Introduction
En opération, le soldat est engagé dans un environnement en permanence incertain, inconstant et dangereux. La fonction d’adaptation que constitue le stress est donc forcément sollicitée dans des proportions exacerbées ; il est une dimension inhérente à la nature même de notre engagement. C’est un enjeu fort dans la mesure où l’impact est individuel, et tout soldat est concerné, mais aussi collectif avec des conséquences sur la capacité d’une entité à remplir ses missions. C’est donc pour tout chef un sujet à double dimension, personnelle d’une part en tant que soldat, et de commandement d’autre part en tant que chef appelé à prendre des décisions impliquant son unité.
Le stress, un facteur dual et essentiel
Réfléchir à ce facteur et à sa prise en compte dans nos armées semble donc essentiel, dans une approche à la fois théorique et appliquée – c’est tout l’intérêt de cet ouvrage –, pour contribuer in fine à affûter nos combattants et à améliorer la capacité opérationnelle de nos forces.
Le général de division Barrera, alors sous-chef « plans programmes » de l’État-major de l’armée de Terre, indiquait lors de son intervention en 2017 au colloque sur le soldat augmenté organisé par le CReC, le Centre de recherche de l’Académie militaire de Saint-Cyr Coëtquidan, que parmi les besoins opérationnels encadrants pour consolider l’homme sur le champ de bataille, l’un était de « gérer le stress pour affronter une violence hors cadres ». Ceci en tirant profit du stress « vertueux », qui permet à l’individu de mobiliser ses ressources pour faire face à des situations exceptionnelles, et en même temps en maîtrisant le stress « paralysant », celui qui réduit les capacités du soldat pendant l’action – l’effet tunnel, la sidération – mais aussi après l’action pour éviter les séquelles de la violence du combat. Loin d’être un sujet simplement hostile ou négatif, le stress est donc bien un facteur pluriel dont la gestion ne peut souffrir une approche simpliste.
Un contexte opérationnel de plus en plus complexe
Or, les agents stressants pour le militaire sont multiples. Parmi ceux-ci, immuables, nous trouvons le brouillard de la guerre et l’incertitude de la situation tactique, la dangerosité du combat, les conditions climatiques, les tensions relationnelles au sein de l’unité – voire personnelles ou familiales –, auxquels s’ajoutent des facteurs influenceurs comme le manque chronique de sommeil et la surcharge cognitive. Ces deux derniers sont, avec le stress, trois contraintes physiologiques sur lesquelles travaillent le CReC et l’IRBA, l’Institut de recherche biomédicale des armées. Il convient de rajouter, pour le chef/décideur et quel que soit son niveau de responsabilité, la crainte des conséquences de ses prises de décisions pour sa mission, pour ses camarades et pour lui-même.
Comme facteur nouveau apparaît, en outre, la technicité croissante des équipements mis à la disposition des personnels, technicité qui rend l’homme dépendant de machines de plus en plus « réactives et intelligentes », mais tout en le conservant responsable de leur emploi. L’adaptation à de nouveaux types de conflit est devenue un enjeu, avec notamment les groupes armés terroristes et leurs nouveaux modes opératoires qui bouleversent toute éthique humaine, ou bien, à l’autre extrémité du spectre, le retour des conflits de haute intensité où le chef tactique pourrait être confronté à une surcharge cognitive telle qu’il serait en proie à la surprise, au non-contrôle, et où le combattant pourrait tomber en sidération face au déchaînement des menaces saturantes.
Quelle préparation mettre en place ?
Une fois posés ces enjeux opérationnels, il convient que nos militaires se connaissent pour mieux se préparer, et soient préparés dans leurs unités. Le stress peut en effet complètement altérer un comportement ou une décision, avec le risque qu’au contact une autre rationalité se mette en place, engendrant des réactions et des prises de décision liées à des émotions. Réactions et prises de décision en situation de stress peuvent aussi, dans certaines circonstances, amener à sortir des bornes éthiques que doit absolument respecter l’action de nos armées. Nous devons éviter ces travers, et ce travail commence dès la formation initiale, singulièrement pour les officiers dans leur formation de chefs militaires, afin qu’ils deviennent des « absorbeurs de stress et des diffuseurs de confiance » : un défi qui dépasse la seule maîtrise de soi ! Favoriser le stress positif qui renforce la détermination du combattant et limiter l’expression du stress négatif qui l’affaiblit dans la durée, là se situe bien notre objectif.
Pour ce faire, nous sommes très heureux que les intervenants experts de ces domaines puissent aider les forces armées et les forces de sécurité intérieure à mieux former leurs effectifs à une gestion optimale du stress. Cela par l’entraînement, les conseils d’hygiène de vie, les méthodes de maîtrise de soi, voire également les moyens technologiques de suivi ou de contrôle des personnes, ou encore les techniques de mise en situation par la simulation sur lesquels des industriels travaillent. Pour explorer ces sujets complexes, la grande confiance et le soutien mutuel très actif entre l’IRBA et le CReC dans les travaux conduits sont essentiels. Il en est de même de l’éminent apport de tous les acteurs associés, qu’ils soient chercheurs de l’IRBA ou universitaires, opérationnels des forces et industriels, afin de contribuer au but commun qui est d’encore mieux former nos chefs et nos soldats en vue des engagements actuels et à venir.
L’équilibre entre performance augmentée et valorisation des qualités
Apparaît enfin, en fond de tableau, un questionnement éthique qu’il convient de garder à l’esprit et qui doit nous aider à fixer la juste limite de notre action. Gestion du sommeil, gestion du stress, gestion de la surcharge cognitive, les trois facettes du « soldat augmenté » ; l’équilibre doit sans doute être toujours maintenu entre, d’une part, amélioration ou optimisation souhaitable des capacités individuelles et, d’autre part, tentation de façonner des combattants que l’on transforme au-delà d’eux-mêmes et qui deviennent des « agents augmentés » plus que des « acteurs agissant » par eux-mêmes.
Cet ouvrage rassemblant les actes enrichis du colloque du 28 septembre 2022 sur l’optimisation de la gestion du stress expose cette approche très française faite à la fois de recherches de pointe, de souci de rester opératoires et de prudence dans les objectifs et les méthodes. ♦