Préface
Le militaire est soumis à des contraintes de danger et d’adaptation constante à son environnement. Ces contraintes sont variées : la confrontation à la mort, le brouillage extraordinaire des sens lié à la confusion du combat, l’absence critique de temps de réflexion, la pression du groupe ou du commandement… tous ces « stresseurs » regroupés sous le terme générique de « stress » s’avèrent cumulatifs et variables selon l’individu et la situation.
Ce stress est l’un des principaux facteurs d’attrition de la performance militaire. Déjà Végèce, haut fonctionnaire de l’Empire romain de la fin du IVe siècle, étudiait dans son traité De la chose militaire, la perception et le contrôle du sentiment de la peur au combat : « Il advient naturellement aux courages de tous les hommes, qu’ils tremblent à l’arrivée et au commencement du combat ». De l’Iliade aux conflits contemporains, l’anxiété d’être blessé ou tué chez le soldat est toujours relatée. Au fil des siècles, les observations empiriques puis, plus récemment, les études scientifiques ont mis en évidence le danger que représente une mauvaise réponse au stress pour la santé du combattant et pour la réussite des opérations.
Le stress est une réaction normale et nécessaire quel que soit l’individu. Les conséquences sont notamment une tunnélisation de la réflexion, un moindre accès à ses compétences ou à son savoir, à une paralysie de la pensée, voire physique au sein d’une spirale descendante qui nous entraîne exactement vers ce qu’on redoute. À la différence que pour le combattant, ce stress survient sous des conditions extraordinaires et bien souvent de manière récurrente car les contraintes professionnelles les lui imposent. En fait, le militaire est soumis à des « stresseurs » physiques, psychologiques et physiologiques extraordinaires susceptibles de dépasser ses ressources personnelles.
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Le Centre de recherche de l’Académie militaire de Saint-Cyr Coëtquidan (CReC) et l’Institut de recherche biomédicale des armées (IRBA) se sont associés pour faire le point en 2022 à l’occasion d’un colloque organisé au Val-de-Grâce, sur les données scientifiques et sur les méthodes de gestion de ce stress afin que celles-ci puissent être enseignées de manière appropriée au plus grand nombre, du soldat jusqu’au décideur.
Pour protéger le combattant contre la mauvaise gestion du stress, il faut d’abord en donner une définition. C’est l’objet du premier volet de ce Cahier de la RDN. L’impact des conflits du XXe siècle et le développement de la psychiatrie civile et militaire ont permis une approche scientifique du stress et des émotions associées, notamment de la peur et de l’anxiété. Saisir la problématique de la réponse au stress, c’est d’abord comprendre les mécanismes biologiques mis en œuvre par le cerveau pour gérer l’événement, percevoir l’environnement, évaluer ses propres ressources, mais c’est aussi mieux connaître les maladies en lien avec le stress qui peuvent en découler.
Un deuxième volet traite de la variabilité interindividuelle. L’anxiété affecte tous les combattants. Pour autant, la sensibilité varie d’une personne à une autre selon sa personnalité, son histoire de vie ou encore l’environnement dans lequel il évolue. Comprendre les facteurs de cette variabilité permet d’adapter les contre-mesures et permettre à chacun d’améliorer sa gestion des « stresseurs » par une mise en application systématique.
Le troisième volet porte sur l’expérience du stress chez les opérationnels. L’IRBA mène des travaux de recherche au profit de l’État-major des armées (EMA) en se basant sur les réalités du terrain. Il était donc important de laisser la parole aux opérationnels. Les intervenants choisis et représentatifs des forces opérationnelles ont accepté de partager leur expérience et leurs méthodes de gestion du stress. Ces regards croisés ne manqueront pas d’enrichir les réflexions de chacun : avoir connaissance de la notion de stress (ou des stresseurs) est le premier pas vers son acceptation sociologique au sein de la communauté militaire. En effet, il s’agit en premier lieu de légitimer ces sensations et déstigmatiser ce stress qui fait partie du métier.
Alors, quelles réponses apporter pour soulager le militaire en opération ? Tout l’enjeu de cet ouvrage, est de faire le point sur les contre-mesures à déployer en amont et en aval des situations stressantes, pour améliorer la gestion du stress, protéger le combattant, voire, optimiser son potentiel. De la reconnaissance de ses vulnérabilités à la formation en amont des opérations jusqu’aux techniques évaluées scientifiquement, les solutions existent et méritent d’être déclinées sous l’angle pédagogique pour améliorer les forces morales des armées.
Je tiens également à souligner l’importance de la participation des entreprises civiles. Les solutions qu’elles proposent en partenariat avec les résultats des recherches de l’IRBA en font de véritables acteurs de la protection du combattant en opération.
Enfin, l’enjeu de la gestion du stress chez le militaire revêt également une dimension éthique. Afin de « décider dans l’incertitude », pour reprendre l’expression du général Vincent Desportes, la prise en compte du stress est nécessaire pour conserver une aptitude au discernement et in fine, respecter le jus in bello.
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Pour conclure, j’aimerais citer le colonel Ardant du Picq, théoricien militaire du XIXe siècle et vétéran de la guerre de Crimée (1853-1856) : il avait saisi l’importance des forces morales : « Le combat est le but final des armées et l’homme est l’instrument premier du combat ; il ne peut être rien de sagement ordonné dans une armée – constitution, organisation, discipline, tactique – toutes ces choses qui se tiennent comme les doigts d’une main, sans la connaissance exacte de l’instrument premier, de l’homme, et de son état moral en cet instant ». Nos anciens avaient déjà saisi la notion de facteur humain que nous reprenons volontiers à notre compte mais avec les moyens et les données d’entrée du XXIe siècle. ♦