L’exercice de la médecine militaire en opérations extérieures rend la survenue de dilemmes éthiques inéluctable, en raison de la nature des missions, du contexte d’intervention et du double-statut des médecins militaires qui sont à la fois soignants et membres à part entière de l’armée française. Éthique et stress sont intimement liés, la confrontation à des dilemmes éthiques qui ne sont ni abordés ni résolus étant à l’origine de « stress moral » pouvant faire le lit de pathologies psychiques ultérieures ou conduire à une désadaptation au métier. La prévention repose sur une préparation à la gestion de ces situations, et implique une prise de conscience individuelle et institutionnelle sur sa nécessité.
Dilemmes éthiques des médecins militaires en Opex : quels garde-fous ?
L’exercice de la médecine militaire en opérations extérieures : un terreau fertile à l’émergence de dilemmes éthiques
Des missions singulières
Les médecins et chirurgiens militaires exercent en opérations extérieures (Opex) de multiples fonctions et missions, en structures de role 1 – équipes médicales mobiles constituées de médecins généralistes et infirmiers formés au sauvetage au combat, qui assurent le soutien au plus près des combattants – ou de role 2 – équipes chirurgicales dans les bases avancées temporaires ou les points d’appui permanents. Le soutien des militaires français est la mission princeps, c’est-à-dire la raison pour laquelle les médecins militaires sont déployés en Opex. Il s’agit d’assurer la prise en charge des pathologies médicales ou traumatiques de la vie courante, mais aussi et surtout celle des blessés de guerre qui repose sur le sauvetage au combat. Ils cumulent cette fonction de soignant avec celle d’expert, qui vise à déterminer l’aptitude des militaires blessés ou malades à rester à leur poste ou, au contraire, à être évacués en métropole. La prise en charge de blessés multiples n’est pas rare, qu’il s’agisse de blessés français, de blessés des armées partenaires ou de civils. L’afflux est dit saturant lorsqu’il y a une inadéquation entre les moyens disponibles, et la quantité de blessés et de blessures à prendre en charge. Il convient alors de réaliser un triage, afin de définir la priorité d’évacuation des blessés au role 2, et au sein même de cette structure de définir un ordre de passage au bloc opératoire qui ne permet que la prise en charge d’un seul blessé, parfois de deux simultanément. Certains blessés jugés trop graves et dont la prise en charge nécessiterait de déployer des moyens considérables au risque de léser le pronostic des autres patients ne seront pas prioritaires, sans pour autant être considérés comme des « laissés pour compte ». Ils seront traités dans un second temps, lorsque les moyens seront disponibles. Il s’agit d’un réel changement de paradigme, puisqu’à une logique déontologiste qui est l’essence même de la médecine hippocratique – dont l’objectif est de faire le maximum pour le bien individuel du patient – se substitue une logique utilitariste qui fait intervenir le principe de justice distributive dont le but est de rationaliser les moyens et de parvenir à sauver un maximum de patients.
L’Aide médicale aux populations (AMP) est une tradition ancienne du Service de santé des armées (SSA). Elle est gratuite et représente une part considérable de l’utilisation des moyens en dotation de produits de santé du SSA, de l’ordre de 85 % (9). Elle est très encadrée sur le plan doctrinal et reste à la diligence du commandement militaire qui peut émettre des réserves quant à sa mise en place et à sa poursuite (5). Elle s’intègre dans le cadre des actions civilo-militaires dont l’objectif est de favoriser le développement, l’échange et le dialogue avec les populations locales. L’objectif principal reste, cependant, de répondre aux besoins en santé de la population affectée par le conflit, en apportant une aide concrète en lien avec les Organisations non-gouvernementales (ONG) et les structures de santé locales.
Enfin, les équipes médicales peuvent être sollicitées pour la prise en charge médicale des personnels capturés pour des questions de sécurité de la Force ou des civils, ou pour déterminer leur aptitude à la rétention. On parle de « Personal Under Control » (PUC), puisqu’il ne s’agit pas stricto sensu de prisonniers de guerre, en ce qui concerne l’opération Barkhane (i), s’agissant d’un conflit armé non international opposant des armées organisées à des groupes armés terroristes (GAT).
Les PUC sont sous la responsabilité du commandement militaire qui doit les traiter avec humanité et leur assurer les garanties fondamentales du droit international.
Contingentement des ressources humaines et matérielles, et contraintes sécuritaires
Les équipes médicales sont soumises aux mêmes contraintes sécuritaires que les personnels combattants et sont même particulièrement visées par les GAT lors des déplacements en dehors des bases militaires, compte-tenu de l’impact psychologique effroyable sur les troupes de la perte des éléments santé (ii) et de la désorganisation du soutien santé inhérente. Ceci implique qu’ils ne sont pas libres d’aller et venir sur le théâtre et sont dépendants des forces combattantes pour toute activité afin d’assurer leur sécurité. Cela explique également qu’ils soient munis d’armement pour se protéger et protéger les blessés se trouvant sous leur responsabilité.
Concernant l’opération Barkhane, la vaste zone d’intervention et le soutien des troupes françaises au plus près des aires de combat qui repose sur le concept de médicalisation de l’avant rend le réapprovisionnement en matériel et en produits de santé difficile, étant donné les délais de réapprovisionnement depuis la métropole via les points d’appui permanents. Le contingentement des ressources matérielles est dès lors une réalité pour les équipes médicales qui doivent préserver ces ressources rares afin d’être en capacité de répondre à leur mission princeps de soutien des combattants.
L’évacuation des blessés peut aussi être rendue difficile par l’éloignement géographique et dépend des vecteurs aériens disponibles. Concernant les personnels civils qui ne peuvent être évacués par les moyens de la Force Barkhane, la question de la prise en charge d’aval est cruciale et fait souvent défaut. Les structures de santé locales sont dans l’incapacité d’assurer un niveau de soins similaire à celui offert par le SSA en Opex, en l’absence de moyens adaptés de réanimation et de rééducation. Il y a alors une disruption du niveau de soins proposé, passant d’une prise en charge spécialisée répondant aux standards de soin modernes à une prise en charge dégradée ou inexistante.
Double-subordination et double-loyauté
Comme officiers de l’Armée française, les médecins militaires sont hiérarchiquement subordonnés à l’autorité d’emploi de la structure au sein de laquelle ils exercent.
Pour les médecins de rôle 1, il s’agit du chef d’unité puis du chef de corps du groupement tactique. Pour les médecins et chirurgiens exerçant en rôle 2, c’est le chef de corps du bataillon logistique.
En tant que médecins, la hiérarchie technique est assurée par le Directeur médical (Dirmed), médecin expérimenté basé au poste de commandement interarmées, conseiller santé du général commandant l’opération. Ce dernier est secondé par le Patient Evacuation Coordination Cell (PECC), médecin en charge de la régulation des moyens santé du théâtre, et du Medical Ops (MEDOPS), chargé de la planification du soutien santé sur le théâtre. La hiérarchie technique est censée être garante de l’indépendance des médecins dans l’exercice médical.
Cette double-subordination est l’illustration concrète du concept de double-loyauté, largement repris dans la littérature internationale (1) (14) (15). Il part du postulat que le médecin militaire, qui est à la fois membre d’une organisation médicale et des forces armées, est soumis à deux systèmes de valeurs et d’obligations différents, et qu’il doit nécessairement considérer le bien commun dans ses décisions, à savoir l’intérêt militaire et la sécurité nationale.
Temporalité des prises de décision
La temporalité des prises de décision est bien souvent celle de l’urgence, voire de l’extrême urgence, en particulier en ce qui concerne la prise en charge des blessés de guerre. Le temps disponible à une démarche de réflexion éthique collégiale et structurée fait donc défaut, et la principale réponse dans l’urgence sera d’ordre intuitive, faisant appel à l’expérience des individus quant à des événements similaires du passé.
Un cadre normatif contraint
L’intervention des Forces armées en Opex et des médecins militaires en particulier est très encadrée sur le plan normatif.
Sur le plan du droit international, les conventions de Genève s’appliquent. Pour l’opération Barkhane, s’agissant d’un conflit armé non international, ce sont l’article 3, commun aux quatre conventions, ainsi que le protocole additionnel n° 2 de 1977 qui sont applicables (6) (8).
Des principes communs s’en dégagent : respect des droits fondamentaux de la personne humaine – inviolabilité de l’individu, droit à l’assistance médicale, non-discrimination –, protection des personnels médicaux, respect de leur indépendance et de leur neutralité, et non-participation active aux hostilités. Les personnels soignants ont, en retour, une obligation de neutralité idéologique et d’impartialité. Il est primordial que tous les personnels connaissent ces conventions de Genève, et des commissaires sont présents sur le théâtre pour les sensibiliser et conseiller le commandement sur le droit international. Il s’agit des Legal Advisors (LEGAD). Ils peuvent être sollicités par les équipes médicales, en particulier pour la prise en charge des PUCs.
Les médecins militaires ne sont inscrits à aucun ordre professionnel. Ils ne relèvent donc pas de la responsabilité ordinale de l’Ordre national des médecins (ONM). Des règles de déontologie spécifiques aux praticiens des armées sont fixées par décret, dont la première version date de 1981, qui s’appliquent aussi bien aux praticiens de carrière ou sous contrat, qu’aux praticiens réservistes « exerçant une activité au titre d’un engagement à servir dans la réserve opérationnelle ou au titre de la disponibilité » (11). Le décret de 2008 impose aux praticiens des armées une conduite conforme aux conventions internationales, ainsi qu’aux principes généraux gouvernant l’exercice de leur profession (12). Il y a donc de nombreuses similitudes avec le code de déontologie de l’ONM.
Toutefois, certaines spécificités propres aux praticiens des armées y sont mentionnées :
• La double-subordination des praticiens, hiérarchique et technique, comme sus-mentionné (article 18).
• La notion d’intérêt collectif qui peut se substituer dans certains cas à l’intérêt individuel des patients (article 21).
• La pratique en situations d’exception, en particulier en Opex, qui impose « des contraintes opérationnelles, des situations d’isolement ou des modifications brutales des conditions d’exercice de sa profession ». Le médecin peut ainsi être contraint à quitter son poste ou ses patients si des circonstances exceptionnelles l’exigent.
Une dérogation à l’obligation de respect du secret professionnel est également envisagée, dans le cas où le praticien estime qu’une information recueillie peut éviter qu’il soit porté atteinte à la sécurité.
Le cadre normatif se place également sur un plan réglementaire, symbolique, et d’autres textes de lois ou chartes viennent encadrer l’exercice du médecin militaire, que l’on ne mentionnera pas ici.
Les dilemmes éthiques des équipes médicales : une réalité
Plusieurs auteurs ont déjà fait part de leur expérience dans le domaine de l’éthique médico-militaire. Les équipes du Centre de recherche du SSA (CRSSA) et de l’IRBA ont travaillé sur cette thématique (3) (4). Des travaux de recherches universitaires ont été réalisés par des médecins ou chirurgiens militaires. Dans le cadre d’une thèse d’exercice en médecine, un médecin militaire français a réalisé une série d’entretiens en 1994 et 1995 auprès de treize médecins ou chirurgiens militaires déployés en Opex au Rwanda, en ex-Yougoslavie et au Koweït (2). Les dilemmes éthiques rapportés étaient nombreux, la plupart en lien avec le contingentement des ressources humaines et matérielles.
Dans le cadre d’un mémoire de Master 2, vingt-six questionnaires de médecins militaires exerçant dans des unités de l’Armée de terre ont été analysés (17) : 81 % des répondants déclaraient avoir été confrontés à des problématiques éthiques, la plupart du temps en Opex (75 % des cas). La situation la plus fréquemment décrite concernait la non-intervention médicale pour la prise en charge de blessés civils due à des contraintes de sécurité pouvant mettre en danger les équipes médicales, ou lorsque qu’une telle intervention risquait de mettre en échec la mission militaire. Des propositions concrètes ont été formulées par l’auteur de ce mémoire afin d’améliorer la sensibilisation des médecins militaires aux dilemmes éthiques.
Un troisième travail universitaire, réalisé par un médecin militaire exerçant à l’époque dans une unité de l’Armée de terre, s’est intéressé au vécu de onze médecins militaires déployés en Afghanistan entre 2008 et 2012 (16). L’auteur de ce travail concluait que les dilemmes éthiques en Opex sont fréquents, et proposait également un programme de formation/sensibilisation à l’éthique opérationnelle lors de la formation initiale, mais surtout lors de la préparation opérationnelle.
En 2021, nous avons réalisé une étude qualitative auprès de médecins et chirurgiens militaires ayant récemment participé à l’opération Barkhane (13). Tous étaient des médecins d’active, exerçant en rôle 1 (n=10) ou en rôle 2 (n=10). L’objectif était de faire l’état des lieux des dilemmes effectivement rencontrés par les praticiens. Tous les médecins interrogés ont été confrontés à plusieurs dilemmes éthiques qui ont été regroupés en cinq thèmes principaux (tableau).
Ce qui ressort de cette étude, c’est que l’émergence de dilemmes éthiques semble corrélée au statut des patients pris en charge. Les soins apportés aux soldats français n’ont pas été rapportés comme à l’origine de dilemmes éthiques, contrairement à la prise en charge des PUCs et des civils. Même s’il ne s’agit pas de la mission princeps, l’AMP représente la majeure partie de l’utilisation des moyens de santé et de l’activité des médecins de rôle 1 comme de rôle 2, ce qui explique la forte prévalence de dilemmes éthiques liés à cette pratique.
La double-loyauté expliquait une partie des dilemmes rapportés par les participants, mais une autre explication est que les médecins militaires doivent composer avec des ressources humaines et matérielles contingentées. Cela implique de devoir appliquer le principe de justice distributive afin qu’elles bénéficient au plus grand nombre dans une logique utilitariste qui peut rentrer en conflit avec une approche plus déontologiste de la médecine en général. Ils doivent aussi prendre en compte le manque de structures sanitaires existantes au Sahel et l’absence de capacité de prise en charge d’aval. Des décisions de limitations ou arrêt des thérapeutiques en l’absence de moyen de prise en charge d’aval ont largement été soulevées par les répondants comme étant à l’origine de dilemmes éthiques. Cela peut entraîner des iniquités de prise en charge en fonction du statut, les militaires français pouvant bénéficier a contrario de traitements maximalistes, car ils seront rapidement évacués vers une structure sanitaire de métropole.
Il ressort des entretiens, dans certaines situations, une divergence de point de vue entre les médecins et les combattants sur la qualité et la pertinence des soins qui doivent être prodigués aux ennemis. Cela peut créer une dissonance chez les médecins militaires à l’origine de stress moral.
Les médecins militaires ne sont pas neutres dans l’exercice de leurs fonctions au Sahel. La neutralité, l’un des principes fondamentaux de la pratique médicale humanitaire, impliquerait que les équipes médicales ne favorisent pas une partie au conflit plutôt qu’une autre. Ceci est très différent de l’impartialité, selon laquelle l’aide médicale « doit être fournie uniquement en fonction des besoins, sans discrimination ». Les médecins militaires évoluent au sein d’une institution dont ils ont choisi d’adhérer aux valeurs et de se lier à leurs collègues soldats, développant ainsi une forme de solidarité. Tous les médecins militaires interrogés ont déclaré adhérer aux principes de la mission et se sentir à l’aise dans leur rôle de médecin et de militaire. La proximité avec les personnels combattants dans les postes avancés et sur le terrain favorise les liens et la camaraderie. Ils ne peuvent donc pas être réellement neutres. Dans les soins apportés aux PUCs, les médecins militaires interrogés font toutefois preuve d’impartialité dans leurs démarches individuelles, considérant que la souffrance humaine doit bénéficier de la même considération pour tous les patients, indépendamment de leur statut.
Enfin, la collégialité des prises de décisions, qui est un élément crucial de la délibération éthique, était rapportée par plusieurs participants pour les aider à résoudre ou aborder les dilemmes éthiques rencontrés. Si la temporalité des prises de décision qui est souvent celle de l’urgence ne permet pas toujours sa mise en application, elle est à promouvoir, afin de partager leur poids et limiter le risque d’apparition de stress moral. Le PECC et le Dirmed, qui sont joignables en permanence, sont des interlocuteurs privilégiés, à condition d’aborder la discussion de manière confraternelle et en faisant abstraction du lien hiérarchique.
Améliorer la sensibilisation des personnels à l’éthique médico-militaire
Formation initiale des médecins et chirurgiens militaires
La sensibilisation à l’éthique médico-militaire doit s’inscrire en complément de la formation universitaire civile pendant laquelle l’éthique médicale est abordée tout au long du cursus, s’appuyant sur les problématiques du soin à l’hôpital ou en médecine libérale. La formation complémentaire militaire des élèves médecins de l’École de santé des armées (ESA) comprend environ 1 800 heures réparties sur les 6 ans d’études, sous forme de stages en unités, de stages d’aguerrissement, de conférences sur la défense et les spécificités du métier de médecin militaire, de modules de sauvetage au combat. L’idée que nous formulons serait de proposer la création d’un cycle de conférences dédiées à l’éthique médico-militaire au cours de la formation initiale. Concernant les internes de l’École d’application du Val-de-Grâce, cette formation pourrait être poursuivie en favorisant le retour d’expériences (Retex) de médecins confrontés à des dilemmes éthiques en Opex. L’enseignement sous forme de travaux pratiques avec des discussions de cas cliniques en petits groupes permettrait aux internes d’appréhender de façon concrète l’éthique de la discussion et la résolution des dilemmes. Actuellement, l’éthique médico-militaire n’est que peu abordée, sous forme magistrale, peu propice aux échanges avec les étudiants.
Renforcer une culture commune avec les combattants
Les résultats de l’étude de 2021 (12) plaident en faveur d’une meilleure connaissance par les combattants, les autorités militaires et le commandement santé des missions et des dilemmes éthiques vécus par les médecins militaires en pratique. La mise en place d’un programme commun plus large de sensibilisation à l’éthique médicale en Opex serait nécessaire, incluant non seulement les personnels de santé, mais aussi les personnels combattants et les autorités hiérarchiques santé.
Des rencontres entre les élèves-officiers des écoles de l’Armée de terre et les futurs médecins de l’ESA autour de cette thématique pourraient permettre d’enrichir une connaissance mutuelle, afin de mieux connaître les contraintes et les dilemmes que vivent les médecins et les combattants en Opex.
Lors de la préparation opérationnelle, le stage Médicalisation en milieu hostile (MedicHos) a pour particularité de rassembler les unités combattantes et les équipes médicales de rôle 1 afin de s’entraîner par la simulation à la prise en charge des blessés, de leur médicalisation sur le terrain à leur évacuation. Il pourrait être intéressant de profiter de ce stage pour introduire des dilemmes éthiques lors des prises en charge afin d’initier une démarche de réflexion éthique qui inclut les personnels combattants.
Création d’un groupe de réflexion éthique en médecine militaire
En 1991 était créé par le Professeur Jean-François Mattéi le Centre d’enseignement et de recherche en éthique médicale (Cerem). Quelques années plus tard a vu le jour, à l’initiative du Professeur Didier Sicard et d’Emmanuel Hirsch l’Espace éthique de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, aujourd’hui espace de réflexion éthique de la région Île-de-France, premier espace éthique conçu et développé au sein d’une institution.
Le rapport Cordier (7), remis en 2003 au ministre de la Santé et faisant suite à sa demande, préconise la création d’espaces éthiques régionaux sur tout le territoire national, qui se définissent comme des lieux d’échanges, d’enseignements universitaires, de formations, de recherches, d’évaluation et de propositions portant sur l’éthique hospitalière et du soin. Ils assurent également une fonction de ressource documentaire (10). Dans le domaine de la médecine militaire, à l’exception des espaces de réflexion éthique des hôpitaux d’instruction des armées, il n’existe pas d’espace de réflexion éthique à l’échelle nationale. La proposition que nous formulons est la création d’un groupe de réflexion éthique en médecine militaire à l’échelle nationale qui permettrait, à l’instar des différents espaces éthiques régionaux de France, de proposer une réflexion collective, des recherches, des formations et des propositions portant sur l’éthique en médecine militaire. Ce groupe serait constitué de chercheurs, praticiens, philosophes, personnels paramédicaux, militaires du métier des armes et de toute personne concernée par cette problématique.
Conclusion
L’exposition à des dilemmes éthiques en Opex est fréquente pour les personnels de santé qui doivent souvent décider dans l’urgence. Il est important de poursuivre, d’insuffler une « culture éthique » dans le SSA afin de favoriser l’élaboration d’une démarche de réflexion éthique a posteriori afin d’éviter les séquelles de tels dilemmes. La nature asymétrique des conflits actuels explique que les dilemmes rencontrés ne concernent que la prise en charge des personnels civils ou des PUCs. Il semble important de réfléchir dès à présent sur les dilemmes qui pourraient survenir en cas de conflit symétrique de haute intensité, impliquant de nombreux blessés de guerre français, qui seront nécessairement différents de ceux rencontrés actuellement. La création d’un groupe de réflexion éthique en médecine militaire pourrait permettre d’améliorer la formation dans ce domaine et d’inculquer une dynamique positive de réflexion dans le SSA en partenariat avec les autres composantes de l’Armée française.
Éléments de bibliographie
(1) Benatar S.R. & Upshur R.E., « Dual Loyalty of Physicians in the Military and in Civilian Life », American Journal of Public Health, décembre 2008, 98(12), p. 2161-2167. https://doi.org/10.2105/AJPH.2007.124644.
(2) Benner P., « Réflexion sur le sens de l’acte médical en mission extérieure » Médecine et Armées, n° 24, 1996, p. 403-406.
(3) Buosi S., « Quelle éthique opérationnelle pour la Défense biomédicale ? » Médecine et Armées, n° 43, 2015, p. 279-85 (https://fr.calameo.com/read/00035478572db08bac914).
(4) Canini F., « Éthique et stress. Notions philosophiques vs. connaissances neurophysiologiques. Implications pédagogiques », Médecine et Armées, n° 43, 2015, p. 272-278 (https://fr.calameo.com/).
(5) Centre interarmées de concepts, de doctrines et d’expérimentation (CICDE), Aide médicale aux populations, Doctrine interarmées DIA-3.10.3.1_AMP (2009), n° 097/DEF/CICDE/NP, 15 mai 2009, 36 pages (www.irsem.fr/).
(6) Comité international de la Croix-Rouge (CICR), « Droit international humanitaire et droit international des droits de l’homme. Similitudes et différences ».
(7) Cordier Alain, Éthique et professions de santé (Rapport), 1er mai 2003, 64 pages (www.vie-publique.fr/).
(8) CICR, Article 3 commun aux Conventions de Genève de 1949 (https://ihl-databases.icrc.org/).
(9) Darré E & Rouanet P., « Service de santé des armées et aide médicale aux populations : objectif ou moyen ? » Santé Décision Management, 11(1-2), 2008, p. 183-198. https://doi.org/10.3166/sdm.11.1-2.183-198.
(10) Dinechin (de) O., « “Éthique et professions de Santé” : pour une pédagogie organisée », Laennec, 51(4), 2003, p. 4-8 (https://www.cairn.info/revue-laennec-2003-4-page-4.htm).
(11) Journal officiel de la République française (JORF), Décret n° 81-60 du 16 janvier 1981 fixant les règles de déontologie applicables aux médecins et aux pharmaciens chimistes des armées (www.legifrance.gouv.fr/).
(12) JORF, Décret n° 2008-967 du 16 septembre 2008 fixant les règles de déontologie propres aux praticiens des armées (https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000019494447/).
(13) Lamblin A., Derkenne C., Trousselard M. & Einaudi M.A., « Ethical Challenges faced by French Military Doctors Deployed in the Sahel (Operation Barkhane): a Qualitative Study », BMC Medical Ethics, 22(1), novembre 2021 (https://bmcmedethics.biomedcentral.com/articles/10.1186/s12910-021-00723-2).
(14) Messelken D., « Conflict of Roles and Duties —Why Military Doctors are Doctors? », Ethik und Militär, 2015, p. 43-46 (www.melac.ch/).
(15) Olsthoorn P., « Dual Loyalty in Military Medical Ethics: a Moral Dilemma or a Test of Integrity?, BMJ Military Health, 165(4), août 2019, p. 282-283. http://dx.doi.org/10.1136/jramc-2018-001131.
(16) Papillault des Charbonneries L. Le médecin militaire et les blessés au combat en 2013… l’éthique en ligne de mire ?, Mémoire de Master 2 « Éthique, sciences, santé, société », Université d’Aix-Marseille, 2013, 42 pages.
(17) Thiéry G., Éthique et médecin militaire, Mémoire de Master de recherche « Éthique, science, santé, société »., Université d’Aix-Marseille, 2006, 58 pages.
(i) Opération militaire française lancée le 1er août 2014 à la suite de l’opération Serval dont l’objectif était de stopper la progression des groupes armés terroristes installés dans le Nord du Mali, qui cherchaient à s’emparer de l’ensemble du pays. L’opération Barkhane s’intègre dans une dimension géographique plus vaste avec ses partenaires du G5-Sahel (Mali, Tchad, Niger, Burkina Faso, Mauritanie), dans un objectif de coopération. Le 15 août 2022 s’est opérée une réarticulation de l’opération Barkhane en dehors du Mali.
(ii) Les éléments santé correspondent au personnel de soutien médical : médecins, infirmiers, auxiliaires sanitaires.