Cet article s’intéresse à la dimension éthique des décisions prises en contexte de stress. L’auteur met en exergue la place occupée par celle-ci, grâce à l’analyse de la complexité et de l’exigence des engagements actuels. Devenue incontournable, elle fait désormais partie du quotidien du soldat. Ce dernier, naviguant sans cesse entre contraintes opérationnelles, morales, éthiques et juridiques, doit développer les outils nécessaires et adéquats, afin de garder la maîtrise des événements et le discernement dans l’action.
Décisions éthiques face au stress : comment préparer nos hommes à répondre à ce défi en opération ?
Il faut replacer la question de la décision éthique face au stress dans le contexte extraordinaire qui est celui de nos missions. On demande au soldat, et plus encore au chef, de gérer dans l’engagement beaucoup de dimensions, une pyramide – ou bien des cercles concentriques – d’exigences simultanées.
Un contexte d’engagement exorbitant des normes communes
Si l’on voulait simplifier cette pyramide, elle serait bâtie de bas en haut avec la maîtrise de soi, la compréhension et la prise en compte de l’environnement sous tous ses aspects – général, les amis, l’ennemi –, la mise en œuvre de savoir-faire – techniques et tactiques –, le commandement – donc l’attention et la maîtrise des autres –, la conduite de l’action prévue et la réaction aux événements et aux aléas. À son sommet, le devoir d’inscrire cette action, quelles que soient les circonstances, dans un cadre juridique, éthique et moral exigeant qui traduit notre appartenance à une communauté de Nations attachées au droit et à la sacralité de la vie humaine.
Cette exigence cumulative est énorme, et cette surcouche d’exigence éthique est elle-même un enjeu en soi revêtant deux aspects. Le premier est de savoir comment j’agis sur mon ennemi – au combat et une fois qu’il est vaincu – et comment j’épargne l’environnement civil et général dans l’action. Le second est de savoir comment je mets en jeu la vie de mes hommes pour atteindre mon objectif, plutôt pions dont je joue ou plutôt camarades dont la vie qui m’est confiée est précieuse ?
Cette question trouve bien évidemment tout son sens quand les circonstances sont compliquées – environnement incertain, choix exigeants, voire dilemmes – et que le soldat et encore plus le chef est en situation de stress. Comment faire en sorte qu’en cette situation ses choix restent éclairés par cette exigence éthique ?
Une réponse à trois niveaux : foncière, technique, éthique
La réponse est probablement à trois niveaux. La base est constituée par le continuum – ou plutôt le cycle – formation–entraînement–expérience des engagements, qui ne traite pas directement de la gestion du stress ou du volet éthique, mais donne les outils, la compétence, les savoir-faire pour remplir les missions et affronter les décisions. Nos armées sont, sans doute, très en avance sur ce volet, avec leur expérience en opérations et un système de formation, d’aguerrissement, de préparation opérationnelle précis, multidimensionnel et adaptable aux besoins.
L’apport spécifique, ensuite, des techniques de valorisation des capacités individuelles – notamment d’exploitation du stress positif et de contention du stress négatif, qui existait peu quand nous étions jeunes officiers –, s’est heureusement développé, innervant maintenant les organismes de formation et les forces. Cet apport est essentiel pour consolider les capacités en vue de l’action puis pour faciliter le retour à une vie normale. Les recherches et expérimentations dans ce champ, conduites notamment dans le cadre du développement des « forces morales », doivent permettre d’aller encore plus loin dans la recherche de l’efficacité individuelle et, partant, collective, en prenant garde toutefois de ne pas tomber dans une approche purement techniciste et utilitariste qui exploiterait les capacités à leur maximum mais ne préserverait pas assez ou ne ferait pas grandir l’individu.
L’internalisation, enfin, de notre socle de valeurs partagées, qui vient structurer l’individu corps, âme et esprit, fera que face aux actions compliquées, aux choix difficiles en situation de stress, la nature même de la personne, soldat ou chef, l’amènera à agir avec le discernement nécessaire. Si chacun arrive avec son histoire personnelle, familiale, son niveau de conscience de ces exigences, notre devoir est de faire en sorte que ces valeurs, ces bornes morales, ces critères éthiques de l’action soient faits siens par tout soldat, tout chef. Cette « augmentation morale » de l’individu passe par un développement des enseignements fondamentaux en école de formation initiale puis par des actions adaptées à chaque population dans les forces jusqu’aux « plus bas » échelons, dans la durée et en vue de chaque engagement. Lourd défi qui ne se satisfait pas de grands principes ou d’injonctions morales, mais qui demande à obtenir in fine une appropriation quasi structurelle qui forge positivement la personnalité, l’épaisseur humaine, l’ouverture aux autres.
Un soldat « humainement augmenté »
L’on perçoit bien que c’est cette conjonction du cycle formation–entraînement–
expérience, des techniques permettant la régulation du stress, et de l’armement humain et moral qui va permettre d’augmenter notre soldat au point qu’il saura réguler son stress, trouver les ressources pour prendre les bonnes décisions et continuer à faire preuve de discernement éthique dans l’action, et singulièrement face aux décisions les plus dures. ♦