La seconde révolution quantique est engagée. Elle porte en germe, à échéance 10-15 ans, de puissants bouleversements technologiques. Elle ouvre la voie à la possibilité de « modeler » la matière, de la simuler, de la reproduire, d’opérer des calculs hors normes et, plus globalement, de mieux appréhender notre environnement dans son infinie complexité. Le champ d’application est immense : de l’économie à l’industrie, en passant par la finance, la santé et, bien sûr, la Défense. Comme l’irruption du « fait nucléaire » en 1945 a ouvert une nouvelle ère géopolitique fondée sur la Dissuasion, la maîtrise et l’exploitation des principes de la physique quantique annoncent une modification profonde des rapports de force dans un espace de conflictualité en pleine mutation.
Le contrôle quantique : catalyseur d’intelligibilité dans un univers stratégique en mutation
Les principes de la physique quantique ont été élaborés au début du XXe siècle (1) sur la base des travaux de Max Planck et sa théorie des quanta (2). Ils visent à expliquer le comportement spécifique des particules qui constituent la matière. Ce sont des lois physiques totalement contre-intuitives et qui défient l’intelligence. Werner Heisenberg allait jusqu’à souligner « le changement apporté au concept de réalité » qu’entraîne la théorie quantique (3).
Paradoxalement, pour insaisissable qu’elle soit dans ses concepts, la physique quantique porte en germe la promesse de bouleversements technologiques sans précédent. Depuis les années 1970, une révolution quantique (4) est à l’œuvre, dans le but d’exploiter les étonnantes interactions inter-particulaires et de manipuler des objets physiques élémentaires tels que des atomes, des électrons ou des photons. Cette révolution semble aujourd’hui ouvrir la voie à la possibilité de « modeler » la matière, de la simuler, de la reproduire, d’opérer des calculs hors normes et, plus globalement, de mieux appréhender notre environnement dans son infinie complexité. Le champ d’application de ces manipulations subatomiques est immense, de l’économie à l’industrie, en passant par la finance, la défense et la santé.
Dans cet article, nous nous intéresserons à l’univers stratégique de la conflictualité. Après avoir brossé quelques principes physiques et abordé des applications d’usage emblématiques, en plein développement malgré de nombreux obstacles techniques, nous verrons comment la révolution quantique pourrait, d’ici 10-15 ans, aboutir à une forme de transparence du monde physique doublée d’une entropie informationnelle de nature à bouleverser l’univers stratégique. Enfin, à l’aune des principes d’incertitude et de foudroyance propres à la stratégie, nous tenterons d’évaluer de quelle manière le contrôle quantique pourrait constituer un catalyseur d’intelligibilité pour gagner la supériorité opérationnelle sur un adversaire.
Le quantique : de quoi s’agit-il ?
Quelques notions clefs pour lever un coin du voile sur la physique quantique
À l’échelle subatomique, il existe une dualité onde-corpuscule. Une particule se comporte comme une onde et sa position ne peut être parfaitement déterminée. Elle est décrite grâce à une « fonction d’onde » qui traduit la probabilité de présence de la particule en chaque point de l’espace. Un électron, par exemple, peut être en plusieurs endroits exactement au même instant, mais selon une certaine probabilité : il a x % de probabilité d’être à la position A et y % d’être également à la position B.
Un système quantique est constitué d’une ou plusieurs particules. Tant qu’aucune mesure n’a été effectuée sur ce système, il demeure dans un état dit de « superposition » : il possède plusieurs valeurs associées chacune à une probabilité. La représentation de toute l’information disponible sur le système quantique est une combinaison linéaire de tous ses états possibles. Pour prendre une image approximative, on peut imaginer qu’un système quantique en état de superposition « oscille » indéfiniment entre tous ses états possibles. On dit que le système quantique est « cohérent ».
En revanche, la prise d’une mesure induit une perturbation et détruit la cohérence : il y a alors comme une « réduction » de l’observable à ce qui est observé. On brise la dualité onde-corpuscule. En termes physiques, on réduit le paquet d’onde à ce qui est mesuré en sélectionnant un seul des états possibles. Les autres états « s’effondrent » brutalement, et à l’échelle macroscopique on ne voit plus la superposition. On parle alors de décohérence quantique. La multiplicité des univers possibles s’est réduite à un seul univers.
Enfin, des particules peuvent se trouver « intriquées » et former un système étroitement lié. Cette intrication, ou enchevêtrement quantique, fait qu’il existe une parfaite corrélation entre leurs caractéristiques physiques (par exemple la polarisation d’un photon). La mesure de la valeur d’une caractéristique d’une particule intriquée avec une autre déterminera instantanément la valeur de la caractéristique de la seconde particule, même si elles sont éloignées de plusieurs milliers de kilomètres.
Trois domaines d’application emblématiques
La puissance de calcul exponentielle des ordinateurs quantiques
Le principe du calcul quantique est d’exploiter les phénomènes de superposition et d’intrication de certaines particules pour traiter des informations encodées sur des quantum bits, ou qubits. Un qubit est un système quantique à deux niveaux (deux niveaux d’énergie d’un atome par exemple). Il peut s’écrire comme la combinaison linéaire de ses deux états de base (notés |0> et |1> par analogie avec les 0 / 1 du système binaire). Grâce à l’intrication, un registre de N qubits va former un système quantique unique, corrélé, qui se trouvera, à un instant donné, dans une superposition de 2N états possibles, un peu comme s’il existait simultanément 2N « univers parallèles ».
Un ordinateur quantique de N qubits va réaliser des calculs en utilisant ces 2N états qui « coexistent » simultanément : le calcul est ainsi conduit de façon parallèle dans chacun de ces multiples « univers ». La puissance de calcul devient alors une fonction exponentielle du nombre de qubits.
Les processeurs quantiques offrent ainsi des puissances de calcul vertigineuses, bien au-delà de la performance des supercalculateurs actuels de type « hexaflopiques » (1018 opérations par seconde), lesquels, par ailleurs, atteignent leurs limites physiques (5). À titre d’illustration en décembre 2020, la University of Science and Technology of China (USTC) a réalisé, avec un processeur quantique photonique baptisé Jiuzhang et doté de 66 qubits physiques, une expérience d’échantillonnage de bosons (6) en 200 secondes alors que la même expérience aurait pris 2,5 milliards d’années avec le supercalculateur classique chinois Sunway TaihuLight, troisième supercalculateur du monde à ce jour. Côté américain, IBM a annoncé en novembre 2021 avoir conçu le processeur quantique le plus puissant au monde, dénommé Eagle, doté de 127 qubits physiques, et envisage de dépasser la barre des 1 000 qubits en 2023.
Certes, le champ d’application des processeurs quantiques est encore étroit et limité à la résolution de problèmes spécifiques, mais aucune loi physique fondamentale ne s’oppose à leur développement : le défi est d’ordre technologique. Par ailleurs, ces ordinateurs quantiques peuvent être hybridés à des ordinateurs classiques, comme un composant supplémentaire, afin d’accélérer certains calculs et ils ouvrent la voie à la résolution d’une série de problèmes aujourd’hui non solubles dans un temps humain. Certains cas d’usage font déjà l’objet d’une recherche poussée. En particulier, la factorisation de grands nombres (à la base des méthodes de chiffrement actuelles), l’optimisation combinatoire (pour résoudre des problèmes complexes d’opérations logistiques ou d’ordre énergétique), la chimie et la physique des matériaux (par la simulation du comportement de molécules complexes pour fabriquer de nouveaux médicaments ou engrais, des matériaux supraconducteurs, furtifs (7) ou résistants à de très hautes températures et de forts facteurs de charge). Le calcul quantique devrait également constituer un véritable booster pour certains secteurs de l’intelligence artificielle (machine learning) dans l’analyse et le traitement de l’information de masse, et l’élaboration rapide de réponses adaptées, par exemple, à une situation opérationnelle sur un champ de bataille.
Des capteurs quantiques à la précision inégalée
Les états des systèmes quantiques sont extrêmement sensibles à la moindre perturbation. C’est ce qui permet de mesurer avec acuité les variations de leur environnement. Si le gain attendu en précision est très élevé, il constitue déjà une réalité : certains étalons d’unités du système international ont été redéfinis en 2018 sur la base d’expériences de physique quantique (8) ; des gravimètres à atomes froids, dont la technique (9) existe depuis 30 ans, fournissent aujourd’hui des cartographies d’une grande finesse des anomalies du champ de gravité terrestre ; la Marine nationale est d’ailleurs pionnière dans ce domaine (10), en partenariat avec l’Onéra (Office national d’études et recherches aérospatiales). Des magnétomètres quantiques désormais embarqués sur satellite (11) vont également permettre de mesurer avec précision les variations du champ magnétique terrestre.
À terme, d’autres capteurs (accéléromètres, gyromètres) fourniront des moyens de positionnement et de navigation (Positioning, Navigation and Timing ou PNT) à la fois ultra-précis et surtout autonomes, résistants au brouillage et indépendants des constellations satellitaires (GPS américain, Galileo européen, etc.). Cela offrira, en outre, aux armées une vraie robustesse de connectivité par liaisons de données tactiques des systèmes de combat embarqués, assurant de cette manière un combat collaboratif de haute performance.
Enfin, l’intrication de paires de photons est exploitée pour détecter des objets distants. Le principe est d’envoyer un photon vers une cible, en conservant en référence celui qui lui est lié par intrication, et d’exploiter l’anomalie générée par son éventuel rebond sur une surface pour confirmer une détection. En 2016, les Chinois ont annoncé avoir mis au point cette technologie (12), même si un doute subsiste encore au sein de la communauté scientifique. En revanche, en octobre 2021, une équipe scientifique de l’Université chinoise de Tsinghua a publié dans une revue académique chinoise un article solide et bien documenté sur un concept de radar basé sur un vortex de photons micro-ondes (13).
La sécurité des communications bouleversée, et repensée
La proposition par le mathématicien américain Peter Shor en 1994 d’un algorithme de factorisation de nombres premiers a eu l’effet d’une bombe. Cet algorithme de Shor menace la sécurité de l’essentiel des communications numériques actuelles. Mis en œuvre par un ordinateur quantique suffisamment puissant (14), il permettra, à terme, de déchiffrer les communications protégées par des protocoles de cryptographie asymétrique (clef publique, clef privée et signature) et affectera partiellement la sécurité des communications utilisant la cryptographie symétrique (clef secrète commune).
Il y a deux types de réponses explorées : le développement d’une cryptographie dite « post -quantique » résistante à l’algorithme de Shor et le déploiement d’une nouvelle architecture de télécommunications réputées inviolables utilisant précisément les propriétés de la physique quantique.
Le développement de solutions de cryptographie post-quantique présente l’avantage de préserver les architectures existantes et demande des adaptations raisonnables (gains de temps et économies substantielles). Elle est hautement recommandée par les autorités mondiales de cyber-sécurité. L’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI) (15), par prudence, préconise ainsi de faire migrer progressivement les systèmes d’ici à 2025 vers des solutions post-quantiques en respectant le principe de non-régression de la sécurité classique (éviter tout « saut direct », hybrider des solutions classiques et post-quantiques).
La cryptographie quantique pourrait constituer dans le futur une autre voie pour contrer la menace. Elle repose schématiquement sur la production et l’exploitation de paires de photons intriqués, qui portent la même information. Si un pirate informatique intervient, l’intrication cesse et l’information est perdue. Certes, elle nécessite la mise sur pied de nouvelles architectures physiques, aujourd’hui coûteuses (16), mais c’est une technologie déjà accessible depuis plusieurs années et autour de laquelle des démonstrations scientifiques ont été effectuées. En 2007, elle a ainsi été mise en œuvre en Suisse pour sécuriser l’envoi de relevés de vote en ligne sur une élongation de 300 km (17). En 2016, un satellite chinois a été utilisé pour distribuer des photons entre deux récepteurs distants de 1 200 km (18). Cela illustre la puissante dynamique de recherche et développement (R&D) à l’œuvre dans le domaine qui irrigue les projets de réseaux Internet quantiques (19) potentiellement ultra-sécurisés (20).
Des enjeux bien pris en compte, mais des verrous à lever
Une ambition forte, portée par une stratégie robuste
Le 21 janvier 2020, le président de la République Emmanuel Macron a lancé la « stratégie nationale sur les technologies quantiques » qui définit le quantique comme un enjeu majeur de souveraineté et de supériorité stratégique pour la France (21). L’objectif est de former un véritable écosystème quantique, ouvert à l’international, de la recherche fondamentale à l’industrie, en passant par des start-up, et de créer les conditions d’émergence d’une filière quantique souveraine.
Le 4 janvier 2022, la ministre des Armées Florence Parly a posé un jalon important dans le cadre de cette stratégie : l’inauguration de la plateforme de calcul quantique au « Très Grand Centre de Calcul » implanté au Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (Direction des applications militaires, CEA-DAM). À cette occasion, elle a confirmé les trois domaines clefs qui intéressent nos armées : le calcul quantique, les capteurs et les communications.
Un indispensable croisement interdisciplinaire pour répondre aux défis techniques
Sur un plan intellectuel, la logique de raisonnement propre au quantique est particulièrement ardue. Traduire des problèmes classiques et connus en algorithmes quantiques, seuls exploitables par des ordinateurs quantiques, relève d’une vraie gageure et nécessite de maîtriser des concepts radicalement différents de l’informatique classique. Le développement de l’informatique quantique appelle par conséquent à former une toute nouvelle génération de mathématiciens et d’informaticiens capables d’appréhender les principes de la physique quantique.
Sur un plan technique, manipuler des entités élémentaires à l’échelle sub-atomique n’est aujourd’hui réalisable que dans des conditions d’environnement bien particulières, avec des interactions extérieures parfaitement contrôlées et, généralement, à des températures et pressions très basses.
Pour les ordinateurs quantiques, la difficulté principale relève de la fabrication de qubits logiques (22) et de portes logiques quantiques (23). Les verrous peuvent être résumés (24) par les 5 critères du physicien américain David P. DiVincenzo :
– disposer d’un support physique (25) avec des qubits bien caractérisés et contrôlés ;
– déterminer et contrôler l’état quantique des qubits ;
– maintenir la cohérence quantique du système pendant le temps nécessaire au calcul ;
– disposer d’un ensemble de portes logiques quantiques pour effectuer les opérations nécessaires ;
– savoir mesurer, de manière isolée, l’état final des qubits lorsque le calcul est terminé.
Pour les capteurs, les enjeux, outre la maîtrise de l’interaction perturbatrice avec un environnement naturel hors des laboratoires, sont la miniaturisation, la fiabilisation et la caractérisation des domaines d’emploi. La convergence des besoins civils et militaires est néanmoins de nature à accélérer les cas d’usage.
S’agissant de la cryptographie quantique, le défi est triple : limiter l’atténuation de l’énergie lumineuse, et donc du débit, induite par la distance (les fibres optiques altèrent l’état quantique des photons), maîtriser les failles matérielles de sécurité (en particulier au niveau des nœuds de communication) et, enfin, adapter les réseaux de communication existants (la migration technique est génératrice de coûts).
Le défi de la maturité technologique
En dépit des promesses portées par le quantique, l’étude dans le temps de la montée en maturité des ruptures technologiques invite à la prudence. Comme le souligne l’ingénieur en chef de l’armement (ICA) Xavier Grison (26), il s’écoule en moyenne entre 20 et 40 ans entre la validation théorique d’une rupture technologique et son utilisation opérationnelle. Le développement de la bombe atomique en 10 ans fait figure d’exception, précise-t-il, pour deux raisons : la guerre a joué un rôle d’accélérateur (nécessité de l’urgence) et il y a eu « une concentration absolument exceptionnelle de moyens, tant matériels et financiers qu’en potentiel scientifique : au moins 6 titulaires de prix Nobel ont été impliqués ».
S’agissant du quantique, dans le bouillonnement d’initiatives nationales et internationales, s’il est indispensable de bien calibrer nos efforts sous peine de dispersion et d’usure, il est indéniable que nous faisons face aujourd’hui à un engouement général très puissant. Le champ d’application du quantique est extrêmement large (finance, défense, numérique, écologie, transports, chimie…) et le potentiel démultiplicateur vertigineux. En témoigne le niveau d’investissement au niveau mondial qui était de 412 millions de dollars en 2020 et devrait grimper à 8,6 milliards $ à horizon 2027 (27) dans le seul domaine de l’informatique quantique.
Vers une rupture systémique : penser le quantique en termes stratégiques
Un catalyseur technologique qui ouvre à « l’intelligence de la matière »
Comme nous l’avons vu précédemment, le quantique est un accélérateur technologique, qui couvre de très nombreux domaines. Il peut être qualifié de « catalyseur technologique », une « super-matrice capacitaire » qui pourrait accroître considérablement :
• Notre capacité à « comprendre » notre environnement : par la précision inégalée de capteurs de haute performance, par l’IA et le traitement de données de masse puissamment dopés par le calcul quantique, notre environnement deviendra davantage transparent.
• Notre capacité à « agir » au sein de notre environnement : par le calcul quantique permettant la simulation de systèmes complexes aux interactions chaotiques et l’élaboration de solutions optimisées, par des réseaux d’échanges d’information ultra-sécurisés, par la simulation de mécanique quantique et la modélisation moléculaire de matériaux révolutionnaires (hyper-résistants, furtifs, supraconducteurs, etc.), nous serons en mesure d’accroître considérablement nos capacités d’action.
Comme l’écrivait le physicien américain Richard P. Feynman dans un article paru en 1982 (28) : fondamentalement, notre monde physique repose sur la mécanique quantique. Celle-ci structure la réalité corpusculaire de toute la matière qui nous environne. Par analogie, on pourrait considérer que si la physique nucléaire a donné accès à l’énergie considérable qui « tient » les particules élémentaires entre elles, la compréhension des phénomènes quantiques qui régissent le comportement des particules élémentaires donne accès à « l’intelligence de la matière ». Elle ouvre à la possibilité de la modeler, de la reproduire et de la maîtriser.
La maîtrise technique et l’exploitation de la physique quantique, que nous appellerons désormais « contrôle quantique » (29), ne doivent plus être considérées comme relevant d’une simple technologie de rupture parmi d’autres. C’est une vraie rupture systémique qui s’annonce et qui va bousculer notre environnement et, en particulier, pour les armées, le champ de la conflictualité.
Comme l’irruption du « fait nucléaire » en 1945 (30) a ouvert une nouvelle ère géopolitique fondée sur la dissuasion, le contrôle quantique, démultiplicateur de puissance, annonce à échéance 10-15 ans une modification profonde des rapports de force dans un univers stratégique en plein bouleversement.
L’Univers stratégique : facteurs structurels et dynamiques d’évolution
Les facteurs structurants de l’univers stratégique
Selon la définition qu’en donne l’amiral Guy Labouérie, l’univers stratégique est « celui de l’hostilité comprenant toutes les composantes de base des réflexions et des actions de l’homme (31) ». C’est le lieu de la conflictualité où les volontés s’affrontent (32). Cet univers peut être décrit comme des combinaisons de la « Force », du « Temps » et de « l’Espace » sous-tendues par la « Passion », cette « Charge passionnelle » propre à l’homme (33) : conjugaison de ses émotions, de son intelligence et de ses forces morales.
Dynamiques à l’œuvre dans l’univers stratégique
Une dynamique d’ordre
En 1928, le prêtre jésuite français Pierre Teilhard de Chardin inventait le concept de noosphère (34), cette « enveloppe pensante » de la Terre, qui résulte (35) de la mise en symbiose progressive des trois grands types de systèmes humains : sociaux (les individus), artificiels (les outils) et symboliques (les connaissances). Selon lui, cette noosphère est appelée à se développer au cours d’un long processus d’évolution qu’il nomme noogenèse : « De jour en jour la masse humaine “se prend” ; elle se construit ; elle tisse autour du Globe un réseau d’organisation matérielle, de circulation ; et de pensée (36) ». Une forme de supraconscience collective. Le stratégiste Lucien Poirier, sans s’y référer explicitement, en décrivait en 1994 en quelque sorte l’architecture : « ce maillage serré et évolutif de relations (les fibres) entre une multitude de centres de décision (les nœuds) qui “structure” le système-Monde dynamique de systèmes d’acteurs (37) ».
L’une des manifestations emblématiques de cette noogenèse est, sans nul doute, le réseau Internet. Le numérique structure, en effet, l’ensemble de notre champ relationnel, social, artificiel et symbolique. Tel un rhizome, il a envahi notre environnement et sa pénétration se renforce (38). Les canaux se multiplient, s’entrecroisent (39) et s’interpénètrent, le nombre de vecteurs (40) et d’acteurs (41) augmente, les volumes et le type de données stockées (42) et échangés s’accroissent, une confusion, voire une fusion, du réel et du virtuel s’opère (43). Une forme d’hyper-connectivité se dessine. Elle porte et manifeste la noogenèse.
Cependant, la noogenèse n’est ni linéaire ni uniforme dans son mouvement : par un effet de compression, elle génère une forte entropie qui contrarie la dynamique d’ordre.
Une dynamique de désordre
Convoquant à nouveau Lucien Poirier, nous constatons avec lui que « la complexité de l’univers politico-stratégique n’est (…) plus aujourd’hui ce qu’elle était au temps de la multipolarité ordinaire. Elle est d’un ordre supérieur – une hyper-complexité – dès lors que cet Univers, naguère structuré, a éclaté en une nébuleuse d’entités (44) ». Le monde que nous connaissons, dit-il en substance, est en voie de décomposition/recomposition ; le « système-Monde » est fragmenté, soumis à une dynamique chaotique à l’entropie croissante, et dont il est difficile de distinguer clairement les lignes de potentiel et de force, les champs et les flux, les lieux de décision et les nœuds de conflit.
Fragmentation, hyper-complexité et dynamique chaotique… L’analyse du champ informationnel en donne à nouveau une illustration éloquente.
• L’hyper-complexité informationnelle résulte du foisonnement d’informations, d’un envahissement cognitif induit par le Big Data, de la multiplication et de l’enchevêtrement des réseaux, des normes, des architectures, d’une décentralisation accrue des données, de la multiplicité et de la diversité des outils, des systèmes et protocoles, du développement de nouvelles couches dans les systèmes d’information, des méthodes de chiffrement, et des synergies entre le cyberespace et le champ électromagnétique.
• La fragmentation informationnelle résulte d’une dynamique de désordre à la fois de nature socioculturelle induite par l’archipellisation de certaines sociétés (45), une perte de référentiel commun qui favorise une confusion toujours plus forte entre le vrai et le faux, entre le réel et le virtuel (réalité augmentée, métavers, deepfakes), un communautarisme numérique (réseaux sociaux) et à une échelle macroscopique une dynamique divergente de nature politique, par un éclatement du modèle de l’Internet et un repli de certains États sur des réseaux domestiques quasi-étanches (46) doublé d’une fracture numérique croissante entre des espaces hyper-numérisés (Chine, États-Unis, Europe occidentale) et des espaces sous-numérisés (Afrique).
En somme, la densification progressive du « treillis relationnel » induite par la noogenèse et portée, en particulier, par le numérique, emporte avec elle une dynamique contraire, entropique, chaotique, d’hyper-complexification. Alors que la noogenèse contribue à augmenter sans cesse les zones de contact, ce sont autant de points de friction potentiels qui naissent et exacerbent la dialectique de conflictualité propre à l’univers stratégique.
Quel impact sur les facteurs de l’univers stratégique ?
Les quatre facteurs structurels de l’univers stratégique, le Temps, l’Espace, la Force et la Charge passionnelle évoluent énergiquement sous l’effet de ce double mouvement de « cisaillement », la noogenèse et l’entropie qu’elle génère.
• Par suite de la profusion de l’information, de son instantanéité et de sa volatilité, le facteur Temps se « contracte » et contraint toujours plus la volonté et l’intelligence du décideur, bousculé de surcroît par l’accroissement progressif de la puissance des effecteurs, cybernétiques et cinétiques (hyper-vélocité).
• Le facteur Espace est soumis, à l’inverse, à un phénomène « d’expansion » : si l’espace physique, au sens de la biosphère (47), borné par nature, semble écrasé par la toile sans cesse plus resserrée des senseurs et effecteurs (en nombre, en puissance et en vitesse), on assiste à une « dilatation » de la surface de conflictualité par le développement continu du cyberespace, la colonisation de l’espace exo-atmosphérique et des profondeurs océanes.
• Le facteur Force est décuplé par la combinaison croissante des effets permise par l’hyper-connectivité numérique, qui donne davantage de puissance à l’emploi de systèmes d’armes physiques et cybernétiques, en augmentation depuis 20 ans, et qui vient percuter une surface de conflictualité sans cesse plus étirée, ouverte à des failles d’hyper-vulnérabilité.
• Enfin, le facteur Charge passionnelle est soumis à un « stress » croissant et se dilate sous l’effet des dynamiques d’hyper-complexité et de fragmentation : soumis à la pression du facteur Temps, l’homme déploie toutes ses facultés pour lutter contre la saturation informationnelle, la perturbation du champ de ses perceptions et la sidération cognitive.
Comment le quantique va brutalement accélérer les dynamiques d’ordre et de désordre
Le contrôle quantique permettra, nous l’avons vu, de mieux « comprendre » et de mieux « agir », mais dans des proportions qu’il nous est encore aujourd’hui difficile d’imaginer. Le calcul quantique, pour ne se limiter qu’à cette seule application, donne cependant une certaine idée de la puissance offerte : exponentielle.
Certes, il y a encore loin de la coupe aux lèvres, et il faut franchir la « vallée de la mort » entre R&D et applications opérationnelles, mais l’engouement est mondial, le quantique bénéficie d’investissements gigantesques, la convergence duale civilo-militaire est forte et les avancées sont rapides.
En termes stratégiques, le contrôle quantique vient mettre davantage sous tension la dialectique de conflictualité. Parce qu’il va permettre d’augmenter considérablement la masse d’informations disponibles, par des capteurs hyper-sensibles et précis, transportées par des canaux quantiques inviolables, et d’accroître de façon vertigineuse la capacité à les traiter par des processeurs quantiques couplés à de l’IA, il alimente puissamment le mouvement d’hyper-connectivité. Toutefois, parce qu’il contribue, dans le même temps, à faire croître l’entropie informationnelle, il renforce concomitamment les mouvements d’hyper-complexité et de fragmentation.
Dans un mouvement exponentiel, le contrôle quantique vient aviver les tendances de fond qui bousculent l’univers stratégique : écrasement du facteur Temps, dilatation du facteur Espace, accroissement du facteur Force et mise sous « stress » du facteur Charge passionnelle.
Incertitude et foudroyance : remporter la bataille de l’intelligibilité par le quantique
Les bouleversements de l’univers stratégique, exacerbés par le quantique, renforcent la pertinence des deux principes de la guerre
Les perturbations de l’univers stratégique renforcent la pertinence des deux grands principes de la guerre identifiés par l’amiral Labouérie : celui d’incertitude (48), irrigué en permanence par celui de foudroyance (49), dont « la logique profonde (…) est le refus de l’escalade comme principe de l’action militaire ».
« Le principe d’incertitude est destiné à faire monter le doute, le trouble, l’angoisse, la peur chez le combattant, chez les chefs civils et militaires, et dans la population, avec pour but final d’abattre “la volonté de l’Autre” (50). »
L’incertitude (I) est renforcée par la dilatation du facteur Espace (E) (extension des zones de friction) et l’exacerbation de la Charge passionnelle (Cp) (difficulté à rendre intelligible le chaos informationnel) ; ce que l’on pourrait résumer par la formule : I = E x Cp.
Les phases de compétition et de contestation, sous l’effet d’une forte incertitude, devraient s’étendre, ouvrant sur une large plage d’expression de stratégies indirectes – notamment de dissuasion – et la recherche d’une liberté d’action maximale de chacun des protagonistes au détriment des autres.
« Le principe de foudroyance a pour but, non de tout détruire (…) mais de briser le rythme ou les rythmes de l’Autre dans ses diverses activités, de façon à l’empêcher de se reprendre et à le tenir en retard permanent sur l’action (51). »
La foudroyance (F) est renforcée par la contraction du facteur Temps (T) (instantanéité de l’information, accélération du tempo opérationnel) et la puissance du facteur Force (Fo) (puissance et diversité des moyens, combinaison et concentration des effets). Ce que l’on pourrait résumer par la formule : F = Fo / T.
Dans un conflit de haute intensité, la phase de confrontation initiale, sous l’effet de la foudroyance d’une violence désinhibée, sera extrêmement ramassée, brutale, explosive. Chacun des protagonistes, dans l’idée de limiter ses coûts (militaires et politiques) et briser toute dynamique d’escalade – notamment vers l’emploi de l’arme nucléaire si les protagonistes en sont dotés – voudra acquérir très rapidement la supériorité opérationnelle sur son adversaire.
Acquérir la supériorité opérationnelle par le contrôle quantique
Principe d’incertitude
Pendant la phase d’incertitude, alors que les adversaires s’observent, se jaugent, et se testent sous le seuil de la confrontation armée et essaient de se déborder par des manœuvres indirectes, l’objectif est de conserver sa pleine liberté d’action, pour rester maître de ses choix et garder l’initiative. La phase d’incertitude est une lutte pour la liberté d’action.
Pour exploiter le principe d’incertitude (I = E x Cp), s’il apparaît impossible de réduire le facteur Espace en expansion permanente (au sens de l’espace de conflictualité), il faut tirer parti des bénéfices du contrôle quantique pour réduire sa propre Charge passionnelle tout en augmentant celle de son adversaire.
En premier lieu, chercher à lever le « brouillard informationnel » : c’est-à-dire rendre aussi intelligible que possible le chaos cognitif. Pour améliorer notre niveau de connaissance, recueillir un maximum de données de renseignement en multipliant les capteurs quantiques de haute précision portés par des vecteurs diversifiés (plateformes habitées et inhabitées, drones, satellites, ballons), multi-milieux, opérant en réseaux, connectés au cyberespace, utilisant des moyens de positionnement et de navigation [ou PNT] quantiques autonomes et des communications quantiques, ou post -quantiques, cyber-résilientes.
En second lieu, accroître notre capacité d’anticipation : traiter ces données de masse par des algorithmes quantiques d’IA pour les fonctions d’extraction, d’évaluation et d’exploitation de l’information pertinente provenant d’une grande variété de sources. Dans le même temps, ces réseaux physiques et cybernétiques de recueil d’informations devront être en mesure de déployer des mesures d’influence, de leurrage et de déception pour brouiller les perceptions de l’adversaire sur notre manœuvre (on augmente sa Charge passionnelle) et accroître sa propre incertitude.
Enfin, tant que l’incertitude demeure, il est indispensable de se préparer activement à la phase de confrontation dans une logique de simulation (wargame). En exploitant la puissance de l’IA développée par les capacités du calcul quantique, il faut simuler de façon continue tous les scénarios probables – et improbables – alimentés en permanence par des données actualisées issues du renseignement, et planifier toutes les réponses optimales possibles pour nos forces.
Principe de foudroyance
Lors de la phase de confrontation, pour exploiter le principe de foudroyance (F = Fo / T), il faut chercher à augmenter le facteur Force et diminuer le facteur Temps. Ce que l’amiral Labouérie résume par une double convergence :
• Une convergence des efforts dans l’espace opérationnel choisi, par un effet de saturation et de sidération de l’adversaire.
• Une convergence dans le temps, par une très grande vitesse d’exécution des opérations, adossées à une boucle décisionnelle extrêmement rapide.
La conduite de l’action armée, rapide et brutale, visera à créer choc et effroi. La manœuvre d’ensemble devra résulter de solutions opérationnelles coordonnées, multi-milieux et multi-champs (M2MC), physico-cinétiques, cognitives et cybernétiques (combinaison des effets). Le couple « quantique-IA » permettra de créer en quelque sorte un « jumeau numérique » de l’espace de bataille et proposera, en continu, des options optimisées aux différents échelons de commandement reliés par des réseaux SIC (systèmes d’information et de communication) quantiques cyber-résistants. L’autonomie de systèmes PNT quantiques permettra d’assurer un combat collaboratif de haute qualité (coordination des moyens). L’emploi de nombreuses plateformes, habitées et non habitées, pour certaines autonomes, en combat réseau-centré, sera indispensable pour créer un effet de « masse » (concentration des efforts).
On voit se dessiner l’hyperwar théorisée par le général américain John Allen (52), c’est-à-dire l’avènement de conflits où la décision humaine sera – presque – entièrement retirée de la boucle décisionnelle parce que les capacités physiques et cognitives de l’homme sur le champ de bataille apparaissent de plus en plus comme un facteur limitant. Au sein d’un espace de bataille numérisé, info-valorisé et largement « dronisé », l’IA sera en mesure d’élaborer rapidement des solutions militaires efficientes qui permettront de recentrer le rôle essentiel de l’homme sur la prise de décision (enjeux éthiques, juridiques, humains).
Conséquences probables sur notre architecture de commandement et de contrôle (C2)
Le Concept d’emploi des forces (53) précise que le C2 doit être robuste et agile : « Afin de contribuer à la prise d’ascendant sur l’adversaire, le C2 doit gagner la supériorité cognitive permettant du niveau stratégique jusqu’aux échelons tactiques, une prise de décision assurée (large, juste), rapide, jusqu’à une diffusion accélérée des ordres » en vue de faciliter « la saisie d’opportunités opérationnelles, comme leur exploitation ».
À cette aune, l’adversaire qui disposera du meilleur contrôle quantique, en matière de capteurs, de communications et de calculs, sera en mesure d’offrir à son C2 la capacité à mieux « comprendre » (supériorité cognitive par la réduction du brouillard adverse) et donc de réduire le niveau d’incertitude, et la capacité à mieux « agir » (prise de décision, diffusion accélérée des ordres, saisie d’opportunités opérationnelles) et donc d’augmenter la foudroyance de son action.
Compte tenu de la puissance calculatoire nécessaire (encombrement des processeurs quantiques, consommation en énergie électrique, maîtrise de logiciels spécifiques alliant IA et quantique) pour traiter un flux informationnel intense et élaborer en temps réel des manœuvres M2MC coordonnées, complexes et fulgurantes, mieux « comprendre » en vue de mieux « agir » ne sera bientôt plus à la portée des échelons opératifs et tactiques (pour un temps, du moins, en attendant une miniaturisation optimale des systèmes). De surcroît, l’approche M2MC brouille la notion géographique de théâtre d’opérations et de « fronts », et l’hyper-connectivité facilite l’intrusion des acteurs politico-stratégiques au niveau tactique. Par conséquent, on se dirige probablement vers une centralisation très forte, au niveau stratégique, de la conduite de l’action et un écrasement des niveaux de commandement, au détriment du niveau opératif.
Au risque d’une macrocéphalie de l’état-major stratégique, mais qui semble inévitable, le niveau opératif pourrait voir dans les années à venir son rôle peu à peu réduit à une responsabilité de « relais » au profit du niveau tactique : relais de commandement (contrôle de l’action, déconfliction), technique (nœud d’architecture de réseaux SIC, irrigation du niveau tactique en flux informationnel) et logistique (Maintien en condition opérationnelle [MCO], santé). Avec une empreinte au sol légère, une certaine frugalité énergétique, le niveau opératif devra être mobile, distribué et « plastique », avec la capacité à se reconfigurer pour prendre en main, localement, une partie de la conduite des opérations en situation dégradée (perte de liaisons dirimante, attrition très élevée, ne permettant plus au niveau stratégique de disposer d’une claire vision d’ensemble).
* * *
En synthèse, nous constatons une chose étonnante : l’exploitation technique, par le contrôle quantique, des « écarts » à la rationalité du monde subatomique (intrication, état de superposition, coexistence de « réalités parallèles ») ouvre à la possibilité d’une intelligibilité augmentée de l’univers stratégique : une réduction de l’incertitude (capacité à « mieux voir ») et un accroissement de la foudroyance (capacité à « mieux agir »). Il existe en quelque sorte une résonance entre l’indéterminisme quantique caractéristique de l’univers microscopique (dualité onde-corpuscule) et le déterminisme macroscopique de la réalité physique de l’espace de conflictualité.
Il est certain que la mécanique quantique reste d’une très grande complexité et qu’elle interroge tout le champ de l’épistémologie. Nimbée de mystères, elle ne nous a pas encore livré tous ses secrets et nous sommes loin d’en avoir mesuré toutes les potentialités. Cependant la course au contrôle quantique est engagée, et à vive allure. La France ne doit pas se laisser distancer. Pour conquérir in fine un avantage stratégique sur ses compétiteurs, elle doit maintenir dans la durée ses efforts financiers, scientifiques, intellectuels, industriels et RH consacrés aux technologies quantiques et accroître très fortement les synergies civilo-militaires. ♦
(1) Lois établies pour l’essentiel par les physiciens Niels Bohr (Danois), Louis de Broglie (Français), Erwin Schrödinger (Autrichien) et Werner Heisenberg (Allemand).
(2) Les échanges d’énergie s’effectuent de manière discontinue, par paquets, que l’on appelle « quanta ».
(3) Bitbol Michel, « En quoi consiste la révolution quantique ? », Revue internationale de Systémique, n° 11, 1997, p. 215-239 (http://michel.bitbol.pagesperso-orange.fr/revolquant.html).
(4) On parle de seconde révolution quantique. Pendant la première, nous exploitions de façon passive, sans le savoir, les caractéristiques quantiques de la matière, ce qui a donné naissance aux technologies telles que le transistor – à la base des microprocesseurs de nos téléphones et ordinateurs – et le laser.
(5) Il est estimé que la loi de Moore, qui énonce que la densité de transistors dans les processeurs double tous les 18 mois, atteindra son optimum en 2022 avec une taille de transistor de l’ordre de 10 nanomètres.
(6) L’expérience consiste à faire évoluer des photons dans un interféromètre, une sorte de labyrinthe 3D, au sein duquel les photons vont interagir entre eux. Des détecteurs placés à la sortie de l’interféromètre vont compter les photons ayant emprunté les différents chemins. En répétant le processus de nombreuses fois, on aboutit à la distribution de probabilité des parcours suivis par les photons.
Moragues Manuel : « La percée de chercheurs chinois dans le calcul quantique met sur le devant de la scène les qubits photoniques », Fil d’Intelligence Technologique, 9 décembre 2020 (https://www.usinenouvelle.com/).
(7) Prédit depuis une trentaine d’années, un effet quantique appelé « blocage de Pauli » a été démontré pour la première fois en novembre 2021 au cours d’expériences menées par trois équipes de recherche distinctes. Cet effet quantique empêche les atomes d’un gaz ultra-froid de diffuser la lumière et rend la matière quasi-invisible. Benoît Marine, « Une toute première démonstration d’un effet quantique rendant la matière invisible », Sciences et Avenir, 29 novembre 2021 (https://www.sciencesetavenir.fr/).
(8) La seconde à partir des transitions du Césium 133, le kilogramme à partir de la constante de Planck, ainsi que l’ampère, la mole et le kelvin relativement à d’autres constantes quantiques.
(9) On refroidit par laser un nuage d’atomes – composé de quelques millions de particules – à des températures très basses, environ un millionième de degré au-dessus du zéro absolu. « Dans ces conditions, les atomes se déplacent tellement lentement qu’il devient possible de mesurer avec une très grande précision les forces auxquelles ils sont soumis : une accélération ou une rotation », explique Arnaud Landragin, directeur du laboratoire Systèmes de référence temps-espace et lauréat de la médaille de l’innovation 2020 du CNRS. Bourdet Julien, « Les capteurs, l’autre révolution quantique », CNRS Le Journal, 13 janvier 2021 (https://lejournal.cnrs.fr/articles/les-capteurs-lautre-revolution-quantique).
(10) « D’ici 2026-2027, quatre bâtiments de surface de la Marine seront en effet dotés du système Girafe (Gravimètres interférométriques de recherche à atomes froids) développé par l’Onéra » ; « le gravimètre permettra (…) aux navires militaires et civils de savoir exactement où ils se trouvent lors de leur navigation ». Berger Annick, « La Marine française pourrait être la première au monde à utiliser cette technologie révolutionnaire », Capital, 21 février 2022 (https://www.capital.fr/).
(11) Mission QMSat, projet de l’initiative canadienne CubeSats – mise en orbite d’un nanosatellite canadien embarquant un magnétomètre à diamant.
(12) Le conglomérat étatique China Electronics Technology Corporation a annoncé en 2016 avoir mis au point un radar quantique d’une portée 100 km, mais aucun article scientifique n’a été publié permettant de confirmer cette information.
(13) Zhang Chao, Wang Yuanhe et Jiang Xuefeng, « Quantum Radar with Vortex Microwave Photons », Journal of Radars, octobre 2021 (https://radars.ac.cn/).
(14) Google avance le chiffre de 20 Mqbits (NISQ, Noisy Intermediate Scale Quantum). Gidney Craig et Ekera Martin, « How to factor 2048 bit RSA integers in 8 hours using 20 million noisy qubits », Quantum, 15 avril 2021 (https://quantum-journal.org/papers/q-2021-04-15-433/).
(15) Rattachée au SGDSN (Secrétariat général de la Défense et de la Sécurité nationale).
(16) Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, « Technologies quantiques : cryptographies quantiques et post -quantiques », Note n° 18, juillet 2019, p. 1 (https://www2.assemblee-nationale.fr/).
(17) Chancellerie d’État de Genève, « L’État de Genève mise sur la cryptographie quantique » Publications du Canton de Genève, 11 octobre 2007 (https://www.ge.ch/).
(18) Popkin Gabriel, « China’s quantum satellite achieves “spooky action” at record distance », Science.org, 15 juin 2017 (https://www.science.org/).
(19) En Chine, un réseau national est en projet sur 35 000 km, jusqu’à Ürümqi, la capitale de la région autonome ouïgoure du Xinjiang et jusqu’à Lhassa au Tibet.
(20) La décohérence quantique constitue le principal verrou technologique. Des répéteurs quantiques indispensables pour router l’information sur un réseau étendu et ces nœuds de communication constituent à ce jour une vraie faille de sécurité.
(21) « Présentation de la stratégie nationale sur les technologies quantiques », Élysée.fr, 21 janvier 2021 (https://www.elysee.fr/). L’effort est conséquent : il prévoit 1,8 milliard d’euros sur les cinq prochaines années ; 15 % de subventions pour charge de service public, 35 % issus du programme d’investissement d’avenir, 30 % issus d’investissements privés, grâce à un engagement ferme de certains industriels, 15 % de cofinancements européens et 5 % issus des programmes de la Direction générale de l’armement (DGA) et de l’Agence nationale de la recherche (ANR). Ce qui place notre pays au 6e rang des investisseurs mondiaux dans ce secteur.
(22) Un qbit logique est un qbit parfait, c’est-à-dire un système quantique parfaitement stable dans son état de superposition et d’intrication. Il faut aujourd’hui entre 1 000 et 10 000 qbits physiques, instables par nature, pour obtenir un seul qbit logique.
(23) Briques de base des circuits quantiques permettant d’effectuer des calculs, comme le sont les portes logiques classiques pour des circuits numériques classiques.
(24) Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, « Technologies quantiques : l’ordinateur quantique », Note scientifique de l’office n° 15, juillet 2019, p. 2 (https://www2.assemblee-nationale.fr/).
(25) Pour fabriquer des qbits, 6 grandes technologies sont explorées : les supraconducteurs (technologie la plus ancienne et la plus mature), les ions piégés (technologie la plus fiable), les atomes neutres (champion de la cohérence), les photons (avantageux car fonctionnent à température ambiante), les spins d’électrons (intégration possible à grande échelle) et les fermions de Majorana (encore très exploratoire ; cette particule/antiparticule n’a été détectée en laboratoire qu’en 2012).
(26) Grison Xavier, « La dynamique de montée en maturité des ruptures technologiques », Cahier de la RDN « Faire face à la recomposition du monde – regards du CHEM, 70e session », 2021 (https://www.defnat.com/).
(27) International Data Corporation, « IDC Forecasts Worldwide Quantum Computing Market to Grow to $8.6 Billion in 2027 », IDC Media Center, 29 novembre 2021 (https://www.idc.com/getdoc.jsp?containerId=prUS48414121).
(28) Feynman Richard P., « Simulating physics with computers », International journal of theoretical physics, vol. 21, nos 6-7, 1982, p. 467-488 (http://physics.whu.edu.cn/dfiles/wenjian/1_00_QIC_Feynman.pdf).
(29) Bourdet Julien, « Les promesses du contrôle quantique », CNRS le journal, 9 septembre 2015 (https://lejournal.cnrs.fr/).
(30) Le 16 juillet 1945, les Américains réalisent, dans le cadre du projet Manhattan, le premier essai d’arme nucléaire dans le champ de tir d’Alamogordo au Nouveau-Mexique.
(31) Labouérie Guy, Stratégie, réflexions et variations, Addim, 1993, 191 pages.
(32) Selon le général André Beaufre, la stratégie générale est « l’art de la dialectique des volontés utilisant la force pour résoudre leur conflit » : Introduction à la stratégie (1963).
(33) Labouérie Guy, op. cit., p. 51.
(34) Teilhard de Chardin Pierre, Le Phénomène humain, Seuil, 2007, 320 pages.
(35) Teilhard de Chardin Pierre, « L’Hominisation », Œuvres complètes Tome III : La vision du passé, Seuil, p. 75-111.
(36) Teilhard de Chardin Pierre, Le Phénomène humain, op. cit.
(37) Poirier Lucien, La crise des fondements, Economica, 1994, p. 143.
(38) Lors du Forum économique mondial de Davos de janvier 2016, l’ambition était d’amener à 60 % le taux de pénétration mondiale d’ Internet en 2020. Aujourd’hui, 59 % de la population mondiale sont connectés à Internet et ce chiffre croît constamment (récemment encore sous l’effet des confinements successifs consécutifs à la crise sanitaire). Il pourrait approcher 80 % en 2025.
(39) Multiplication des liaisons hertziennes, satellites, drones relais, câbles sous-marins, Data Centers et terminaux (on dénombre actuellement près de 150 Md de terminaux numériques), et en parallèle convergence du cyberespace et du domaine électromagnétique.
(40) Selon les sources, le nombre d’objets connectés en 2035 pourrait aller de 24 Md à plus de 150 Md, soit une moyenne de 16 par personne !
(41) Avec le développement de l’ Internet of Everything (IoE), il ne s’agira plus seulement de connecter entre eux des objets qui relèvent de l’ Internet of Thing (IoT), mais également les données et les personnes.
(42) Le volume de données mondiales en 2010 était de 2 zetta-octets (1021 octets) et on estime qu’il sera de 2 000 Zo en 2035.
(43) Émergence des métavers, univers virtuels persistants et englobants.
(44) Poirier Lucien, op. cit., p. 142.
(45) Fourquet Jérôme, L’Archipel français. Naissance d'une nation multiple et divisée, Seuil, 2019, 384 pages.
(46) La Chine et la Russie érigent des « donjons numériques », et les États-Unis instaurent des « réseaux propres ». La Turquie, la Corée du Nord ou l’Iran pourraient suivre le modèle d’un Internet souverain et cloisonné. En outre, la Chine a l’ambition d’imposer une nouvelle norme mondiale en remplaçant le modèle TCP/IP par un nouveau protocole. Le New IP intégrerait une fonction « kill-switch » permettant à un point central du réseau de couper les communications depuis et vers un autre point du réseau.
(47) Hydrosphère, lithosphère et atmosphère.
(48) Labouérie Guy, op. cit., p. 77-78.
(49) Ibidem, p. 79-80.
(50) Ibid., p. 78.
(51) Ibid., p. 79.
(52) Husain Amir, Allen John R., Work Robert O., Cole August, Scharre Paul, Anderson Wendy R., Porter Bruce et Townsend Jim, Hyperwar: Conflict and Competition in the AI Century, SparkCognition Press, 2018, 174 pages.
(53) Centre interarmées de concepts, doctrines et expérimentations (CICDE), CIA 01 – Concept d’emploi des forces 2020, 38 pages (https://www.cicde.defense.gouv.fr/images/documentation/CIA/20201202-NP-CIA-01_CEF.pdf).