Les « armes à effet dirigé », réelles technologies de rupture, pourraient révolutionner l’art de la guerre. En prenant ce virage capacitaire, notre modèle consoliderait sa cohérence en élargissant les effets militaires tout en renforçant sa crédibilité, y compris dans le champ du signalement stratégique en phase de confrontation. Il est donc essentiel d’investir le domaine à l’heure où nos compétiteurs disposent déjà d’une gamme d’armes à effet dirigé en mesure de réduire drastiquement notre liberté d’action. D’où la nécessité d’avoir également une approche défensive avec les enjeux de protection face à ces armes. En revanche, l’intégration au sein d’un modèle d’armée à budget constant pourrait imposer des choix complexes au travers de certaines évictions.
Les futures « armes de rupture » et leur emploi possible dans les armées françaises
Automne 2016, ambassade américaine à Cuba, des diplomates souffrant de pertes auditives et d’autres symptômes neurologiques variés… et une enquête américaine interne menée pour étudier l’implication russe dans la possible utilisation d’une nouvelle arme sonique indétectable. Si ce contexte avait pu constituer la trame d’un roman de Tom Clancy, la menace a été prise suffisamment au sérieux pour relancer les études sur la protection de l’ambassade… et cela a permis de mettre en lumière dans la presse les nouvelles armes qui pourraient constituer de vraies ruptures militaires.
En mettant de côté l’arme atomique qui est d’un tout autre registre, la guerre a été conduite depuis des siècles avec des armes dont les typologies sont restées, au final, sensiblement identiques : armes blanches, projectiles balistiques, poudres et explosifs et plus récemment armes chimiques ou bactériologiques. À titre d’illustration, la baïonnette des Poilus avait la même finalité que le khépesh égyptien utilisé dans l’Antiquité. Les actuels canons tractés de 155 mm Tr F1 en service dans l’Armée de terre utilisent globalement le même principe général que ceux des galions espagnols du XVIe siècle. Or, depuis plusieurs années, sont apparus des projets d’armement sur des bases technologiques disruptives changeant fondamentalement la catégorisation des effets et au final l’utilisation militaire. Et c’est notamment par les effets que sont caractérisées ces nouvelles armes dites « à effet dirigé ». Sommes-nous à l’aube d’une révolution dans l’art de la guerre avec des nouvelles façons d’engager un ennemi ? Ces nouvelles armes technologiques seront-elles des options militaires complémentaires s’ajoutant aux capacités actuelles ou vont-elles, d’ici quelques années, supplanter des armements existants notamment dans le cadre du retour possible des conflits de haute intensité (1) ?
En prenant ce virage technologique et doctrinal, notre modèle d’armée pourrait consolider sa cohérence tout en renforçant sa crédibilité en élargissant la palette des effets militaires disponibles. Ces armes permettraient également d’augmenter le champ des possibles du signalement stratégique en phase de contestation. Il est donc essentiel d’investir pleinement le domaine à l’heure où certains de nos compétiteurs disposent déjà de projets d’armes à effet dirigé (AED) capable de réduire drastiquement notre liberté d’action si elles étaient déployées. D’où la nécessité, en parallèle du développement de nos technologies patrimoniales, d’avoir une approche également défensive face à ces armes en s’interrogeant sur les protections possibles. Un état de l’art de ce que sont les AED sera initialement conduit permettant de mieux appréhender leurs avantages tactiques, mais également leurs limitations actuelles. Seront ensuite décrites les façons possibles de les intégrer au sein de notre modèle d’armée en ayant, au préalable, abordé les moyens de se protéger face à un compétiteur doté.
Un vaste panorama d’armes dites « nouvelles », mais quel est l’état de l’art actuel ?
Avant de rentrer plus en détail dans l’emploi de ces armes, une présentation générale est nécessaire pour préciser les différentes approches, avantages et inconvénients de chacun de ces systèmes. Sans avoir pour ambition de rentrer dans une description trop détaillée, il est nécessaire d’avoir en tête les notions techniques clefs afin de mieux appréhender les futurs emplois tactiques ou stratégiques. Dans Les armes à effet dirigé : mythe ou réalité (2), Bernard Fontaine, directeur de recherche au CNRS, décrit de façon détaillée l’intégralité des nouvelles capacités. Publié en 2011, son état des lieux sera complété à l’aune des derniers développements.
Par définition, les AED utilisent le principe de la production d’énergie qui, focalisée, produira des effets divers. En complément de ce principe technique de base, il est intéressant de partir de la définition que propose le Centre interarmées de concepts, doctrine et expérimentations (CICDE) dans son Concept exploratoire interarmées : une arme à effet dirigé est « un système capable de transmettre dans une direction voulue une énergie sans intermédiaire d’un vecteur matériel de taille macroscopique et conçu pour générer sur une cible déterminée des effets susceptibles de perturber son fonctionnement ou de la neutraliser (3) ».
Les armes dites « laser » : une première catégorie à la pleine maturité opérationnelle très proche
Le principe d’une arme laser peut être décrit comme la production d’un rayon à partir d’une source massive d’énergie dont la concentration sur une cible produira des effets thermiques (perforation via échauffements sur les systèmes ou brûlures sur les personnes) ou éblouissants (saturation des capteurs infrarouge ou électro-optiques ou aveuglement des combattants).
Les avantages des armes laser sont très nombreux. Cette technologie permet un tir directif tendu avec une très grande précision réduisant les risques de dommages collatéraux. La vitesse de propagation est proche de celle de la lumière permettant une quasi-immédiateté d’intervention. Par construction, il n’y a pas de munitions évitant tous les enjeux de stockage avec les problématiques logistiques associées (volume de stockage, risques pyrotechniques intrinsèques des munitions, contrôles hygrométriques, manipulations…). Le nombre de tirs possible ne dépend que de la capacité du système à produire de l’énergie. Le coût d’un tir est estimé faible car dépendant seulement de la production d’énergie. La gradation des effets sur une cible est technologiquement possible en modulant simplement la puissance du rayon émis. Ainsi, il est possible d’aller de l’éblouissement d’un capteur adverse jusqu’à sa destruction complète. Les effets sur les combattants ennemis pourraient être également adaptés : d’une simple brûlure dissuasive à une arme mortelle suivant l’intensité et les zones du corps ciblées. Enfin, par construction physique et au vu de sa fulgurance, il est impossible « d’intercepter » un laser comme pourrait l’être un missile ou une munition avant d’atteindre sa cible.
Plusieurs inconvénients sont néanmoins à prendre en compte. La capacité de production d’énergie reste le point clef car elle nécessite des installations proportionnelles à la puissance souhaitée. Les travaux de miniaturisation sont en cours, mais il y a encore une parfaite bijection entre la taille du système laser et son pouvoir offensif. Les contraintes liées au refroidissement du système sont à prendre en compte et c’est principalement ce facteur qui restreindra la cadence des tirs. Des contraintes de diffraction existent et les performances se dégradent dans les systèmes actuels en cas de nébulosité ou d’humidité de l’air imposant d’augmenter la puissance émise pour conserver les mêmes effets. Les tirs par laser sont également restreints à des tirs tendus imposant d’avoir « dans la ligne de mire » le système à traiter. Enfin, le laser présente des risques d’aveuglement à prendre en compte en construction, dans la formation des opérateurs… et juridiquement.
Les armes à micro-ondes de forte puissance : une deuxième catégorie aux effets prometteurs malgré les difficultés actuelles de développement
Les armes à micro-ondes constituent une deuxième famille d’armes à effet dirigé. Le cœur du système est basé sur l’utilisation d’un faisceau puissant d’ondes électromagnétiques émis pour perturber, endommager ou détruire, suivant les besoins, les circuits électroniques.
L’utilisation de faisceaux électromagnétiques sur les matériels électroniques peut être sans aucun effet sur les personnes (arme considérée potentiellement comme non létale) tout en ayant des effets déstabilisateurs majeurs sur les chaînes de commandement et les capacités offensives et défensives de l’ennemi. Toutefois, une utilisation de cette technologie comme arme sur des êtres humains peut produire des brûlures par effet direct sur la peau ou des douleurs par effets indirects sur les molécules d’eau du corps.
À l’instar des armes laser, l’évocation des avantages et des inconvénients peut éclairer les choix capacitaires futurs.
Les armes à micro-ondes ont des effets invisibles à l’œil nu permettant à l’opérateur du système de rester plus facilement camouflé. L’arme ne produit pas de fumée, ni de rayons visibles et aucun bruit majeur n’est émis rendant difficilement détectable la batterie de tir amie. Il sera également complexe de dissocier lors d’une panne d’un système une attaque ennemie délibérée d’une cause interne type avarie. Comme pour les lasers, le coût d’utilisation, du fait de l’absence de munitions, restera plus modéré tout en facilitant grandement la logistique.
Des problématiques de développement perdurent. La capacité à produire une énergie suffisante pour disposer d’une arme aux effets majeurs sur des cibles de grande dimension reste un enjeu technique de taille. De plus, la difficile focalisation du rayon en réduit la précision avec actuellement des difficultés physiques pour concentrer les effets sur une cible donnée. L’absence de dommages collatéraux ou la maîtrise des effets militaires restent deux enjeux complexes à garantir. En effet, il n’y aura pas obligatoirement de signaux extérieurs illustrant les effets de l’arme à micro-ondes sur un matériel. De plus, cibler un système en particulier avec des effets militaires précis reste aujourd’hui complexe. Par exemple, il est encore difficile de viser précisément un autodirecteur d’un missile pour empêcher l’accrochage d’une cible amie. Son système de propulsion pourrait également être touché en le rendant incontrôlable avec des dommages collatéraux possibles à la clef. Pour finir, une dernière problématique concerne les conditions météorologiques. Les faisceaux électromagnétiques sont extrêmement impactés par les conditions de température et d’humidité de l’air réduisant de fait la portée et donc les effets.
Une arme à effet dirigé plus spécifique : les bombes à impulsion électromagnétique (IEM)
Utilisant la même technique qu’un canon à micro-ondes mais à une plus grande échelle et avec des effets non directifs assumés, les bombes à IEM sont à l’étude dans plusieurs pays. Ces armes, non nucléaires, produisent une IEM perturbant tous les systèmes électroniques à proximité. Les effets sont bien connus depuis les premiers travaux sur l’arme atomique qui génère, dans ses effets induits, une impulsion identique. La technologie utilisée ici est bien différente. L’avantage de ce type de bombe est d’engendrer des effets uniquement sur les systèmes électroniques sans impacter les combattants. À l’heure de notre hyperdépendance à la technologie, une bombe à impulsion serait redoutable sur nos sociétés ultra-connectées.
Le canon à son ou l’utilisation du bruit comme capacité offensive
Pour poursuivre ce panorama général, il est possible de rajouter dans les AED, les canons dit « à son ». Complémentaires des précédentes armes, leur principe de base est l’émission de sons, d’infrasons ou de basses fréquences aux impacts différents. Soit le son émis est dans les gammes audibles et crée ainsi une douleur via une volumétrie très élevée, soit il est inaudible, établi sur la base de fréquences qui rentrent en résonance avec les fréquences propres du corps afin de créer des perturbations internes impactant la capacité à combattre de l’ennemi.
Comme l’a détaillé la chercheuse indépendante Juliette Volcler, auteure de plusieurs articles sur l’exploitation du son, ces canons peuvent constituer une véritable arme défensive en ayant un effet repoussoir sur les foules. Sur la production d’ultrason non perceptibles, elle précise, non sans ironie, que « les oreilles n’ont pas de paupières » (4) et qu’il est donc plus difficile de s’en protéger rendant l’arme difficile à contrer.
Les avantages technologiques et tactiques sont multiples. L’utilisation de canon à son est non létale à la base et permet une gradation des effets suivant les puissances sonores utilisées. Les armes à ultrasons produisent des effets variés suivant les fréquences utilisées avec des réactions différentes en fonction des parties du corps visées. La production d’ultrasons, perturbant les adversaires, rend l’arme absolument discrète et il sera complexe d’identifier les vraies causes des maux ressentis : effet d’une arme ennemie ou raisons médicales communes ?
Toutefois, et même si la technologie de production du son est maîtrisée, il est encore complexe d’obtenir une concentration précise du faisceau sonore rendant l’arme aussi directive qu’escompté. Du côté des effets sur l’organisme, les réactions ne sont pas universelles car fortement dépendantes des caractéristiques individuelles.
Une arme de rupture mais non directement à effet dirigé : les canons à IEM
Pour terminer cet état de l’art, il est intéressant d’aborder les canons à IEM (ou « railgun » dans l’approche anglo-saxonne) qui utilisent cette énergie pour lancer des projectiles à partir d’un rail. En toute rigueur sémantique, ce ne sont pas des armes à effet dirigé car ce n’est pas un faisceau d’énergie qui est émis puis focalisé. Toutefois, parce que leur emploi pourrait constituer une vraie rupture eu égard à l’augmentation des performances, cette technologie sera également abordée.
Le potentiel technique de cette nouvelle artillerie pourrait constituer une rupture notamment tactique avec le lancement de projectiles hypervéloces sur des distances de plusieurs centaines de kilomètres. La différence avec les traditionnels canons à poudre est bien dans la source de propulsion permettant cette si grande évolution dans les portées. Cette force électromagnétique est obtenue par des courants de haute tension circulant dans des rails conducteurs. L’avantage tactique est évident, la portée augmentée permettra des tirs à une plus grande distance de sécurité des systèmes de riposte ennemis.
Toutefois, les développements restent complexes et les projets ont évolué au gré des difficultés techniques et budgétaires. Néanmoins, le secteur reste actif avec des projets en Chine (canon en test depuis 2014 sur le navire Haiyang Shan pour une mise en service escomptée à l’horizon 2025 avec une portée de 200 kilomètres) (5) et au Japon (6) quand les États-Unis, à l’inverse, réduisent leurs investissements (7). En Europe, les travaux sont également bien lancés, notamment avec le consortium PILUM (Projectiles for Increased Long Range effects Using Electro-Magnetic railgun) sous l’égide de l’Agence européenne de la Défense. Rassemblant neuf partenaires issus de cinq pays différents, le projet pourrait déboucher sur une capacité européenne autonome (8).
Fort de ce panorama technologique, il est désormais plus aisé de préciser l’emploi possible au sein des armées et de détailler les différentes fonctions opérationnelles que ces nouvelles armes pourraient servir.
L’utilisation opérationnelle de ces armes : des nouvelles missions possibles étoffant les capacités militaires sur les champs de bataille
La lutte anti-drones et la protection des sites de façon plus large : des missions parfaitement adaptées pour employer des AED
Une utilisation, d’ores et déjà, opérationnelle des armes à effet dirigé est la lutte anti-drones avec une extension possible vers de vrais boucliers de théâtre anti-munitions. Dans cette mission de défense tactique, la technologie laser est la plus couramment utilisée notamment pour abattre des drones ou des essaims de drones. Ces systèmes à énergie dirigée peuvent être utilisés en protection de sites (type base ou camp de manœuvre) ou sur des véhicules roulants pour de la défense avancée ou de la couverture de déplacements. Le faisceau laser provoquera des échauffements directement sur le(s) système(s) ennemi(s) avec comme conséquences son dysfonctionnement ou sa destruction par brûlure des structures.
De nombreux pays sont bien avancés dans le développement et l’utilisation opérationnelle de ces armes (le système THOR – Tactical High Power Operational Responder – américain par exemple est estimé opérationnel contre les essaims de drones à l’horizon 2024) mais un compétiteur à nos frontières a pris une certaine avance technologique, il s’agit de la Turquie. L’entreprise Roketsan a pu présenter en 2019 le système Alka combinant un laser de 50 kW et un lanceur électromagnétique dont le but est d’atteindre un essaim de drones à environ 4 000 m (données constructeur) (9). La portée intéressante du système, sa précision redoutable ainsi que sa capacité à suivre plusieurs cibles simultanément en font un système à surveiller de près. Les premières utilisations opérationnelles permettront d’en confirmer les vraies capacités.
La France, dans le cadre des Jeux olympiques et paralympiques (JOP) de Paris 2024, s’intéresse précisément à ces systèmes défensifs laser dans le but de rendre imperméables les bulles de protection qui seront déployées et notamment contre des menaces à bas coûts type drone. La Compagnie industrielle des lasers (CILAS), entreprise française fondée en 1966, aujourd’hui filiale d’Ariane Group, s’est positionnée sur le secteur avec le système HELMA-P (High Energy Laser for Multiple Applications-Power) capable de détecter des drones d’un poids inférieur à 100 kilogrammes et ceci jusqu’à 3 km de distance. Complémentaire au système portatif Milad (Moyens interarmées de lutte anti-drone) actuellement déployé dans les forces car autorisant des portées supérieures, il permettra une utilisation semi-autonome dans les fonctions détection/engagement de tir.
La mise en place effective de boucliers de zone, en mesure de détruire les roquettes et autres obus d’artillerie ennemis, est une capacité qu’il sera possible de déployer rapidement. C’est le concept C-RAM (Counter-Rockets Artillery and Mortar) avec comme mission la destruction de projectiles type roquettes ou drones par des lasers. Cette solution technologique offre une meilleure efficience que l’emploi de guets à vue armés avec un plus grand nombre de cibles qu’il sera possible d’engager en même temps. De plus, le faible coût d’un tir laser permet d’être en cohérence vis-à-vis de celui de la cible à traiter (potentiellement des drones de loisir dont l’usage a été détourné), quand l’utilisation de missile défensif pour la même mission reviendrait très cher.
Faisant suite au retour d’expérience du conflit en Afghanistan, mais plus récemment du conflit au Haut-Karabagh au cours duquel l’Azerbaïdjan a fait usage d’essaims de drones rustiques contre l’Arménie (10), la protection des sites restera un enjeu majeur.
La protection ou la mise hors service de satellites : des missions pour lesquelles les armes lasers seront structurantes
Une autre mission clef qui se développe rapidement chez nos partenaires et compétiteurs est l’autoprotection des satellites. L’espace est un nouveau champ de conflictualité dans lequel des actions d’espionnage passif et de manœuvres offensives se développent prenant nos satellites pour cible. Leur protection devient une priorité.
Comme l’a rappelé le général Friedling, commandant l’actuel Commandement de l’Espace (CDE), dans son audition au Sénat en février 2019, « nous devons accroître notre effort sur la protection passive de nos moyens spatiaux, ce qu’on appelle communément le durcissement de nos capacités (11) ». Cette protection pourrait passer par l’installation d’équipements embarqués comme des armes laser en mesure d’aveugler temporairement ou définitivement un satellite espion navigant trop près ou des armes à IEM capables d’aller vers une destruction définitive des systèmes électroniques du satellite ennemi (12). Une nouvelle fois, la gradation des effets est pleinement possible avec ce type de technologie. Actuellement encore au stade de prototype, un laser en mesure de détruire ou fortement endommager un satellite ennemi pourrait être employé depuis une station sol. Cela imposera une précision de tir et une puissance toujours en cours de développement. En revanche, l’approche opérationnelle est différente avec une défense de « zone spatiale » plutôt qu’une défense individuelle de satellites. Eu égard à l’obligation technique des tirs laser tendus, cela imposerait la répétition des stations sols pour espérer couvrir de vastes espaces. Cette orientation capacitaire serait plus focalisée sur la protection de zones sensibles dont l’espionnage ennemi est à éviter avec notamment la capacité à aveugler les satellites passant à la verticale.
La technologie pour atteindre un satellite depuis le sol via un laser est maîtrisée mais reste entier l’enjeu de la puissance. Depuis la fin des années 1990, les États-Unis disposent du dispositif MIRACL (Mid-Infrared Advanced Chemical Laser) en mesure d’illuminer un satellite depuis le sol (13). La Russie a récemment déclaré opérationnel son système Peresvet déployé justement à proximité immédiate de ses rampes de lancement de missiles balistiques nucléaires dans le principal but de contrer l’espionnage satellitaire (14).
Aider la progression de nos forces sur le terrain en améliorant leur protection
Toujours dans le domaine défensif, une autre utilisation tactique possible est l’aide à la progression de nos forces par la prise en compte de deux enjeux et menaces : la protection contre les Engins explosifs improvisés (IED) et le contrôle des foules hostiles.
La destruction à distance des IED est désormais rendue possible via l’utilisation de lasers ou la production d’IEM émises depuis un système embarqué sur un véhicule. La France dispose d’une avance majeure toujours au travers du système HELMA-P déjà citée dont le panel des missions tactiques possibles est vaste. Tout l’avantage d’un tel système réside dans le fait d’avoir une capacité défensive multiple pouvant passer du traitement d’une cible au sol (IED, véhicule roulant) ou en vol (drone, munition).
L’utilisation par des forces de police de certaines villes américaines (New York, Pittsburgh) (15) reste un exemple éclairant de l’emploi possible de canons à son grâce notamment au système LRAD (Long Range Acoustic Device). Des systèmes identiques ont été utilisés par l’armée américaine en Irak à Falloujah en 2003 en particulier dans la protection des checks points. L’emploi de faisceaux électromagnétiques via le système antipersonnel VMADS (Vehicle Mounted Active Denial System) est en test depuis 2005 (16). Ce système, produit par l’entreprise Raytheon, semble avoir atteint sa maturité technique mais il n’a pas encore été déployé en opérations, principalement pour des raisons d’éthique et de doctrine.
La protection des navires contre les menaces de piraterie
Protéger les navires civils ou militaires face à des assaillants est une mission à laquelle les AED sont parfaitement adaptées. Des systèmes électromagnétiques ou sonores ont pu être installés sur des navires afin de repousser des attaques au plus fort des problématiques de piraterie dans l’océan Indien (17). Le système LARD (Long-Range Acoustic Device) de la société britannique APMSS (Anti Piracy Maritime Security Solutions) a équipé bon nombre de bâtiments de canons sonores efficaces jusqu’à 1 000 m et provoquant une douleur insupportable à 200 m. La gradation des effets est une nouvelle fois intéressante avec la possibilité de prévenir les agresseurs potentiels d’abord « à la voix » avant d’augmenter la puissance sonore pour une action plus dissuasive. La non-létalité de l’arme et sa relative facilité d’emploi (comparée à celle des armes à feu qui nécessite un entraînement adapté pour maîtriser la précision de tir) rendent pertinentes l’installation d’armes à effet dirigé sur des navires civils avec néanmoins l’enjeu maîtrise des effets collatéraux.
Une future utilisation tactique voir opérative : l’emploi de bombes à IEM pour déstabiliser l’ennemi
Une autre utilisation des technologies liées aux AED est la génération d’une IEM de forte amplitude via une bombe. Le but sera de détruire ou fortement endommager localement les appareils électriques dans une zone de quelques dizaines à quelques centaines de mètres. Armement non létal et dont il est assez complexe de se protéger des effets sur les réseaux de communication et les systèmes informatiques, ce type d’armement est, d’ores et déjà, déclaré opérationnel par les États-Unis (18) et la Chine (19).
Après l’emploi opérationnel possible dans les forces, il est intéressant de s’interroger sur les orientations technologiques possibles pour protéger nos personnels mais également nos armements des impacts des armes à effet dirigé.
La course entre « le glaive et le bouclier » ou comment se protéger des AED qui équiperont nos adversaires ?
Protéger les systèmes
Comme depuis des siècles, la course entre les nouvelles armes et les moyens de s’en protéger continuera. Face à nos ennemis dotés, il va être capital de définir une stratégie défensive, à la fois opérationnelle et capacitaire.
Tout d’abord, sur les systèmes d’armes existants dans nos forces, une étude fine de leurs fragilités actuelles devra être conduite pour identifier les marges de manœuvre programmatiques possibles en termes de protection (test de vulnérabilité). Le rajout de filtres protecteurs pour les optiques de nos armements et de nos satellites est une option technique crédible face aux menaces laser. Recouvrir de couches de protection nos systèmes d’armes afin de retarder les effets de l’échauffement thermique par laser est une autre voie technique à explorer (surfaces réfléchissantes). Dans le cadre, cette fois, des développements à venir et pour renforcer l’efficacité de nos missiles qui pourraient être perturbés par un laser, la mise en autorotation constante jusqu’à une certaine altitude est une piste à étudier afin de réduire le temps d’exposition à un endroit fixe et ainsi retarder les effets d’échauffement. L’alourdissement du système de propulsion impactera néanmoins la portée des missiles sans que les conséquences financières et opérationnelles puissent être évaluées en l’état actuel.
Face aux rayonnements électromagnétiques auxquels nos systèmes électroniques toujours plus modernes sont extrêmement sensibles, deux principales vulnérabilités existent : la course à la miniaturisation des circuits et l’absence régulière de protection globale type cages de Faraday. Comme il est rappelé dans la note « Renseignement Technologie et Armement » d’avril 2020 du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R) (20), notre vulnérabilité a augmenté avec le développement des systèmes de communication sans fil et la miniaturisation de l’électronique. La présence d’antennes relais, rendue nécessaire pour nos terminaux radio, est au final une voie d’entrée facilitée pour les ondes électromagnétiques offensives qui pourront endommager ces systèmes. La miniaturisation, axe de développement recherchée par les industriels, induit l’utilisation de courants électriques plus faibles et par conséquent plus sensibles aux champs électromagnétiques potentiellement provoqués par une attaque ennemie. C’est bien sur ces deux pistes que des réflexions doivent être conduites.
Les puces pourraient être « blindées » via une enveloppe créant une protection adaptée. À plus grande échelle, les systèmes d’armes pourraient être intégrés dans des installations adaptées type cage de Faraday. Dans le cadre du développement de nouveaux systèmes, une attention particulière pourra être portée sur les formes et les surfaces afin de réduire au maximum la taille des antennes qui sont des véritables zones de concentration des effets électromagnétiques et constituent de véritables « portes d’entrées ». Si le « blindage » des puces et les protections électromagnétiques des câbles ne doivent impacter que modérément le poids global de nos systèmes électroniques eu égard aux derniers progrès techniques dans les matériaux, la protection physique via des cages de Faraday aura une conséquence non négligeable sur les performances des systèmes. Il est en revanche difficile de chiffrer cet impact actuellement.
Protéger les combattants
Sur les champs de bataille, nos soldats devront pouvoir être protégés. Face aux trois grands types d’armes (laser, électromagnétique ou sonore) chaque type de protection sera différent et complémentaire. Des lunettes spécialement adaptées ainsi que des vêtements en mesure de réfléchir les rayons sont des éléments essentiels face aux lasers. Contre les menaces électromagnétiques, il s’agira plus de protéger les matériels portatifs individuels avec des coques et vêtements adaptés tout en s’intéressant aux nouveaux tissus en mesure de moins absorber les ondes ennemies dans lesquelles pourraient évoluer nos personnels. Enfin, de façon plus classique, des bouchons ou casques auditifs permettront de se prémunir des armes sonores même si, nous l’avons vu, le risque proviendra plus des ultrasons, difficilement arrêtables. Si les équipements de combat, et le Félin (Fantassin à équipements et liaisons intégrés) en particulier, sont conçus et traités pour faire face aux menaces NRBC, la prise en compte des menaces laser et électro-magnétiques n’est pas encore pleinement intégrée. Une évolution programmatique pourrait être étudiée et chiffrée.
L’encadrement juridique de ces nouvelles armes : un enjeu majeur des années à venir
Si la protection matérielle « effective » face à ces menaces est essentielle, celle face à ces armes doit aussi être législative par un encadrement possible de leur emploi.
Le premier texte ayant encadré l’emploi de ces nouvelles armes est la Convention sur certaines armes classiques (CCAC) de 1980 (21) interdisant l’emploi des armes « frappant sans discrimination » ou produisant « des effets traumatiques excessifs » ou de nature « à causer des maux superflus ». Le protocole n° IV de 1995 (22), qui y est rattaché, traite plus spécifiquement des lasers. Il interdit leur emploi s’ils sont conçus spécifiquement pour provoquer la cécité permanente (article 1). Leur emploi volontaire sera considéré comme un crime de guerre.
Un autre texte peut, d’une certaine manière, régir les armes à effet dirigé à la technologie duale. Il s’agit de l’arrangement de Wassenaar (23). Signé en 1994 et opérationnel en 1996, il porte sur le contrôle des exportations d’armes conventionnelles et de matériels de guerre à double usage associés. Fort de 42 États participants, ce texte a pour but d’empêcher l’accumulation de « biens à double usage » dont l’emploi pourrait être détourné à des fins militaires. Les lasers de forte puissance sont abordés par le document couvrant le cas d’une création d’armes laser par détournement de systèmes à la base technologique civile.
Au sein de ce cadre juridique encore à consolider, seuls les lasers sont actuellement nominativement pris en compte. Les autres AED seront concernées par la caractérisation « effets non discriminants » ou « produisant des effets traumatiques excessifs ». Une arme sonore, par la difficulté à concentrer réellement les effets, produit des effets non discriminants et pourrait rentrer dans le cadre de la convention CCAC. Un canon à micro-ondes, capable de provoquer des brûlures excessives, pourrait également tomber sous le coup de cette même convention.
Au gré des évolutions technologiques et de l’avancée de nos compétiteurs, il est urgent de militer pour un encadrement plus strict et précis de l’emploi des armes à effet dirigé afin d’éviter la prolifération d’armes dont la capacité létale est réelle et dont certaines sont assez facilement accessibles au travers des technologies duales.
Enfin, une autre caractéristique majeure de ces armes renforce le besoin d’encadrer plus spécifiquement leur emploi : il s’agit de la « non-attribution » possible. Il peut être très complexe de disposer de preuves de l’emploi effectif de telles armes. Ces dernières ne laissent strictement aucune trace à l’inverse des résidus de cartouches, mines, missiles ou torpilles laissés sur le champ de bataille (24), tout en étant d’une rapidité d’effet redoutable. L’attribution de l’emploi de telles armes à un des belligérants, s’il agit de façon discrète comme le permet la typologie de ces systèmes, restera complexe. Des actions clandestines sont possibles et, en cas de violation de la Convention de 1980, la poursuite des auteurs sera un défi.
Après avoir exposé le panorama général de ces armes tout en ayant précisé les enjeux de les encadrer, la question de leur intégration dans notre modèle d’armée se pose.
L’intégration au sein de notre modèle d’armée : une intégration progressive à ne pas manquer
L’approche par un scénario opérationnel : l’entrée en premier facilitée par ces nouvelles armes
La capacité « d’entrée en premier » est cruciale pour nos forces concourant à leur liberté d’action et le maintien de l’initiative dans un conflit. Les AED pourraient pleinement contribuer à cette mission complexe.
En rentrant quelque peu dans les détails tactiques, la destruction des défenses sol-air adverses pourrait se faire via des lasers endommageant les radars de conduite de tir ou via des IEM perturbant l’acquisition et les transmissions (systèmes employés par les Forces spéciales depuis le sol ou de la mer vers des stations côtières (25)). La couverture « feu » type artillerie des progressions amies pourrait se faire via des canons à rail électromagnétique dont la portée dépasse très largement les Camions équipés d’un système d’artillerie (Caesar) actuels (une quarantaine de kilomètres) autorisant des tirs éloignés des ripostes ennemies depuis des positions tenues sur terre ou en mer. La progression pourrait être rendue difficile à suivre par les satellites ennemis en les aveuglant grâce à des lasers conduits, soit depuis des stations sol, soit directement depuis l’Espace. Enfin, en action préparatoire, l’emploi de bombes tactiques à IEM pourrait pleinement désorganiser les défenses ennemies sans dommages humains collatéraux permettant également de maîtriser l’escalade.
Au travers de cette mission phare, il est simple de percevoir l’intérêt tactique et opératif de telles armes partant du principe qu’elles seraient technologiquement maîtrisées sous peu.
Une place particulière entre les armes conventionnelles « anciennes » et l’arsenal nucléaire
De façon plus prospective et au vu des capacités à venir de ces nouvelles armes, ces dernières pourraient avoir une place particulière dans notre modèle capacitaire entre les armements « plus classiques » et l’arsenal nucléaire. Leur emploi ou menace d’emploi, permettrait de compléter la gradation des effets et apporterait d’autres options dans le découragement stratégique.
Les stratégies militaires de nos compétiteurs s’orientent de plus en plus vers des actions hybrides avec des opérations sous le seuil de la conflictualité. Dans ce contexte toujours plus mouvant, il est d’autant plus pertinent de disposer d’un maximum d’effets militaires possibles permettant d’adapter au mieux la gradation des réponses. À ce titre, les armes à effet dirigé pourraient être de véritables « game changers » stratégiques dans un avenir plus ou moins proche.
Dans le rapport Chocs futurs publié par le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) (26), il est rappelé qu’à l’horizon 2030, deux tiers de la population mondiale résideront au sein de villes, villes qui seront directement dépendantes de moyens électroniques. Il est donc clair que la maîtrise d’armes électromagnétiques à effet dirigé non létales sera un enjeu militaire crucial. En effet, disposer d’armes en mesure de frapper à grande échelle des implantations humaines perturbant fortement et durablement toute l’économie (et le moindre fait et geste des citoyens) sera une rupture stratégique majeure.
Dans un monde ultra-connecté où l’information circule vite et où la menace nucléaire a été amoindrie voire oubliée depuis la fin de la guerre froide, la menace d’un « black-out » électronique au travers d’une communication stratégique finement orchestrée pourrait avoir un impact dissuasif majeur. Scénarisée et à la communication orchestrée, une démonstration de force via une destruction ciblée de matériels en utilisant une IEM sans victime serait un message fort. Au vu des possibilités et de la gradation des effets, ces nouvelles armes s’inscrivent pleinement dans l’orientation stratégique « gagner la guerre avant la guerre ».
Une intégration progressive au sein de notre modèle d’armée
Fort de ces constats et scénarios, l’intégration dans le modèle d’armée français se pose notamment pour la prochaine Loi de programmation militaire (après 2025). La maturité des différentes armes diffère selon les technologies mais les recherches avancent et des choix stratégiques vont devoir être conduits. À la différence des armes « classiques » qui pourraient simplement venir compléter une capacité déjà présente en améliorant des performances existantes, les AED apportent des nouvelles options militaires qui pourront être intégrées dans des missions structurantes pour les armées.
La première mission envisagée est bien sûr la lutte anti-drones sur laquelle les capacités défensives françaises méritent d’être complétées. Afin d’avoir un jalon d’essai pour les JOP 2024, l’acquisition d’armes laser à intégrer dans les prochains travaux budgétaires est une option capacitaire crédible et soutenable (coût d’acquisition modéré et coût d’exploitation mesuré). Le retour d’expérience des lasers dans la protection de sites permettra d’affiner une stratégie à plus large échelle dans le cadre de la protection des implantations militaires en Opérations extérieures (Opex) puis en métropole (intégration des travaux possibles en LPM 2026-2030). L’utilisation défensive commence à atteindre sa pleine maturité laissent entrevoir une acquisition et un déploiement opérationnel dans les mois à venir.
L’accélération des développements au travers de coopérations internationales
Une pleine capacité offensive reste plus complexe à atteindre eu égard à la maturité actuelle et aux coûts des développements. Des coopérations internationales restent des voies possibles pour permettre un développement puis une acquisition d’armes à effet dirigé offensives en complément des armes actuelles. Eu égard à l’enveloppe budgétaire comptée, tenant compte des programmes d’armement à venir, les AED pourraient être initialement une capacité offensive en plus (certes initialement limitée) dans l’attente d’une plus grande maturité et de la consolidation d’une doctrine (« armes en complément de »). En revanche, ne pas se positionner sur le segment en n’encourageant pas la recherche et les investissements idoines nous fait prendre le risque d’un déclassement technologique majeur. Et comme nous l’avons vu, l’effet dissuasif de ces armes pourrait placer la France dans une certaine fragilité stratégique.
Au niveau des coopérations, la question des technologies à maîtriser intégra-lement en patrimonial se posera. Typiquement, la capacité de générer le faisceau laser restera la technologique structurante. L’Institut franco-allemand de recherche de Saint Louis, sous tutelle de la Direction générale de l’armement (DGA), est justement en charge « des recherches pluridisciplinaires pour inventer les équipements du futur ». Disposant de moyens industriels, des travaux sont menés en coopération sur la génération laser permettant d’escompter une pleine maîtrise en patrimonial de ces technologies de rupture.
Ayant remporté un appel d’offres de l’AED, le consortium TALOS (Tactical Advanced Laser Optical System) conduit par l’entreprise CILAS, a pour ambition de doter l’Union européenne de lasers à haute énergie à l’horizon 2025. Cela illustre les nécessaires coopérations pour conserver une place dans la course aux AED.
Une fois la technologie des armes offensives pleinement matures à un horizon plus lointain (canon à rail électromagnétique, bombe à impulsion à plus grand rayon d’action), le remplacement pur et simple de certaines de nos capacités existantes pourrait être la solution (« armes à la place de ») à la lumière des avantages de ces nouvelles armes. Au vu des capacités envisagées, le remplacement du Caesar ou du Sol-Air Moyenne-Portée Terrestre (SAMP/T) pourrait être envisagé ainsi que celui des armements embarqués sur les bâtiments à la mer. L’expérience acquise sur la période 2025-2030 éclairera les choix de nos armements post-2030.
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En reprenant la question du livre de Bernard Fontaine « les armes à effet dirigé, mythe ou réalité ? », il est clair que la maturité technologique a bien progressé depuis sa publication en octobre 2011 et plus particulièrement dans le domaine des lasers. Toutefois, les concepts et doctrines restent encore aux prémices conservant pour l’instant l’emploi de ces armes dans un rôle plutôt défensif. La complexité des enjeux juridiques et éthiques explique en partie que la montée en puissance de ces armes soit au final assez lente. Alors que pourtant, elles pourraient révolutionner l’art de la guerre. Parce que nombre de nos compétiteurs et adversaires se sont positionnés sur ces capacités militaires, nous n’avons pas d’autre choix que d’investir le segment avec la maîtrise autonome de pans technologiques clés. À ce titre, la dualité de certaines technologies (laser notamment) sera un accélérateur de développement en s’appuyant sur le marché civil.
Véritable outil de découragement stratégique face à des puissances qui ne disposeraient pas de telles armes, la course à l’armement a débuté avec la volonté des grands compétiteurs de conserver un rapport de force favorable.
L’intégration de ces armements sur les plateformes maritimes et terrestres actuelles est atteignable sur un horizon proche eu égard à la place et au volume transportable. Sur une temporalité plus éloignée et avec les progrès à venir de la miniaturisation, l’intégration de ces armes sur les plateformes aériennes sera le prochain défi majeur afin d’en faire des armes embarquées en complément puis en remplacement des armes de bord (canon à obus voire missiles sur les avions de chasse notamment (27)). La comparaison avec l’approche capacitaire britannique est à ce titre éclairante. Outre-Manche, l’intégration est un élément pris en compte dès le début de la conception avant même l’édification de briques technologiques. Citons notamment le projet Tempest, le successeur du chasseur Typhoon, dans lequel est déjà planifiée l’intégration des effecteurs non cinétiques au travers d’armes à énergie dirigée et de brouilleurs électromagnétiques (28).
Éléments de bibliographie
Beason Doug, The E-Bomb : How America’s Nw dDirected Energy Weapons will change the Way Future wars will be fought, Da Capo Press, 2005, 256 pages.
CICDE, Concept exploratoire interarmées CEIA-3.20_AED (2015) n° 61/DEF/CICDE/DR-SF du 27 mars 2015 (https://www.cicde.defense.gouv.fr/images/documentation/architectures/20220112_PROSP.pdf).
Commission de la défense nationale et des forces armées, La préparation à la haute intensité (Rapport d’information n° 5054), Assemblée nationale, 17 février 2022 (https://www.assemblee-nationale.fr/).
Del Monte Louis A., War at the Speed of Light. Directed-Energy Weapons and the Future of Twenty-First-Century Warfare, Potomac Books Inc., 2021, 280 pages.
Fontaine Bernard, Les armes à effet dirigé : mythe ou réalité, Éditions L’Harmattan, 2011, 408 pages.
Gros Philippe, Vilboux Nicole, Coste Frédéric, Delory Stéphane et Bondaz Antoine, « La compétition dans les technologies de rupture entre les États-Unis, la Chine et la Russie », Rapport n° 2, Observatoire de la politique de défense américaine, FRS, juin 2019, 109 pages (https://www.frstrategie.org/.
Office of the U.S. Air Force’s Chief Scientist for Directed Energy, Directed Energy Futures 2060, visions for the next 40 years of US Department of Defense Directed Energy Technologies, Air Force Research Laboratory, 29 juin 2021, 44 pages (https://www.afrl.af.mil/).
SGDSN, Chocs Futurs – Étude prospective à l’horizon 2030 : impacts des transformations et ruptures technologiques sur notre environnement stratégique et de sécurité, 21 avril 2017, 208 pages (www.sgdsn.gouv.fr/).
Volcler Juliette, Le son comme armes : les usages policiers et militaires du son, La Découverte, 2011, 200 pages. ♦
(1) L’utilisation d’armes à effet dirigé est clairement envisagée dans le cadre d’un conflit de haute intensité dans Commission de la défense nationale et des forces armées, La préparation à la haute intensité (Rapport d’information n° 5054), Assemblée nationale, 17 février 2022 (https://www.assemblee-nationale.fr/).
(2) Fontaine Bernard, Les armes à effet dirigé : mythe ou réalité, Éditions L’Harmattan, 2011, 408 pages.
(3) CICDE, Concept exploratoire interarmées CEIA-3.20_AED(2015) n° 61/DEF/CICDE/DR-SF du 27 mars 2015, p. 19 (https://www.cicde.defense.gouv.fr/images/documentation/architectures/20220112_PROSP.pdf).
(4) Volcler Juliette, Le son comme armes : les usages policiers et militaires du son, La Découverte, 2011.
(5) Lagneau Laurent, « Un navire militaire chinois armée d’un présumé canon électromagnétique a été aperçu en haute mer », Zone militaire, Opex360.com, 3 janvier 2019 (http://www.opex360.com/).
(6) « Japan set to develop Railguns to Counter Hypersonic Missiles », Nikkei Asia, 4 janvier 2022 (https://asia.nikkei.com/).
(7) Les budgets pour ce type d’armes ont été réduits notamment pour l’US Navy qui maintiendra en revanche les recherches sur les projectiles hyper véloces initialement développés pour ces canons. Rogoway Tyler, « Congress wants Answers on the Railgun it Just Funded Even Though the Navy no Longer Want it », The Drive-The Warzone, 28 décembre 2021 (https://www.thedrive.com/).
(8) « L’AED a sélectionné le consortium “PILUM”, projet de recherche sur une technologie de rupture pour le développement d’un canon à rails électromagnétique innovant », Naval Group, 11 juin 2020 (https://www.naval-group.com/).
(9) Mercier Jean-Jacques, « Les lasers de combat : bientôt la maturité ? », DSI, Hors-série n° 81, décembre 2021-janvier 2022.
(10) Lubin-Vitoux Tamara et Gojon Céline, « Haut-Karabagh, une massification par les drones », Note de recherche prospective, CDEC, septembre 2021, 6 pages (https://www.c-dec.terre.defense.gouv.fr/).
(11) Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, « Audition du général Michel Friedling, commandant du Commandement [interarmées] de l’Espace, Sénat, 13 février 2019 (https://www.nossenateurs.fr/seance/19166).
(12) Un durcissement de nos satellites face à nos propres armes sera nécessaire en conception.
(13) Plante Chris, « Pentagon beams over Military Laser Test », CNN, 20 octobre 1997 (https://web.archive.org/).
(14) Yermilin Peter, « Le système laser russe Peverest détruit les drones de combats en cinq secondes », Pravda, 19 mai 2022 (https://france.pravda.ru/news/russie/1305075-peresvet_laser/).
(15) Ferran Benjamin, « Le “canon à son”, nouvelle arme contre les manifestants », Le Figaro, 28 septembre 2009 (https://www.lefigaro.fr/).
(16) « Vehicle-Mounted Active Denial System », Global Security, 7 juillet 2011 (https://www.globalsecurity.org/).
(17) Barjonet Claude, « Quand la technologie se charge de l’autoprotection des bateaux », Les Échos, 29 novembre 2011 (https://www.lesechos.fr/2011/11/quand-la-technologie-se-charge-de-lautoprotection-des-bateaux-404111).
(18) Au travers d’un projet de missiles électromagnétiques produits par Boeing : missile type High Power Joint Electro-magnetic Non-Kinetic Strike (HIJENKS). Ellery Ben, « From Sci-Fi to Reality: the Computer Blitzing Drone that can Cripple a Nation’s Electronics at the Touch of a Button », Daily Mail, 1er décembre 2012 (https://www.dailymail.co.uk/).
(19) Annoncée en août 2021 dans le South China Morning Post rapportant que des scientifiques de l’entreprise de défense China Electronics ont réussi à utiliser ce type d’arme contre un drone. Chen Stephen, « Did Chinese Scientists just bring down an Unmanned Plane with an Electromagnetic Pulse Weapon? », South China Morning Post, 26 août 2021 (https://www.scmp.com/).
(20) Dujardin Olivier, « Armes à impulsion électromagnétique : pourquoi sont-elles (encore) très peu utilisées ? », Note renseignement, technologie et armement n° 18, avril 2020 (https://cf2r.org/).
(21) Texte de la Convention sur le site du Comité international de la Croix-Rouge (https://ihl-databases.icrc.org/).
(22) Texte du Protocole IV sur le site du CICR (https://ihl-databases.icrc.org/).
(23) Présentation de l’arrangement sur le site officiel (https://www.wassenaar.org/fr/the-wassenaar-arrangement/).
(24) Les technologies actuelles ne permettent pas encore de reconstituer de façon sûre la provenance des armes employées. Des progrès d’identification sur les débris (et donc d’attribution) sont en revanche encore possibles.
(25) La capacité laser à partir d’un aéronef ne dispose pas encore d’une portée suffisante et la technologie de tir de l’Espace vers le sol en est aux balbutiements.
(26) SGDSN, Chocs Futurs – Étude prospective à l’horizon 2030 : impacts des transformations et ruptures technologiques sur notre environnement stratégique et de sécurité, 21 avril 2017 (http://www.sgdsn.gouv.fr/).
(27) Le fait de s’affranchir de missiles pour les combats aériens à courte distance générerait des économies majeures eu égard au coût de ces vecteurs en y intégrant également les coûts de stockage.
(28) Davies Rob, « UK unveils New Tempest Fighter Jet to replace Typhoon », The Gardian, 16 juillet 2018.