Le stress est une composante utile, voire extraordinairement utile, si et seulement si elle est bien comprise et bien gérée. Une relative maîtrise du stress est possible, elle peut être obtenue par la pratique de certaines techniques, notamment de respiration, mais aussi et surtout par un travail en profondeur sur des savoir-être fondamentaux de l’individu. Il s’agit d’un travail difficile qui demande une réelle introspection, mais celui-ci est incontournable afin de bénéficier au quotidien et en opération d’un stress utile.
Comment gérer le stress afin qu’il constitue une composante opérationnelle utile
L’histoire de l’homme préhistorique en prise avec un mammouth lors d’une partie de chasse est souvent citée afin d’illustrer les réactions induites par le stress et l’utilité vitale de celles-ci. Le stress est en effet par essence une composante nécessaire et bénéfique, sans l’augmentation des capacités physiologiques qu’il provoque à des moments clés, l’espèce humaine n’aurait certainement pas pu atteindre son degré de développement actuel.
La vision sociétale négative du stress est très récente, elle s’explique en grande partie par l’explosion ces dernières décennies du stress dit « chronique », celui qui s’installe dans le temps par accumulation d’une multitude de stresseurs et qui ronge au quotidien. Ce stress néfaste n’est pourtant pas une fatalité et chacun peut faire en sorte que cette composante reste utile. Il convient pour cela de comprendre ce mécanisme et ses effets sur le corps, de maîtriser certains savoir-faire qui permettent un contrôle relatif et il est surtout nécessaire de travailler sur le savoir-être de chacun. Cet apprentissage est l’un des objectifs de la cellule ARCHOs (Amélioration des ressources et des compétences humaines opérationnelles) du Commandement des forces spéciales terrestres (COMFST).
Comprendre le stress
Système sympathique et parasympathique
Afin d’espérer contrôler son stress, la première étape consiste en une prise de conscience, même de manière très schématique, de son mécanisme de fonctionnement ainsi que de ses effets sur le corps. Il convient tout d’abord de s’acculturer avec les notions de système sympathique et parasympathique. De manière très simplifiée, notre système nerveux autonome est composé de ces deux branches qui sont en permanence en « confrontation » afin de réguler tous les processus corporels se produisant automatiquement (respiration, digestion, circulation sanguine, etc.). Le système sympathique prépare l’organisme à l’action, il agit à l’identique d’un accélérateur ; le parasympathique relève quant à lui de la régénération, il agit donc comme un frein. Le stress chronique se manifeste par une prédominance de l’action au détriment de la régénération, or un sujet en bonne santé doit trouver un équilibre entre ces deux systèmes. Il doit y avoir des phases d’action suivies de phases de régénération, la nature est ainsi faite : tout est cyclique.
Circuit court et circuit long
Il est par ailleurs intéressant de savoir que le stress se manifeste de deux façons distinctes, via le circuit court et le circuit long. Le circuit court est très rapide, presque réflexe, un stimulus jugé dangereux par le cerveau engendrant une réaction en chaîne aboutissant à une préparation physiologique optimale afin de survivre au danger. Pour faire le parallèle avec le mammouth évoqué en introduction, le circuit court va permettre à l’homme préhistorique d’adopter quasi instantanément l’une des trois postures suivantes : le combat, la fuite ou l’inhibition.
Concernant le circuit long, il consiste en une évaluation cognitive, une perception, que se fait l’individu de la situation. Ce processus n’est pas immédiat mais il peut être très rapide, de l’ordre de quelques secondes. Si le sujet estime disposer des ressources nécessaires pour faire face à la situation, le système sympathique ne s’emballera pas, mais si au contraire les ressources sont estimées comme insuffisantes le stress va activer ce système pour tenter de faire face au problème malgré tout. Si au quotidien et en quasi-permanence un individu est dans cette situation de manque de capacités perçues ou encore d’enjeux trop importants à gérer, il peut basculer dans un stress dit « chronique » et délétère pour la santé. Le système sympathique va alors majoritairement prendre le dessus, engendrant des soucis de récupération, de sommeil, de digestion, bref un dérèglement général néfaste.
Les techniques pour gérer le stress
La respiration
Une fois cette étape de compréhension du stress acquise, il est possible de mettre en place un certain nombre de techniques ou de pratiques à même de le réguler. Le levier le plus intéressant est certainement la respiration car si le cerveau est capable de l’accélérer, tout comme le rythme cardiaque, il a pu être observé qu’une action volontaire de respiration contrôlée pouvait favoriser le système parasympathique et donc faire baisser le niveau de stress. La technique la plus efficace et simple à pratiquer est certainement la cohérence cardiaque. Il s’agit pendant une courte durée, de l’ordre de 5 minutes, et ce 3 fois par jour, de respirer profondément à un rythme particulier, généralement 5 secondes pour une inspiration et 5 secondes pour une expiration, ces temps peuvent légèrement varier en fonction des individus. Cet exercice a pour effet immédiat de synchroniser le rythme cardiaque sur la respiration provoquant ainsi une variation ordonnée et prévisible de celui-ci, une accélération à chaque inspiration et une décélération à chaque expiration. Alors que le rythme cardiaque évolue en général de manière assez chaotique, la cohérence cardiaque va permettre d’accéder rapidement à un équilibre prévisible et à une augmentation de la variabilité cardiaque (différence de durée en chaque battement cardiaque), ce qui est un signe de bon équilibre entre nos deux systèmes nerveux.
D’autres exercices de respiration sont aussi efficaces, ils utilisent principalement le fait que l’expiration profonde augmente notablement le système parasympathique. Lors d’une situation stressante il est donc intéressant de se forcer à respirer consciemment et profondément en accentuant la durée de la phase d’expiration.
Les routines de performance
Outre la respiration, il peut aussi être efficace de mettre en place des routines dites de performance. Il s’agit d’une séquence de gestes ou de postures toujours identiques et répétées à des moments particuliers. Le but est de placer l’individu dans une bulle de confort mental, et de confiance. Cette technique est bien connue des sportifs de haut niveau, mais a aussi toute sa place au sein des forces armées. Un équipier des FS peut par exemple développer une routine particulière avant un saut en parachute ou avant une mise en place par aérocordage, elle sera personnelle et lui permettra de se placer dans l’état d’esprit et l’état physiologique désirés avant d’accomplir sa tâche.
La densification des savoir-être comme solution au stress chronique
Il est cependant illusoire de penser que quelques respirations contrôlées et une routine de performance permettront à elles seules d’annihiler le stress chronique tout en préservant le stress utile et bénéfique. Pour ce faire, il convient d’agir plus en profondeur et d’entrer dans le champ des perceptions et du savoir-être ; c’est-à-dire l’aptitude à prendre conscience de notre place réelle au milieu de notre entourage, de nos capacités, de nos objectifs, de notre ego ou encore de notre importance toute relative dans le monde qui nous entoure. Les principaux leviers identifiés sont : l’environnement, la motivation, la confiance et l’ego, le lâcher prise et la régénération.
Se créer un environnement propice
Commençons par l’environnement, il constitue le socle de l’individu. S’il est instable, négatif ou encore exempt d’interactions qui permettent de se nourrir de l’autre et de partager les expériences, il ne permettra pas à un individu de s’épanouir, il provoquera de la frustration, de l’inconfort voire un sentiment de haine. Son importance est telle que sa qualité devient un objectif en soi, particulièrement au sein des unités des forces spéciales, ce qui impliquera inévitablement des concessions de chacun et un effort sur la communication au sein du groupe. Un chef qui ne prend pas le temps d’écouter réellement et en profondeur ses hommes est un mauvais chef, un soldat qui ne parvient pas à comprendre les contraintes et la décision de son chef est un mauvais soldat, ce type de profil engendre une mauvaise communication de groupe, un environnement nauséabond, terreau propice au stress chronique ou au burn-out.
Optimiser sa motivation profonde
Ensuite, il est efficace de travailler sur la motivation. En effet, au commencement d’une nouvelle activité ou d’une carrière, celle-ci est en général présente et puissante mais au fil des années qui s’écoulent, elle peut avoir tendance à s’étioler voire à disparaître. Et pourtant, la motivation est fondamentale car elle permet de donner un sens à la vie, elle permet aussi d’accepter les contraintes ou les sacrifices qui ne manqueront pas d’émailler le chemin qui mène à l’objectif. Un équipier partant pour une mission difficile et risquée sait qu’il peut y laisser la vie : si sa motivation n’est pas profonde, pourquoi son cerveau accepterait-il cette situation destructrice et contre-intuitive ?
Afin de conserver cette motivation, la solution réside dans la définition d’objectifs précis et mesurables : ils peuvent être sportifs, techniques, tactiques, relationnels ou intellectuels, mais ils doivent être clairs et connus. Ainsi, le côté stressant et peu attrayant d’une séance d’entraînement difficile se transformera en vision positive car elle engendrera une amélioration de compétences dans le but d’atteindre l’objectif établi.
La confiance en soi
Étant donné que le circuit long du stress fait le ratio entre une situation particulière et les ressources disponibles pour y répondre, il est capital d’avoir une vision juste de celles-ci. C’est alors que la confiance en soi intervient. Certaines personnes en manquent cruellement alors qu’objectivement elles disposent de toutes les compétences nécessaires pour réussir.
Prenons l’exemple d’un équipier spécialiste en contre-terrorisme et libération d’otages, lorsqu’il est dans une colonne d’assaut il doit être confiant, il doit être convaincu de ses compétences spécifiques pour accomplir sa mission. Il a été drastiquement sélectionné par le 1er RPIMa pour cela, il a été longuement formé, il s’est durement entraîné au quotidien pour cette mission, il dispose d’une expérience de plusieurs années dans ce domaine. Il mérite d’être dans cette colonne, qui mieux que lui ! S’il adopte cet état d’esprit, la réponse de son cerveau à la question « suis-je capable de surmonter cette situation ? » sera : oui. De facto, les réactions physiologiques engendrées par le stress seront plus facilement gérables et resteront utiles pour la mission.
Travail sur l’ego
Dans la quête de la maîtrise du stress, il doit également y avoir un travail sur l’ego. La peur du jugement négatif de l’autre engendre un stress important, pourtant l’erreur fait partie du chemin qui conduit à la réussite. Celui qui a une peur exacerbée de se tromper ne fait plus rien et donc ne progresse plus.
L’omniprésence des réseaux sociaux exacerbe cette part d’ego, les femmes y sont toutes belles et minces, les hommes grands et musclés ; alors, pour y ressembler, les gens utilisent des filtres numériques qui camouflent les défauts. Mais dans la vraie vie lorsqu’il faut se présenter devant un employeur ou un jury, il n’y a plus de filtre et le stress est alors décuplé. S’assumer tel que l’on est et ne pas craindre la possibilité d’échec est donc un savoir-être particulièrement efficace afin de gérer son stress.
Savoir parfois lâcher prise
Il est en outre important de prendre conscience qu’une part non négligeable du stress chronique est la résultante de pensées critiques et inutiles au sujet de situations inévitables voire passées. William Shakespeare disait justement : « ce qui ne peut être évité, il faut l’embrasser ». Cette citation mérite réflexion, particulièrement au sein d’une institution comme l’Armée où une fois que l’ordre est formellement donné, l’énergie doit intégralement être tournée vers l’accomplissement de la mission plutôt que dans la critique de celle-ci. Cet état d’esprit qui fait montre d’acceptation et de résilience permet d’aller de l’avant.
Un équipier amputé suite au déclenchement d’une mine en opération peut passer les 50 ans qui lui restent à vivre à penser à ce que sa vie aurait été s’il avait marché juste à côté, ou alors, il peut s’enorgueillir d’être vivant et de revoir sa famille tout en continuant de vivre au mieux. Il aura beaucoup plus de bonheur et d’épanouissement en optant pour la seconde philosophie de vie.
Se régénérer
Le dernier facteur primordial afin d’être le mieux armé possible face à une situation de stress est la régénération, la fatigue est en effet un exhausteur de stress. Pourtant, rares sont les personnes qui connaissent leur besoin réel en sommeil, ou encore l’intérêt de pratiquer des microsiestes. Nos équipiers sont des compétiteurs en quête permanente de performance, en recherche de la meilleure technique, de l’entraînement le plus efficace ou de l’arme la plus précise, pourtant il faut faire preuve d’une grande pédagogie pour leur faire comprendre que le corps et l’esprit ont impérativement besoin de repos pour fonctionner normalement. Il est très difficile pour certains de diminuer leur charge d’entraînement ou encore de prendre du temps de vrai repos. Il est plus simple de rester dans le train à grande vitesse du travail et de s’y investir sans compter. Cette attitude n’est pourtant pas la bonne stratégie pour durer et pour performer. La régénération fait partie intégrante du processus de progression et doit être planifiée au même titre que l’entraînement.
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La gestion du stress et le processus permettant de faire en sorte qu’il reste une composante opérationnellement utile sont des sujets traités quotidiennement par les FS. Un rythme particulièrement dense et des gestions de crises dans l’urgence imposent d’avoir une ressource humaine émotionnellement solide et apte à gérer le surplus de stress. Un équilibre entre les savoir-faire et les savoir-être précédemment cités constitue une solution aussi efficace que possible.
Il convient cependant d’être lucide et humble face aux réactions liées au stress. Chacun aura une attitude particulière face à une situation donnée et celle-ci ne sera pas stable dans le temps, un jour tout va bien et le lendemain pour la même situation un individu peut craquer. La modification des savoir-être n’est pas aisée, elle touche à la vision des choses et presque à la philosophie de vie, c’est un travail nécessaire mais difficile et de tous les instants. La tâche principale de la cellule ARCHOs, en charge de ces sujets, est de faire comprendre aux équipiers des FST par le biais de formations pragmatiques tout l’intérêt qu’ils ont à optimiser ces ressources afin d’être plus efficaces et endurants au cours de leurs missions et dans leur vie personnelle. ♦