Éditorial – Russie-Ukraine : 6 mois de guerre
Lorsque les forces russes pénétrèrent massivement en Ukraine, la sidération nous toucha tous avec la quasi-certitude de la défaite rapide du pays de 40 millions d’habitants contre la puissance russe, forte de ses 140 millions de citoyens et d’une armée qui avait été la priorité de Vladimir Poutine depuis son arrivée au pouvoir au début des années 2000. Personne ne croyait réellement que le régime de Volodymyr Zelensky allait pouvoir résister dans la durée. Au mieux quelques semaines.
Très vite, ce sont les images des longues files de voitures fuyant la capitale ou d’autres villes avec un exode massif vers l’ouest rappelant malheureusement les heures sombres de la Seconde Guerre mondiale. Des villes rapidement prises pour cibles avec des frappes spectaculaires révélant l’éventail des capacités militaires de Moscou.
Brutalement, l’Europe a replongé dans son histoire dramatique tentant à la fois de maintenir un dialogue avec la Russie et d’apporter une aide humanitaire aux populations civiles victimes de l’« opération spéciale militaire » visant à « dénazifier, démilitariser et neutraliser » l’Ukraine. Moscou voulait, en effet, imposer un changement de régime et interdire le rapprochement inexorable entre Kiev et l’Ouest. Moscou voulait réécrire l’histoire et imposer sa vision géopolitique en Europe avec une nouvelle organisation sécuritaire remettant en cause tout ce qui s’était passé depuis novembre 1989 avec la chute du Mur de Berlin.
Et puis, au fil des semaines, au fil d’une actualité dramatique omniprésente, la « Blitzkrieg » planifiée par Moscou s’est enrayée grâce à la ténacité des combattants ukrainiens, certes en infériorité totale, mais bénéficiant du renseignement occidental et d’une première aide militaire axée sur des armements défensifs, mais aussi à cause de mauvais choix du commandement russe surestimant ses forces et surtout sous-estimant son adversaire.
Peu à peu, l’aide occidentale et la résilience de la société ukrainienne, incarnée par son Président, ont enrayé la machine de guerre russe. Les pertes très élevées de part et d’autre ont démontré ce que les combats de haute intensité signifiaient, justifiant de facto les analyses portées par le haut commandement français depuis plusieurs mois sur les évolutions de la conflictualité future.
Parallèlement, l’intransigeance moscovite visant toujours à l’éradication du régime de Kiev ne pouvait que renforcer la détermination des Ukrainiens à se battre contre l’envahisseur, d’autant plus que le retrait forcé des forces russes autour de Kiev allait faire savoir la barbarie de l’occupation avec de nombreuses exactions contre la population dont des exécutions sommaires. Le fossé de haine ne pouvait que s’accentuer, excluant dès lors toute tentative de négociations.
Tandis que Moscou recentrait son offensive sur le Donbass, les pays occidentaux accroissaient leur aide avec des transferts d’armements lourds, dont des systèmes d’artillerie capables de frapper dans la profondeur et donc de réduire le rapport de force toujours en faveur des Russes.
Après 6 mois de guerre, il y a une forme de stabilisation de la ligne de front sur près de 900 km avec trois théâtres d’opérations principaux :
• Au Nord-Est, dans la région de Karkhiv, la deuxième ville du pays, située à une quarantaine de kilomètres de la frontière russe. La ville, pourtant russophone, résiste et semble donc être « punie » avec des bombardements quotidiens.
• Au Centre-Est, dans le Donbass, le cœur industriel de l’Ukraine désormais en grande partie contrôlé par les forces russes, mais au prix de destructions massives et rendant difficile la viabilité économique de la région.
• Au Sud, dans la région de Kherson et la rive gauche du Dniepr, constituant un glacis protecteur pour la Crimée, annexée par Moscou en 2014. Contrôler cette région permet aussi d’étrangler et de menacer en permanence Odessa, le poumon portuaire de l’Ukraine, grenier à blé d’une grande partie du monde.
De fait, après 6 mois d’une guerre majeure, la Russie a échoué dans sa tentative de renverser et d’occuper l’Ukraine. Celle-ci se défend avec héroïsme, mais n’est pas encore en mesure de passer à une phase offensive majeure permettant de libérer les territoires occupés. C’est une impasse stratégique avec un conflit inscrit dans la durée et qui a déjà profondément modifié les équilibres mondiaux.
En effet, une nouvelle guerre froide, voire glaciale, affecte la géopolitique mondiale. Rien ne sera plus comme avant le 24 février 2022. La Russie s’est totalement et durablement coupée du continent européen et un retour à une certaine normalité est peu vraisemblable avant des années. Moscou bénéficie cependant d’appuis informels d’États en Afrique ou en Amérique du Sud, mais aussi en Asie, qui espèrent remettre en cause les rapports de force issus de la fin de la guerre froide. Une recomposition de l’échiquier géopolitique est donc en cours et il est encore difficile d’y voir clair.
De fait, les mois à venir vont être décisifs avec le risque d’un front militaire « gelé » au propre comme au figuré avec l’arrivée de l’hiver d’ici la fin du mois d’octobre et donc d’une reprise probable des combats au printemps 2023. Il va y avoir aussi les conséquences de la crise énergétique pour l’Europe et son aptitude, ou pas, à être résiliente face à l’Ours russe qui alternera menaces et compromis. Certaines opinions publiques européennes pourraient être tentées de demander des négociations avec « Monsieur » Poutine, sous prétexte de leur confort et des questions économiques. Après tout, Daladier et Chamberlain le firent bien à Munich en 1938 avec « Monsieur » Hitler. Les peuples ont hélas pour habitude d’avoir la mémoire courte.
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Après ces 6 mois de guerre, la RDN a souhaité rassembler dans un Cahier toutes les tribunes publiées depuis le 24 février et proposant des analyses sur ce bouleversement du monde. Ce cahier vient ainsi compléter les dossiers publiés dans le mensuel depuis le numéro de mars 2022 et accessibles via Internet. Il ne s’agit donc pas d’une étude à froid, mais plutôt de relire cette séquence en vue de mieux comprendre la suite d’un conflit qui n’est pas près de s’arrêter. ♦