Les États-Unis se sont longtemps passés d’alliés. La menace du communisme a effacé cette tradition et a lié l’Amérique à une toile sans précédent de partenariats. La guerre froide achevée, les réseaux et organisations nés de cette période se sont retrouvés dépourvus de sens. Le retour de la puissance russe et le défi chinois ont cependant mobilisé l’Amérique, en quête de nouveaux partenaires, dans le Pacifique en particulier. Une difficulté : préserver la confiance de ses alliés. Une inconnue : la capacité du système politique américain à mener une stratégie partenariale de long terme.
L'avenir du système d'alliances américain face au retour de la compétition stratégique
L’idée d’alliance n’a rien d’une évidence dans l’histoire américaine. En témoigne la politique isolationniste menée durant près d’un siècle et demi, avant que Washington ne cède à la « pactomanie » (1) de l’après-guerre, assurant ainsi la sécurité de près d’un quart de la population mondiale (2). En atteste également l’inépuisable débat concernant l’utilité, mais aussi les coûts et les risques impliqués par la formation d’une alliance sur le plan politico-militaire. À cet égard, le système d’alliances américain souffre depuis la fin de la guerre froide d’une crise de légitimité, étant victime d’un procès en inutilité, en désutilité et en impérialisme. Revient comme une antienne la question lancinante posée par le président George W. Bush : « Why do they love and hate us? » (3). Il semble pourtant que les États-Unis doivent se défaire de la mésestime dans laquelle ils tiennent leurs alliés. En effet, la montée en puissance de la Chine et le « réveil stratégique » russe commandent une mobilisation multinationale, via le développement de nouveaux partenariats en Asie-Pacifique, d’une part, par la préservation et la revitalisation des réseaux d’alliances existants, d’autre part.
Un système d’alliances en crise
L’avènement de la multipolarité actuelle conduit à s’interroger sur la viabilité du système d’alliances américain hérité de la guerre froide, en particulier pour un pays dont le rapport aux alliances a été marqué par plusieurs ruptures et revirements majeurs dans l’histoire.
De la retenue stratégique à la « pactomanie » d’après-guerre
Dès les premiers temps de la fédération américaine, la priorité a été donnée à la construction de l’Union, ainsi que le résume le programme fixé par le 3e Président américain, Thomas Jefferson : « Paix, commerce et entente honnête avec toutes les nations ; ne conclure d’alliance avec aucune » (4). Il en va de même de l’avertissement, aux accents nietzschéens, formulé en 1821 par John Quincy Adams, alors secrétaire d’État (5), à l’égard des dangers que représentaient les expéditions lointaines : « [L’Amérique] ne part pas à l’étranger, à la recherche de monstres à détruire. (6) » On peut encore citer l’unioniste Abraham Lincoln, partisan de la retenue, plaidant en 1862 pour mener « une guerre à la fois » (7). Les doctrines isolationnistes de la jeune république la retinrent, pendant ses 165 premières années, de former des alliances – celle conclue avec la France durant la guerre d’Indépendance exceptée. Face aux incursions dans son arrière-cour (backyard), elle fut toutefois contrainte de se mêler au concert européen et de formuler, en 1823, la doctrine Monroe (8) – du nom du cinquième Président (républicain) américain (1817-1825) –, s’opposant à l’extension de l’influence européenne sur le continent. Pour John Quincy Adams, l’Amérique devait assumer sa « destinée manifeste » ; le débat entre isolationnisme et interventionnisme se poursuivit jusqu’aux entrées en guerre contraintes en 1917 et 1941 (9). Le sénateur américain J. William Fulbright pouvait ainsi, en 1967, présenter la tradition américaine de politique étrangère comme l’oscillation entre « l’éthique des instincts honnêtes tempérés par la connaissance de l’imperfection humaine » et « l’éthique de l’assurance absolue nourrie par l’esprit de croisade » (10). Le réalisme d’Adams et le pragmatisme de Lincoln inspirèrent l’un des architectes du système d’alliance américain bâti dans l’après-guerre, le diplomate George F. Kennan. Après 1945, les océans ne protégeant ni de la bombe atomique, ni de l’expansion du communisme, les États-Unis ignorèrent la recommandation de Jefferson et signèrent des pactes de défense avec plus de soixante États. Le containment, doctrine défensive, demandait que fussent conclues des alliances pour contrer le communisme dans tous les lieux où il risquait de s’imposer. Cette « pactomanie » a donné naissance à une mosaïque d’alliances, formalisées et multinationales comme dans le cas de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (Otan), bilatérales ou ambiguës, comme dans le cas de Taïwan.
Une crise de légitimité depuis la fin de la guerre froide
La fin de la guerre froide a ouvert trente années d’errance conceptuelle pour une entité comme l’Otan, dont la raison d’être était mise en question après la disparition de son ennemi soviétique (11). L’Alliance atlantique s’est pourtant élargie, en intégrant d’anciens membres du Pacte de Varsovie. L’Otan s’est voulue le « bras séculier » des Nations unies, et a participé aux conflits yougoslaves puis à la « guerre contre le terrorisme » à partir de 2001 (12).
Sur les risques liés à cette « pactomanie », de nombreux universitaires tels Earl Ravenal de la branche réaliste des relations internationales dénoncent ces « transmission belts for war », ces courroies de transmission vers la guerre que constituent les alliances, depuis les années 1980 (13). Certains sont même allés jusqu’à les comparer avec le réseau d’allégeances précédant la Grande Guerre (14). La controverse n’est pas nouvelle et des élus tels que les sénateurs Robert Taft (élu de l’Ohio de 1939-1953) et Michael Mansfield (élu du Montana de 1953-1977) s’opposèrent à un engagement américain dans l’Otan (15). Cette critique de l’Alliance atlantique chez les hauts responsables américains a fait florès jusqu’au mandat de Donald Trump (2017-2021) : remettant en question l’article 5 du traité de l’Atlantique, il s’indignait que l’Amérique pût entrer dans une guerre mondiale pour le Monténégro et aurait même envisagé un retrait de l’Alliance en cas de second mandat (16). Si l’Otan a prévenu toute agression en Europe pendant la guerre froide, elle n’a pas pour autant créé une paix structurelle entre ses alliés (17), à la différence de l’Union européenne (UE). Par ailleurs, les partenaires asiatiques n’ont jamais bénéficié des engagements dont disposent les alliés de l’Otan. Si, face à la menace d’expansion du communisme dans le Pacifique, une série de traités a été signée entre 1951 et 1954 avec le Japon, la Corée du Sud, Taïwan, les Philippines, la Thaïlande, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, leurs clauses sont moins protectrices que les garanties de l’article 5 du traité de l’Atlantique nord (18).
Pour autant, les arguments qui dénoncent l’inutilité des alliances ne résistent pas à un examen approfondi. Les États-Unis ont appris des deux guerres mondiales qu’ils ne devaient pas permettre à une puissance hostile de dominer une région cruciale. Défendre les alliés paraît coûteux ? Les libérer le serait davantage (19). Quant au risque d’engrenage vers la guerre, l’étude réalisée par le professeur Michael Beckley sur la période post -1945 conclut que les alliances tendent à éloigner les États-Unis de la perspective d’une guerre (20). S’il est indéniable que certains alliés agissent en « passagers clandestins » – dix alliés otaniens tout au plus consacrent a minima 2 % de leur PIB au budget de la défense (21) –, ce « free riding » ne comptait-il pas parmi les objectifs implicites de Washington ? Il s’agissait, dans les années d’après-guerre, d’enrayer le cycle de compétition débridée en Europe et en Asie de l’Est, qui s’accompagnait d’une course aux armements (22). La présence des alliés dans les opérations a également été bénéfique aux États-Unis, favorisant l’interopérabilité, ouvrant des marchés à leur industrie militaire et légitimant leurs interventions à l’étranger (23).
En dépit des avantages de leur réseau d’alliances, les États-Unis portent une attention inégale à leurs alliés, comme en témoigne la rupture du contrat des sous-marins lésant l’allié français au profit de Canberra, à la suite de pourparlers secrets, en 2021 (24). Pourtant, le contexte géostratégique ne laisse plus place au débat à Washington sur l’opportunité d’agir dans un cadre multinational : face aux menaces contemporaines dans le Pacifique, en Eurasie, dans les domaines cyber et sanitaire, les États-Unis cherchent à diversifier et à renouveler leurs partenariats, tout en continuant de soigner leurs alliances traditionnelles.
Réinvention de formats partenariaux et persistance des pactes d’alliance
Le déplacement de l’attention stratégique américaine vers l’Asie conduit au développement de nouveaux formats partenariaux, tout en exigeant le maintien des pactes d’alliance existants.
Face à la montée en puissance de la Chine, la réinvention des partenariats
Le rebalancing est devenu un élément clef de la « Grande stratégie » américaine en 2011-2012, au point de rester une priorité pour le second mandat de Barack Obama (2012-2016), qui constitue, en quelque sorte, le « premier Président du Pacifique » des États-Unis, étant lié par son histoire personnelle à Hawaï et à l’Indonésie (25). Par leur géographie, les États-Unis constituent naturellement une puissance du Pacifique, en partie grâce à l’héritage de William H. Seward, secrétaire d’État de Lincoln, qui souhaitait développer le commerce avec Hawaï – d’abord liée par traité commercial aux États-Unis en 1875, puis annexée en 1898 –, acheter l’Alaska, et qui envisageait même l’acquisition de l’Islande et du Groenland (26). Pour l’amiral Alfred T. Mahan, auteur, en 1900, de The Problem of Asia, les États-Unis, en situation insulaire, devaient devenir une puissance maritime dans les Caraïbes et le Pacifique : « l’empire de la mer est indubitablement l’empire du monde » (27). Il fallait donc faire respecter le principe de la « porte ouverte » (28) contre les prétentions de la Russie à traiter les marchés orientaux comme une chasse gardée. En cela, les thèses de Mahan rejoignaient celle de John Hay, secrétaire d’État de Theodor Roosevelt, qui annonçait en 1899 que « le centre orageux du monde s’[était] progressivement déplacé vers la Chine » (29). Il préfigurait là les déclarations de Barack Obama devant le parlement australien : « Les États-Unis joueront un rôle plus important et à long terme dans le façonnement [de l’Asie-Pacifique] et de son avenir. (30) »
Pékin a vu dans ce revirement une manière d’empêcher la Chine de développer sa propre « doctrine Monroe » en vue de protéger sa mer méridionale (31). Washington a en effet décidé de repositionner 60 % des moyens navals, spatiaux et cyber vers le Commandement du Pacifique (PACOM) (32). Une autre finalité de cette stratégie, accélérée par les successeurs de Barack Obama, était de montrer qu’après les retraits d’Irak et d’Afghanistan, les États-Unis n’abdiquaient pas leurs responsabilités et n’abandonnaient pas leurs alliés. Sa mise en œuvre révèle cependant certaines contradictions : un investissement dans la région indo-pacifique ne semble pouvoir se concrétiser qu’au détriment des alliés des États-Unis en Europe de l’Est, ne serait-ce que par le transfert en apparence nécessaire au PACOM de troupes allouées au commandement des forces des États-Unis en Europe (EUCOM).
Le pivot vers l’Asie perturbé par la guerre en Ukraine
L’attention américaine est pourtant retenue en Europe de l’Est par le déclenchement de la guerre en Ukraine, le 24 février 2022 (33), à la suite d’une montée des tensions à la frontière russo-ukrainienne, dans le cadre de la guerre dans le Donbass, commencée en 2014. En conséquence, l’Administration Biden (Président depuis 2021) a été contrainte de revoir certaines échéances : le sommet États-Unis– ASEAN, prévu fin mars 2022 à Washington a ainsi été reporté en mai (34). Le Président Joe Biden a dû attendre le 24 mai pour effectuer son premier déplacement en Asie à Séoul et Tokyo. Washington reste préoccupée de marquer son engagement en Asie, malgré la mobilisation en cours en l’Ukraine. En témoigne la tournée d’Antony Blinken, secrétaire d’État, dans le Pacifique en février 2022 (35). Ce dernier a par ailleurs prononcé un discours très attendu le 26 mai 2022 depuis l’Université de George Washington, pour présenter publiquement la stratégie de l’administration à l’égard de la Chine, articulée avec celle présentée à l’égard de la zone indo-pacifique en février dernier, alors que l’invasion russe était imminente (36). Ce discours assume que la relation entre Washington et Pékin est désormais dominée par la compétition, sous réserve de certains domaines de coopération. L’incipit de la stratégie pour l’Indo-Pacifique, pour sa part, est sans détour : « Les États-Unis sont une puissance de l’Indo-Pacifique » (37). Le document appelle à moderniser les alliances avec l’Australie, le Japon, la Corée du Sud, les Philippines et la Thaïlande, ainsi qu’à faire progresser le Major Defense Partnership avec l’Inde (38).
Concernant Taïwan, l’approche américaine reste en conformité avec les engagements du Taiwan Relations Act, des Three Joint Communiqués et des Six Assurances de 1982 (39). La stratégie recommande de continuer à renforcer la coopération du Quadrilateral Security Dialogue (QUAD), l’alliance diplomatique et militaire informelle entre l’Australie, le Japon, l’Inde et les États-Unis (40) signée en 2007, sur les sujets de santé, d’environnement, d’éducation et de technologie. À cet égard, la consolidation du QUAD 2.0 (deux sommets à distance, et un en présence en septembre 2021 à Washington) peut être portée au crédit du Président Biden. Le partenariat avec l’Inde pourrait, en revanche, être mis à mal par l’attitude complaisante de New Delhi vis-à-vis de Moscou, qui se traduit notamment par des abstentions lors des scrutins onusiens (41). La stratégie évoque, en outre, le partenariat AUKUS entre l’Australie, le Royaume-Uni et les États-Unis (42), dont le volet opérationnel repose sur la délivrance de sous-marins à propulsion nucléaire à la Royal Australian Navy ; s’y agrège depuis le communiqué du 5 avril 2022 le renforcement de l’interopérabilité dans le cyberespace et en matière de drones (43).
Certes, les leçons de la crise des sous-marins semblent avoir été tirées : dans le cas de la guerre ukrainienne, les alliés ont été dûment consultés. Indéniablement, ainsi que le rappelait Jake Sullivan, conseiller à la Sécurité nationale des États-Unis, l’Amérique porte également son attention sur d’autres régions du monde, pour « construire un treillage d’alliances et de partenariats à l’échelle mondiale adapté aux défis de ce siècle » : on peut ici citer la revitalisation du Sommet North American Leaders ou la nouvelle stratégie pour le Sahel (44).
La rivalité avec la Chine à l’épreuve du retour de la puissance russe
En dépit de l’agression russe, l’attention américaine continue de se tourner vers l’Asie. En ce sens, l’ancien sous-secrétaire adjoint républicain à la Défense Elbridge Colby, appelle les Européens à faire monter en puissance leurs efforts de défense pour permettre aux États-Unis de concentrer les leurs sur la Chine (45). Le thème du « burden sharing » n’est pas exclusif au trumpisme ; il est partagé par le chef de la diplomatie américaine : « Lorsque nos alliés assument leur juste part du fardeau, ils s’attendent raisonnablement à avoir leur mot à dire dans la prise de décisions […] ; cela commence par consulter nos amis tôt et souvent. (46) »
Parmi les chantiers envisagés, figure celui de pallier l’absence de structures de commandement et de contrôle aux standards Otan, qui empêche un alignement des doctrines transpacifiques, en particulier pour le Japon – la relation bilatérale avec Tokyo étant pourtant désignée comme « pierre angulaire » de la stabilité de l’Asie (47). Le maintien du Japon et de la Corée du Sud hors des Five Eyes (48) empêche le partage du renseignement le plus sensible.
Certains universitaires plaident pour une Charte de l’Indo-Pacifique ou pour la conversion du QUAD en alliance formelle (49). La perspective de voir émerger une Otan du Pacifique demeure éloignée. Il est cependant possible d’adapter les fonctions de l’Otan dans le Pacifique sans en répliquer la forme. Les chercheurs américains Lindsey Ford et James Goldgeier proposent, à ce titre, de privilégier une coalition asiatique resserrée, construite autour des Five Eyes ou du QUAD, et de créer des multi-national staff colleges répliquant le NATO Defense College, favorisant le rapprochement des doctrines (50). Le Japon, la Corée du Sud et l’Australie sont, par ailleurs, déjà des NATO Global Partners (51).
Contre l’agressivité russe, la légitimité de l’Otan renforcée
Face à la posture de plus en plus agressive de la Russie depuis les années 2000, en particulier depuis le retour au pouvoir de Vladimir Poutine en 2012 – bien qu’il ne l’ait jamais véritablement quitté, étant le Premier ministre de Medvedev de 2008 à 2012 –, l’Otan semble avoir retrouvé une raison d’être. Plaidant pour son renforcement, John Deni, professeur au War College à Rhode Island, plaide pour une augmentation substantielle de la présence militaire de l’Otan sur son flanc Est, avec une montée en puissance rapide des présences avancées renforcées (eFP) à 5 000 hommes (52). De même, Eliot Cohen du Center for Strategic and International Studies (CSIS) appelle au maintien d’une présence militaire robuste des États-Unis et au réarmement massif des pays frontaliers, comme la Pologne (53).
L’Otan était tiraillée par des perceptions divergentes des menaces : la Russie, et particulièrement avec la guerre en Ukraine, a permis à ses membres de s’accorder sur l’une d’entre elles. Si plusieurs scénarios existaient concernant l’évolution de l’Otan (continuité, transformation en organisation de sécurité ou encore marginalisation) (54), celui du recentrage sur la fonction de défense collective est à présent le plus probable (55). Il reste à voir dans quelle mesure la Chine pourrait devenir une nouvelle cible pour l’Alliance, qui s’est engagée à traiter de son influence grandissante au Sommet de décembre 2019 (56). En avril 2020, le secrétaire général de l’Otan, le Norvégien Jens Stoltenberg, a chargé un groupe de réflexion de préparer un rapport sur l’avenir (NATO 2030) (57), paru en novembre 2020, qui désigne clairement la menace : « La Chine est comprise comme un rival systémique sur tout le spectre. » Cependant, le rôle que l’Otan pourrait jouer face à la Chine trouve sa limite dans l’article 5 du traité de l’Atlantique nord, qui mentionne « une attaque armée contre un ou plusieurs [membres de l’Otan] en Europe ou en Amérique du Nord » : un conflit dans le Pacifique tomberait, techniquement, hors du cadre otanien.
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Le retour de la compétition stratégique oblige Washington à étoffer et à repenser son système d’alliances. En particulier, l’effort entrepris contre la Chine est perturbé par la persistance de la menace russe, a fortiori depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine. D’où la résurgence d’une inquiétude que l’on croyait disparue depuis le percement du canal de Panama entre 1904 et 1913, à savoir que l’Amérique ne doive livrer bataille sur deux fronts en même temps : dans le Pacifique et dans l’Atlantique. Aussi l’Administration américaine semble-t-elle condamnée à une forme de strabisme : un œil sur Pékin, l’autre sur Moscou. Relever conjointement ces deux défis requerra, sans doute, l’approfondissement et la gestion délicate d’alliances contradictoires, en particulier avec l’Inde, la Turquie et la Pologne. Le retour d’un président Républicain en 2025, voire un revers démocrate aux élections de mi-mandat (novembre 2022), pourraient, enfin, perturber les plans américains, en perpétuant une alternance qui ne facilite pas la mise en œuvre d’une stratégie cohérente à l’horizon de 10 ou 20 ans – un problème inhérent à la vie démocratique, auquel ni Vladimir Poutine, ni Xi Jinping n’ont à faire face. ♦
(1) Clemens Walter C., Jr. America and the World, 1898-2025: Achievements, Failures, Alternative Futures, Palgrave Macmillan, 2000, 255 pages.
(2) Beckley Michael, « The Myth of Entangling Alliances: Reassessing the Security Risks of U.S. Defense Pacts », International Security Journal, vol. 39, n° 4, 2015, p. 7-48 (https://direct.mit.edu/).
(3) « President Bush addresses the Nation », The Washington Post, 20 septembre 2001 (www.washingtonpost.com/).
(4) Jefferson Thomas, « First Inaugural Address », 4 mars 1801 (https://avalon.law.yale.edu/19th_century/jefinau1.asp).
(5) Il fut le sixième président des États-Unis, de 1825 à 1829.
(6) « Celui qui lutte contre les monstres doit veiller à ne pas le devenir lui-même ». Nietzsche Friedrich, Par-delà le bien et le mal, 1886. Adams John Quincy : « [America’s] glory is not dominion, but liberty. Her march is the march of the mind. ». « Speech to the U.S. House of Representatives on Foreign Policy », 4 juillet 1821 (https://loveman.sdsu.edu/).
(7) Jenkins Brian, Britain and the War for the Union, vol. 1, McGill-Queen’s University Press, 1941, 313 pages, p. 223-224.
(8) Monroe James, « Septième message annuel au Congrès des États-Unis », 2 décembre 1823.
(9) Votes de déclaration de guerre officielle à l’Allemagne le 6 avril 1917 et au Japon le 8 décembre 1941 par le Congrès des États-Unis.
(10) Fulbright J. William, The Arrogance of Power, Random House, 1967, 281 pages.
(11) « Qui vit de combattre un ennemi a tout intérêt de le laisser en vie », Nietzsche Friedrich, Humain, trop humain, 1878.
(12) Zorgbibe Charles, « Une brève histoire de l’Otan jusqu’à la fin du XXe siècle », Questions internationales n° 111, janvier-février 2022.
(13) Ravenal Earl C., « Can Non-Intervention Survive Afghanistan? », CATO Policy Analysis, n° 3, 1er juin 1980 (https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=3502989).
(14) Ja Ian Chong et Hall Todd H., « The Lessons of 1914 for East Asia Today: Missing the Trees for the Forest », International Security, vol. 39, n° 1, 2014, p. 19-26.
(15) Brands Hal et Feaver Peter D., « What Are America’s Alliances Good For? », Parameters, vol. 6, n° 1, été 2017, p. 16 (https://press.armywarcollege.edu/).
(16) Smolar Piotr, « Secoués par l’ère Trump, les Européens veulent conforter leur souveraineté », Le Monde, 24 octobre 2020.
(17) D’Alançon François, « L’Otan coincée entre la Turquie et la Grèce », La Croix, 9 septembre 2020 (www.la-croix.com/).
(18) Article 5 du traité de l’Atlantique nord, 4 avril 1949 : « Les parties conviennent qu’une attaque armée contre l’une ou plusieurs d’entre elles survenant en Europe ou en Amérique du Nord sera considérée comme une attaque dirigée contre toutes les parties, et en conséquence elles conviennent que, si une telle attaque se produit, chacune d’elles, dans l’exercice du droit de légitime défense, individuelle ou collective, reconnu par l’article 51 de la Charte des Nations unies, assistera la partie ou les parties ainsi attaquées en prenant aussitôt, individuellement et d’accord avec les autres parties, telle action qu’elle jugera nécessaire, y compris l’emploi de la force armée, pour rétablir et assurer la sécurité dans la région de l’Atlantique Nord. »
(19) Art Robert J., A Grand Strategy for America, Cornell University Press, 2003, 344 pages, p. 205.
(20) Beckley Michael, op. cit., p. 46.
(21) Otan, « Les dépenses de défense des pays de l’Otan (2014-2021) », 31 mars 2022 (https://www.nato.int/cps/en/natohq/news_193983.htm?selectedLocale=fr).
(22) Gavin Francis, « Strategies of Inhibition: U.S. Grand Strategy, the Nuclear Revolution and Nonproliferation », International Security, vol. 40, n° 1, 2015, p. 9-46 (https://direct.mit.edu/isec/article/40/1/9/12108/Strategies-of-Inhibition-U-S-Grand-Strategy-the).
(23) À l’exemple de la Force internationale d’assistance à la sécurité (FIAS) en Afghanistan de 2003 à 2015.
(24) Le 16 septembre 2021, le premier ministre australien, Scott Morrison, a dénoncé un contrat avec le groupe français Naval Group pour l’acquisition de sous-marins à propulsion classique, optant pour des sous-marins à propulsion nucléaire dans le cadre d’un accord de sécurité historique avec Washington et Londres.
(25) Né le 4 août 1961 à Honolulu, Barack Obama a passé quatre années de son enfance en Indonésie. Grosser Pierre, « Le Viêtnam sera-t-il le meilleur allié des États-Unis en Asie ? », Hérodote, vol. 157, n° 2, 2015, p. 82-96 (https://www.cairn.info/revue-herodote-2015-2-page-82.htm).
(26) Stahr Walter, Seward: Lincoln’s Indispensable Man, Simon & Schuster, 2012, 736 pages, p. 453.
(27) Mahan Alfred T., The Problem of Asia and its Effect upon International Policies, Little, Brown and Company, 1900, 186 pages, p. 53.
(28) Expression formulée par le secrétaire d’État John Hay dans l’Open Door Note, datée du 6 septembre 1899.
(29) Holbrooke Richard, « China Makes Its Move », The Washington Post, 27 mai 2005 (www.washingtonpost.com/).
(30) « Text of Obama’s Speech to Parliament », Sydney Morning Herald, 17 novembre 2011 (www.smh.com.au/).
(31) Liff Adam P., « China and the US Alliance System », The China Quarterly, vol. 233, 2018, p. 137-165 (www.cambridge.org/).
(32) US Department of Defense, Sustaining US Global Leadership: Priorities for 21st Century Defense, janvier 2012, 16 pages, p. 2 (www.globalsecurity.org/).
(33) Dans une allocution télévisée le matin du 24 février 2022, le président russe Vladimir Poutine annonçait le début de l’invasion de l’Ukraine par les forces russes.
(34) Harding Brian, « What to Expect From the U.S.-ASEAN Summit », United States Institute of Peace (USIP), 9 mai 2022 (www.usip.org/).
(35) US Department of Defense, « Secretary Blinken to Travel to Australia, Fiji and Hawaii », Press Statement, 4 février 2022 (www.state.gov/).
(36) Blinken Antony, « The Administration’s Approach to the People’s Republic of China », The George Washington University, 26 mai 2022.
(37) The White House, « Indo-Pacific Strategy of the United States », février 2022, 19 pages, p. 4 (www.whitehouse.gov/).
(38) En 2016, les États-Unis ont désigné l’Inde comme « partenaire de défense majeur », désignation exclusive à l’Inde l’élevant au même niveau que les plus proches alliés de Washington et lui permettant l’accès à des technologies de défense sensibles. The White House, « Joint Statement: The United States and India: Enduring Global Partners in the 21st Century », 7 juin 2016 (https://obamawhitehouse.archives.gov/the-press-office/2016/06/07/joint-statement-united-states-and-india-enduring-global-partners-21st).
(39) Bush Richard C., « Why Assurances Matter in U.S.-Taiwan Relations », Brookings, 29 août 2018 (www.brookings.edu/).
(40) Abe Shinzo, Discours « Confluence of the Two Seas », au Parlement indien, 22 août 2007 (https://www.mofa.go.jp/region/asia-paci/pmv0708/speech-2.html).
(41) À l’instar de son abstention lors du vote le 2 mars 2022 à l’Assemblée générale de l’ONU d’une résolution condamnant l’invasion de l’Ukraine par la Russie.
(42) Rendu public en septembre 2021 après des pourparlers secrets, au détriment de l’allié français ayant contracté la livraison de sous-marins à son partenaire australien.
(43) UK Prime Minister’s Office, « AUKUS Leaders’ Level Statement », 5 avril 2022 (https://www.gov.uk/government/news/aukus-leaders-level-statement-5-april-2022).
(44) « A conversation with Jake Sullivan », Council on Foreign Relations, 17 décembre 2021 (https://www.cfr.org/event/conversation-jake-sullivan).
(45) Colby Elbridge, « There’s absolutely no good reason why Europeans shouldn’t provide the bulk of their own conventional defense ». L’armée américaine n’a pas les moyens de répondre efficacement aux défis posés en Europe et au Pacifique, argue-t-il dans un tweet du 20 janvier 2022 (https://twitter.com/elbridgecolby/status/1484157324247904260).
(46) Blinken Antony J., « Speech: Reaffirming and reimagining America’s Alliances », Secretary of State, NATO Headquarters Agora, 24 mars 2021 (https://ru.usembassy.gov/).
(47) Sankey Evan, « Is the U.S.-Japan Alliance Still the “Cornerstone” of Stability in Asia? », The National Interest, 1er mai 2021 (https://nationalinterest.org/).
(48) Coopération prévue par l’accord UKUSA (1946) en matière de partage de renseignement entre le Royaume-Uni, les États-Unis, le Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande.
(49) Johnson Iain D., « An Indo-Pacific Charter: Back to the Basics of Regional Order », Australian Institute of International Affairs, 9 juillet 2020 (www.internationalaffairs.org.au).
(50) Ford Lindsey et Goldgeier James, « Retooling America’s Alliances to Manage the China Challenge », Brookings, 25 janvier 2021 (www.brookings.edu/).
(51) L’Otan coopère individuellement avec chacun de ses neuf « partenaires mondiaux », multipliant depuis 2016 les contacts avec ceux de l’Asie-Pacifique.
(52) Deni John, « Here’s How the Alliance Should Prepare », Politico, 3 avril 2022. (https://www.politico.com/news/magazine/2022/03/04/nato-spread-itself-too-thin-00013933).
(53) Cohen Eliot, « The Strategy that Can Defeat Putin », The Atlantic, 7 mars 2022 https://www.theatlantic.com/ideas/archive/2022/03/strategy-west-needs-beat-russia/626962//).
(54) L’Europe de l’Est défendant une continuité de la focalisation sur l’adversaire russe, la France et les pays méditerranéens appelant à porter une attention plus aiguë aux crises du Sud et les États-Unis plaidant pour le pivot vers l’Asie et le contre-terrorisme.
(55) Tardy Thierry, « L’avenir de l’Otan : scénarios d’évolution », Questions internationales, n° 111, janvier-février 2022, p. 86.
(56) Déclaration de Londres publiée par les dirigeants des pays de l’Otan à leur réunion tenue à Londres les 3 et 4 décembre 2019 (www.nato.int/).
(57) « Otan 2030 : Unis pour une nouvelle ère », 25 novembre 2020 (https://www.nato.int/nato_static_fl2014/assets/pdf/2020/12/pdf/201201-Reflection-Group-Final-Report-Fre.pdf).