Le stress est une réaction multidimensionnelle normale au service de la survie pour répondre aux changements de l’environnement. Elle se caractérise par une réaction biologique qui s’exprime dans les champs des pensées, des émotions et des comportements. Cette phénoménologie du stress rend compte de la qualité de la réponse de stress. Elle souligne l’importance de la perception que l’individu a de ses ressources pour répondre à ce qu’il perçoit de la demande de son environnement. Cette transaction individu-environnement participe à mieux appréhender la variabilité interindividuelle de la réponse de stress. Le manque d’efficacité des stratégies mises en œuvre dans cette transaction est associé à une réponse de stress biologiquement coûteuse. L’accumulation de ces réponses coûteuses conduit à une usure biologique qui est susceptible de faire le lit de nombreuses pathologies.
Stress et santé
Le stress
Définitions
Le stress est sous-tendu par une réaction biologique de l’organisme permettant la production d’énergie pour répondre à un changement de l’environnement ou stresseur. La réaction de stress s’exprime en termes cognitif (« suis-je à la hauteur ? »), comportemental (mouvements automatiques) et émotionnel (« j’ai peur »). Cette réponse biologique est aspécifique car identique quel que soit l’agresseur. Son évolution dans le temps a été conceptualisée par Hans Selye (1956) dans le Syndrome général d’adaptation (SGA ; Figure 1) qui comprend trois phases. (i) La première phase, dite d’alarme, correspond à l’activation de tous les mécanismes biologiques selon une régulation en tendance, autorisant une réponse rapide au stresseur. (ii) La deuxième phase, dite de résistance, ajuste la réponse de stress à l’intensité de l’agression perçue selon une régulation en constance (eustress). (iii) Lorsque l’agression disparaît, une phase de récupération permet le retour à l’homéostasie.
Le primum movens de toutes les pathologies est donc l’incapacité de l’individu à adapter sa réponse de stress en durée et/ou intensité au décours des phases du SGA. En phase d’alarme, un défaut de stress se traduit par une augmentation du risque de maladies. En phase de résistance, un excès de stress est délétère pour le corps en raison de la sollicitation excessive de l’organisme. Elle est susceptible d’évoluer vers une phase d’épuisement à plus ou moins long terme lorsque l’agression est trop intense ou trop longue et qu’elle ne permet pas la récupération nécessaire (distress). En effet, la qualité de la récupération après chaque stresseur conditionne la qualité de la réponse de stress lors de la sollicitation suivante, une récupération insuffisante ne permettant pas un retour à un fonctionnement homéostatique. Il résulte de ces écarts à la réaction adaptée un coût allostasique qui maintient l’organisme dans un état de stress chronique et qui induit une usure fonctionnelle à court et moyen termes, et une cassure structurelle à plus long terme.
Enfin, dans certaines situations de sollicitation intense, certains sujets vont déclencher une réponse de stress anormale : ils réagissent au stresseur en le mémorisant. Ce stress dépassé fait le lit du Trouble de stress post-traumatique (TSPT).
Phénoménologie du stress
Le couplage entre individu et environnement au repos
Dans le domaine psychologique, les capteurs déterminent une représentation du monde qui est la manière dont le cerveau s’ajuste à un flux d’information constant. Le cerveau s’énactant au cours de l’interaction avec le monde s’ajuste sur un mode de fonctionnement prédictif probabiliste. L’idée que l’on a du monde sert de base à l’action qui est lancée et cette dernière est régulée selon les résultats attendus ou non qu’elle entraîne.
Le stress, réaction biologique de l’organisme, survient dès qu’un changement est détecté par les capteurs interfaçant l’individu au monde. Si les stresseurs peuvent être externes (physique, psychologique, etc.) ou internes (hémorragie, infection, pensées, etc.), l’intensité du stress dépend de la manière dont les capteurs détectent la menace ; l’absence de menace détectée, même si elle existe, signant l’absence de stress. Le problème est que nous sommes continuellement soumis à des stresseurs, plus souvent psychologiques que physiques. Un exemple de stresseur prédominant dans notre société actuelle est le temps et la façon dont nous allons le gérer. Nous allons le voir ci-dessous, le stress ressenti est très dépendant de la perception que nous avons de cet événement identifié comme stresseur et de nos potentialités identifiées d’action sur ce stresseur.
La psychologie du stress au quotidien
L’individu vit au quotidien entre routine et rupture, entre fonctionnement homéostasique et allostasique, le cumul dans le temps définissant l’usure. En miroir, la santé dépend de la qualité de l’interaction qu’il entretient au quotidien avec le monde. La variable clé est le risque perçu (un individu qui perçoit trop de risque s’use plus rapidement que l’inverse). Cette dynamique a été conceptualisée par Lazarus et Folkman (1984) dans le cadre de leur théorie de l’ajustement. La réactivité au monde dépend d’un équilibre de chaque instant entre menace perçue (stress perçu), ressources (ensemble d’outils psychologiques, émotionnels et cognitifs dont est doté un individu) du sujet pour l’affronter, et qualité de la réponse requise pour y faire face (efficacité perçue).
Chaque confrontation avec ses réussites et ses échecs va modifier le fonctionnement d’un organisme (e.g., mémoire) et pèse sur la manière dont sera affrontée la confrontation suivante. Intégrée dans le temps, cette évolution dynamique de l’interaction entre l’individu et le monde finit par définir l’état de santé qui devient dès lors le critère ultime d’efficacité de l’ajustement d’un individu. Il est donc évident que toute modification de cette dynamique interactive par une augmentation n’a pas d’incidence sur le seul instant, mais potentiellement sur les possibilités d’évolution de l’individu.
Les modèles transactionnels du stress
Le cadre théorique
Il n’existe pas une relation linéaire simple du type : stresseur → stress. Chaque individu réagit à un stresseur selon la manière dont il perçoit le risque. Cette perception dépend de nombreux facteurs qu’il est difficile d’isoler. La variabilité interindividuelle de perception de la contrainte dépend du patrimoine génétique et de l’histoire de l’individu, à laquelle s’ajoute le type de stresseur (contexte d’apparition, durée, intensité, fréquence de répétition) générant une façon personnelle de réagir au stress. De ce fait, tous les facteurs impliqués dans la réponse de stress constituent une source potentielle de vulnérabilité. Ces éléments contribuent à mieux appréhender la qualité des processus de réponses de l’individu aux situations stressantes, autrement dit son risque de développer ou non des troubles de santé. Ce risque s’inscrit dans des dimensions synchronique et diachronique.
• Le cadre synchronique fait référence à l’état clinique actuel, et dans le cadre du stress à la rencontre avec un des événements aigus de stress. Il permet de distinguer la position vulnérable, résistante ou résiliente. L’individu qui développe une réaction de stress limitée et rapidement éteinte, est considéré comme résistant. L’individu qui développe une réaction excessive a davantage de risque d’entrer en un état clinique de stress aigu dont la prolongation est défavorable. Il est dit vulnérable. Si, dans ce cas, il évolue vers une rémission clinique, il est considéré comme résilient.
• La position diachronique est celle de la variabilité du sujet qui sera plus ou moins à risque ou protégé vis-à-vis des contraintes du quotidien en fonction de son histoire de vie. Si les mécanismes biologiques peinent à cadrer avec les approches psychologiques pour rendre compte de ces statuts, ils ciblent le même objet (i.e., réponse de l’individu à une contrainte) de manière dynamique.
L’approche psychologique est portée par plusieurs modèles qui se complètent. Le modèle transactionnel du stress inscrit chaque individu dans sa propre dynamique temporelle en impliquant trois types d’agents (Lazarus & Folkman, 1984) : des prédicteurs, des modes de transaction face à la menace et des issues possibles à cette rencontre. Parmi les prédicteurs, on cite des facteurs environnementaux (événements de vie stressants, le soutien social, etc.) et personnels (styles de vie à risque, traits de personnalité pathogènes ou protecteurs, etc.). La confrontation entre le stresseur et l’individu est décrite en deux étapes : (i) étape d’évaluation (stress perçu et évaluation des ressources, dont le soutien social perçu) et (ii) étape d’ajustement de l’individu à l’environnement (coping). Ces éléments déterminent l’état de santé physique et le bien-être subjectif. C’est donc un modèle actif, dans lequel le sujet adopte différentes stratégies pour faire face au stresseur afin de modifier l’impact du processus de stress (Kolech et al., 2003).
L’évaluation et le faire face
Au cœur du modèle transactionnel du stress se trouve la notion de « coping » (de l’anglais to cope, faire face), ou stratégies d’ajustement dans lequel l’individu s’engage suite à deux évaluations consécutives. Durant l’évaluation primaire, la situation stressante peut être évaluée comme étant bénigne, représentant une menace ou une perte, ou encore être perçue comme un défi associé à des opportunités personnelles (Ntoumanis, Edmunds & Duda, 2009). Percevoir que la situation est bénigne n’engendre pas d’action pour changer la situation, alors que percevoir cette situation comme une menace ou une perte potentielle est associé à des émotions négatives et des stratégies pour réguler ces émotions. Lors de l’évaluation secondaire, l’individu évalue l’aspect contrôlable de la situation et les ressources dont il dispose (ressources personnelles et sociales). La situation nécessite un ajustement lorsque la menace perçue est évaluée comme dépassant les ressources : l’individu doit alors s’ajuster. S’il pense que la situation est contrôlable, il adopte des stratégies plutôt actives ciblant le problème, sinon il cherche à réduire l’impact émotionnel ressenti en employant des stratégies d’évitement centrées sur les émotions (Carver, 1997).
Sur le plan cognitif, il est important de comprendre que les deux évaluations amenant l’individu à agir face au stresseur se basent sur une perception subjective et non sur des éléments objectifs de la réalité. En effet, une situation pourra être perçue de façon très différente d’une personne à l’autre (par exemple, un divorce peut être vécu comme un abandon et entraîner une détresse importante, mais il peut également être vécu comme un soulagement car il représente une porte de sortie d’une situation intolérable). Les effets de la menace perçue dépendent aussi de son intensité et de la signification qui lui est attribuée en fonction des ressources et de la possibilité de contrôle sur cette menace (Lazarus & Folkman, 1984 ; Koleck, Bruchon-Schweitzer & Bourgeois, 2003 ; Ntoumanis et al., 2009).
La perception de ressources personnelles peut-être rapprochée de la notion de contrôle, et plus précisément du concept d’auto-efficacité personnelle de Bandura (1986) – i.e., confiance accordée à ses capacités pour réaliser un comportement – qui est une variable permettant de prédire un ajustement positif dans beaucoup d’études, notamment celles évaluant l’adoption de comportement de santé (King et al., 2010). Plus la personne a confiance en sa capacité à réaliser le comportement, plus elle s’engage facilement dans ce comportement. Par exemple, un patient sera d’autant plus adhérent à son traitement qu’il a confiance en sa capacité à le prendre correctement. L’auto-efficacité se développe suite aux expériences antérieures, à l’observation d’autrui, à la persuasion verbale (e.g., encouragements, feedbacks) et aux sensations physiques déclenchées par les activités engagées (Bandura, 1977). Ensuite, cette croyance influence les choix effectués, l’effort déployé, la réponse au stress et la persistance dans les difficultés (Coutu et al., 2000).
La perception de ressources sociales renvoie, quant à elle, au concept de soutien social. Classiquement, deux types de soutien social sont à considérer : le soutien social structurel et le soutien social fonctionnel (Reblin & Uchino, 2008 ; Thoits, 1995). Le premier fait référence aux aspects quantitatifs, autrement dit la taille du réseau social et/ou la fréquence des contacts, et l’intégration sociale. Le second fait référence aux aspects qualitatifs du soutien social. Sa nature est multidimensionnelle ; on décrit ainsi une dimension instrumentale qui renvoie à une assistance directe concrète, grâce à des services tangibles (aide matérielle ou financière), une dimension émotionnelle qui permet d’apporter détente, consolation et mieux-être, lors de moments difficiles, grâce à des échanges sur les ressentis émotionnels, une dimension de soutien de l’estime de soi qui permet au sujet d’être validé dans sa valeur, ses compétences (ou habiletés), ses pensées, croyances ou sentiments, et enfin une dimension de soutien informatif qui a trait à l’aide, sous forme de conseils, suggestions, informations et aide à la prise de décision (House, 1981).
Indépendamment, de la nature du soutien social, le soldat solitaire et isolé n’existe pas, il fait partie d’un groupe d’abord de combat, par exemple, section pour l’armée de Terre ou escadrille pour l’Armée de l’air et de l’Espace. Ce groupe de taille restreinte, ou groupe élémentaire, se définit par la perception individualisée de chacun. Tous ses membres se connaissent. Les possibilités d’échange au sein du groupe sont nombreuses et diversifiées. Ces rapports sont intenses et marqués par un certain degré d’intimité. Le collectif est caractérisé par une véritable interdépendance entre les individus, la solidarité est donc une nécessité. Les membres des collectifs militaires primaires constituent l’une des composantes les plus importantes du soutien social d’un soldat. Ce soutien social au sein du groupe de pairs renforce la résilience individuelle. Au-delà de ce groupe élémentaire, l’institution militaire constitue un groupe d’appartenance qui soutient l’intégration des valeurs et des normes de comportement que l’individu doit respecter. Il s’agit de « l’esprit de corps ». Dans l’armée de Terre, les régiments, mais également les armes correspondent à ce modèle. Dans l’Armée de l’Air et de l’Espace (AAE), il s’agirait plutôt de l’escadron.
Les stratégies de coping ou d’ajustement sont définies comme « l’ensemble des efforts cognitifs et comportementaux destinés à maîtriser, réduire ou tolérer les exigences internes ou externes qui menacent ou dépassent les ressources de l’individu » (Lazarus & Folkman, 1984, p. 141). Bien qu’il existe des désaccords entre les auteurs sur la classification des stratégies de coping, on retrouve généralement deux grandes catégories : celles centrées sur le problème ou encore stratégies vigilantes et celles centrées sur les émotions ou encore stratégies d’évitement (Figure 2 ; Lazarus & Folkman, 1984 ; Suls & Fletcher, 1985). Les stratégies vigilantes (e.g. planification d’étapes, acceptation de la réalité) ont pour objectif de résoudre le problème par le biais d’actions ou de cognitions visant à l’affronter, alors que les stratégies d’évitement (e.g. désengagement comportemental, déni de la situation) cherchent à gérer l’impact émotionnel engendré par le problème. Les stratégies vigilantes sont plus utilisées dans les situations perçues comme contrôlables, alors que les stratégies d’évitement le sont plus dans les situations perçues comme difficiles à changer (Carver, 1989). À ces stratégies, s’ajoute la recherche de soutien social, qui correspond aux efforts effectués pour solliciter et obtenir l’aide d’autrui (Bruchon-Schweitzer, 2002). Bien que, selon le type de soutien recherché, ce coping puisse être considéré comme vigilant (e.g. recherche d’information) ou centré sur les émotions (e.g. recherche de soutien émotionnel), la recherche de soutien social apparaît de plus en plus dans les travaux de psychologie de la santé comme une catégorie de coping à part entière (Bruchon-Schweitzer, 2002).
Vers la notion de flexibilité du coping
Les résultats contradictoires, et les limites des mesures du coping, basés sur la labélisation du type de coping ont poussé certains chercheurs à faire évoluer la conceptualisation afin d’intégrer le processus dynamique et transactionnel. De cette évolution est née la conceptualisation de la « flexibilité du coping », qui consiste à évaluer l’habilité que possède l’individu à être flexible dans l’utilisation de différentes stratégies de coping en fonction des caractéristiques de la situation (Carver et al., 1989 ; Roussi et al., 2007).
Plusieurs modèles se sont développés pour mieux appréhender le processus dynamique du coping qu’est la « flexibilité du coping ». La prise en compte d’une stratégie de coping adéquate par rapport à la situation pose que l’adaptation serait optimale lorsque le choix du type de coping utilisé prend en compte la situation afin que ce choix soit adéquat avec celle-ci. Cette approche a été complétée par l’intégration de l’aptitude du sujet à percevoir sa capacité à faire face. En effet, deux individus peuvent ne pas adopter la même stratégie dans une situation particulière, mais cela n’empêche pas qu’elles puissent être toutes les deux adaptatives. Cette approche reprend l’idée que le processus dynamique du coping dépendrait d’un méta-coping. Celui-ci se distingue des autres concepts, car ici, c’est l’individu lui-même qui va déterminer sa capacité à adopter différentes stratégies de coping de façon efficace. Cette conceptualisation est opérationnalisée grâce à l’Échelle de flexibilité du Coping (Coping Flexibility Scale, CFS ; Kato, 2012).
Stress, adaptation et santé : enjeux médico-militaires
Depuis la professionnalisation des armées françaises, le métier de militaire constitue un choix de vie et il n’est plus un passage obligé avant l’entrée dans le monde professionnel. La spécificité de ce choix professionnel expose le militaire à des contraintes multiformes qui engagent sa santé psychique et physique. La médecine moderne a fait de grandes évolutions dans la prise en charge des pathologies aiguës, mais elle ne dispose d’aucun outil consensuel diagnostique ni thérapeutique pour la prise en charge du stress chronique, en raison notamment de difficultés de conceptualisation.
Une des difficultés pour aborder le stress opérationnel, et le stress chronique que cet environnement professionnel implique, concerne les différents contextes qui sont susceptibles de l’induire. Les contextes générateurs de stress chronique concernent non seulement les environnements constitués de l’exposition répétée à un même agresseur, fut-il mémorisé (TSPT), mais aussi ceux caractérisés par l’exposition à des stresseurs variés, souvent habituels, et combinés, qui peuvent se situer en dehors du champ de la conscience. Le syndrome du vieux soldat, ou du vieux sergent, première description d’un burn-out professionnel, décrit des soldats « épuisés » et « usés » au retour de mission (Sobel, 1947). Ces soldats, reconnus pour être particulièrement dévoués et efficaces, ont commencé à présenter des symptômes psychologiques négatifs tels que des difficultés à prendre des décisions, une réticence à accepter la responsabilité des autres et une préférence pour les tâches simples et routinières plutôt que pour les tâches plus difficiles après une exposition prolongée et continue au combat. Cette description témoigne, si nécessaire, de l’action des stresseurs professionnels militaires lors des projections sur les théâtres d’opérations.
Une autre difficulté est liée au cadre clinique du stress chronique. C’est celui d’une usure physiologique et psychologique. L’évolution à bas bruit de l’usure susceptible de conduire à la pathologie est d’expression variable rendant les études difficiles à construire. Les données dont on dispose actuellement pour étudier le stress chronique en amont de la pathologie, viennent essentiellement du champ d’étude du vieillissement, et du vieillissement prématuré. Une étude très récente (Williamson et al., 2022) pointe chez les vétérans des chiffres inquiétants en termes de santé mentale : sur 428 anciens combattants participants (échantillon de 989 soit 43,3 % de réponses), les troubles mentaux courants, tels que l’anxiété et la dépression, constituaient la difficulté de santé mentale la plus fréquemment signalée (80,7 %), suivie par la solitude (79,1 %) et la perception d’un faible soutien social (72,2 %). Un travail doctoral portant sur les symptômes somatiques des militaires australiens (Graham, 2019) valide que les symptômes physiques sont des symptômes subcliniques importants en post-déploiement. Cette présentation clinique a une prévalence similaire aux symptômes psychologiques cooccurrents. Par conséquent, les symptômes physiques ne doivent pas être considérés comme une simple comorbidité d’un trouble psychologique sous-jacent pour tous les militaires de retour d’Opex. Ils sont souvent associés à un TSPT mais pas systématiquement. Ils impactent pour autant systématiquement la qualité de vie du militaire. Face à ces éléments, la nécessité de mieux comprendre le stress chronique apparaît d’autant plus aiguë qu’elle conditionne une thérapeutique encore balbutiante.
Enfin, la stigmatisation (de la part des pairs à ce niveau interpersonnel) et l’autostigmatisation (internalisation du stigmate) sont des marqueurs de maintien dans la maladie et des obstacles à une prise en charge de prévention comme de traitement dans la durée. D’après Vogel, Wade et Haake (2006), « l’auto-stigmatisation correspond à la réduction de la confiance en soi et de la valeur que l’individu s’attribue, s’étiquetant lui-même comme quelqu’un de non acceptable socialement ». Elle atteint l’estime de soi du sujet et la confiance qu’il peut avoir en son avenir (Corrigan & Watson, 2002). L’inscription d’un militaire dans un parcours de soins dans le contexte spécifique de l’armée renforce le phénomène. En effet, les troubles mentaux sont « emblématiques de la faiblesse personnelle » chez les militaires (Nash, Silva & Litz, 2009). La gestion du stress chronique s’inscrit dans ce même cadre de faiblesse personnelle. La stigmatisation a particulièrement été étudiée à travers la dimension psychosociale en interrogeant les conditions sociales d’émergence de ces facteurs. Sur le plan social, la pression normative du groupe quant aux codes de non-expression émotionnelle peut représenter un facteur de risque en termes de trajectoire de santé puisque les populations telles que les militaires, les forces de l’ordre, les pompiers, les secouristes ou les professionnels de santé peuvent réfréner l’expression de leurs symptômes psychiques et somatiques, ce qui retarde leur prise en charge (Britt et al., 2008). De plus, la crainte de stigmatisation par l’institution et les pairs dresse une potentielle barrière aux soins (Britt et al., 2015). Dans le même temps, la hiérarchie produit des messages du type « faire appel à des spécialistes de la santé mentale est un signe de force » (Wade et al., 2015). L’individu est pris dans une zone de tensions en subissant des injonctions contradictoires. On peut donc penser l’auto-stigmatisation comme une interface entre les niveaux interindividuels et positionnels car elle est aussi déterminée par la norme sociale. Découlant du devoir d’obéissance dans le respect des lois (www.sengager.fr/), pilier de l’institution militaire, la normativité offre un terreau fertile à la stigmatisation et à l’internalisation de celle-ci. Le niveau positionnel prend son sens et se joue dans les interactions sociales, mais il invite à prendre en compte l’effet des positions sociales préexistantes au sein de ces dernières. La souffrance en lien avec le stress chronique et, plus encore, le psychotrauma professionnel, tel qu’il est vécu au sein de l’institution, s’inscrit dans une zone à l’interface de plusieurs niveaux de lecture de la réalité. En analysant le processus d’autostigmatisation par exemple, il est possible de supposer une dynamique entre les niveaux intra-individuel et positionnel qui amène le sujet à internaliser des normes produites et soutenues par l’institution. Cela soulève la question du rôle de l’institution dans le maintien de la stigmatisation autour des maladies de stress et celle-ci semble d’autant plus pertinente quand la prise en charge des militaires demeure au sein de cette structure, notamment quand il y a une imputabilité au service.
L’objectif des actions de prévention apparaît alors comme devant augmenter la visibilité du stress chronique, de ses conséquences et de sa gestion au sein des institutions afin de faciliter son expression. Il doit également viser à cibler les croyances individuelles en termes de pression normative perçue et de peur de la stigmatisation pour des ateliers de remédiation cognitive spécifique. Ces actions peuvent justifier d’impliquer des représentants de l’institution afin de fournir des informations concrètes et visibles sur les conséquences institutionnelles dans le contexte de stress chronique.
Conclusion
En termes de prise en charge médicale, le cadre de soins du stress et du stress chronique est celui du « cœur de métier » de la médecine militaire : limiter les conséquences de l’exercice du métier de militaire par une détection rapide et opérationnelle de l’usure des systèmes biologiques. La réussite à ce défi est le primum movens d’une prise en charge efficace en termes de prévention (détection des sujets, particulièrement ceux à risques), de traitement initial (traiter la souffrance le plus rapidement possible) et de prévention secondaire (éviter les complications).
Les besoins des forces suivent un chemin analogue puisqu’il est nécessaire à la fois de protéger les personnels face à l’irruption du trauma et de les protéger au quotidien contre l’usure des déploiements en Opex et plus généralement de la vie militaire, même si ces conditions ne sont pas toujours accompagnées d’exposition traumatique.
Les enjeux sont clairement doubles car si le trauma fait le lit de la pathologie aiguë, le stress chronique est considéré comme potentialisant le risque de pathologies psychotraumatiques.
Glossaire
Allostasie
On utilise le concept d’allostasie pour caractériser le processus de rétablissement de l’homéostasie en présence d’un défi physiologique. Le terme « allostasie » signifie « atteindre la stabilité à travers le changement », et se réfère en partie au processus d’augmentation de l’activité sympathique et de l’axe corticotrope pour promouvoir l’adaptation et rétablir l’homéostasie. L’allostasie fonctionne bien lorsque les systèmes d’allostasie (nerveux, endocriniens et immunitaires) sont initiés en cas de besoin et éteints lorsqu’ils ne sont plus nécessaires. Cependant lorsque les systèmes d’allostasie restent actifs comme lors d’un stress chronique, ils peuvent être la cause d’une usure des tissus et accélérer les processus pathophysiologiques, un phénomène qui est appelé « charge allostatique » (Sterling & Eyer, 1988 ; McEwen & Stellar, 1993). Ce concept de charge allostatique est une mesure d’un risque biologique cumulé à travers plusieurs systèmes biologiques. Il correspond concrètement à la mesure d’un ensemble de paramètres physiologiques qui témoignent du coût de l’adaptation de l’organisme face au stress aigu mais aussi chronique.
Conatif
La conation est un effort, une tendance, une volonté, une impulsion dirigée vers un passage à l’action. En psychologie, la conation est la troisième composante de l’action, avec la cognition et l’affectivité.
Conatif se rapporte à ce qui est du domaine motivationnel.
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