, pour obtenir une désescalade et retrouver la paix. Avec l’OSCE, et sous l’égide de l’ONU, il est impératif d’aboutir à un système de sécurité en Europe.
Cela est tout aussi vrai sur l’enjeu de la prolifération nucléaire. Il faut, à cet égard, obtenir un accord sur le nucléaire iranien. A contrario, la livraison programmée par les États-Unis et la Grande-Bretagne de sous-marins d’attaque à propulsion nucléaire à l’Australie aggrave les risques d’affrontement dans cette zone. Face à la situation, le débat se développe désormais au Japon et en Corée du Sud, chose inenvisageable il y a peu, sur l’éventualité de se doter de l’arme atomique. Or, à mon sens, l’équilibre de « la terreur » est dangereux. La question de la dénucléarisation du monde, comme cela avait été esquissé dans des sommets mondiaux dans la dernière partie du XXe siècle, reste posée.
L’Alliance atlantique – d’ailleurs confrontée à des contradictions criantes – n’est ni une garantie de sécurité ni un instrument de paix et de stabilité pour notre continent. Car elle joue, en réalité, un rôle de supplétif de la politique américaine. Son élargissement continu vers l’est de l’Europe a fourni un prétexte au président russe, même si rien ne peut justifier sa guerre d’agression. Conserver notre autonomie de décision est une absolue nécessité pour que la voix de la France compte dans le concert des nations. Bien sûr, si la guerre en cours en Ukraine n’en fait pas une exigence immédiate, la sortie du commandement intégré de l’Otan reste indispensable à terme, si l’on veut faire prévaloir une logique de paix. Ce que doit accompagner un travail patient pour obtenir la tenue de la conférence paneuropéenne pour la sécurité, la paix, le développement et l’environnement, telle que je l’ai proposée plus haut.
Une coopération militaire entre pays est envisageable. Mais le concept « d’armée européenne », si tant est que cette notion soit pertinente dans les termes qui la définissent aujourd’hui, ne garantit en rien la souveraineté, même européenne. Car elle ne peut se concevoir, comme c’est le cas aujourd’hui dans le débat entre dirigeants européens, sous la forme d’un pilier continental de l’Otan. Elle reste, au demeurant, chimérique sans politique étrangère commune, rendue difficile par les intérêts divergents qui animent les pays de l’Union. Je souhaite par conséquent que le cadre de délibérations, de décisions et d’exécutions reste l’Organisation des Nations unies. Cela ne signifie pas qu’un débat sur une autonomie stratégique de l’Europe, qui ne soit alignée ni sur les États-Unis, ni sur la Chine ou la Russie, ne doit pas être mené.
Conformément à l’orientation de la France depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, je refuse toute conception offensive de la possession de l’arme nucléaire. J’entends engager la France dans un processus de négociations pour la réduction multilatérale des armes nucléaires en vue de leur suppression totale et pour la ratification par toutes les puissances concernées des traités d’interdiction votés par l’Assemblée générale de l’ONU. Tant que le processus, que je souhaite ardemment, de dénucléarisation multilatérale n’aura pas été engagé, je défends la nécessité de conserver une force de dissuasion nucléaire nationale, dont le niveau de modernisation sera adapté pour garantir son efficacité. À ces enjeux, j’ajoute la démilitarisation de l’espace, la pacification du cyberespace, la diminution des missiles balistiques, ainsi que la lutte contre le surarmement dans les espaces terrestre, aérien et maritime.
Nous pouvons concevoir que notre pays puisse prendre en compte des sollicitations pour des missions hors de ses frontières. Il conviendrait cependant de faire le bilan des désastres provoqués par un certain nombre d’interventions extérieures, et je continue de penser que le Président Chirac a eu raison de ne pas participer à la coalition contre l’Irak en 2003.
Il y avait, en 2013, une légitimité à répondre à la demande d’intervention des autorités maliennes, pour contrecarrer l’avancée de groupes djihadistes. Mais aujourd’hui, sans remettre en cause le dévouement et les lourds sacrifices des militaires, il convient de tirer toutes les conclusions de l’échec de notre intervention au Mali et au Sahel, afin d’engager le processus de retrait décidé. Toute intervention extérieure doit être d’intérêt général pour les populations des pays concernés. La France ne doit pouvoir déployer sa force que sous l’égide de l’ONU, et après un vote du Parlement, doté d’un pouvoir de contrôle.
Nos forces armées doivent prioritairement se recentrer sur leur mission principale : la sécurité du pays, métropole et outre-mer, la défense des intérêts nationaux, notamment du vaste domaine maritime pour protéger les ressources, empêcher les pillages et surveiller les câbles sous-marins. L’organisation des forces armées, dégagées des servitudes de l’Alliance et de la polarisation de ses moyens par d’incessantes interventions extérieures, répondra à des principes nouveaux : configurer un outil militaire moderne, cohérent, c’est-à-dire sans vulnérabilité dans ses moyens, polyvalent, apte à répondre au surgissement de crises souvent inattendues.
L’effort budgétaire global voté par le Parlement sera maintenu. Cependant, je ferai procéder à un certain nombre d’économies et de redéploiement de crédits : économies sur les opérations extérieures, fin de la participation de la France au budget de l’Otan, dans le cadre du processus de sécurité collective que j’appelle de mes vœux, redéploiement de crédits permettant d’apporter des moyens nouveaux dans le cadre d’une programmation sur plusieurs années.
Cela concernera notamment l’amélioration de la défense antiaérienne, le maintien en condition opérationnelle (MCO) – qui doit être redonné au personnel de l’État et non confié au privé – la protection NRBCe (nucléaire, radiologique, biologique, chimique, explosif) des unités et de leurs véhicules de combat, les stocks aujourd’hui insuffisants de munitions de tout type, l’acquisition de drones pour les trois armées, la compensation des Rafale transférés à la Grèce et la Croatie qui ôtent douze appareils à l’aviation, des moyens aéronavals supplémentaires nécessaires à la protection de l’espace maritime et des zones de pêche, ainsi qu’à la préservation des océans de l’exploitation minière. Un tel projet peut être rendu possible en transformant notre base industrielle et technologique de défense (BITD) comme élément de souveraineté, tout en refusant de vendre des armes aux régimes dictatoriaux et bellicistes, ce qui ne signifie pas la fin des exportations.
J’agirai pour la création d’un pôle public des industries de défense mettant en cohérence les différentes filières pour garantir une maîtrise publique. Les coopérations internationales viseront l’intérêt général et ouvriront les chantiers de la filière des composants, le lancement d’une usine de fabrication de puces électroniques s’inscrivant dans la maîtrise des Big Data et la garantie d’une cybersécurité. Les efforts de maîtrise de l’industrie spatiale conditionnent la possibilité d’un cloud européen garantissant l’indépendance en matière de données numériques.
En dépit des obstacles, la France travaillera à la réussite des programmes de coopération européenne concernant les équipements majeurs de l’avenir : le Scaf, le drone Male, le char lourd MGS, le système d’artillerie du futur (CIFS). Ainsi sera garantie la souveraineté et desserrée la mainmise américaine sur la production et l’emploi de ces systèmes.
Nous souhaitons également renforcer le lien entre la nation et les forces armées comme élément de la cohésion nationale. Parce que notre conception de la défense et de la dissuasion s’affirme essentiellement populaire, nous ouvrirons le chantier du lien entre la nation, l’armée, la jeunesse. La défense de la nation face à la crainte que peut inspirer l’attaque de nos intérêts vitaux par d’éventuels adversaires, ne peut trouver de réponse exclusive dans la dissuasion nucléaire, tant qu’elle existera, ni sur les capacités d’une seule armée professionnelle. C’est par l’affirmation du civisme, de l’énergie que seuls le peuple et sa jeunesse peuvent donner, que nous créerons une défense nationale efficace. Le riche potentiel technique et sportif de la jeunesse constitue un apport inestimable à l’effort de défense.
Les temps ne sont pas à revenir à la conscription d’autrefois, avec ses qualités, mais aussi ses dérives et ses multiples exemptions. Les premiers enseignements de la guerre d’Ukraine démontrent la nécessité de délivrer une formation militaire de base à la jeunesse et de disposer de réserves plus étendues qu’actuellement. J’impulserai donc des actions visant à renforcer le lien armée-nation et à enrichir nos armées d’une meilleure contribution populaire qu’aujourd’hui.
Les parlementaires et élus, les associations de jeunesse et les spécialistes militaires seront invités à ouvrir le chantier innovant de l’élaboration d’une formation militaire initiale, dans un esprit de défense démocratique et républicain. On pourrait concevoir un système à trois niveaux : ceux des jeunes qui se porteraient volontaires engageraient une formation plus poussée, puis rejoindraient des réserves plus étendues qu’actuellement. Cela implique également de promouvoir un statut de militaires-citoyens, dans le respect de la spécificité de la fonction et des nécessités de la préparation au combat.
Des moyens nouveaux seront affectés afin de garantir la place des femmes dans l’institution, sans entrave, ni sexisme. Le Service de santé, dont on a pu mesurer l’efficacité durant la période de pandémie, sera doté de crédits supplémentaires lui permettant de faire face à ses missions.
De même, un programme visant l’amélioration des conditions de travail et d’exercice des militaires sera doté des moyens financiers indispensables. De plus, un équilibre devra être trouvé entre devoir de réserve et exercice de la citoyenneté, qui devrait ouvrir le droit à être partie prenante d’associations défendant les intérêts moraux et matériels des militaires. En revanche, nous bannirons l’expression des idées fascisantes dans les lycées militaires en veillant au recrutement d’un encadrement à l’esprit républicain. L’appel à la sédition sera sévèrement sanctionné jusqu’à la révocation.
Mes engagements feront l’objet de délibérations du Parlement. C’est lui qui doit réellement décider de la politique extérieure de la France et maîtriser la politique de défense. Dans ce cadre même, on ne peut admettre que le président de la République reste le chef des armées, sans qu’il ne décide avec la représentation nationale, instruite de l’ensemble des éléments fournis par l’état-major, de l’usage de la force. Si l’on peut concevoir une chaîne de commandement simplifiée en cas de crise nucléaire, je souhaite plus généralement promouvoir une profonde réforme constitutionnelle, redonnant au Parlement la maîtrise de la politique extérieure et de la politique de défense, et non un contrôle a posteriori, ou pas de contrôle du tout, comme en témoignent nombre de décisions du pouvoir.
Je proposerai à une nouvelle majorité politique de réaliser un état complet de nos capacités militaires, en prenant en compte les changements géopolitiques comme les nouvelles avancées technologiques, et je lancerai la rédaction d’un Livre blanc de la Défense, dont l’objectif sera de garantir l’indépendance du pays et la protection du territoire, terrestre et maritime.
L’actuelle tragédie qui menace la stabilité de l’Europe rend plus urgent encore d’engager la France sur la voie d’une architecture commune de sécurité et de coopération. ♦