L’idée de se faire la guerre entre puissances paraît corsetée, diminuée dans ses capacités d’expression maximale par l’étouffoir rationnel de la dissuasion nucléaire et amputée aussi par le fait que les coups pouvaient être portés par des stratégies hybrides qui contournent les champs de bataille. Et pourtant, les pays du monde entier ne cessent de s’équiper en armement dernier cri. C’est tout simplement que la perspective de la guerre reste un élément clé des rapports de force. En revanche, ce sont ses modalités qui ne cessent d’évoluer au gré des idées et des techniques. Cet article aborde deux aspects de la guerre qui se profile : son instantanéité croissante qui soumet les dirigeants à une urgence inédite et son évolution conceptuelle qui préfigure de nouveaux déséquilibres dans les affrontements.
L’urgence du temps : instantanéité et nouvelles formes de guerres conventionnelles
« Today, the Atomic Scientists moves the hands of the Doomsday Clock. It is 100 Seconds to Midnight. »
« We are now expressing how close the world is to catastrophe in seconds—not hours, or even minutes. »
Bulletin of the Atomic Scientists, 23 janvier 2020
L’idée de se faire la guerre entre puissances paraît corsetée, diminuée dans ses capacités d’expression maximale par l’étouffoir rationnel de la dissuasion nucléaire et du vide infernal dans lequel aucun esprit humain ne souhaite se jeter. Amputée aussi par l’idée que les coups pouvaient être portés par d’autres actions modernes et astucieuses – hybrides dit-on – qui contournent les règles établies et évitent les champs de bataille sanglants ; paralogisme postulant par la même occasion un rejet de la guerre par des peuples conscients et par des économies imbriquées. Et pourtant, les pays du monde entier ne cessent de s’équiper en armement dernier cri. C’est tout simplement que la perspective d’un affrontement reste un élément-clé des rapports de force ou bien comme l’analysait justement le père Lacordaire, que « la guerre est l’acte par lequel un peuple résiste à l’injustice (1) », fût-elle fantasmée. L’éventualité de la violence est donc invariable et ce sont plutôt ses modalités qui ne cessent d’évoluer au gré des idées et des techniques.
Cet article aborde deux aspects de la guerre conventionnelle qui se profile : son instantanéité croissante qui soumet les dirigeants à une urgence inédite et son évolution conceptuelle qui préfigure de nouveaux déséquilibres dans les affrontements.
L’écrasement théorique des possibilités de la guerre conventionnelle
Le couvercle de la dissuasion
« Pour ceux qui tenteraient d’interférer [avec son armée], ils doivent savoir, que la réponse de la Russie sera immédiate et conduira à des conséquences que vous n’avez encore jamais connues. »
Vladimir Poutine, le 24 février 2022.
Depuis que la bombe nucléaire est devenue arme de dissuasion, les objectifs de guerre n’ont jamais visé les intérêts vitaux des nations nucléaires (2). Face à un pays doté, aucun acteur rationnel n’a pris le risque pour son pays ni la responsabilité devant l’humanité d’un dénouement infernal en riposte à un calcul aventureux. On peut d’ailleurs attribuer un autre caractère bénéfique aux doctrines de dissuasion contemporaines : celui de contraindre l’équation de l’agresseur par le seul fait que le seuil d’emploi de l’arme nucléaire est décidé par le défenseur. Face à l’incertitude du risque d’emploi, le niveau de retenue peut alors devenir quasi absolu, ce que le général Poirier traduisait par « la vertu rationalisante de l’atome (3) ». Aujourd’hui, 55 % de la population mondiale, et plus exactement les onze premières puissances économiques mondiales, bénéficient d’une dissuasion nucléaire nationale ou d’un parapluie nucléaire (cf. Figure 3) qui écartent le risque d’une confrontation violente.
Le rétrécissement des buts de guerre
L’histoire récente montre qu’aucun pays ne soumet définitivement l’intégralité d’une autre Nation, d’un autre peuple, par la force. Les annexions de cette nature étant vaines, la guerre est donc cadrée par d’autres objectifs politiques qu’elle soutient lorsque le dialogue pacifique entre les futurs belligérants est épuisé (4). Plus largement, la suprématie de la politique peut aussi modérer les raisons de faire la guerre, ce qui, par extension, limite les buts de guerre. En effet, la prééminence de la négociation sur la guerre intègre des facteurs économiques et démocratiques qui renforcent les raisons de la retenue militaire. Comme le souligne le général Durieux, « les vertus du doux commerce de Montesquieu (5) » rappellent que les intérêts économiques s’interpénètrent. La « théorie de la paix démocratique (6) » développée par Emmanuel Kant soutient, quant à elle, que des citoyens qui paient dans leurs chairs les conséquences de la guerre sont peu enclins à soutenir un aventurisme violent. Pour que la guerre survienne, il faut qu’elle dépasse donc ces trois calculs – la politique, l’économie, les conséquences physiques d’une occupation illégitime – ce qui s’est déjà produit dans le passé lorsque le contentieux est d’une gravité supérieure, lorsque l’idéologie prédomine et lorsque les calculs gains/risques d’un belligérant sont erronés. Ces trois facteurs n’empêchent pas la guerre mais sont des freins qui réduisent les buts de guerre et donc le recours à la guerre.
L’écrasement par le bas : les stratégies indirectes
Les stratégies indirectes non-militaires n’enterrent pas non plus l’hypothèse d’une guerre conventionnelle mais réduisent son occurrence.
La doctrine Guerassimov (7) établit que la guerre non linéaire est la combinaison de la coercition militaire et de modes d’action opérant dans des domaines variés comme l’économie, la technologie, la diplomatie, etc. En réalité, l’hybridité et la guerre se complètent même et se nourrissent en permanence : il n’y a pas d’engagement conventionnel qui n’ait de volets hybrides et il n’y a pas d’action indirecte qui ne soit potentiellement source de contentieux et donc d’escalade. Cependant, tant que les stratégies hybrides peuvent s’appuyer sur des alternatives plus efficaces que l’action cinétique, alors l’occurrence des guerres conventionnelles diminue. C’est en ce sens que les actions indirectes « réduisent » par le bas l’espace des affrontements cinétiques.
La perte d’épaisseur et de profondeur des armées conventionnelles
Enfin, dans l’espace contraint d’expression de la guerre conventionnelle précédemment décrit, on constate que les trente dernières années ont également façonné des armées aux formats réduits. Trois caractéristiques définissent ces évolutions :
• Une baisse historique des investissements budgétaires consacrés aux outils de défense, notamment dans les pays occidentaux. Entre la chute de l’URSS et l’intervention en Afghanistan de 2001, la part du PIB consacré aux dépenses militaires a diminué d’environ 30 % en France et de 40 % aux États-Unis.
• L’adaptation des forces conventionnelles vers des modèles professionnalisés et réduits, afin de résoudre l’équation de la technicité croissante et d’une capacité de projection avec un faible délai (8).
• La diminution des « ordres de bataille » induite par la hausse du coût unitaire des équipements, théorisée par la loi d’Augustine (9). Les armées modernes sont sommées d’accompagner la révolution des affaires militaires pour conserver une avance technologique, synonyme de crédibilité aux yeux des compétiteurs et d’interopérabilité pour leurs alliés.
L’adaptation à la baisse des formats des armées a été consentie politiquement, subie technologiquement et traduite, en particulier en Occident, en des modèles d’armées où des logiques d’efficience économique et de préservation industrielle ont également été appliquées.
La première conséquence de cette situation est temporelle : les armées ont perdu leur « épaisseur », leur capacité à durer en cas d’engagement intense. Ce phénomène est aggravé par un stock limité de munitions et par la complexité des matériels qui empêche leur renouvellement dans des délais courts : huit ans seraient nécessaires pour renouveler le parc des matériels militaires américains existants en cas d’attrition (10).
L’autre aspect de cette contraction est spatial : les armées sont incapables de tenir de vastes théâtres. En Ukraine, le ratio d’occupation avec 150 000 soldats russes est de 3,4 soldats pour 1 000 habitants. Il était de 89,3 dans l’Allemagne occupée par les Alliés en 1945 et de 19,3 pour les forces de l’Otan au Kosovo en 2000 (11).
Et pourtant, les budgets d’équipements militaires conventionnels s’envolent
À mesure que les espaces d’expression de la guerre conventionnelle diminuent, les efforts pour la faire augmentent. Selon le rapport 2020 du Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI), la hausse des budgets d’armement dans le monde était de 2,6 % en 2020 (12) alors que le PIB mondial diminuait de 4,4 % (13). Par ailleurs, il apparaît qu’en dépit de l’émergence des nouvelles formes de conflictualité, l’investissement dans les capacités cinétiques reste incomparablement supérieur à celui consacré aux systèmes de lutte immatériels. Sur les 770 milliards de dollars du budget fédéral américain pour la défense en 2022, seulement 1,4 % est consacré au domaine cyber (14). Les outils d’affrontement entre les pays conservent donc une ossature majoritairement cinétique.
Figure 1 – L’écrasement théorique des possibilités de la guerre conventionnelle et l’évolution de ses modalités.
Tel est le paradoxe qui se profile : les possibilités de conflictualité sont rognées par le haut par la dissuasion, par le bas par d’autres modes d’action, en épaisseur par la réduction des formats, et pourtant la typologie des dépenses d’armement montre que l’affrontement cinétique est toujours celui qui est préparé. À cela s’ajoute la grande difficulté à apprécier l’intentionnalité des agresseurs. Le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, déclarait le 21 janvier 2022 : « [il y avait] un certain niveau de prévisibilité dans la façon dont la guerre froide existait. Ce que nous avons aujourd’hui est beaucoup plus chaotique, beaucoup moins prévisible, nous n’avons pas d’instruments […] (15). » L’espace d’expression consacré à la guerre cinétique comporte donc aujourd’hui une forme « d’explosivité ». Elle se traduit par une mutation de la conflictualité, plus incertaine et qui ressort en particulier de nouveaux facteurs d’instantanéités d’origines politiques, technologiques et géostratégiques.
L’explosivité des nouvelles stratégies militaires : la somme de l’intensité et de l’instantanéité
« Dans son commentaire de Clausewitz, Raymond Aron affirmait que le théoricien prussien avait nié les vertus stratégiques du temps en tant que tel. Cette affirmation se limite aux guerres d’anéantissement (…) Après avoir été les bénéficiaires de sa suspension, nous sommes maintenant soumis à son urgence (16). »
Cette analyse d’une « urgence du temps » se traduit par une double évolution : plusieurs facteurs accélèrent le tempo vers la guerre alors que d’autres accélèrent le tempo dans la guerre (figure 4).
La première cause de l’accélération du rythme est liée aux progrès technologiques et doctrinaux qui rapprochent l’instant du feu et augmentent la vitesse d’attrition
L’innovation rebat, en effet, les cartes des efficacités militaires au bénéfice essentiel du facteur temps et selon deux axes : celui d’une mutation technologique de la guerre qui s’automatise et s’accélère, et celui de l’optimisation croissante des doctrines d’emploi des systèmes existants.
Sur l’axe des mutations technologiques, la vitesse et la portée rétrécissent les champs de bataille
La prolifération des missiles de croisière et notamment de l’hypervélocité raccourcit les délais et les distances. Le missile DF17 chinois, capable d’évoluer à 7 000 km/h, place la base américaine de Guam à vingt minutes de vol des côtes chinoises. En mars 2022, des missiles russes Kinjal ont été tirés à grande distance pour frapper des objectifs situés dans l’ouest de l’Ukraine quelques minutes plus tard (17). Avec le rétrécissement du temps de l’action et l’augmentation des portées, ce qui était autrefois du domaine de la profondeur stratégique est désormais accessible au niveau tactique. L’automatisation croissante des systèmes déployés sur les champs de bataille accélère également cette tendance. C’est l’axe principal de développement des systèmes droniques armés qui en combinant des capacités d’observation, de classification et de frappe, accélèrent les processus de ciblage. Enfin, les armes à énergie dirigée qui fonctionnent à la vitesse de la lumière devraient constituer dans un avenir proche une ultime forme d’accélération du feu.
Sur l’axe de l’optimisation tactique, les outils modernes du combattant augmentent la saturation du feu, améliorent la combinaison des moyens et accélèrent le tempo dans la guerre
Le lien entre les conflits de haute intensité, le durcissement des affrontements et le degré élevé d’attrition des forces a été récemment exposé dans deux rapports du Sénat et de l’Ifri (18). Toutefois, c’est surtout la vitesse d’attrition qui croît. Cette usure rapide des forces est la résultante du rapport entre les faibles effectifs disponibles et l’utilisation d’armes plus puissantes et précises, de plus en plus disséminées comme les drones tactiques et les missiles antichars portés par l’infanterie. La loi d’Augustine augmente donc la vitesse d’attrition et, se faisant, accélère l’issue du combat. Lors de la guerre du Kippour, le taux de pertes égyptien était de 0,8 % par semaine de combat. Au Haut-Karabagh (19), ce chiffre a atteint 3 % des effectifs engagés (20) par semaine de combat. En seulement trois mois de conflit sur le sol Ukrainien, les pertes russes ont atteint celles enregistrées par l’URSS après neuf années d’intervention en Afghanistan (21).
Les champs de bataille du Haut-Karabagh, de Syrie et les opérations israéliennes mettent également en évidence une maîtrise grandissante des combinaisons d’effets qui contribuent à la prise d’avantages tactiques notables. L’emploi coordonné de systèmes à bas coût permet des effets de saturation et de simultanéité qui accélèrent le tempo des opérations. En 2020, une seule semaine a suffi aux forces azéries pour désorganiser les lignes de défense arméniennes, en préalable à l’offensive terrestre.
Le perfectionnement des stratégies militaires est la seconde raison de l’accélération du rythme
L’instantanéité se nourrit aussi d’un art opératif de plus en plus abouti. On peut notamment établir que l’association des cinq effets suivants contribue à la surprise et à la fulgurance d’une opération offensive :
• La capacité à mobiliser massivement des moyens interarmées et à les déplacer dans des délais courts contribue à la concentration initiale des feux et donc à une manœuvre rapide.
• La capacité à les articuler sur de vastes théâtres avant l’engagement permet d’opérer sur plusieurs axes simultanément et accélère le rythme dans la guerre.
• La guerre électronique et les capacités cyber peuvent retarder la perception du lancement d’une opération et désorganiser la défense, ce qui contribue à la fulgurance.
• L’association des services secrets à un niveau de planification stratégique permet l’utilisation de la tromperie (22) à grande échelle. Elle génère une désinformation (23) utile pour surprendre l’adversaire et gêner la compréhension des enjeux par la communauté internationale.
• Enfin, la capacité à articuler les forces conventionnelles et les forces de dissuasion soutient les stratégies de fait accompli en réfrénant une réaction immédiate d’autres puissances stratégiques.
L’exercice russe Zapad en 2017 comportait déjà plusieurs de ces aspects, concentrait aussi plus de 100 000 hommes et mettait déjà le Kremlin en situation de mener une opération militaire d’envergure, dans un « voisinage proche » de la Russie et comportant un risque élevé (24). On y trouve les constituants d’un fait accompli. Les Occidentaux s’étaient depuis lors accoutumés à la convocation annuelle de forces considérables à leurs frontières. Ce n’est plus l’existence même des armées, le « fleet in being » de l’amiral américain Mahan, qui est la norme des menaces russes et chinoises mais la perspective immédiate de leurs emplois, une forme de threat in being que seule une « gâchette » politique sépare de la guerre.
La réactivité rapproche la mobilisation de l’emploi du feu
Sur un plan plus technique, la mobilité accrue des forces est aussi un facteur d’instantanéité parce qu’elle rapproche une mobilisation de l’emploi du feu. Plusieurs grandes puissances ont entrepris une adaptation de leurs forces armées visant à les rendre davantage mobiles sans compromettre la puissance des unités de combat. Par exemple, la structure organique des unités russes intègre en permanence des capacités logistiques qui lui confèrent une capacité d’ubiquité élevée sur l’étendue de la Russie. Les Russes ont démontré chaque année lors des grands exercices Zapad (ouest), Vostok (est), Tsentr (centre) et Kavkaz (Caucase) leur capacité à acheminer rapidement des forces depuis chacune des grandes régions militaires, de l’Ouest à la région de Vladivostok. La capacité de réactivité ainsi obtenue par l’armée russe est considérable (25). La réactivité ne présage ni de l’endurance d’une armée ni de la réussite d’une opération offensive comme semblent le montrer les opérations russes en Ukraine. Toutefois, le simple fait que des forces armées puissent être mobiles rapidement « avant la guerre » les rend convocables plus aisément dans des stratégies d’affirmation de la puissance. C’est d’ailleurs un des axes de modernisation de l’Armée populaire de libération (APL, Chine) avec notamment le renforcement des capacités expéditionnaires dans le domaine aéronaval.
Le couplage politico-militaire rapproche la perspective de l’affrontement, de la guerre elle-même
En Russie, en Chine et en Turquie par exemple, la force militaire n’est pas un ultima ratio. Son emploi décomplexé est devenu un outil plus politique que jamais, disponible instantanément et sollicité régulièrement pour faire peser une menace à des fins de règlement de contentieux. Le politologue russe Vladimir Pastoukhov analyse ainsi que « le but [de la mobilisation des armées] n’est pas la guerre mais la tension créée par la menace de la guerre (26) ». C’est la stratégie également suivie par la Chine qui, à mesure qu’elle réarme, amplifie la pression militaire sur Taïwan et en mer de Chine méridionale (27). La perspective de la guerre devient alors une modalité permanente de la politique, et relève d’une dialectique qui peut avoir les mêmes variations que l’affrontement lui-même.
Or, la convocation à haute dose de la puissance militaire comme menace présente trois risques :
– celui de s’auto-convaincre que l’adversaire va systématiquement faire machine arrière, ce qui peut déboucher sur une escalade dans le cas contraire pour réaffirmer sa volonté ;
– le risque d’une perte de distanciation quant à l’emploi de la force (celle-ci étant immédiatement disponible)
– et enfin, la possibilité d’une bascule par méprise vers un déchaînement supérieur.
Figure 2 – La réactivité accrue des forces et l’accoutumance augmentent l’instantanéité du passage à l’acte.
S’ajoute à cela l’idée que les nouvelles performances militaires et les effets hybrides permettraient d’atteindre ses objectifs à moindre risque avec une « guerre éclair ». C’est bien en cela que la convocation systématisée de la puissance militaire comme menace augmente le facteur d’instantanéité, en connectant directement l’intentionnalité politique à des forces armées prêtes à agir.
Enfin, les espaces situés entre les grands pôles stratégiques mettent les puissances militaires en bordure d’un engagement et augmentent le facteur d’instantanéité
Qu’on aborde cette question sous les angles géopolitiques, géoéconomique ou géostratégique, la surface terrestre est multipolaire et antagoniste. Les espaces situés entre les grands pôles stratégiques, qu’ils soient frontaliers ou libres comme les espaces aériens et maritimes, sont des lieux de convoitise et des « domaines de mobilité » selon l’analyse de l’amiral Labouérie (28). Des forces considérables s’y toisent ou sont mobilisables rapidement amplifiant ainsi le caractère d’instantanéité précédemment décrit en cas de résurgence d’un affrontement conventionnel.
Les territoires contestés sont des lignes de front instantanées d’un monde géopolitique
Les deux strates, quasi cohérentes au XXe siècle, que sont le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et les frontières internationalement reconnues, ont théoriquement verrouillé les possibilités militaires : occuper un pays par la force est militairement risqué, financièrement ruineux et juridiquement condamnable. Cependant, il est inexact de considérer que le droit international s’impose partout naturellement et empêche la guerre. Les slogans « Un pays, deux systèmes » s’agissant de Taïwan et « Deux pays, un seul peuple » pour l’Ukraine et la Russie expriment une autre idée, révisionniste, celle qu’il existe d’autres lectures des frontières en contestation des héritages de l’histoire conflictuelle du XXe siècle. Fondées sur d’autres appréciations, ethniques, culturelles, sécuritaires ou liées à l’idée d’un rang dans le monde, elles contribuent à la survivance de lignes de front dont les caractéristiques sont les suivantes :
• Situées soit aux frontières, soit à l’intérieur de pays morcelés, les lignes de front terrestres mettent les forces armées dans un face-à-face permanent. Dans certaines zones, les provocations frontalières fréquentes entretiennent d’ailleurs la perspective d’une guerre latente comme lorsque des troupes indiennes et chinoises s’affrontèrent mortellement sans tirer un coup de feu dans une vallée du Ladakh en juin 2020 (29).
• Elles sont à la jonction ou en périphérie des grands espaces polaires. Elles sont donc amplifiées par le jeu des puissances majeures au sens du « grand échiquier » du politologue américain Zbigniew Brzezinski (30), avec le risque que plusieurs guerres de natures différentes finissent par se confondre et se superposer. C’est ainsi que dans l’esprit du président Poutine, l’Ukraine est le théâtre de deux affrontements : une guerre russo-ukrainienne et une seconde guerre (rhétorique à ce stade) avec l’Occident, accusé de saper implacablement les fondements de la Russie éternelle. Cette corrélation entre deux confrontations gigognes porte instantanément les germes d’une extension du conflit si le contentieux inférieur n’est pas contenu.
Figure 3 – Conflictualité et ligne de front interpolaires dans l’hémisphère nord.
• Les zones de friction interpolaires bénéficient de garanties de sécurité différentes qui les distinguent et qui augmentent, pour les moins protégées d’entre elles, la focalisation des pressions stratégiques en temps de paix et des violences en temps de guerre. La vulnérabilité stratégique de la Géorgie, de la Moldavie ou des républiques d’Asie centrale est supérieure à celle des pays baltes, membres de l’Otan. Cette focalisation sur les États non dotés de l’arme nucléaire (Endan) concentre l’explosivité des risques conventionnels dans l’hémisphère nord aujourd’hui.
Les espaces libres sont des lignes de front géostratégiques où l’instantanéité est intrinsèque
Les espaces libres – mers, espaces aériens internationaux et exo-atmosphériques – sont le second lieu interpolaire où l’instantanéité d’un affrontement conventionnel est intrinsèque. Les stratégies nationales s’y croisent à chaque instant : les mers sont des endroits où les richesses sont convoitées (31), par lesquels les puissances qui agissent à l’extérieur de leurs frontières font transiter les moyens de leur influence. Comme l’air et l’Espace, ce sont aussi des zones d’expansion des souverainetés nationales ou bien des endroits où les moyens militaires manœuvrent librement. Lieux de vulnérabilités et d’actions, les espaces libres sont donc des fronts permanents entre les puissances. Les moyens des compétiteurs s’y retrouvent en situation de contact tactique (32) avec des pays qui ne font pas partie de leur voisinage terrestre. S’y ajoutent la menace des missiles antinavires et antiaériens basés à terre comme les bulles anti-accès (33), les intimidations hybrides, le terrorisme et des possibilités d’actions clandestines. Pour ces raisons, et parce qu’ils opèrent loin de leurs bases, les navires de guerre jouissent par exemple d’un niveau de délégation élevé, d’une capacité d’appréciation autonome de la situation et naviguent avec leurs armes à bord, prêts à les utiliser. Ajoutons à cela deux autres caractéristiques des espaces libres qui en augmentent la criticité : l’opacité des espaces sous-marins (34) rend la détection des activités très difficile et favorise les activités non-attribuables. Enfin, les forces nucléaires de tous les pays dotés y opèrent, ce qui amplifie le caractère central du rôle des espaces libres dans la compétition stratégique entre les États.
Les espaces terrestres contestés et ceux libres sont des espaces permanents de contact militaire. Notons toutefois une différence de taille : sur terre, les lignes de front sont géopolitiques et c’est l’instantanéité des calculs politiques qui caractérise la conflictualité moderne. Dans les espaces libres, les lignes de front sont géoéconomiques et géostratégiques. La mise en relation proche de toutes les puissances confère un caractère d’instantanéité supplémentaire. Loin des capitales, le risque d’incompréhension ou de malentendu est supérieur, le risque de dissimulation et de désinhibition également. Il est donc important d’y développer les moyens de s’y mouvoir, d’apprécier la situation et de peser militairement.
Lignes de front interpolaires et réalités géostratégiques françaises
En termes de stratégie militaire française, la géographie continentale et notre stratégie de dissuasion délimitent notre exposition aux lignes de front décrites précédemment. Sur les lignes de front terrestres, c’est essentiellement par le biais de nos engagements multilatéraux ou bilatéraux que la France est susceptible d’être exposée et il est donc essentiel d’ancrer notre stratégie dans cette réalité. La carte ci-dessus montre à quel point la situation géostratégique de la France lui donne une véritable profondeur par rapport aux enjeux interpolaires. C’est en ce sens que le scénario ukrainien ne peut servir d’enseignement absolu pour la défense de la France métropolitaine.
En revanche, nos territoires non métropolitains peuvent avoir une proximité immédiate, dans une certaine mesure, avec les deux lignes de front évoquées. Dans la zone Indo-Pacifique par exemple nos territoires sont en périphérie des pôles chinois et occidentaux (au contact des deux espaces géoéconomique et géostratégique) et ils ont des caractéristiques davantage maritimes que terrestres parce que leur valeur stratégique est précisément liée à leur localisation dans l’océan Pacifique. La France souveraine est à ces égards en bordure du champ de bataille Indo-Pacifique.
Neutraliser l’instantanéité avec la stratégie militaire
« The history of failure in war can almost always be summed up in two words: “Too late.” Too late in comprehending the deadly purpose of a potential enemy. Too late in realizing the mortal danger. Too late in preparedness. Too late in uniting all possible forces for resistance. »
Général Douglas McArthur (35)
L’instantanéité se nourrit donc des évolutions technologiques et doctrinales les plus récentes, de la convocation aisée des outils militaires au service des rapports de force par les États-puissance et de la promiscuité accrue des armées dans les espaces de manœuvre, qu’ils soient libres ou contestés. Elle soumet les outils défensifs à un risque supérieur et les dirigeants à une incertitude qu’il faut savoir désamorcer pour éviter l’escalade. L’instantanéité peut être vue comme un continuum d’accélération « vers » et « dans » la guerre qui prend forme au moment précis où un belligérant conclut à l’opportunité de la violence (figure 4). Or, l’accélération du tempo vers la guerre ressort uniquement du climat de menace posé par l’agresseur. Et l’accélération du tempo dans la guerre est consubstantielle aux progrès technologiques et doctrinaux, lesquels sont irréversibles. La meilleure façon de se prémunir des menaces persistantes consiste donc à neutraliser le « calcul » d’un adversaire avant son passage à l’acte.
Vu d’un pays qui ne souhaite pas la guerre, le rapport de force qu’il établit vise à faire comprendre à l’agresseur qu’il n’y a pas d’option militaire immédiate qui permette de matérialiser son ambition. Désamorcer le calcul d’un agresseur en le poussant à la raison repose au bout du compte sur trois actions complémentaires : une posture défensive qui augmente le coût d’une guerre, une capacité de rétorsion qui rend insupportable les conséquences d’une agression, et une manœuvre qui vise à invalider le calcul de la guerre et à suspendre la décision du passage à l’acte. La posture défensive et la rétorsion agissent d’une certaine façon sur la part fixe du calcul d’un agresseur, la manœuvre sur une part instantanée et variable.
Figure 4 – Désamorcer l’instantanéité en agissant sur le « calcul » d’un agresseur.
Figure 5 – Désamorcer l’instantanéité avec la stratégie militaire.
La posture défensive pour augmenter le coût d’une agression
La posture défensive est la première contrainte du calcul d’un adversaire. La résistance qui sera opposée à l’agresseur se mesure inversement en efforts et en sacrifices dans la balance des coûts de la guerre. Elle s’établit donc a priori afin de prévenir la guerre. C’est une ligne qui peut s’appuyer sur des mesures qui dépassent l’outil de défense : le durcissement des infrastructures numériques, la diversité des approvisionnements stratégiques, la capacité de défense et de résilience de la population, etc., y contribuent. En promouvant les capacités de défense multi-domaines, la posture défensive a ainsi également la vertu de réduire les vulnérabilités d’un pays face aux stratégies indirectes. Elle doit être exposée clairement à l’adversaire afin qu’il ne commette pas d’erreur de calcul en la sous-estimant comme le contre-exemple russe en Ukraine le montre. Le narratif et la détermination sont donc essentiels : en Estonie, la stratégie de défense intègre comme ailleurs une gradation crise-guerre à laquelle s’ajoutent toutefois d’autres niveaux de luttes ultérieures (occupation/résistance-guerre-stabilisation) pour signifier à la Russie qu’une invasion serait vaine et son coût exorbitant. Pour des raisons politiques ou d’économie des forces, il est inversement délicat d’anticiper et de dimensionner une défense sur la base des options de l’agresseur à chaque instant. En effet, une mobilisation militaire excessive est coûteuse en potentiel et présente le risque d’être présentée comme une escalade exploitable par l’agresseur. Quasi-statique, c’est une ligne Maginot qui peut être contournée par la surprise et par un calcul adverse supérieurement dimensionné. La posture défensive est donc une mesure nécessaire qui doit être visible pour être bien pesée par un adversaire, mais elle peut être également insuffisante pour faire face à l’instantanéité des guerres modernes et aux biais cognitifs des adversaires.
La posture de dissuasion pour rendre insupportable les conséquences d’une agression
La capacité à dissuader est le deuxième constituant au sens de la rétorsion suggérée. Comme l’analyse le général Beaufre, « une ligne politique de caractère purement défensif n’aurait qu’une faible valeur de dissuasion car la clef de la dissuasion, c’est la capacité de menacer (36). » Couvrir nos intérêts vitaux est le rôle de la dissuasion nucléaire. Comme exposé en première partie, à un certain niveau d’enjeux elle suffit à neutraliser l’intention d’un adversaire. Hors du périmètre des intérêts vitaux et possiblement dans les espaces libres, le découragement doit être envisagé sous d’autres formes et pensé en permanence pour permettre de continuer à s’y mouvoir en liberté. Pour fonctionner, la dissuasion et le découragement conventionnel requièrent une crédibilité opérationnelle, la volonté politique d’affirmer sa détermination et les moyens de la menace établis relativement aux adversaires. Sur le sujet du conventionnel, le rapport sur la haute intensité du Sénat (37) précise que « si l’épaisseur est insuffisante, elle peut conduire à une paralysie stratégique : le chef de l’État n’aurait d’autres choix que d’arrêter le combat faute de moyens ou d’entrer dans le monde de la dissuasion, ce qui réduit d’autant la liberté d’action politique ». Ce raisonnement, également valable avant la guerre, pose la question suivante : quelle est la part d’une « stricte suffisance » conventionnelle pour peser sur le calcul d’un agresseur ayant des intentions limitées ?
La manœuvre pour invalider les calculs de l’agresseur et repousser son passage à l’acte
La troisième contrainte qui perturbe l’instantanéité du calcul d’un adversaire est la manœuvre. Vue comme une combinaison de l’initiative et du mouvement, elle vise à dépasser la boucle décisionnelle de l’ennemi, à complexifier ses calculs en rajoutant de nouveaux termes, et à suspendre le sentiment de maîtrise, donc à retarder l’intention adverse. Elle vise à agir à la fois sur son calcul dans les champs rationnels et cognitifs.
La manœuvre a plusieurs caractéristiques : peu planifiable, elle requiert une articulation et une grande réactivité avec le niveau politique pour coupler la négociation et l’action. Elle nécessite aussi d’être effectuée à temps et d’être mesurée à l’aune d’effets objectivés dans l’équation adverse. La question du renseignement est donc essentielle, autant pour déceler les intentions hostiles et leurs niveaux de préparation que pour accompagner nos prises d’initiatives et soupeser l’efficacité de nos actions. Enfin, la manœuvre peut être indirecte, globale, ailleurs et faire appel à toute une palette de modalités : perturbation des plans militaires de l’adversaire (par les mouvements des forces, les activités qui exposent notre détermination ou par l’initiative cinétique (38) qui correspondant à la fonction stratégique « intervention »), diplomatie active et stratégie d’influence pour modifier les rapports de force stratégiques, actions cyber pour fragiliser les soutiens, manœuvre informationnelle pour imposer un narratif favorable, changement des règles pour réécrire les équations (39), et dans un avenir proche « guerre cognitive » pour perturber la capacité de réflexion objective de l’adversaire. Elle est donc plus efficace si elle est pensée de façon intégrée. D’une certaine façon, la « manœuvre » consiste à contrecarrer l’instantanéité de la menace par l’instantanéité de l’action.
Neutraliser l’instantanéité requiert une stratégie de temps long et une capacité d’action interministérielle immédiate
La conduite de la confrontation comporte en miroir de l’adversaire une forme d’urgence, alors que l’élaboration d’une stratégie militaire apte à faire face à l’instantanéité requiert une approche de temps long. Il est donc essentiel de les dissocier car les facteurs physiques des calculs de la guerre puisent leur force dans des organisations et des capacités militaires qui mettent des décennies à être constitués. La technologie comme « l’épaisseur » sont aujourd’hui des atouts et des défis.
Des lacunes en termes de moyens ou en matière d’innovation doctrinale nous exposent à des possibilités de manœuvre limitées qui peuvent se traduire par l’inaction. En revanche, « dépasser » l’adversaire implique notamment de pouvoir imposer un narratif propre et crédible, de déployer rapidement des forces significatives, de percer des défenses ou « d’entrer en premier ». Prendre l’initiative requiert aussi de détenir des capacités de commandement agiles et entraînées. Enfin, avoir une capacité de décision politico-stratégique réactive intégrant des volets interministériels pourrait nécessiter d’adapter également les organisations gouvernementales. C’est donc sous les angles capacitaires, organisationnels et doctrinaux que le paradoxe entre l’instantanéité de la guerre et une stratégie de temps long doit être le mieux appréhendé.
Pour faire face à l’instantanéité militaire, quels sont les atouts des Nations et quelle est la valeur de l’Otan ?
La stratégie de sécurité collective de l’Alliance valorise essentiellement deux des constituants du triptyque : la posture de défense et la dissuasion au sens anglophone du terme (qui englobe le volet nucléaire et le potentiel militaire conventionnel de ses trente États-membres). La stratégie de l’Otan pèse donc sur les rapports de forces en agissant principalement sur des éléments « statiques » des calculs d’un agresseur (40). L’Alliance a inversement une faible capacité de « manœuvre » proactive. En effet, le processus de gestion de crise, les modalités du consensus au Conseil de l’Atlantique Nord (NAC) et le caractère défensif de l’Alliance ne permettent pas d’agréer rapidement des actions « avant la guerre » (41). Ce qui signifie que pour réaliser une « manœuvre » visant à complexifier le calcul d’un adversaire et à en désamorcer l’instantanéité, il est plus aisé de concevoir une initiative nationale ou de s’appuyer sur un partenariat réactif. Dans la stratégie militaire visant à désamorcer les calculs d’un agresseur, il y a donc une complémentarité à trouver entre la véritable puissance défensive de la structure multilatérale et l’agilité politique des Nations.
Enfin, la seconde limite de l’Otan est son périmètre d’efficacité maximale limité au Traité de Washington, c’est-à-dire au sein de l’espace euro-Atlantique (42) s’agissant de l’article 5. Deux exemples en l’espèce, une confrontation entre pays de l’Otan ou bien nos intérêts stratégiques outre-mer ne sont pas dans ce périmètre. En dehors de l’Otan, les hypothèses de confrontations requièrent donc l’établissement de stratégies militaires ad hoc pour désamorcer les risques de guerre (43). Le raisonnement est similaire pour distinguer les intérêts souverains qui seraient – ou non – couverts par les « intérêts vitaux de la dissuasion ». Au bout du compte, chaque espace stratégique requiert un triptyque « Défense/Rétorsion/Manœuvre » adapté (figure 6).
Figure 6 – Chaque espace d’intérêt stratégique requiert un triptyque « défense-rétorsion-manœuvre » adapté.
Contrer l’instantanéité de la guerre en désamorçant le calcul d’un agresseur nécessite une stratégie militaire qui combine une posture défensive efficace et lisible, des moyens de rétorsion crédibles et une capacité de manœuvre intégrée permettant de retarder la décision d’un adversaire de passer à l’acte. La grande variété des hypothèses de confrontation requiert que, dans chacun des espaces stratégiques dans lesquels la France possède des intérêts, la juste équation entre ces trois volets soit conçue en cohérence avec les moyens, les alliances et les partenariats accessibles. En complément, et cela répond à l’inquiétude formulée par António Guterres sur l’imprévisibilité du monde, il faut concevoir l’invalidation des calculs adverses comme l’occasion de créer des espaces propres d’initiatives stratégiques.
Figure 7 – Évolutions conceptuelles de la guerre dans le domaine cinétique.
Évolution conceptuelle et nouvelles expressions de la guerre
Après l’instantanéité, le deuxième enjeu de l’évolution de la guerre conventionnelle est sa mutation conceptuelle. Selon le stratège britannique Basil Henry Liddell Hart, la stratégie est l’agencement des moyens dans le temps et dans l’espace en vue de l’atteinte d’un but fixé. En langage guerrier, c’est l’emploi de la force qui exprime cette stratégie. Elle se décline selon un triptyque qui comprend le feu (les moyens), la létalité (les effets) et la violence (en tant que perception). Associer ces trois termes revient à parler de la force au sens primaire, celui de soumettre un adversaire par l’usage des armes, généralement létales. Inversement, ne pas les distinguer aujourd’hui nuit à l’analyse d’une forme d’évolution conceptuelle de la conflictualité. Il se trouve que le phénomène de dissociation s’amplifie pour des raisons politiques et technologiques, permettant l’expression de modalités variées et dérangeantes de la guerre telles que la guerre sans mort, la guerre sans violence reconnue, la violence sans guerre et la guerre inhumaine. Ces variations interrogent nos fondements éthiques et nous soumettent à de nouvelles formes de dialectiques qui comportent aussi une part d’explosivité.
La guerre sans violence reconnue
Décider la guerre confronte un belligérant à deux réalités : celle de la sensibilité de l’opinion publique aux conséquences subies et celle de la légitimité de la violence exercée. En particulier, le soutien populaire d’une guerre non nécessaire, c’est-à-dire qui ne corresponde à aucune menace perçue, ne peut être inconditionnel. La première méthode utilisée par les États pour s’affranchir de ces deux inconvénients politiques consiste à nier l’existence même de la guerre. C’est la stratégie appliquée par la Russie pour « les opérations spéciales » conduites en Ukraine : « le mot guerre est proscrit dans les médias (44) » et le calcul des pertes russes au combat est très largement sous-estimé par le Kremlin (45). Nier le caractère belliqueux, violent et létal d’une guerre extérieure traduit une conception dégradée de la trilogie clausewitzienne, notamment entre l’État et le peuple, qui présente un inconvénient : elle est dangereuse pour la stabilité du monde car elle écarte un facteur de retenue dans le calcul de l’agresseur.
Les combats par procuration et le déni du statut combattant en sont encore une autre forme d’expression. La convocation des mercenaires comme Wagner au Mali permet de s’exonérer des conséquences des dérapages dans la pratique de la violence (46). L’emploi de supplétifs, comme les combattants syriens au Haut-Karabagh, permet un engagement brutal sur les champs de bataille (47) et évite que l’attrition de ses propres troupes ne soit perçue comme une violence subie excessive. Amplifié par l’efficacité inestimable de la guerre informationnelle, l’interventionnisme « masqué » augmente le risque de dérapage compte tenu du moindre contrôle politique de la violence.
Figure 8 – Conceptions politiques différentes de la violence de la guerre.
Alors qu’en France et dans les pays occidentaux, le maintien du lien entre les pertes humaines et le sentiment de violence subie (l’émotion) constitue un des ciments de la cohésion nationale (48), pour d’autres pays, la guerre sans « violence reconnue » (figure 8) est devenue une composante importante des affrontements parce qu’elle protège avant tout l’agresseur de ses responsabilités politiques. Sans « déballage » de violence visible, la « non-paix » est une guerre tiède, accessible, tolérable à leurs yeux, parfaitement désinhibée, sans éthique et sans langage commun pour régler les contentieux.
La violence sans guerre
Le 24 juin 2021, lors de « l’incident de la mer Noire », un chasseur-bombardier russe ainsi qu’une corvette effectuent plusieurs attaques au canon et à la bombe sur une frégate britannique… fictive, simulée deux nautiques sur l’arrière de la frégate britannique (réelle) HMS Defender (49). Le deuxième volet de la dissociation du triptyque feu-létalité-violence est, en effet, la terreur. Elle n’est pas un phénomène nouveau en soi, mais elle s’invite de plus en plus dans la dialectique des puissances sous la forme d’une violence suggérée alors que les armées sont en portée de feu. Cet événement, de même que l’illumination de la frégate Courbet par une conduite de tir turque au large de la Libye à l’été 2020 (50) ont surpris les nations occidentales par l’évocation de la guerre qu’elles suscitent.
« Menace », « affirmation d’une détermination » et possiblement dérapages, on retrouve au stade de la contestation plusieurs constituants du terrorisme qui vise à créer les conditions psychologiques d’une dialectique des volontés sans affrontement mili taire. En 2015, l’ancien Premier ministre Dominique de Villepin affirmait : « Le terro risme nous tend un piège. Il veut nous pousser à la faute, et la faute, c’est la guerre (51). » Cette analyse est en partie vraie mais la « violence sans guerre » nous tend surtout un second piège plus difficile à parer : celui de sa propre inhibition par crainte de la perspective de la guerre.
La désinhibition comme prolongement de la terreur
Le 24 novembre 2015, un avion de combat Su-24M russe opérant en Syrie est abattu par la défense aérienne turque après avoir traversé un court instant l’espace aérien turc. C’est la première fois depuis la guerre de Corée qu’un pays de l’Otan abat un avion russe. Les rapports versés à l’ONU par les deux pays se contredisent : la Turquie évoque la légitime défense (52), la Russie démontre que l’avion a été abattu au-dessus de la Syrie (53). Les experts internationaux expliquent que les règles codifiées internationalement n’auraient pas dû mener à la destruction de l’aéronef. Les observateurs avertis constatent surtout que cet incident violent n’est qu’une étape d’un contentieux profond au sujet de la Syrie.
La première expression de la désinhibition est donc celle du recours exagéré aux armes pour poser un rapport de force en prétextant l’exercice d’un droit. Sur l’échelle possible de l’affirmation des volontés, cette attitude présente deux risques : elle renonce aux règles communes sur l’usage de la force et amorce l’escalade, et elle peut être une source d’erreurs dramatiques (54). La limite à cette désinhibition peut être lointaine car elle est uniquement fixée par la crainte de l’agresseur vis-à-vis de la rétorsion adverse ou par ses calculs sur la guerre conventionnelle qu’elle peut engendrer.
Les opérations clandestines sont l’autre face de cette désinhibition lorsqu’elles deviennent ouvertement visibles. L’utilisation de soldats démarqués, les combats grossièrement sous fausse bannière ou les minages de bâtiments en mer Rouge ne trompent personne sur leurs commanditaires. Utilisant les codes des opérations non attribuables, elles deviennent « dés-attribuées » par les seuls faits de la difficulté à caractériser juridiquement les actes et à poursuivre les responsables. Les désinhibitions de cette nature complexifient la dialectique des volontés et réfrènent les possibilités de rétorsion.
In fine, les deux formes de désinhibition évoquées montrent une appétence élevée au risque et au mensonge. Elles font aujourd’hui clairement partie des méthodes de combat d’adversaires qui ne craignent ni les instances juridiques internationales ni la perspective d’une guerre soudaine. Elles peuvent aussi donner le sentiment que la stratégie militaire peut être supérieure sans éthique. Ce n’est pas la conception française.
Réfléchir à l’association de nos fondements éthiques et moraux avec la performance militaire
La volonté politique d’agir conformément au droit international irrigue notre vision de l’emploi de la force et nous écarte du modèle désinhibé de nos adversaires. Cette conformité essentielle à nos fondements culturels comporte en contrepartie trois exigences pour parer la dissymétrie éthique : celle de la performance de nos moyens militaires et de nos services de renseignement pour contrecarrer la diversité des formes de désinhibition adverse. Celle de la fermeté afin d’éviter que « l’efficacité sans éthique » (55) soit analysée comme un facteur de supériorité dans les calculs adverses. La dernière exigence fondamentale est celle de la cohésion nationale dans toutes les hypothèses de guerre.
Sur la question de l’articulation de la létalité et de la violence perçue, j’évoquais précédemment les cérémonies aux Invalides comme expression du lien que nous maintenons entre la mort de nos soldats et l’émotion nationale. Cette corrélation présente trois intérêts : celui de la compréhension du rôle confié aux militaires, celui d’une retenue morale vis-à-vis de la guerre et qui est au cœur de notre vision politique, et celui de l’affirmation d’une conscience patriotique et – par extension – d’une détermination potentiellement élevée, portée par tout un peuple (56). C’est sous ce dernier angle que la résistance ukrainienne nous paraît remarquable. Ajoutons au sujet de la fermeté qu’il semble aujourd’hui possible de développer une ingénierie de rétorsion face à la désinhibition, en exploitant par exemple les failles des stratégies indirectes adverses. Un acte adverse non-attribuable, c’est-à-dire non reconnu, possède un versant de vulnérabilité. La frappe américaine sur une colonne de la Société militaire privée (SMP) Wagner du 7 février 2018 à Deir ez-Zor, effectuée après que le commandement russe en Syrie ait affirmé qu’il ne s’agissait pas de troupes régulières est une illustration brutale de cette possibilité (57). Dans tous les régimes et c’est encore plus vrai en démocratie, la cohésion et la fermeté font partie du potentiel de combat.
La robotisation en gestation : du feu sans mort au feu inhumain
Le dernier aspect de la dissociation du triptyque feu-létalité-violence est lié à l’accroissement des systèmes militaires non-habités et à la perspective d’une automatisation accrue de l’utilisation du feu. Ce sont trois perspectives parallèles qui progressent dans ce domaine : la destruction de systèmes inhabités (tels que des satellites) par des humains, le déploiement de forces intégralement robotisées qui peuvent s’affronter (telle que la Task Force 59 américaine prévue d’être déployée dans le détroit de Ormuz qui pourrait alors être confrontée à des drones des Pasdaran) et la guerre robotisée susceptible d’affronter des humains.
Dans les deux premiers cas, la confrontation est possible sans déboucher sur la mort de combattants, c’est-à-dire de façon distanciée par rapport à la violence. L’affrontement « cinétique non létal » est alors une nouvelle modalité d’affrontement, dissociée de la guerre anthropologique, même si le risque d’escalade létale est possible.
En revanche, la perspective de systèmes automatisés affrontant des soldats nous expose à un potentiel létal démultiplié par les technologies modernes. Il est caractérisé par des temps de décision et d’exécution inégalés, mais aussi par des connexions illimitées entre les systèmes combattants. Les États-Unis et la Chine ont déjà annoncé avoir développé une intelligence artificielle (IA) capable de battre les meilleurs pilotes en combat aérien simulé. C’est le paradoxe de la robotisation en gestation conçue pour être « non humaine » : elle développe, en parallèle, des aptitudes au combat surhumaines et potentiellement inhumaines. Cette évolution comporte deux enjeux pour la France : la manière avec laquelle il faudra s’engager dans cette mutation technologique d’une part, et la caractérisation en droit à la guerre (jus ad bellum) et dans la guerre (jus in bello) d’affrontements d’une nouvelle nature d’autre part.
Anticiper la rupture technologique de la robotisation
Sur le plan technologique, l’analyse comparée des stratégies chinoises et américaines dans ce domaine requiert une attention particulière de notre part. Les armées américaines sont dans une logique d’automatisation croissante : elles continuent de consacrer 4 Md $ pour la recherche et le développement des drones auxquels s’ajoute 1 Md spécifiquement pour l’IA. La Chine investit peu dans les systèmes existants et concentre directement ses recherches sur l’IA avec l’appui de ses quinze meilleures entreprises numériques (58). Elle ambitionne de dépasser les États-Unis en 2030. L’IA est abordée par la Chine comme une technologie de rupture et une question de suprématie militaire. Si elle est associée à une réflexion conceptuelle sur la robotisation du champ de bataille, c’est alors une évolution anthropologique de la guerre qui est projetée. Les questions posées par cette mutation deviennent dès lors pour nous « stratégiques » : où voudrons-nous opérer demain et face à quelles nations ? « Politiques » : voulons-nous conserver une suprématie militaire et être techniquement capables d’être nation-cadre ? Et « Technologiques » : si nous faisons le choix d’aller vers la guerre cobotique, quelle est la stratégie industrielle pour franchir les seuils de l’IA et du Machine Learning ?
Prévoir également la « dialectique des volontés » selon l’hypothèse de la guerre robotisée
La question de la létalité est anthropologiquement le point d’entrée de la conscience de la guerre. La France a entrepris très tôt d’étudier la question de l’autonomie des systèmes d’armes létaux afin de mettre en cohérence ces nouvelles technologies avec des considérations éthiques : au sein de l’ONU depuis 2014 et sur la base ultérieure des recommandations du Comité d’éthique de la défense en 2021 (59).
Cette approche d’ordre moral n’aborde cependant pas la caractérisation de la guerre avec des systèmes inhabités. En particulier, on peut s’interroger sur la nature d’un affrontement entre systèmes autonomes ? Comment éviter une escalade si on accepte plus facilement une confrontation robotisée ? La France a notamment tranché sur la place de l’homme dans le processus de décision d’un Système d’arme létal intégrant de l’autonomie (Salia). Mais serait-il inversement nécessaire à l’avenir d’accompagner les systèmes robotisés avec des hommes pour associer l’emploi du feu avec un engagement physique, et continuer à appeler ainsi « guerre » l’affrontement cinétique ? Bâtir des règles, des usages ou un langage commun permettant aux belligérants de comprendre les phases de la dialectique des volontés lors d’affrontements robotisés ou déshumanisés pourrait être un enjeu essentiel des prochaines années.
Perspectives militaires
La facilité avec laquelle la menace militaire est brandie dans le monde et la fulgurance des affrontements rendue possible par la technologie effacent peu à peu l’idée d’une gradation militaire d’une crise jusqu’au franchissement progressif du seuil de la guerre. Il est d’ailleurs intéressant de noter que l’invasion russe en Ukraine en 2022 était totalement lisible mais noyée dans l’accoutumance occidentale à une menace militaire répétée depuis Zapad 2017. Dans les espaces contestés ou libres, de nombreuses forces sont en situation de se faire la guerre. C’est le premier défi permanent : l’écart à l’affrontement cinétique est moins un écart à la possibilité militaire qu’un écart à la décision politique de nos adversaires sur la base de leurs calculs stratégiques. L’instantanéité est devenue un facteur clé de l’expression conventionnelle de la guerre. En revanche, « l’imprévisibilité » induite soulignée par António Guterres consacre en réalité l’importance de la prospective au sens d’un futur sur lequel on peut agir. Elle nécessite d’échafauder pour chaque théâtre et chaque enjeu stratégique une combinaison de posture défensive, de dissuasion et de manœuvre afin de neutraliser les calculs adverses et par là même de créer des espaces d’initiatives.
Un second défi est celui de la mutation conceptuelle et anthropologique de la guerre, potentiellement dissymétrique, et liée à la dissociation du triptyque feu-létalité-violence. Il évoque une autre accoutumance dont il faut savoir se prémunir : celle de l’ère de la supériorité occidentale présupposant que les guerres futures se feront selon nos usages et nos choix technologiques. Il importe à cet égard d’affermir nos principes, de développer des capacités efficaces et cohérentes avec ces principes. Il convient aussi, autant que possible, de bâtir des règles et des langages partagés avec nos compétiteurs permettant de se comprendre dans des scénarios d’affrontement futurs. Pour autant, il ne faut s’égarer dans un irénisme qui exclurait l’hypothèse d’emploi de principes asymétrique des deux côtés. « Si Vis Pacem Para Bellum » requiert donc aussi de voir nos adversaires sans fard, d’analyser leurs potentiels de combat matériels et immatériels, et de développer en conséquence des outils de supériorité propres. ♦
(1) Lacordaire Henri-Dominique et Féret Henri-Marie, « Pensées », Ecclesia, 1er janvier 1961.
(2) À l’exception de l’offensive de Nasser lors de la guerre du Kippour. Israël n’avait alors ni signalé détenir l’arme ni explicité sa doctrine d’emploi.
(3) Vernet Daniel, « Lucien Poirier : “Je crois en la vertu rationalisante de l’atome” », Le Monde, 27 mai 2006 (https://www.lemonde.fr/).
(4) Cette « continuation de la politique » n’exclut pas une dimension paroxystique lorsque la guerre vise à « abattre l’adversaire (…) en l’obligeant à accepter la paix à tout prix ». Clausewitz (von) Carl, De la Guerre, Éditions de Minuit, 1955, 760 pages.
(5) Durieux Benoît, La Guerre par ceux qui la font. Quand la guerre rejette ses chaînes, Éditions du Rocher, 2016, 367 pages.
(6) Ibidem.
(7) Kasapoglu Can, « Russia’s Renewed Military Thinking: Non-Linear Warfare and Reflexife Control », Research Paper, n° 121, 3 novembre 2015, NATO Defense College, Rome, 12 pages (https://cco.ndu.edu/Portals/96/Documents/Articles/russia's%20renewed%20Military%20Thinking.pdf).
(8) Livre blanc sur la Défense de 1994 (http://www.livreblancdefenseetsecurite.gouv.fr/) ; Chirac Jacques, « Discours du président de la République sur la réorganisation et la professionnalisation de l’armée, la modernisation de l’industrie de défense et le projet de suppression du Service national », Paris, 23 février 1996 (https://www.elysee.fr/).
(9) Wallaert Damien, « La loi d’Augustine est-elle une fatalité pour les armées françaises à 10 ans ? », Cahier de la RDN « Penser Demain - 66e session du CHEM », 2017, p. 207-220 (https://www.defnat.com/pdf/cahiers/CAH062/19.%20Wallaert%20(CHEM%202017).pdf).
(10) Cancian Mark F., « Industrial Mobilization, Assessing Surge Capabilities, Wartime Risk, and System Brittleness », Center for Strategic and International Studies (CSIS), 8 janvier 2021 (https://www.csis.org).
(11) Jones Seth G., « ISP Brief February 2022 », CSIS, 28 février 2022 (https://www.csis.org/analysis/isp-brief-february-2022).
(12) Avec une très forte disparité entre les pays sur les dix dernières années : Chine (+ 76 %), Turquie (+ 77 %), Corée du Sud (+ 41 %).
(13) Lopes da Silva Diego, Tian Nan et Marksteiner Alexandra, « Trends in world military expenditure, 2020 », SIPRI, Fact Sheet, avril 2021 (https://sipri.org/).
(14) Rossino Alex, « Budget Analysis : Army Programs Spending Cybersecurity and Warfare in FY 2022 », GovWin, 8 septembre 2021 (https://iq.govwin.com/).
(15) Guterres António, « 2022 UN Chief's Priorities » (conférence de presse), 21 janvier 2022, ONU (https://www.youtube.com/).
(16) Prazuck Christophe, « L’attente et le rythme, Modeste essai de chronostratégie », Institut de stratégie comparée (ISC), 2005 (http://www.institut-strategie.fr/).
(17) Tytelman Xavier, « Missile hypersonique Kinjal contre l’Ukraine, guerre de communication ou avantage militaire ? », Air & Cosmos, 19 mars 2022 (https://air-cosmos.com/).
(18) Briant Raphaël, Florant Jean-Baptiste et Pesqueur Michel, « La masse dans les armées françaises, un défi pour la haute intensité », Focus stratégique n° 105, juin 2021, Centre des études de sécurité de l’Ifri, (https://www.ifri.org). Commission de la défense nationale et des forces armées, La préparation à la haute intensité (Rapport d’information n° 5054), Assemblée nationale, 17 février 2022 (https://www.assemblee-nationale.fr/).
(19) Ainsi qu’en Ukraine lors des premières semaines de guerre.
(20) Ministère de la Défense de la République d’Azerbaïdjan, « List of servicemen who died as Shehids in the Patriotic War », 22 octobre 2021 (https://www.turan.az/).
(21) UK Ministry of Defence, « Defence Intelligence update on the situation in Ukraine », 23 mai 2022 (https://twitter.com/).
(22) Ce que les Russes appellent la « Maskirovka ».
(23) Attaque sous fausse bannière, désinformation, fabrication de fausses preuves, etc.
(24) Gordon Michael R. et Schmitt Eric, « Russia’s Military Drills Near NATO Border Raise Fears of Aggression », The New York Times, 31 juillet 2017 (https://www.nytimes.com/).
(25) La manœuvre logistique de Zapad 2021 a permis de rassembler 150 000 militaires en Biélorussie en seulement quelques semaines. Muzyka Konrad, « Zapad-2021—Logistics and Key Fighting Concepts », International Centre for Defense and Security (Estonie), 9 décembre 2021 (https://icds.ee/).
(26) Barluet Alain, « Vladimir Poutine persévère dans une stratégie de la tension qu’il juge payante », Le Figaro, 8 février 2022.
(27) En 2021, il a été constaté 969 incursions dans la Zone d’identification de défense aérienne de Taïwan (ADIZ), soit plus du double qu’en 2020. Une telle activité met la force aérienne taïwanaise sous forte pression, entame le potentiel de son aviation de combat et rapproche la perspective d’un affrontement. AFP, « Nouveau pic d’incursions d’avions de guerre chinois dans la zone de défense aérienne de Taïwan », Le Temps, 24 janvier 2022 (https://www.letemps.ch/).
(28) Labouérie Guy, Stratégie : réflexions et variations, Esprit de défense, 1993, 191 pages.
(29) « India-China Clash: 20 Indian Troops killed in Ladakh Fighting », BBC News, 16 juin 2020 (https://www.bbc.com/news/world-asia-53061476).
(30) Brzezinski Zbigniew, The Grand Chessboard: American Primacy and Its Geostrategic Imperatives, Basic Books, 1997, 223 pages.
(31) Les mers pour leurs ressources et l’Espace pour son exploitation commerciale et stratégique.
(32) i.e. en portées sonar ou radar, en portée des armes, en portée d’écoute électromagnétique.
(33) Situées aujourd’hui en mer Noire, en mer Baltique et en mer de Chine méridionale.
(34) Et dans une moindre mesure de l’espace exoatmosphérique.
(35) Cité par Reston James B., Prelude to Victory (1942), p. 64.
(36) Beaufre André, Introduction à la stratégie, Armand Colin, 1963.
(37) Commission de la défense nationale et des forces armées, Rapport d’information n° 5054, op. cit., p. 35.
(38) La frappe préemptive est l’option la plus radicale de la « manœuvre ». Face à des adversaires désinhibés proches du passage à l’acte (le facteur d’instantanéité), et notamment dans des situations où l’engagement en premier est décisif (le cas du combat naval), elle permet de rétablir un rapport de force favorable. Par nature escalatoire, elle doit être finement pesée avec ses conséquences politiques et stratégiques.
(39) Le ciblage du général Soleimani en Irak, le 3 juillet 2020, est un exemple de changement de règle fixé par les États-Unis. Finkel Gal Perl, « The Killing of Soleimani and the ‘Deal of the Century’ », Jerusalem Post, 16 février 2020 (https://www.jpost.com/).
(40) C’est l’objectif de l’article 5 (https://www.nato.int/) et la raison d’être des NRF (https://www.nato.int/) et des mesures de postures telles que les dispositifs eFP (https://www.defense.gouv.fr/).
(41) L’annonce du déploiement de la VJTF de l’Otan a été faite le lendemain de l’invasion de l’Ukraine (https://www.nato.int/).
(42) Qui exclut notamment les pays non Otan de l’Union européenne.
(43) La guerre des Malouines de 1982 illustre le fait qu’il ne peut y avoir une stratégie militaire unique entre des enjeux euratlantiques et ultramarins.
(44) Delille Benjamin, Macé Célian, Didelot Neily et Massequin Léa, « Stratégie militaire – Les étonnantes failles du colosse russe », Libération, 10 mars 2022.
(45) Après une semaine d’opérations, les pertes russes étaient estimées à 500 tués selon le Kremlin, 12 000 selon les Ukrainiens et 5 000 selon les services de renseignement occidentaux.
(46) Lors d’une conférence avec son homologue français Emmanuel Macron le 7 février 2022, Vladimir Poutine a déclaré : « La Fédération russe n’a rien à voir avec les entreprises militaires privées qui opèrent au Mali ».
(47) Le taux de tués des mercenaires syriens au Haut-Karabagh avoisine 25 %. Syrian Observatory for Human Rights : « Death toll of Mercenaries in Azerbaijan is Higher than that in Libya, while Syrian Fighters given Varying Payments », 3 décembre 2020. (https://www.syriahr.com/).
(48) Exprimée notamment lors des cérémonies aux Invalides en hommages aux soldats tombés en opération.
(49) « Russia fires Warning Shots at British Destroyer in Black Sea », Al Jazeera, 23 juin 2021 (https://www.aljazeera.com/).
(50) Étape préliminaire au tir de combat, l’illumination par une conduite de tir peut être perçue comme un acte hostile. Marghelis Aris, « The French Military’s Perception of the Turkish Military and Turkey’s Expansion in the Eastern Mediterranean », Études de l’Ifri, novembre 2021, p. 18 (https://www.ifri.org/).
(51) Trémolet de Villers Vincent : « Dominique de Villepin : “Je suis Charlie”, ça ne peut pas être le seul message de la France », Le Figaro, 19 janvier 2015 (https://www.lefigaro.fr/).
(52) « Turkey’s Statement to the United Nations Security Council », Al Jazeera, 24 novembre 2015.
(53) Ministère de la Défense de la Fédération de Russie, « Russian Su-24 Shot Down While Returning to Base in Syria », TASS, 24 novembre 2015.
(54) Le 7 janvier 2021, les forces de défense iraniennes ont abattu par méprise un avion de ligne ukrainien. Fassihi Farnaz, « Iran Says It Unintentionally Shot Down Ukrainian Airliner », The New York Times, 10 janvier 2020 (https://www.nytimes.com/).
(55) Castres Didier, « Stratégie de résolution des conflits : agir dans les zones grises », L’Opinion, 25 juin 2021 (https://www.lopinion.fr/).
(56) La retenue morale et le patriotisme ne doivent pas être antagonistes.
(57) Gibbons-Neff Thomas, « How a 4-Hour Battle Between Russian Mercenaries and U.S. Commandos Unfolded in Syria », The New York Times, 24 mai 2018.
(58) Office of the Secretary of Defense, « Military and Security Developments Involving the People’s Republic of China », Annual report to Congress, 2021, p. 147. : « AI Champions include Alibaba, Baidu, Huawei, SenseTime, and Tencent, etc. » (https://media.defense.gov/).
(59) Comité d’éthique de la défense, « Avis sur l’intégration de l’autonomie sur les systèmes d’armes létaux » 29 avril 2021(https://www.defense.gouv.fr/).