Le manque de sommeil a un impact négatif sur la cognition, les apprentissages ou encore sur la prise de décision. Le futur chef doit en prendre conscience et mettre en place des stratégies adaptées. Des moniteurs et instructeurs ORFA (Optimisation des ressources des forces armées), spécialisés sur les questions du stress et du sommeil, apportent ainsi des clés de compréhension et des outils efficients afin de répondre efficacement. La FI-ORFA (Formation initiale-ORFA) proposée aux élèves apporte donc des bases fondamentales pour se préparer psychologiquement à n’importe quelle situation. À l’heure du développement des forces morales pour faire face aux conflits de haute intensité, la méthode ORFA semble être un outil pertinent pour optimiser les capacités de chacun.
De la formation initiale à la projection opérationnelle : l’apprentissage de soi-même et le suivi de son sommeil par la méthode d’ORFA
Présentation de la méthode ORFA
La méthode ORFA
La méthode d’Optimisation des ressources des forces armées (ORFA) a été développée à l’École interarmées des sports (EIS) de Fontainebleau au début des années 1990 par le médecin militaire Édith Perreaut-Pierre qui s’est spécialisée dans la gestion du stress et la préparation mentale. Cette méthode se présente comme une « boîte à outils » pédagogique que chacun devra personnaliser et adapter à ses besoins afin de pouvoir utiliser, en toute autonomie, la bonne technique au bon moment (1).
Elle est aujourd’hui largement répandue dans les forces armées. On la retrouve dans l’armée de Terre, dans l’Armée de l’air et de l’Espace, dans la Marine nationale, dans la Gendarmerie nationale, à la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris (BSPP) et au Service de santé des armées (SSA). Elle s’adresse à tous ceux qui souhaitent disposer de moyens psychologiques leur permettant de s’adapter rapidement aux diverses situations contraignantes. Les protocoles de séances ont été mis au point afin que les exercices soient brefs : une à dix minutes (2).
Les techniques ORFA
Les techniques ORFA sont nombreuses et chacune d’entre elles présente des avantages pour la récupération et la préparation mentale. Elles sont simples, pratiques et applicables « en tous lieux et toutes circonstances », lorsque cela est nécessaire et lorsque la situation l’exige : c’est-à-dire éventuellement sur le lieu de travail ou de la mission, en posture assise voire debout et dans la tenue de travail (3) du moment.
Les trois grands axes d’action de la méthode reposent principalement sur des techniques de récupération, de dynamisation et de régulation (figure 1).
Figure 1 : Tableau d’utilisation des techniques en fonction des actions.
Reproduit à partir de Pernot M. et Garrier M., et Honfroy A. et Cornille S., Fascicule ORFA. CNSD/EIS, 2021, p. 33.
Tout d’abord, les techniques de récupération favorisent le retour au calme après une action, une activité ou bien peuvent se pratiquer en fin de journée. Elles permettent de récupérer psychologiquement et physiologiquement induisant un relâchement musculaire et une détente mentale. Les relaxations et les respirations relaxantes font partie de ce premier axe d’action.
Ensuite, les techniques de dynamisation, ou techniques de préparation mentale, permettent de se préparer cognitivement pour agir, c’est-à-dire de se projeter mentalement vers la réalisation d’une tâche ou d’une activité, de répéter mentalement un ou plusieurs gestes techniques dans le cadre d’un apprentissage et de se mobiliser pour trouver l’énergie nécessaire de manière à réaliser une action à court ou long terme.
Enfin, les techniques de régulation permettent de se maintenir ou de revenir à un niveau d’activation musculaire et mentale compatible avec l’activité à réaliser. Elles s’appuient pour certaines sur le réflexe inconditionnel de Pavlov de manière à mettre au point un geste pour se motiver ou faire baisser la pression. D’autres s’utilisent pour revivre mentalement un événement ou une situation positive de réussite de manière à réactiver et renforcer des stratégies gagnantes antérieures.
Un même procédé ou une même technique peut, selon l’objectif recherché, servir aussi bien à récupérer qu’à se dynamiser, à faire baisser la pression comme à la faire remonter.
Les Techniques d’optimisation du potentiel, anciennement appelées TOP, ont évolué dans l’institution en 2021 et ont changé d’appellation pour devenir la méthode d’Optimisation des ressources des forces armées (ORFA).
Les objectifs de la méthode ORFA
La méthode ORFA regroupe des moyens et des stratégies mentales permettant à chacun de mobiliser au mieux ses ressources, en fonction des exigences de la situation rencontrée, pour y faire face et s’y adapter rapidement, ainsi que pour atteindre ses objectifs (4).
Ces objectifs sont nombreux et propres à chacun. En reprenant les trois axes d’action indiqués plus haut, les principaux objectifs de la méthode sont la récupération physique et mentale, la dynamisation physique et psychologique et la régulation. Elle apporte des outils efficaces pour se motiver et s’adapter à son environnement. Certaines techniques permettent aussi de développer les aptitudes cognitives, motrices et techniques connues pour faciliter les apprentissages en développant les facultés attentionnelles, mémorielles et de concentration.
D’autres objectifs permettant d’apporter une ou plusieurs réponses adaptées dans l’amélioration de la qualité du sommeil, la motivation, la stimulation de la vigilance, la préparation aux épreuves sportives ou aux examens, l’amélioration de la connaissance de soi, l’aide à la prise de décision ou encore la gestion du stress. À ce titre, elle est tout à fait appropriée à une démarche pluridisciplinaire de prise en charge de la gestion du stress (5).
Dans le cadre du sommeil, son objectif est d’apporter une meilleure compréhension de son fonctionnement, ce qui est essentiel pour une meilleure connaissance de ses besoins physiologiques de sommeil et ainsi des stratégies et des outils adaptés et efficients permettant d’améliorer sa qualité. Par ailleurs, les siestes ont pleinement leur place et font partie de ces stratégies à adopter pour « recharger les batteries » ou rembourser une dette de sommeil lorsque c’est possible.
Apprentissage de la méthode ORFA
L’apprentissage des techniques est facile et accessible au plus grand nombre. Elles se révèlent être très efficaces et répondent aux principales attentes des militaires. Par ailleurs, en tenant compte du fait que ce qui convient aux uns ne convient pas aux autres, ces techniques sont adaptables et personnalisables par chacun (6).
La méthode ORFA n’est efficace que si son enseignement se déroule selon trois étapes : la formation, l’entraînement et l’application.
Tout d’abord, la formation aux différentes techniques est une étape indispensable. Elle se réalise en groupe et doit permettre de découvrir les diverses techniques ORFA, d’apprendre à prendre conscience de ses propres sensations et surtout de mettre au point sa « boîte à outils ORFA ». Cette méthode comprend plusieurs niveaux de formation (figure 2). La formation initiale ORFA (FI-ORFA) est donc le premier niveau à atteindre.
Figure 2 : Chaîne organisationnelle des formations ORFA.
Puis, l’entraînement commence dès la phase de formation. Il peut être dirigé, c’est-à-dire animé par un moniteur ORFA, ou bien personnel. Les objectifs permettent de tendre vers l’autonomie, c’est-à-dire être capable de réaliser, sans l’aide d’un moniteur, les techniques enseignées de façon automatique, afin de rendre réflexe l’usage des outils en situation, et de façon opérationnelle pour rendre ces techniques fonctionnelles et opérantes en toutes circonstances.
Enfin, l’application (c’est-à-dire son utilisation en situation) est l’étape finale de l’apprentissage de la méthode ORFA.
Le sommeil à l’Académie militaire de Saint-Cyr Coëtquidan (AMSCC)
Selon certains auteurs (7), le sommeil a un impact sur les performances mentales (figure 3) mais aussi sur la performance physique, sur le risque de blessure, sur la tolérance aux contraintes environnementales et aussi sur la réponse immuno-inflammatoire.
Figure 3 : Le manque de sommeil a un impact négatif sur les capacités psycho-physiologiques (à droite).
Un sommeil de qualité améliore de nombreuses fonctions psycho-physiologiques (à gauche).
Le constat à l’AMSCC est sans appel (figure 4). En effet, les élèves-officiers qui intègrent l’Académie militaire suivent, durant leur scolarité, un rythme très dense et sont par conséquent le plus souvent en dette de sommeil. Cette dette a des répercussions sur leurs apprentissages ainsi que sur leurs capacités mémorielles et attentionnelles.
Figure 4 : Le sommeil à l’AMSCC peut être représenté par ce triptyque.
Les activités et missions d’entraînement qui s’inscrivent sur la durée génèrent une dette du sommeil chez les élèves-officiers comme chez les cadres et formateurs. Cela peut se traduire par une gestion non optimisée du sommeil à cause d’un manque de connaissance sur son fonctionnement et donc une incompréhension sur son sujet. Notamment, l’idée très répandue de jouer des exercices d’endurcissement pour développer la rusticité et la résistance au sommeil perdure.
Analyse et propositions
Les objectifs
L’objectif premier serait d’apprendre aux élèves-officiers à se connaître de manière à disposer de toutes les ressources nécessaires dans la bonne réalisation de leurs missions futures (figure 5).
Figure 5 : Apprentissage de soi, de la formation initiale à la projection opérationnelle.
Dans cette perspective, l’intégration de la FI-ORFA dans la scolarité des élèves de l’AMSCC est de bon augure et tout à fait propice au développement d’une prise de conscience de l’importance du sommeil, mais aussi dans les capacités d’apprentissage du stress. Pendant cette formation initiale, les moniteurs enseignent notamment la technique du Signal d’induction du sommeil (SIS) (8) et la mini-sieste, qui sont les premiers outils pour gérer son sommeil : l’un pour faciliter l’endormissement, l’autre à utiliser en journée pour « recharger les batteries ».
Un deuxième objectif serait d’envisager de former davantage de Moniteurs ORFA (MORFA) et de les spécialiser ensuite sur le sommeil en suivant la formation de la gestion de la fatigue en milieu opérationnel au Centre national des sports de la Défense (CNSD) de Fontainebleau. L’ensemble des compétences acquises leur permettront de participer à la formation des élèves-officiers, de former voire sensibiliser les cadres sur le stress et le sommeil, et surtout d’informer les chefs sur ces sujets (figure 6). Enfin, l’apprentissage de la gestion du sommeil dès la formation initiale à l’AMSCC est, selon les auteurs de cet article, primordial pour acquérir les bonnes stratégies de récupération et les intégrer dans les entraînements aux projections opérationnelles.
Figure 6 : Formation et information des acteurs sur l’ORFA.
Organisation
Naguère, avant que la problématique du sommeil ne soit prise en compte, quelques moniteurs TOP organisaient des Formations initiales des Techniques d’optimisation du potentiel (FI-TOP), des formations sur la gestion du stress et sur le sommeil. Dans le même temps, d’autres moniteurs avaient aussi intégré certaines techniques dans leur pratique professionnelle (Moniteurs EPMS : Entraînement physique militaire et sportif).
À l’heure où est écrit cet article, l’académie militaire de Saint-Cyr Coëtquidan compte un instructeur ORFA (IORFA) et environ onze moniteurs TOP/ORFA (MTOP et MORFA). Ces formateurs participent depuis septembre 2021 à la montée en puissance de la méthode ORFA en dispensant des FI-ORFA au profit de l’ESM3 (9), de l’EMIA2 (10) et des OSCE (11). Ces formations sont complétées par des apports théoriques apportés par les psychologues de la Cellule d’intervention et de soutien psychologique de l’armée de Terre (Cispat).
Comme évoqué supra, les moniteurs TOP/ORFA sont à la fois des formateurs, des animateurs et des spécialistes sur les questions relatives au stress, au sommeil et à la motivation dans un cadre opérationnel. Ils sont tout d’abord des formateurs car ils peuvent organiser et encadrer des FI-ORFA. Formation de base de minimum 10 heures, une FI-ORFA est répartie sur plusieurs semaines voire plusieurs mois. Les thématiques abordées sont axées sur les généralités de la méthode ORFA (1 h), les respirations (1 h), la relaxation (1 h), la motivation (2 h), le stress (2 h) et le sommeil (2 h) alternant théorie et séances pratiques. Cette formation est particulièrement indiquée dans les phases de préparation opérationnelle avant une mission ou une projection.
Ensuite, les moniteurs TOP/ORFA sont aussi des animateurs car ils peuvent organiser des séances pratiques dirigées, pour un soldat ou un groupe de soldats, sur les respirations, les différentes relaxations de la méthode ORFA et des techniques de préparation mentale.
Enfin, ce sont des spécialistes dans leur domaine apportant des conseils et leur expertise au commandement.
Les outils
La FI-ORFA apporte ainsi une meilleure compréhension de la méthode et donne plusieurs outils aux élèves-officiers comme les :
– respiration abdominale relaxante ;
– respiration VTE (ventre, thorax, épaules) ;
– respiration abdominale dynamisante ;
– relaxation personnalisée ;
– technique de la Réactivation d’expérience positive (REP) ;
– technique du Signal d’activation optimisé (SAO) ;
– technique du Signal d’induction du sommeil (SIS) ;
– mini-sieste.
Les élèves-officiers peuvent utiliser tout ou partie de ces techniques pour se préparer au mieux aux différentes activités qui les attendent tout au long de leur scolarité voire bien après dans leurs futures affectations (figure 7).
Figure 7 : Apport de la FI-ORFA sur le stress et le sommeil au profit des élèves-officiers dans les activités de formation.
Sans la méthode ORFA (à gauche sur le graphique), certains élèves-officiers éprouvent des difficultés de gestion du stress entraînant ou non des troubles du sommeil et provoquant un certain déséquilibre. La méthode ORFA (à droite) leur apporte des outils efficients dans la gestion du stress et du sommeil pour aborder au mieux leurs activités, en pleine possession de leurs moyens.
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Pour conclure, apprendre à mieux se connaître en apprivoisant son stress et son sommeil renforce la résilience et participe également à une connaissance plus fine du fonctionnement physiologique des hommes que les chefs de demain auront sous leurs ordres, notamment en opération et surtout dans un éventuel conflit de haute intensité. La FI-ORFA, qui intègre spécifiquement la problématique du sommeil, donne véritablement une réponse à ce volet de la formation au comportement militaire. ♦
(1) Perreaut-Pierre É., Comprendre et pratiquer les Techniques d’optimisation du potentiel : être et rester au TOP, InterEditions, 2019, p. 1-3.
(2) Ibid., p. 96-105.
(3) Ibid., p. 96-105.
(4) Trousselard M., « Regards psychologiques sur les modalités écologiques d’amélioration de l’homme sous contrainte », Cahier de la RDN, 2017, p. 96-105. DOI : 10.3917/rdna.hs03.0096.
(5) Perreaut-Pierre É., « Chapitre 26 : La préparation mentale par les Techniques d’optimisation du potentiel au sein d’une démarche intégrative de gestion du stress » in Célestin-Lhopiteau Isabelle (dir.), Soigner par les Pratiques psycho-corporelles : pour une stratégie intégrative, Dunod, 2016, p. 235-240 DOI : 10.3917/dunod.lhopi.2015.01.0235.
(6) Perreaut-Pierre É., op. cit., p. 1-3.
(7) Chennaoui M., Gomez D., Rabat A., et Sauvet F., Gestion du cycle veille/sommeil en milieu militaire (Guide pratique), UNÉO, 2020, p. 28-30.
(8) Après l’avoir programmé sur une séance, cette technique facilite l’endormissement et permet le réendormissement en cas de réveil nocturne.
(9) ESM3 : École spéciale militaire, 3e bataillon. Il en existe trois et ce bataillon est la première année de scolarité des élèves-officiers de l’ESM.
(10) EMIA2 : École militaire interarmes, 2e bataillon. Il en existe deux et ce bataillon est la première année de scolarité des élèves-officiers de l’EMIA.
(11) OSCE : Officier sous-contrat–Encadrement. Ces élèves-officiers, qui suivent une scolarité d’une année, appartiennent à l’École militaire des aspirants de Coëtquidan.