La psychologie positive est une approche scientifique qui vise le fonctionnement optimal des personnes et des groupes. Une application au profit des forces armées s’inscrit dans le modèle Job Demands-Resources qui pose le rôle majeur des ressources, personnelles et collectives dans la gestion du stress et la prévention de l’épuisement professionnel. Différentes ressources, telles que les forces de caractère ou le sentiment d’efficacité personnelle sont définies pour envisager comment les optimiser au profit du militaire dans la triple temporalité de l’avant, du pendant et de l’après. In fine, la psychologie positive offre un cadre prometteur pour le développement des forces morales.
Psychologie positive et protection/développement des ressources au service des forces armées
La psychologie positive est une approche scientifique et intégrative du bien-être et du fonctionnement optimal des personnes et des groupes. Alors qu’elle est souvent à tort considérée comme une science du bonheur, elle offre à la fois des prismes d’analyses et de pratiques innovants dans les champs de l’éducation (43), de la psychologie organisationnelle (42) ou de la santé (33) (34). Elle enrichit ce dernier champ d’un éclairage sur la santé mentale positive ainsi que sur les modalités d’interventions dont les effets sont éprouvés, tant pour leurs points forts, que pour leurs limites (19) (23) (24).
Une de ses premières applications au profit des forces armées s’inscrit dans le modèle du stress et de l’épuisement professionnel, formulé par Demerouti (11) : le Job Demands-Resources (JD-R) Ce modèle est largement étudié au regard de sa valeur explicative du burn-out (2) (3) (4) (5). La demande professionnelle du métier de militaire est consubstantielle à son exercice. Ce constat pose le rôle majeur des ressources, personnelles ou celles qui émergent de l’interaction entre le soldat et son environnement, social comme matériel, dans la gestion du stress et la prévention de l’épuisement professionnel. Les ressources et leur renforcement permettent de contrebalancer le poids des exigences professionnelles.
Le modèle « exigences ressources » de Demerouti et al. (2001)
Si le modèle JD-R a un fort pouvoir prédictif sur la qualité de vie dans le champ organisationnel (5), il n’a malheureusement que peu été étudié dans le champ des organisations militaires.
Les origines du modèle JD-R
Ce modèle (11) prend en compte le Demand-Control Model (DCM) (22), d’une part, qui a démontré que l’association d’un niveau élevé de demandes faites à un individu – charge de travail, exigence de performance et de rentabilité, problèmes de communication, manque de contrôle – et d’un niveau faible de possibilité de contrôle par cet individu sur son activité, engendre des conséquences néfastes sur le plan de sa santé (14) (36). Il intègre, d’autre part, la théorie de conservation des ressources (COR) de Hobfoll (16). Le COR est une « théorie motivationnelle qui admet qu’un individu s’efforce d’obtenir (acquisition), de protéger et d’entretenir les ressources (conservation) qui ont une valeur réelle ou symbolique pour lui » (8). Les ressources correspondent à « ces objets, caractéristiques personnelles, conditions ou énergies que l’individu valorise en soi ou qu’il valorise parce qu’elles sont le moyen par lequel il arrive à obtenir une autre ressource ou à protéger et conserver une ressource qu’il possède déjà » (17). Elles sont nécessaires pour le maintien du bien-être de la personne face aux demandes (15). Dans le modèle JD-R, le stress émerge lorsque l’individu a investi des ressources en vain et/ou lorsqu’il est placé face à une menace future prévisible, pesant sur les ressources investies.
Modèle JD-R et stress
Ce modèle identifie deux processus psychologiques distincts en jeu dans le monde du travail. Le premier mentionne que la charge excessive de travail, sur une longue période, conduit à une sollicitation importante des ressources propres et aboutit à la mise en échec des stratégies compensatoires, puis à l’épuisement. Le second postule que le manque ou l’absence de ressources, constitue un frein pour atteindre les objectifs visés. Le fait de ne pas permettre à l’individu de répondre aux exigences du travail l’amènera à ressentir un sentiment d’échec et de frustration, entraînant, par la suite, une attitude de retrait puis un désengagement.
Les ressources jouent un rôle de tampon par rapport à la charge de travail. Ainsi, si le militaire dispose de ressources nécessaires comme le soutien de l’environnement, le matériel adéquat, une formation continue, par exemple, l’épuisement sera moindre, car il pourra faire face aux exigences et le niveau d’épuisement sera alors réduit. Le développement et le maintien des ressources sont donc essentiels en ce qu’elles permettent d’atténuer les effets des exigences professionnelles sur le risque d’épuisement. Ce dernier point souligne que l’importance du maintien des ressources dans le temps sera d’autant plus déterminante que l’engagement des forces s’inscrit dans la durée.
En valorisant le fait que les ressources peuvent atténuer l’impact des exigences liées au travail sur les réactions d’épuisement professionnel (5), le modèle JD-R présente les leviers pouvant non seulement permettre la prévention de la survenue des phénomènes d’épuisement liés au stress, mais aussi leur prise en charge en ayant une action de première intention sur les ressources (12).
Des ressources aux forces morales, une contribution de la psychologie positive
Les ressources peuvent avoir plusieurs origines. D’abord, elles peuvent provenir du travail en lui-même comme le soutien social, la qualité de la communication ou du matériel, par exemple. Il s’agit donc de ressources externes. Ensuite, il y a les ressources personnelles de l’individu, ses ressources internes. Le bien-être (26), l’optimisme (27), la disposition de pleine conscience (1), les forces de caractère (31), la résilience (30) ou les sentiments d’efficacité personnelle et collective (6) font également partie de ce type de ressources (9).
La question de la pertinence des ressources en environnement militaire, au regard des particularités de ce cadre de travail, a fait l’objet de la récente publication de Lester et al. (2021) (25). Les résultats de ce travail soulignent que les militaires disposant du niveau le plus élevé de bien-être, d’affects positifs et d’optimisme, ainsi que du plus faible niveau d’affects négatifs sont aussi ceux qui sont le plus souvent décorés pour actes de bravoure sur le terrain (figure 1). La qualité des ressources psychologiques du militaire semble donc bien déterminer la conduite de la mission, particulièrement sous forte contrainte opérationnelle.
Figure 1 : Relations entre bien-être et la probabilité d’être décoré (25) . La nécessité d’inscrire les ressources dans la triple temporalité de l’avant, du pendant et de l’après.
L’identification, le développement, la protection et le maintien des ressources s’inscrivent dans des perspectives à la fois des long, moyen et court termes, à l’instar de la préparation mentale dans l’environnement sportif (figure 2).
Figure 2 : Illustration de la triple temporalité de l’identi?cation, du développement, de la protection et du maintien des ressources psychologiques
Les ressources d’importance dans la temporalité du long terme
Cette temporalité souligne la question du développement/renforcement de ressources dans la durée de la carrière du militaire. Au-delà du développement des ressources, c’est aussi une étape lors de laquelle les militaires vont les identifier et apprendre à les mobiliser. Ce point est d’importance, car il permet d’avoir accès aux ressources « à volonté ». Les différentes modalités d’intervention pour renforcer les ressources complètent l’existant de la formation en continu, comme ce qui est proposé dans le cadre des techniques d’Optimisation des ressources des forces armées (ORFA). Des exemples existent dans les forces étrangères, à l’instar du Comprehensive Soldier Fitness Program établi sur la base d’un outil d’évaluation, le Global Assessment Tool (41) dont l’objectif général est la santé et la satisfaction du militaire.
Le sentiment d’efficacité personnelle
Le Sentiment d’efficacité personnelle (SEP) est la croyance selon laquelle la personne estime avoir les ressources requises pour réussir une tâche (7). Cette ressource prédit la performance dans une tâche et participe à la résilience des personnes selon Bandura. Elle trouve une application évidente pour tout militaire confronté à une situation extrême, mais ayant la croyance selon laquelle il a les moyens de la surmonter en ce qu’elle favorise la mobilisation pour faire avec les challenges. Au quotidien, elle soutient les apprentissages techniques (i) (par exemple le maniement de systèmes d’armes nouveaux) ou non-techniques (comme la capacité à réguler ses émotions en pratiquant des exercices fondés sur la respiration).
Trois facteurs ont été décrits comme impactant directement le niveau de SEP au décours de la formation : d’abord, les expériences de maîtrise de l’individu en ce qu’elles permettent de capitaliser sur les expériences vécues s’étant soldées par une réussite ou un succès ; ensuite, l’apprentissage vicariant qui cible le fait d’apprendre en observant des pairs se confronter à une tâche. En situation de formation, l’individu avec un haut niveau de SEP sera capable de tirer profit de l’observation de ses collègues qui, confrontés aux mêmes difficultés que lui, parviennent à trouver des solutions ; enfin, les encouragements, en ce qu’ils sont susceptibles de donner confiance à l’individu.
Il convient également de considérer que l’amélioration du SEP dans un groupe entraîne celle du sentiment d’efficacité collective. Cet aspect de l’efficacité pointe l’importance du SEP de chacun des membres du groupe et au-delà, comment ils vont s’agréger au service de ce groupe.
La pleine conscience
La ressource de pleine conscience se définit comme des compétences de qualité de présence à soi et d’acceptation qui caractérise un fonctionnement de l’individu singulier (35) (41). Alors que la « présence » fait référence à la capacité cognitive de se concentrer sur l’expérience du moment présent, « l’acceptation » concerne la capacité émotionnelle à contrôler les réponses émotionnelles générées automatiquement vis-à-vis d’une situation donnée, afin que l’attention d’un individu ne soit pas entraînée par des émotions incontrôlées. Tout militaire lors de mission extérieure est confronté à la notion d’acceptation. La difficulté étant de supporter des situations difficiles et donc des émotions désagréables tout en étant capable de faire preuve de discernement lors d’interventions souvent très engagées.
La ressource de pleine conscience est associée à des comportements de santé protecteurs, particulièrement dans les situations de stress répété. Ces compétences ont un intérêt opérationnel en ce qu’elles favorisent une perception aiguisée de l’environnement, une meilleure compréhension des situations complexes impliquant des prises de décision, notamment par la flexibilité mentale qu’elles permettent.
La pleine conscience doit être envisagée dans ses deux dimensions. D’abord, il s’agit d’une disposition des personnes, une caractéristique personnelle protectrice favorisant l’adaptation, mais aussi permettant une réponse ajustée au stress aigu, au burn-out, et favorisant le rétablissement suite à un trouble de stress post-traumatique. L’expérimentation des pensées, sensations, perceptions et émotions dans leur subjectivité et leur nature transitoire permet de ne pas être prisonnier des affects négatifs. Considéré sous cet angle de la personnalité, le sujet résilient ressemble au sujet mindful par de nombreux traits : l’attention flexible au monde, l’optimisme et l’interaction empathique avec autrui. Ensuite, se pose la question des modalités du développement de cette ressource. Elles reposent sur la pratique de la méditation de pleine conscience sous forme de programme standardisé, associé à des pratiques personnelles informelles. Cette forme laïque de méditation a été développée par Kabat-Zinn (21). Elle permet l’acquisition d’un fonctionnement de pleine conscience.
Appliquée aux militaires, la méditation de pleine conscience constitue un « entraînement de la santé mentale » des soldats qui se caractérise par « l’agilité mentale, la régulation émotionnelle, l’attention et la conscience de la situation » (40), autrement dit une haute résilience. Un concept très similaire à la réduction du stress basée sur la pleine conscience (en anglais Mindfulness-Based Stress Reduction – MBSR) appelé Mindfulness-based Mind Fitness Training (MMFT), a été testé dans une étude pilote auprès de trente et un réservistes marins américains avant d’être déployés sur leur théâtre de combat (40). Les auteurs ont déclaré que « certains Marines ont résisté à l’effort requis par la formation », tandis que d’autres ont « personnalisé leur approche des exercices MMFT ». Stanley et Jha ont rapporté que ceux qui passaient plus de temps dans leurs exercices de pratique formelle de pleine conscience ont montré une amélioration de leurs performances cognitives, tandis que ceux qui ont passé moins de temps à s’engager dans ces pratiques ont montré une augmentation de leurs niveaux de détresse présumés avant le déploiement. Fait intéressant, plus de la moitié de la population étudiée a déclaré avoir utilisé les compétences MMFT pendant sa période de déploiement. Ce qui démontre l’opérationnalité des pratiques. Il est également possible de commencer le développement du fonctionnement de pleine conscience par des exercices de respiration, comme la cohérence cardiaque.
Développement de l’optimisme et de l’espoir
Ces ressources indispensables en raison de ses bénéfices pour l’individu (27) relèvent de caractéristiques personnelles, mais aussi de l’environnement psychosocial auquel l’individu est confronté pour déterminer une « vision du monde » de l’individu.
Dans ce cadre, l’optimisme est défini comme la manière générale et récurrente d’expliquer ce qui peut arriver à la personne, selon qu’elle vit une situation d’échec ou de réussite, ce qui renvoie au concept de style explicatif. Les résultats de différentes études ont révélé l’importance de l’optimisme sur la résilience, la santé, l’anxiété ou la performance, par exemple (29). Elle participe à « la tendance [qu’a] une personne à donner le même type d’explications aux différents événements auxquels elle est confrontée » (31). Ce style explicatif souligne les relations entre une caractéristique de personnalité et la manière relativement stable d’expliquer une variété d’événements négatifs ou positifs qui surviennent et dans lesquels l’individu est impliqué en termes d’internalité (ii), de stabilité et de globalité. Il renvoie au rôle de la qualité des feedbacks apportés aux militaires durant leurs formations successives, voire lors des phases d’aguerrissement pour l’acquisition des compétences opérationnelles. Un enjeu des feedbacks est de permettre que la préparation entraîne le militaire à identifier et gérer des causes instables, spécifiques et contrôlables en situation difficile. Conjointement, attribuer la réussite d’une action à des causes stables, générales et contrôlables permettra au militaire de se l’approprier. L’objectif est la mobilisation de cet apprentissage sur le théâtre des opérations afin que le militaire ait le sentiment d’avoir une emprise sur les événements.
L’espoir est une ressource psychologique dont il est dit qu’elle fait vivre (29). Elle est donc importante à prendre en compte dans le panorama des ressources à développer dans le cadre de la préparation du long terme. Une personne pleine d’espoir est une personne qui se fixe des buts, qui pense avoir différentes manières de les atteindre et qui manifeste une forte volonté pour les atteindre (10). Ces trois composantes de l’espoir sont autant de leviers à renforcer.
Les forces de caractère
Il est coutumier en France de voir ce qui ne va pas plutôt que de voir ce qui va bien. Il y a une tendance à vite repérer les faiblesses. Les points forts ne sont souvent pas identifiés. Pourtant, c’est sur ses qualités, véritables ressources psychologiques, que l’individu va pouvoir s’appuyer pour se confronter à une tâche, quelle qu’elle soit. De nombreuses recherches portent sur l’intérêt que cela peut représenter de les exploiter et de donner aux individus l’occasion de les identifier et d’y avoir recours, notamment dans le champ organisationnel (31). Dans cette lignée de travaux scientifiques, l’étude de Gradito-Dubord et Forest (13) a révélé que promouvoir un environnement permettant aux salariés d’exploiter leurs forces était de nature à entretenir leur motivation auto-déterminée, ce qui, en retour, vient augmenter leur niveau de performance et de satisfaction. Il semble donc s’avérer bien plus profitable pour l’entreprise de créer des conditions qui permettent aux salariés d’exploiter leurs points forts, plutôt que de chercher à corriger leurs points faibles. La question se pose alors de savoir comment les identifier, les exploiter, voire les développer. Y a-t-il des modalités de management particulières ? Cela nécessite-t-il des formations spécifiques ?
Pour Miglianico et al. (31), il faudra dans un premier temps informer l’individu sur ce type de modèle qui consiste à repérer et identifier ses forces afin de les exploiter. Dans un deuxième temps, il sera nécessaire de lui apporter des connaissances révélant son intérêt à intégrer ce mode de fonctionnement dans son quotidien. Le troisième temps consistera à expliciter la manière dont l’individu souhaite les exploiter en les contextualisant de façons spécifiques. Quatrième temps, la mise en action permettra de mettre en application les exploitations retenues. Enfin, la dernière étape, aura pour but de mesurer les effets de l’utilisation des forces au fur et à mesure de l’accompagnement des personnes (figure 3).
Figure 3 : Modèle intégratif des étapes d’intervention des forces en milieu organisationnel (31)
Un tel fonctionnement innovant dans le champ organisationnel peut être appliqué dans le domaine militaire dans les phases qui succèdent le recrutement ainsi que les phases d’aguerrissement et de préparation à la mission. Il est de nature à renforcer la confiance en soi des individus pour la réussite d’une mission. Des limites doivent toutefois être mises en évidence, ou a minima des précautions. En effet, quelle que soit la phase de la préparation, inévitablement il est nécessaire qu’ils acquièrent différents types de compétences. Apprendre va consister à réussir à faire quelque chose qu’on ne parvenait pas à faire préalablement, autrement dit admettre des points faibles qu’il s’agit de combler. Il faut, non seulement, réussir à réaliser une tâche, mais aussi à le faire au moindre coût, avec de plus en plus de réussite. Il est donc logique que toute phase de formation comprenne une évaluation de ce que les personnes ne savent pas faire, en résumé leurs points faibles. Ne travailler que sur les points forts ne reviendrait qu’à faire de la répétition, mais pas à inscrire les personnes dans une logique de formation. Au final, en fonction de la temporalité, il est possible de s’appuyer sur les points forts afin de corriger les points faibles.
La mobilisation des ressources dans la temporalité du court terme et du pendant
Cette phase va consister à activer l’ensemble des compétences acquises sur le long terme qui étaient dominées par des temps d’apprentissage. Le court terme, le juste-avant ne sont plus le temps de l’apprentissage, mais de la préparation à l’action, comme si l’ensemble des compétences requises était acquis. C’est la phase durant laquelle l’individu est sans doute le plus exposé au stress, parce qu’il va anticiper mentalement les événements susceptibles de survenir. Il est donc indispensable qu’il soit, à ce moment, en mesure d’exploiter les différentes stratégies et techniques acquises en amont en termes de gestion du stress. Il pourra, par exemple, avoir recours aux exercices fondés sur la respiration ou sur la méditation de pleine conscience. C’est également à ce titre qu’intervient la capacité de visualisation du but à atteindre avec les moyens disponibles, en pointant les éléments qui sont sous contrôle, tout en acceptant à la fois que tout ne puisse pas l’être et qu’il faille, en permanence, s’adapter à l’incertitude du milieu. Un environnement permettant de pointer cet ensemble est donc de nature à soutenir la confiance en soi globale du groupe, son sentiment d’efficacité collective complété du sens de la mission.
En résumé, les temporalités des long et court termes sont à la fois propices au développement de ressources psychologiques constitutives des forces morales et l’occasion de fixer des automatismes qui prendront la forme de drills, mobilisables tant pour le maintien des ressources psychologiques constitutives des forces morales en elles-mêmes que pour l’exercice de compétences techniques comme le maniement des armes, voire le combat en lui-même.
La temporalité du pendant nécessite une capacité de pleine présence des individus à eux-mêmes et à leur environnement physique et social. C’est le moment de la mobilisation des automatismes acquis lors des phases des long et court termes. C’est le moment de la focalisation sur les éléments qui sont sous contrôle des individus, ce sur quoi ils peuvent agir et comment ils peuvent le faire. L’action nécessite la mise à disposition de l’ensemble des ressources afin que celle-ci soit adaptée à la situation. C’est la raison pour laquelle les automatismes acquis préalablement sont d’une importance cruciale. Il est impossible de devoir réfléchir pour la réalisation d’une tâche technique parce que cela va mobiliser des ressources cognitives par exemple qui devraient être au service de l’adaptation immédiate. Réfléchir prend un temps précieux dans l’action. La contribution de la psychologie positive peut ainsi être importante. Elle peut offrir un prisme d’analyse complémentaire à l’existant pour comprendre les enjeux de la préparation dans ses différentes phases, avec finalement comme unique objectif la préparation à l’action du pendant. Au-delà de la compréhension des enjeux, elle offre des moyens originaux devenus accessibles à l’individu.
La temporalité de l’après
Cette temporalité est, en premier lieu, celle de la récupération physique et mentale à la suite de la tâche qui vient d’être réalisée ou à la suite de la mission. Dans une certaine mesure, il va s’agir de retrouver le niveau de ressources psychologiques initiales dans la perspective de la suite. Au-delà de la récupération, c’est également le bilan des enseignements qui auront été tirés. Cela peut se résumer à des questions simples. Qu’est-ce qui a fonctionné ? Qu’est-ce qui a moins bien fonctionné ? Qu’est-ce qui serait à conserver ? Que faudrait-il modifier ? Comment ? Les réponses à ces questions vont en retour alimenter les ressources évoquées dans les phases des long et court termes. Lors de cette phase seront réactivés les mécanismes évoqués pour la préparation au plus long terme. Il s’agira, par exemple, d’aller dans le sens d’une implémentation d’une vision optimiste du monde en s’attachant à identifier les causes des événements qui soient contrôlables, instables et spécifiques en situation délicate, et contrôlables, stables et générales en situation favorable. Le débriefing pourrait également consister à refaire un point sur le niveau d’espoir des individus en identifiant les autres stratégies qu’il eût été possible de mettre en œuvre pour l’accomplissement de la mission ou la confrontation à la tâche. Dans l’action, le groupe aura forcément mobilisé des ressources psychologiques, celles qui viennent d’être évoquées comme l’optimisme, l’espoir ou le SEP et le SEC, mais aussi les qualités de présence et d’acceptation. Elles sont souvent mobilisées de manière intuitive. Les verbaliser trouve toute son importance en ce que cela permettra, dans le futur, de le faire de manière volontaire. On pourra, par ailleurs, évaluer les effets des interventions préalablement proposées sur la phase du long terme pour les identifier et discuter autour de la manière dont elles ont été utilisées, voire identifier celles qu’il conviendrait potentiellement de développer.
Conclusion
La contribution de la psychologie positive pour la préparation des forces peut donc être de différente nature. D’abord, elle offre un prisme d’analyse original des situations pour les comprendre et leur apporter des solutions diversifiées, issues de différents champs théoriques. C’est le propre de son aspect intégrateur. Plus les angles d’analyse d’une situation sont variés, plus grandes sont les chances de pouvoir envisager différents scénarios de réponses efficaces. Les bénéfices de la psychologie positive s’inscrivent en complément des stratégies de préparation et de débriefing déjà mises en œuvre telles les ORFA ou les retours d’expériences (Retex). Ensuite, la psychologie positive peut être un complément prometteur à l’existant pour l’identification des ressources, leur usage et leur mobilisation, leur développement et leur maintien dans les situations à fort niveau de stress. Au regard de la technicité de plus en plus élevée du métier de militaire et de ses exigences, avec des situations de confrontation à des intensités de plus en plus hautes, le maintien des ressources est crucial sur le long terme, à l’instar de ce que révèlent les forces ukrainiennes dont il est logique de penser que le niveau de dissymétrie dans celui d’opposition aurait fait que le conflit serait de courte durée. Or, force est de constater qu’il n’en est rien.
In fine, la psychologie positive offre un cadre prometteur pour le développement des forces morales entendues comme l’agrégation de ressources qu’un environnement soutenant permet de déployer individuellement et/ou collectivement dans une temporalité de l’avant, du pendant et de l’après, et permettant à chacun d’assumer sa responsabilité à l’égard de soi et des autres comme marque d’un comportement éthique en tout temps et en tout lieu.
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(i) À la différence des domaines qui relèvent d’une haute technicité et qui nécessitent le développement de compétences techniques (armement, communication, stratégie) les compétences non-techniques se différencient de par leur pouvoir de transversalité et d’utilité comme celles qui relèvent de la gestion du stress ou des compétences psychosociales.
(ii) La dimension d’internalité a progressivement été délaissée car sa mesure semble moins fiable, et ses corrélats (avec les expectations par exemple) moins consistants, que ceux obtenus avec la stabilité ou la globalité (27). La dimension contrôlabilité lui est maintenant préférée (32).