Le NPA en campagne : à chacun son parcours du combattant !
L’équipe de campagne de Philippe Poutou va tenter de répondre à un certain nombre de questions posées, concernant « les enjeux de défense dans l’élection présidentielle ». Disons en préambule qu’un peu de dérision sera de circonstance, tant les points de vue sont distants entre nos « fenêtres de tir » respectives. En tant qu’« anticapitalistes révolutionnaires », nous avons plus que des doutes sur la capacité, voire surtout la vocation des chefs d’État et Chefs des Armées de la République française à « défendre » la population. Nous constatons, en revanche, leur aptitude à embrigader et conduire une partie de la jeunesse sur des champs de bataille, pour des intérêts qui n’étaient pas les siens. Sans parler des victimes collatérales à l’arrière.
Quelques questions quant aux « mobilisations »… pour qui, pour quoi ?
Mourir pour la patrie ? à voir ! « On croit mourir pour la patrie ; on meurt pour des industriels », écrivait Anatole France. Il n’était pas d’extrême gauche. Quelques grands noms de la littérature française et mondiale – et bien d’autres – ont dénoncé le caractère fallacieux du « mourir pour la patrie », dont les « Poilus » de la « Grande guerre » de 1914-1918 n’ont pas été les seules victimes.
La patrie reconnaissante ? à voir aussi ! Les troupes coloniales mobilisées sur les fronts des guerres mondiales en ont ensuite été bien mal récompensées – si elles nourrissaient des illusions – et sont restées citoyens de seconde zone dans leurs propres pays colonisés, en butte aux discriminations et au racisme des plus indignes.
Pour la seule Première Guerre mondiale, dans ce qui était alors l’Empire français et en quatre ans de guerre, près de 600 000 soldats ont été recrutés pour les champs de bataille d’Europe. Récidive pour la Seconde Guerre mondiale, tout au moins pour la partie de la guerre que l’armée française a faite. Pour quelle reconnaissance ? Nous renvoyons au film Camp de Thiaroye, du réalisateur sénégalais Ousmane Sembène, sur le massacre de tirailleurs sénégalais dans un camp militaire proche de Dakar, le 1er décembre 1944.
La « France libre » de De Gaulle : les mensonges de Brazzaville. La France Libre a mobilisé celles et ceux que l’on considérait encore comme des « peuples coloniaux », des « Indigènes », en leur promettant pour leurs pays la voie de l’indépendance. Il a pourtant fallu à ces peuples dominés par la France se battre des années encore contre l’armée française, se défendre contre sa répression, pour arracher le statut de peuples libres. Nous ne sommes pas pacifistes. Ils avaient raison de prendre les armes. La « défense » était de leur côté. À propos de « défense nationale », il est d’ailleurs intéressant de regarder l’utilisation du terme. Jusqu’en 1946, la France a eu un « ministère de la Guerre » – les choses étaient claires, en quelque sorte. Puis l’appellation est devenue plus pudique : alternativement « ministère de la Défense » (préféré par la gauche institutionnelle) ou « ministère des Armées » (préféré par la droite). Mais, à nos yeux, il s’agit d’un ministère qui n’a jamais défendu personne. Au contraire, en usurpant la légitimité populaire, ce ministère a mené une multitude de guerres en Afrique ou au Moyen-Orient, pour la préservation de zones d’influence de l’impérialisme français.
La France et son fleuron militaire nucléaire
En quoi le nucléaire militaire français nous défend-il ? Dissuade-t-il le voisin ou le « camp d’en face », en menaçant de destruction de toute la planète… et nous avec ? Voilà qui donne à réfléchir. Mais un peu d’histoire tout de même, que nous rappellent périodiquement quelques coups de sirocco ramenant sur l’Hexagone du sable du Sahara, resté quelque peu radioactif. Juste retour à l’envoyeur, pour les essais de la première bombe atomique française, dans la région de Reggane, dans les années 1960. Ces poussières ne sont rien à côté du sort des populations algériennes voisines de ces essais, et des victimes des générations suivantes aussi : pollution rémanente, maladies et malformations des enfants. Mais « secret-défense » à l’époque : défense de qui ? Force est de constater qu’avant même d’avoir servi (ce que nous ne souhaitons pas !), le bouclier nucléaire français a d’ores et déjà fait plus de morts et de personnes handicapées qu’il ne prétend sauver de vies.
Il est heureux que ces têtes nucléaires soient restées dans leurs silos. Lorsque les dirigeants des États-Unis ont décidé de faire leurs propres essais en grandeur nature sur Hiroshima et Nagasaki en août 1945, il n’était même pas question pour eux de mettre fin à une guerre : le Japon avait déjà proposé sa capitulation. Il s’agissait d’étaler sa force et sa suprématie aux yeux du monde entier, et de terroriser les populations qui, au sortir de la Seconde Guerre mondiale auraient pu s’insurger contre le système qui l’avait rendue possible.
Nous laisserons, par ailleurs, au dictateur Vladimir Poutine la fierté (apparemment partagée avec les dirigeants des États-Unis et de la France) de pouvoir menacer le monde de « jouets » nucléaire : nous sommes pour le désarmement nucléaire total, à commencer par celui de la France.
C’est d’une tout autre défense, militaire parfois et malheureusement, dont le mouvement ouvrier et les peuples ont besoin contre ceux qui, forts de leur surarmement, les exploitent et les oppriment. Vladimir Poutine en Tchétchénie ou en Ukraine, les États-Unis en Irak ou en Afghanistan (avec des troupes supplétives françaises), la France elle-même et pour son compte dans ce qu’elle estime toujours « sa » zone (ex-coloniale) en Afrique.
La « défense » des peuples et travailleurs dans le monde et dans l’histoire, par ces peuples et travailleurs eux-mêmes, ne s’est pas résumée à l’usage d’armes, et n’a évidemment pas reposé sur le recours à des mercenaires ou soldats de métier. Elle a été faite de fraternité, de force et d’abnégation du nombre dans la lutte, d’appels à la révolte et à la désertion en direction des armées levées par les puissants de ce monde. Même à armes inégales, la victoire peut changer de camp. Des combattants pour l’émancipation, qui n’avaient évidemment pas les moyens pour acheter des armes à Dassault ou Thales, ont su les prendre dans les camps d’en face, ou utiliser pour leur propre compte celles qu’on avait mises dans leurs mains. Le chant qui demeure celui des prolétaires du monde entier, L’Internationale (paroles d’Eugène Pottier et musique de Pierre De Geyter), contient un couplet quelque peu séditieux – reconnaissons-le ! – qui dit : « Crosse en l’air et rompons les rangs […] Ils sauront bientôt que nos balles, sont pour nos propres généraux ! ». Nous ne voulons pas mort d’hommes, mais nous ne sommes pas des pacifistes.
La guerre d’Ukraine, prétexte à hypertrophie des budgets militaires
Aujourd’hui, la guerre d’Ukraine – précisons que nous condamnons totalement l’invasion guerrière de ce pays par l’armée de Poutine et soutenons le droit et la lutte du peuple ukrainien pour disposer de son sort – réactualise les problématiques et politiques militaires des États : mise en avant d’« enjeux géopolitiques internationaux », « dissuasion nucléaire » chère aux gouvernements des grandes puissances, décisions brutales d’augmentation des budgets militaires, tentation forte des États à embrigader la jeunesse derrière une prétendue « cohésion nationale ». Toutes choses qui font basculer le monde dans une situation nouvelle, grosse d’un futur conflit mondial. Tous les grands États jouent malheureusement avec le feu, pour la défense des intérêts de leurs multinationales, du gaz et du pétrole ou des armements. À peine les dirigeants politiques allemands avaient-ils saisi l’opportunité du déblocage de 100 milliards d’euros pour pousser leur réarmement (timide jusque-là), que les rivalités économiques à base sonnante et trébuchante ont surgi : pourquoi les Allemands viennent-ils d’annoncer l’achat d’avions de combat américains F-35 plutôt que d’acheter le Rafale de Dassault-Aviation, fabriqué par leurs alliés français d’Europe, se lamentent les marchands d’armes français ? Leçon de choses !
Vladimir Poutine a relancé aussi les craintes populaires contre l’arme nucléaire. Force de dissuasion, dit-on. Elle n’a apparemment pas dissuadé la Russie d’envahir l’Ukraine. On pourrait presque dire le contraire : elle ne dissuade que d’intervenir pour aider le peuple ukrainien agressé. Cette « arme absolue », cette « force de dissuasion » permet à ce stade aux plus grandes puissances du monde de mener les guerres qu’elles veulent (ou pas), de pousser les agressions (ou pas), tant qu’elles jugent bon (ou pas) de préserver ou de n’outrepasser que dans certaines limites leurs zones d’influence. Mais la planète impérialiste connaît un certain nombre de Docteur Folamour.
La meilleure défense du peuple ukrainien lui-même serait sa capacité à s’opposer aux troupes d’occupation russes, y compris par les armes politiques. Qui sont ces jeunes tankistes russes qu’ils affrontent, des jeunes conscrits, si ce n’est des cousins ou beaux-frères – ou pourraient l’être au vu de l’histoire passée commune – envoyés par Vladimir Poutine pour de prétendus « exercices » ou « opération spéciale » ? Nous ne résistons pas à rappeler qu’il y a quelques décennies, les dirigeants politiques et militaires français envoyaient aussi le contingent en Algérie – 600 000 jeunes au total – pour une prétendue « pacification ». Preuve que les hiérarchies militaires ont quelque honte de ce qu’ils font pour ne pas appeler leurs guerres par leur nom !
Sous prétexte de « défense », gendarmer le monde ?
Les soldats russes ne sont pas les seuls à être pris entre deux feux. L’armée française en Afrique ne semble pas susciter les applaudissements par sa présence, mais plutôt la haine. Au Mali, bien des « bavures » ont retourné la population contre elle. Au Niger, un convoi militaire a été bloqué, non par des djihadistes, mais par une population villageoise qui ne voulait plus voir ses contingents. La haine suscitée dans la population vient de ce que la « défense » assurée, au nom de traités d’assistance qui sanctionnent la sujétion des anciennes colonies, est celle des intérêts et profits de Bouygues, Bolloré, Total ou Orano, pour ne citer qu’eux. Le maintien de ces pays d’Afrique sous contrôle de l’armée française n’enlève rien à la misère des peuples – celle-là même qui alimente le djihadisme et jette vers lui des jeunes misérables et déboussolés. Difficile de parler de « défense contre le djihadisme » quand le pillage des richesses de ces pays précisément le crée.
Nous sommes pour l’arrêt de toutes les « opérations extérieures » en cours et le démantèlement des bases militaires françaises à l’étranger.
À ce chapitre, on peut citer aussi les vingt ans de guerre des États-Unis et de pays de l’Otan (dont la France) en Afghanistan, pour revenir à la case départ et remettre au pouvoir la dictature des Taliban particulièrement féroce contre les femmes (après avoir ensanglanté et ruiné le pays). D’ailleurs sur ce sujet, nous sommes pour la dissolution de l’Otan, en tous cas, nous voulons le retrait de la France de cette organisation.
L’armée, une affaire de gros sous pour les marchands d’armes
Avec le Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA) au pouvoir, il est certain qu’on entrerait dans une période de vaches maigres pour les lois de programmation militaires (LPM) et, de ce fait, pour les industries d’armement – dont la France se vante d’arriver au troisième rang mondial, après les États-Unis, qui sont loin devant, et la Russie. Les « jouets » arborés (et leurs vendeurs) sont nombreux : le char Leclerc AMX 56 (Nexter, ex GIAT industries) le véhicule blindé de combat infanterie (VBCI) (Nexter Systems et Arquus [ex Renault Trucks Défense]) et l’hélicoptère de combat Tigre (fabrication franco-allemande Aérospatiale et MBB), l’avion de combat Mirage 2000 (Dassault-Aviation), l’avion de combat Rafale (Dassault Aviation), le porte-avions Charles-de-Gaulle (construction commencée aux chantiers navals de Brest), sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) du type Triomphant, sous-marins nucléaires d’attaque (SNA), sans oublier des frégates furtives type La Fayette… Nos excuses si nous ne sommes pas tout à fait à jour dans notre énumération.
Avec le NPA, il y aurait évidemment quelques dommages pour la famille Dassault, les actionnaires de Thales et quelques autres. Mais probablement du bonheur chez les salariés, hommes et femmes dont le savoir-faire, de conception et de réalisation, pourrait être vite et facilement réorienté vers la production de biens utiles à l’ensemble de la société… Les besoins de toutes sortes ne manquent pas sur la planète.
« Que veut dire pour vous être Chef des armées ? »
C’est votre dernière question. Elle n’est pas aberrante car nous avons eu un vieux camarade chef d’une armée : Léon Trotsky, qui a écrit 1 000 pages d’Écrits militaires, publiés en France en 1967. Sans avoir de formation militaire spéciale, il a rassemblé une « Armée Rouge » à l’époque où les conquêtes des ouvriers et paysans pauvres de Russie étaient menacées sur toutes les frontières du pays par des contingents de métier de presque toutes les puissances du monde, liguées aux côtés de la dictature tsariste, pour la mainmise du capital anglo-américain sur les richesses du pays. Il a certes ensuite, avec le reflux de la révolution, été victime de la répression stalinienne.
Nous avons eu d’autres chefs et cheffes militaires, en France, à l’époque de la Commune de Paris, quand la défense de la ville a dû être assurée par la population elle-même, à la place d’une armée qui avait pactisé avec l’agresseur Bismarck.
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Nous ne sommes pas des « pacifistes ». Oui il faut que les travailleurs et les travailleuses, ainsi que les peuples sachent se défendre, y compris par les armes. L’histoire a – fort heureusement – connu de tels épisodes, où les exploités et opprimés, hommes et femmes, ont pris les armes, et où les armes ont changé de camp.
Elle en connaîtra immanquablement d’autres. ♦