Une relation vertueuse entre le politique et le militaire
La France doit reprendre son destin en main dans le concert des nations
Au moment où l’offensive russe en Ukraine démontre brutalement les limites de ce que l’on croyait être l’équilibre de sécurité européen, et rend d’autant plus urgent de le refonder sur des bases pragmatiques, la politique étrangère de la France paraît plus que jamais impuissante et en décalage total avec l’évolution du monde Chaque jour, celle-ci affirme un peu plus le retour des vieux empires, des politiques de puissance et d’influence assumées par de grands ou de plus petits États qui tous expriment une revalorisation salutaire de la souveraineté comme vertu et moteur du rayonnement international. En effet, encore davantage que ses prédécesseurs, le Président sortant a privilégié la dilution de notre puissance et de notre politique étrangère dans les institutions supranationales, en prônant notamment une diplomatie française réduite à sa dimension européenne. L’inféodation à l’Otan nous incite à sous-investir dans nos forces armées alors que comme le disait le général de Gaulle : notre politique étrangère, « la diplomatie l’exprime, notre armée la soutient ».
Pourtant, le recul de l’hégémonie américaine nous ramène dans un monde où les rapports de force entre États dominent. Face à l’expansionnisme chinois et à la montée des tensions sino-américaines, la France doit conserver sa voix singulière. En Afrique et au Levant, nous protégerons les intérêts français avec pour objectif principal de nous prémunir face à la menace djihadiste et migratoire. En Asie-Pacifique, la défense de notre souveraineté ultramarine sera au cœur de notre stratégie. En Europe, nous reconstruirons une relation normalisée et apaisée avec la Russie.
Les mers du globe, et notamment notre zone économique exclusive, concentrent également des enjeux géopolitiques majeurs et des dangers qui ne se limitent pas à la piraterie, mais menacent très directement notre souveraineté en outre-mer. La France est une puissance globale, qui ne peut se résigner au rôle de puissance moyenne. L’Europe d’Emmanuel Macron est trop petite pour la France dont la vocation mondiale est incontestable, forte de son siège de membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, puissance nucléaire civile et militaire, qui possède les deuxièmes plus grandes réserves maritimes du monde (11 millions de km2). À l’aune de ses forces immenses conquises et préservées au fil des siècles, la France doit reprendre son destin en main dans le concert des nations.
Enfin, nos armées sont un élément-clé de notre influence dans le monde. Par manque d’investissement et par incohérence, notre armée reste sous-dimensionnée et pas assez équipée. Pourtant, ce n’est qu’à la condition de disposer d’une armée bien équipée et aguerrie que nous pouvons protéger nos intérêts, être écoutés et peser sur les grands équilibres mondiaux. Je veux donc rebâtir des forces armées qui soient dignes du rang de la France.
Nous ne réaliserons pas de nouveau Livre blanc, mais nous ferons une Revue stratégique dans les trois premiers mois après l’élection. Elle aura pour objectif d’actualiser les menaces identifiées par les précédents documents stratégiques, mais aussi et surtout de fixer les grands besoins en armement pour la prochaine LPM 2023-2030 qui sera votée fin 2022.
Indépendance militaire et renouvellement du rôle et de la vocation mondiale de la France
Fidèle à la conception gaullienne, la France retrouvera sous ma présidence sa vocation historique de puissance d’équilibre. Elle quittera donc le commandement militaire intégré de l’Otan et recouvrera sa pleine indépendance militaire. Mais notre départ ne se traduira pas par un isolement géostratégique, ni par un signal négatif envoyé aux autres nations, notamment européennes, qui trouvent dans l’Otan un parapluie facile. En prenant ses distances, la France prouvera sa capacité à organiser une stratégie de défense cohérente et autonome ; notre pays augmentera sa visibilité internationale et retrouvera son rang parmi les puissances militaires qui comptent. Adoptant une politique indépendante, pragmatique et réaliste, la France demeurera partie prenante de l’Alliance atlantique, et nouera de nouveaux partenariats stratégiques bilatéraux ou multilatéraux. Cette politique ambitieuse renouvellera le rôle et la vocation mondiale de la France. Notre stratégie indopacifique verra plus grand, plus loin, plus fort. Nous nous rapprocherons de notre partenaire indien, car nous savons que les pays anglo-saxons sont géopolitiquement inféodés aux Américains, et donc des alliés peu fiables pour nous.
Moderniser et développer notre dissuasion nucléaire
Je m’inscrirai résolument dans les pas du général de Gaulle. Je ne conçois pas la France sans l’atome et son application militaire, et surtout sans son indépendance dans ce domaine, contrairement au Président sortant. Ce dernier a ébranlé dangereusement cet héritage, alors que notre dissuasion nucléaire a pourtant préservé notre sécurité et notre capacité d’action au niveau international, au cours des dernières décennies. Il ne peut exister un agenda européiste en matière de dissuasion, qui viserait à partager la force de frappe au niveau européen, au nom du concept ambigu de « dialogue stratégique ». Depuis le Brexit, la France est la seule puissance nucléaire de l’UE, et nous avons le devoir de préserver cette position de leadership et cet avantage stratégique. Il n’est pas dans l’intérêt de la France de s’engager sur le chemin périlleux de la dilution de notre force de frappe dans une très nébuleuse et hypothétique géostratégie européiste, et moins encore dans un environnement géopolitique en dégradation permanente. Je veux au contraire moderniser et développer notre dissuasion nucléaire. L’entretien et la modernisation de ses deux composantes, sous-marine et aéroportée, sont donc un impératif majeur.
Une nouvelle LPM 2023-2030
Le budget de la France consacré à la défense est sous-dimensionné, avec une LPM actuelle de rattrapage, réparant plutôt qu’elle ne construit. Elle prévoit l’accroissement du budget de la défense de 3 milliards d’euros par an à partir de 2023. C’est une promesse en trompe-l’œil qui a été faite par Emmanuel Macron, puisque l’effort budgétaire n’est prévu qu’au lendemain de l’élection présidentielle. À la différence d’Emmanuel Macron, je prends des engagements sur une période pendant laquelle je serai élu et nous augmenterons le budget de 3,6 milliards par an à partir de 2023, pour atteindre 70 milliards d’euros en 2030, permettant ainsi le lancement de nouveaux grands programmes.
Cela se traduira par une nouvelle LPM 2023-2030, portant une accélération historique de la trajectoire budgétaire et permettant la réalisation de nos besoins militaires essentiels dans le cadre d’une enveloppe globale de 461 milliards d’euros. Ces moyens supplémentaires permettront d’augmenter de 30 % la capacité d’intervention de chacune de nos armées, de considérablement revaloriser la condition militaire et d’assurer la conduite des grands programmes de modernisation de nos forces nucléaires et conventionnelles. Notre dissuasion nucléaire, notre capacité d’intervention partout dans le monde et notre priorité accordée à la protection de tout notre territoire national sont les piliers de la politique de défense que nous mettrons en œuvre.
Préserver la capacité d’intervention de la France
Je pense que la décision du Président sortant était effectivement nécessaire. Elle est cependant tardive, avec un calendrier peu clair et une posture française en réaction par rapport à l’État malien. L’enlisement du conflit dans la bande sahélo-saharienne est toutefois avéré malgré le sacrifice de 58 de nos soldats, et le peuple français n’a nullement envie d’un « Vietnam à la française » avec le format du déploiement actuel.
Au Sahel, nous avons réduit la capacité d’action globale des forces terroristes. Les pays doivent maintenant prendre en charge leur propre défense. Nous devons nous tenir à l’écart des nœuds de problèmes politiques, sous peine d’être accusés d’en être l’origine, sans cesser d’exercer une pression sur l’ennemi djihadiste par des opérations coup de poing ponctuelles, afin de contenir les djihadistes dans l’arc de crise sahélien, en nous réservant le droit d’intervenir sur le modèle et les conditions de l’opération Serval. Même s’il faut rationaliser les projections en Opex pour nous concentrer sur la préparation opérationnelle à la haute intensité et à la défense du territoire, je crois néanmoins essentiel de maintenir des troupes prépositionnées à proximité des arcs de crise afin de préserver la capacité d’intervention de la France. Nous renforcerons donc nos forces prépositionnées en Afrique et au Moyen-Orient.
Une industrie de défense indépendante et puissante
La France ne doit pas sacrifier son industrie de défense, la première en Europe, pour la chimère d’un couple franco-allemand moteur d’une défense européenne dont l’Allemagne ne veut pas. L’Europe de la défense, comme la souveraineté européenne, est un fantasme irréaliste et dangereux. Nos entreprises nationales du secteur de la défense sont parmi les meilleures au monde, mais cette excellence est menacée. Je déplore l’abandon de certaines technologies, sacrifiées par des décennies de sous-investissement et de renoncement politique en matière de défense, condamnant des pans entiers de notre industrie. Je ne peux, par exemple, me résoudre au démantèlement de notre filière de l’armement de petit calibre, qui conduit nos soldats à combattre avec un fusil d’assaut allemand en remplacement du légendaire FAMAS.
Sous ma présidence, notre industrie de défense sera indépendante et puissante. Alors que ses savoir-faire sont aujourd’hui menacés, je la protégerai et les développerai. Je renégocierai les grands programmes européens d’armement auxquels nous prenons part, notamment le système de combat aérien du futur (Scaf) et le MGCS (Main Ground Combat System), afin de respecter les intérêts de nos industriels et les besoins opérationnels de nos forces, sans exclure de les arrêter. Pour l’heure, ces programmes sont déséquilibrés. Je doterai la France des capacités lui permettant de mener une guerre de haute intensité, en lançant notamment un grand projet de capacité offensive sur la base d’un drone de combat et d’un missile hypersonique, concentrant les très hautes technologies maîtrisées par les fleurons de notre industrie française.
Pour ce faire, je renforcerai les prérogatives et les moyens du ministre des Armées dans la conduite de la politique industrielle et technologique de défense. Ainsi, l’État renforcera notre filière d’armement, des systèmes les plus complexes aux armes de petit calibre, afin de garantir notre souveraineté. Nous investirons dans nos entreprises de défense et nous augmenterons le volume de la commande publique, le soutien aux exportations et les moyens de l’innovation de défense.
Reconnaissance des femmes et des hommes de la Défense
L’armée française est le symbole pluriséculaire de la capacité d’intégration, du brassage social, et de la capacité de corps de la société française. Elle demeure, aujourd’hui encore, un creuset de valeurs et un vecteur de patriotisme, faisant écho au fameux Le Rôle social de l’officier du Maréchal Lyautey.
Mais, depuis la réforme de 2008, l’armée peine à remonter en puissance. En son sein, des engagés, du soldat du rang à l’officier, choisissent de plus en plus de ne pas renouveler leurs contrats, entraînant une perte des compétences. L’affaiblissement d’un sentiment patriotique au sein de la société et la crise de l’engagement marginalisent l’existence de nos armées et banalisent la réalité particulière de cette vocation. Afin de lui redonner la place qui lui est due, nous voulons attirer, mieux traiter et fidéliser ceux qui choisissent de vivre la singularité du métier de militaire, et en assurer son rayonnement au sein de la société.
Je veux donc mieux traiter et fidéliser nos militaires d’active et de réserve, notamment en revalorisant les soldes de 20 %, rattrapant ainsi le revenu moyen des fonctionnaires civils de l’État. Je veux aussi mener des réformes pour le logement, et consacrer la singularité juridique du statut du militaire. Afin de mieux prévoir l’avenir de nos hommes et de nos femmes consacrant leur vie au service de la Nation, les passerelles avec la société civile et particulièrement les postes à responsabilités seront valorisées (fonction publique, université, entreprises).
Enfin, la société civile doit être mieux informée des enjeux et de la singularité de ces métiers essentiels pour notre souveraineté. Il s’agit ainsi de renforcer l’esprit de corps et la cohésion de la société en donnant une plus grande place aux hommes et femmes dans nos armées, qui méritent un devoir de reconnaissance et d’accompagnement.
Le rôle social des Armées
Je replacerai l’armée au centre de la société et réaffirmerai son rôle social. Je renforcerai en particulier les moyens et les effectifs de la Garde nationale, qui rassemble nos différentes forces de réserve opérationnelle, afin d’accroître son rôle dans la défense opérationnelle du territoire. La réserve est l’incarnation par excellence du lien Armées-Nation. Elle est, et doit être encore plus, un moyen pour les Français de s’engager, de mettre leur énergie patriotique et leurs compétences au service de la défense de leur pays. Je salue ici leur engagement qui les honore et nous oblige. Nous allons considérablement accroître la reconnaissance de l’État et de la Nation à leur égard. Nous permettrons aussi à 10 000 jeunes chaque année, au lieu de 1 000 actuellement, d’effectuer un service militaire volontaire, afin de mieux s’assimiler dans la société.
Le Chef des Armées
En France, le chef de l’État est historiquement le Chef des Armées. Après une longue période de faiblesse du pouvoir exécutif sous les différents régimes républicains, le général de Gaulle réinstitua en 1958 le rôle de Chef des Armées, prérogative consacrée par l’article 15 de la Constitution de la Ve République, et entérinée par la responsabilité de la mise en œuvre du feu nucléaire.
Je n’ai pas l’impression qu’Emmanuel Macron ait été capable de se hisser à la hauteur de ce rôle, à bien des égards « sacré ». Dans les forces armées, être un chef, c’est susciter l’adhésion et ce principe est fondamental également dans la politique comme dans la conduite de la Nation.
Je crois au constat que fait de Gaulle dans son excellent ouvrage, Le Fil de l’épée, d’une relation vertueuse entre le politique et le militaire. Je m’inscrirai dans cette lignée, avec fidélité et reconnaissance. ♦