La crise ukrainienne parmi les livres
La guerre qui a éclaté aux premières heures de ce 24 février 2022, a projeté l’attention mondiale sur l’Ukraine, qui certes n’a jamais été inconnue, mais dont l’histoire, la culture et la langue, la politique et les orientations extérieures sont longtemps restées dans l’ombre de son puissant voisin et « pays-frère ». Si les livres sur la Russie et sur Vladimir Poutine abondent depuis déjà plus de vingt ans, beaucoup plus rares sont les ouvrages accessibles permettant de saisir ce qu’est en définitive l’Ukraine ? Qu’est-elle ? Quelles sont ses aspirations ? Quel sera son destin ? D’ores et déjà, deux biographies, écrites dans le vif de l’action, portent sur Volodymyr Zelensky, cet ancien comique devenu un héros shakespearien, incarnant à merveille l’héroïsme de son peuple, qu’il sait décrire et projeter avec des mots simples.
L’Ukraine : une histoire entre deux destins
Bartillat, 2019, 686 pages
Le titre de l’ouvrage de Pierre Lorrain, certainement le plus fourni portant sur l’Ukraine, résume bien le drame actuel. Alors que pour Vladimir Poutine, dans son fameux article du 12 juillet 2021 (1), ne discernait qu’un seul destin possible pour les deux pays, c’est bien de deux dont il s’agit et ils sont entrés en une violente collision. Celle de la liberté et de la démocratie opposée au regain « impérial » d’une Russie à la recherche de sa puissance.
L’Ukraine s’est avérée indispensable à l’empire, Zbigniew Brzezinski, le conseiller à la sécurité nationale de Jimmy Carter (1977-1981), n’avait fait que reprendre ce fait à son compte, ce qu’avait dit Lénine : « Sans l’Ukraine, la Russie perd sa tête ». En 1914, à la veille de la Première Guerre mondiale, l’Ukraine russienne produisait 70 % du charbon, 68 % de la fonte et 58 % de l’acier, sans oublier une grande partie de biens manufacturés. À la révolution de février, l’Ukraine, livrée à elle même, a d’abord voulu se constituer en entité autonome au sein de l’Empire russe, avant de proclamer son indépendance après la prise du pouvoir par les Bolcheviks. Notons au passage, point qui a son importance à la lumière des événements actuels, que Alexandre Kerenski, ministre de la Guerre, s’est déplacé à Kiev pour fixer les limites de l’autonomie ukrainienne : il se mit d’accord avec la Rada ukrainienne pour que celle-ci exerçât son pouvoir intérieur sur les cinq provinces « ukrainiennes », c’est-à-dire la Volhynie, la Podolie, Kiev, Poltava et Tchernigov, mais pas celles situées à l’est, dans les bassins du Donetz et du Don, qui appartenaient à la couronne de la Russie bien avant les partages de la Pologne. Même en novembre 1917, lorsque la nouvelle République nationale d’Ukraine éteindra son autorité sur les cinq provinces négociées avec Kerenski, plus celle de Kharkov, et d’Yekaterinoslavka (c’est-à-dire le Donbass), de Kherson et le nord du gouvernorat de Tauride, la Crimée – qui n’était pas considérée comme une terre ukrainienne – se trouvait à l’écart.
Après bien des vicissitudes, l’Ukraine fut intégrée dans le giron soviétique, le 20 décembre 1922, sa population étant à 80 % ukrainienne, 10 % russe, le reste étant constitué de Juifs, de Polonais, d’Allemands et de Moldaves. Après l’invasion de l’URSS par la Wehrmacht du 22 juin 1941, l’Ukraine devient un des principaux champs de bataille de la Seconde Guerre mondiale avec sa cohorte de collaborateurs de l’Holocauste, ses résistances de natures diverses. L’Ukraine sortit dévastée, mais agrandie de plus de 165 000 km2 – soit un tiers de son territoire d’avant 1939 !
Depuis 2004, le pays se trouve en crise permanente et a connu sept élections (2) avant les présidentielles d’avril 2019 et tous les scrutins montraient une division du pays en deux camps de force égale – division à laquelle Volodymyr Zelensky aura mis fin avec son score de 73,2 % des voix au second tour. Aujourd’hui, la divergence de fond demeure sur l’interprétation à donner aux événements de février 2014, acclamés comme une révolution démocratique à l’ouest et dénoncés comme un coup d’État à l’est. Pierre Lorrain a ajouté, en 2021, une postface à son livre qui couvre les événements jusqu’au début 2021, lorsque la tempête qui devait s’abattre sur les plaines ukrainiennes commençait à amasser ses forces. Toutefois, on trouvera un récit assez fourni de cette chronique de la guerre annoncée dans les deux biographies consacrées à Volodymyr Zelensky.
L’Harmattan, 2022, 396 pages
Dans Ukraine : une histoire en question (2e édition revue et mise à jour), Iaroslav Lebedynsky, spécialiste des anciennes cultures guerrières des steppes et du Caucase qui enseigne l’histoire de l’Ukraine à l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco), s’inscrit, lui, dans une perspective ukrainienne, mais son propos n’est asservi à aucune école historique. Il lui a paru utile de compenser une certaine dissymétrie dans les jugements souvent portés sur les interprétations des points les plus litigieux de l’histoire ukrainienne : la version russe (impériale, puis soviétique, aujourd’hui postsoviétique) est considérée comme normale, la version ukrainienne comme « nationaliste » dès qu’elle s’écarte de la précédente.
Du même auteur, on se référera à son ouvrage Les noms de l’Ukraine à travers l’histoire – Ve siècle av. J.-C.-XXIe siècle ap. J.-C., bien utile sur les appellations successives de ce peuple avant qu’il ne devînt un État. Le nom d’« Ukraine » (ukr. Oukraîna) dériverait d’une racine slave signifiant « limite » et renverrait donc à un territoire frontalier – à l’origine, frontalier du monde nomade des steppes. Cette explication déplaît à certains Ukrainiens qui en avancent d’autres, allant du possible (« territoire délimité ») à l’invraisemblable (« dans le pays »). Quoi qu’il en soit, ce nom est attesté pour la première fois en 1187 pour désigner la région de Péréiaslav, au sud de Kiev. En 1189, il est appliqué à la Galicie méridionale. À l’époque cosaque (XVIe-XVIIIe siècle), il est devenu l’appellation préférentielle de toute l’Ukraine centrale. Adopté par les mouvements patriotiques au XIXe siècle, puis par les États ukrainiens créés à partir de 1917, il a achevé de s’étendre à toute l’Ukraine actuelle au fur et à mesure de l’incorporation à la République socialiste soviétique d’Ukraine des territoires occidentaux (Galicie, Transcarpathie…) en 1945-1946.
L’Harmattan, 2021, 174 pages
L’Ukraine a porté d’autres noms au cours de son histoire. Pour les Grecs et les Romains, elle était la « Scythie », puis la « Sarmatie », européenne, entre Danube au Don. Du IXe au XIIIe siècle, elle a appartenu (sauf les steppes méridionales) à l’empire slave oriental appelé Rous’, qui comprenait également la Biélorussie et des parties de la Russie d’Europe. Ce nom de « Rous », traduit ici par « Ruthénie » pour éviter la confusion avec le concept historique tout différent de « Russie », est resté ensuite, sous diverses formes, attaché durant des siècles à l’Ukraine comme aux autres pays slaves orientaux.
L’Ukraine pourrait être définie comme un pays d’Europe « centre-orientale ». Les Ukrainiens parlent une langue slave du groupe oriental, qui comprend aussi le biélorussien et le russe. Le pays est très majoritairement de tradition chrétienne orthodoxe (3). D’un autre côté, les régions occidentales comprennent des populations catholiques et ont des liens étroits avec les pays limitrophes. L’Ukraine forme ainsi une zone de transition entre Europe centrale et orientale. Une idée chère à certains cercles russes – et, à un moindre degré, polonais –, répandue aussi en Occident, veut qu’il n’y ait pas de vraie Ukraine, mais deux ensembles différents artificiellement combinés. Il y aurait une Ukraine occidentale, marquée par son appartenance à la Pologne et à l’Autriche-Hongrie, catholique et orientée vers l’Europe centrale ; et une Ukraine orientale, orthodoxe, profondément russifiée, regardant vers l’est. Cette présentation des choses exagère les caractéristiques des régions ukrainiennes les plus éloignées entre elles. Certes, ces caractéristiques existent ; elles sont le fruit de l’histoire. Néanmoins, cette diversité ne signifie pas qu’il n’existe pas de vraie Ukraine. D’une part, on n’est pas en présence de deux blocs nettement définis, mais d’une gamme complexe de situations. Outre l’ouest et l’est extrêmes, il y a une zone centrale sur les deux rives du Dniepr, qui est le noyau historique de l’Ukraine et dont le caractère ukrainien est incontestable. D’autre part, l’Ukraine est un État à base ethnique, c’est-à-dire qu’il existe parce qu’existe un peuple ukrainien. Celui-ci est majoritaire sur tout le territoire, à l’exception de la Crimée et de petites parties des régions limitrophes de la Hongrie et de la Russie, et représente aujourd’hui presque 80 % de la population. Même si la langue et la culture ukrainiennes sont diversifiées, elles présentent une unité fondamentale sur l’ensemble de leur aire et varient plutôt du nord au sud. La population de l’Ukraine comprend une majorité d’Ukrainiens ethniques (77,8 % en 2001) et d’importantes minorités.
Ukraine-Russie : la carte mentale du duel
Gallimard, 2022, 64 pages
Dans cet opuscule bref mais percutant, le géographe Michel Foucher, qui a arpenté la région et a été ambassadeur à Riga (2002-2006), en s’appuyant sur une citation de l’ancien président tchèque Vaclav Havel de 2005, décrit les enjeux de ce duel fratricide et mortifère qui se joue sur les terres ukrainiennes. Enjeu politique dans le monde post-communiste, avec la mise en place d’un régime démocratique dans un pays qui n’avait pour ainsi dire jamais fait l’expérience historique. Enjeu « impérial » visant à entreprendre la conquête, qualifiée de « libération », d’une partie orientale et méridionale de l’Ukraine, à défaut de pouvoir tout absorber sous la houlette d’un gouvernement fantoche clone d'Alexandre Loukachenko en Biélorussie (président depuis 1994). Enjeu du contrôle enfin de cet espace de la Baltique à la mer Noire autour et tout au long duquel s’est constituée la Rus’ de Kiev, berceau de l’Ukraine et de la Russie, zone vitale tant de la Russie des tsars qu’à la Russie actuelle. En réalité, cet isthme Baltique-mer Noire a été constamment le théâtre de luttes de pouvoir entre puissances (Suède, Pologne, Turquie, Allemagne, Empire russe) et ce n’est nul hasard si l’on retrouve aujourd’hui ces pays concernés, à un titre ou à un autre, par la guerre actuelle. Terres de confins et de glacis, l’Ukraine l’a été et le reste dans une certaine mesure, avec des racines slaves « u » – « près de » – et « kraï » – marche, limite. Marche en bordure de la steppe, ligne de partage entre sédentaires et nomades. Sans y répondre, Michel Foucher s’interroge sur les voies de sortie du duel. Entre défaite et victoire de chacun des acteurs, la voie est étroite : passera-t-elle par l’escalade vers laquelle on semble se diriger chaque jour davantage ?
L’Harmattan, 2022, 418 pages
Dans Géopolitique de l’Ukraine : De la perestroïka gorbatchévienne à 2022 – Les douze failles internes de l’Ukraine indépendante, paru tout récemment, François Grumel-Maquignon met l’accent sur « ce qui ne marchait pas » en Ukraine, souvent depuis l’indépendance, et qui, à ses yeux, a justifié l’intervention du 24 février. En clair, ce sont les faiblesses et les divisions au sein de l’Ukraine qui auraient incité Vladimir Poutine à franchir le Rubicon. On verra, comme il l’admet lui-même, si ses hypothèses se réalisent. En tout cas, cela ne doit pas induire en erreur le lecteur : il ne constitue en rien une prise de position pro-russe ou une justification a posteriori des événements dramatiques actuels du style « Ça devait arriver, c’était inévitable », mais plutôt une tentative d’appréhender la difficulté pour une nation en gestation de quitter en douceur un empire. Un processus vécu par bien d’autres pays, à commencer par l’Irlande vis-à-vis de celui créé par les Britanniques. Ce deuxième tome (4) traite ainsi des douze failles majeures internes objectives de l’Ukraine, perceptibles dès 1991 :
– « Une indépendance acquise de manière ambiguë (1986-1991) ».
– « Une Constitution doublement déficiente : chronologie de sa mise en place.
• Le choix d’un État-nation centralisé à la française, inadapté à la diversité du pays.
• Une définition trop floue des rapports entre pouvoirs exécutif et législatif ».
– « Un système politique et économique délétère ».
– « Une société déboussolée ».
– « Une nation à peine ébauchée : des “Ukraine” plus qu’une Ukraine ».
– « Une nation à peine ébauchée : l’âpre lutte pour établir une histoire commune spécifique et assumée comme telle ».
– « Une nation à peine ébauchée : la [trop] grande proximité humaine entre Ukrainiens et Russes, incarnée par l’omniprésence de la langue de ceux-ci ».
– « Une nation à peine ébauchée : des minorités linguistiques non russes, faibles, mais gênantes au niveau des principes ».
– « Une nation à peine ébauchée : l’absence d’un socle ecclésial unifié ».
– L’impasse stratégique de 1991 à 2014 et sa correction partielle après la perte de la Crimée et d’une partie du Donbass ».
– « Des frontières incertaines et difficilement défendables ».
Ce qui est évidemment paradoxal, c’est qu’en dépit de tous ces nombreux handicaps, l’Ukraine a si bien résisté au rouleau compresseur russe et a fait preuve d’une telle cohésion et d’un tel héroïsme. C’est donc que ces handicaps ont été soit grandement surestimés, soit savamment utilisés. Il est vrai que tout État en guerre oublie ses divisions, mais il est assuré qu’au sortir de celle-ci c’est à une tout autre Ukraine que l’on aura affaire.
Dictionnaire amoureux de l’Ukraine
Plon, 2022, 418 pages
Tetiana Andrushchuk et Danièle Georget ont rédigé à la hâte, mais avec passion, ce parcours plus culturel que politique, plus humain qu’économique qui restitue l’Ukraine dans toute son épaisseur et sa vérité. Ce conflit fratricide aura fait découvrir l’Ukraine, son histoire, sa physionomie, sa culture, ses richesses, longtemps dissimulées ou occultées. Pourtant, les Français ont entretenu de longue date des rapports étroits avec l’Ukraine, depuis Anne de Kiev, qui devint, en 1051, l’épouse du roi Henri Ier. Après leur mariage à Reims, alors que le souverain français en forme de signature n’a apposé qu’une croix, son épouse, elle, a calligraphié avec précision son nom.
Le premier géographe de l’Ukraine, auteur d’une Description de l’Ukraine, en 1660, est Guillaume Le Vasseur, sieur de Beauplan (1595-1685). L’œuvre de Beauplan restera longtemps le seul ouvrage de référence sur cette partie de l’Europe, étudiée par les diplomates de Louis XIV à ceux de Napoléon. Évoquant les Tatars qui séparaient le mari et la femme, les parents et les enfants pour les amener en Turquie ou en Crimée, il décrit les pleurs et les gémissements de ces malheureux Rus, « Car cette nation chante en pleurant… ». Néanmoins, c’est Voltaire qui a parlé le mieux de l’Ukraine dans son Histoire de Charles XII, roi de Suède : « L’Ukraine a toujours aspiré à être libre, mais entourée de puissants voisins, elle devait chercher un protecteur, et donc un maître ». Sans le charme de Marie Walewska, Napoléon aurait peut-être suivi son idée de Napoléonide, nom que sur recommandations de Boissy d’Anglas (1756-1826), il voulait conférer à un État cosaque indépendant – pour affaiblir l’Empire russe, plutôt que d’embrasser la cause polonaise (5). N’a-t-on pas retrouvé cette idée chez bien des conquérants, chefs d’État, désireux d’affaiblir l’ours polaire. Là est bien le drame qui n’a cessé d’alimenter les rapports entre Moscou et Kiev, entre Grands et Petits Russiens, entre aspiration à l’Europe et attachement au monde russe. Relevons que Prosper Mérimée fut l’écrivain le plus amoureux de l’Ukraine. Il a consacré deux livres aux Cosaques et il pouvait confier : « Je suis un Cosaque ! ».
Volodymyr Zelensky, le comique devenu héros
Éditions du Rocher, 2022, 246 pages
« Raconter la vie d’un homme alors qu’il est en train d’écrire certaines des pages les plus marquantes de son histoire a quelque chose d’absurde. L’effort consistant à vouloir saisir ce qui nous fascine le plus, à savoir son présent, est voué à l’échec » commence par écrire Gallagher Fenwick dans Volodymyr Zelensky, L’Ukraine dans le sang. Pourtant, deux biographies déjà sont parues sur cet homme de quarante-cinq ans qui a étonné le monde, par son courage, son immense talent de communication et surtout la façon très directe dont il symbolise l’héroïsme de son peuple. En tant qu’homme politique, il a plus progressé en trois semaines, qu’en presque trois ans de pouvoir.
Grasset, 2022, 218 pages
La plupart des discours du Serviteur du peuple, quelle prémonition !, ont été publiés dans Pour l’Ukraine : « Hommes et femmes, nos défenseurs ! Vous défendez brillamment notre nation contre l’un des plus puissants pays au monde. Aujourd’hui, la Russie attaque le territoire entier de notre État. Et aujourd’hui, nos défenseurs ont fait beaucoup. Aujourd’hui, j’ai demandé aux vingt-sept dirigeants de l’Europe si l’Ukraine sera intégrée dans l’Otan. Je l’ai demandé directement. Mais tout le monde a peur. Ils ne répondent pas. Nous ne craignons pas la Russie. Nous ne craignons pas de tout envisager à propos des garanties sécuritaires de notre État. Nous ne craignons pas de parler d’un statut de neutralité. Nous ne sommes pas dans l’Otan. Mais le principal étant : quelles garanties sécuritaires vont nous être données ? Et quels pays spécifiquement nous les donnerons ? » (25 février). « Cela fait quinze ans que je produis des messages, je me vois comme un professionnel dans ce domaine, capable de faire passer ça au niveau de l’État », confiait-il en mars 2021. Depuis avec brio et constance, il a su mettre en œuvre son talent. Parlant au Congrès américain, il évoque Pearl Harbour et le 11 septembre 2001 ; à l’Assemblée nationale et au Sénat, Verdun ; aux Japonais, Tchernobyl. À ses compatriotes, il dit : « Ils bombardent nos monastères, nous soignons leurs prisonniers ». Les formules éclatantes se succèdent, « J’ai besoin d’armes, pas de taxi », « La liberté doit être mieux armée que la tyrannie », « Les principes valent plus que les profits ».
Robert Laffont, 2022, 196 pages
Dans Volodymyr Zelensky – Dans la tête d’un héros, Régis Genté et Stéphane Siohan campent le portrait d’un homme devenu exceptionnel et décrivent son parcours peu commun depuis la création en 1995 avec un groupe de copains, de sa compagnie de spectacles Kvartal 95, qui a connu le succès que l’on sait, non seulement en Ukraine mais aussi en Russie, qui fut un moment son meilleur marché. Avec Zelensky, nous assistons, écrivent-ils, à l’avènement du dernier État-nation d’Europe, lequel connaît une sorte de baptême du feu en se confrontant à son ancienne puissance tutélaire impériale. Alors que jusqu’à présent beaucoup d’analystes avaient adopté une grille de lecture binaire de la société ukrainienne – d’un côté les Ukrainiens de l’Est, russophones et qui seraient pro-russes, et de l’autre, leurs concitoyens de l’Ouest, ukrainophones, donc pro-occidentaux –, ces lignes de clivage sont de plus en plus obsolètes. Dorénavant le clivage est générationnel et il oppose les partisans d’un ancrage à l’Ouest aux tenants des nostalgiques de l’empire soviétique. Dans le contexte de la guerre actuelle que nous observons chaque jour comme à la loupe, la figure héroïque de Zelensky apparaît clairement aux yeux du public occidental, pas habitué à voir un chef d’État démocratiquement élu, obligé de prendre des décisions qui engagent la vie et la mort de tous ses concitoyens. Le fait que les responsables politiques européens se pressent désormais à Kiev est révélateur, sans doute parce que le courage personnel de Zelensky remet en question les consciences d’Européens qui voient revenir sur le continent le spectre de la guerre et s’interrogent sur l’attitude qu’ils adopteraient dans une telle situation.
Seghers, 2022, 120 pages
Enfin, les éditions Seghers viennent de republier, Notre âme ne peut pas mourir, poèmes du grand poète Taras Chevtchenko, né serf en 1814 et mort en 1861 – année de l’abolition du servage en Russie –, un des grands créateurs de la langue ukrainienne et auteur d’une œuvre titanesque dans les genres les plus divers. Cet homme au courage indomptable, à la volonté de fer, qui a passé sa vie à dénoncer la dictature qui le persécutait au jour le jour, est aujourd’hui considéré comme un poète et un héros national. L’intérêt de cette réapparition est qu’il s’agit d’un recueil publié en 1964 avec l’aide du Parti communiste français et celle de l’URSS. Son œuvre pouvait être récupérée par l’idéologie soviétique. En effet, il appelait à construire une Ukraine nouvelle, non pas contre la Russie en tant que telle, mais contre la Russie impériale, et pouvait donc passer pour un précurseur de la Révolution. C’est bien parce qu’il a fustigé la « prison de peuples » que fut l’Empire des tsars, que Lénine a accordé aux nouvelles républiques constitutives de l’URSS (instituées en décembre 1922) le droit à sécession – un droit violemment contesté par Vladimir Poutine, et qui se situe à la source du drame actuel. Les paroles de Chevtchenko résonnent avec force. Il veut une Ukraine indépendante. Il appelle le peuple à s’unir, à lutter. « Levez-vous ! », « Fraternisez ! », « Brisez vos chaînes ! », « Aiguisez la hache ! ». ♦
(1) « Sur l’unité historique des Russes et des Ukrainiens » (http://kremlin.ru/events/president/news/66182).
(2) Élections présidentielles en 2004 (avec deux seconds tours), en 2010 et en 2014 (victoire de Pétro Porochenko dès le 1er tour) ; et élections législatives de 2006, 2007, 2010 et 2014.
(3) NDLR : Paparella Ivo, « Ukraine, Russie et Églises orthodoxes : enjeux géopolitiques (Tribune n° 1036), RDN, 7 septembre 2018, 6 pages (https://www.defnat.com/e-RDN/vue-tribune.php?ctribune=1120).
(4) Le 1er tome s’intitulait Géopolitique passée et présente de l’Ukraine, Connaissances et Savoirs, 2018, 413 pages. Un troisième tome est « destiné à couvrir le rôle d’enjeu international de ce pays et s’achevant par une analyse prospective. » (3e de couverture du 2e tome).
(5) Andrushchuk Tetiana et Georget Danièle, Dictionnaire amoureux de l’Ukraine, 2022, les Français et l’Ukraine, p. 153.