Dans un contexte de durcissement de l’environnement sécuritaire international et de modernisation de ses capacités, l’Armée de l’Air et de l’Espace doit, face à un secteur civil prédateur et attractif, relever les défis du recrutement et de fidélisation en adoptant une approche globale, et en valorisant la cohésion et la relation chef-subordonné.
Disposer d’aviateurs à la hauteur des engagements de demain
Une structure RH déficitaire et déformée…
La Révision générale des politiques publiques (RGPP) et la réforme des armées qui s’est ensuivie ont conduit à une baisse drastique des effectifs des armées et de l’Armée de l’Air (AAE) et de l’Espace en particulier, qui a maigri de 30 % entre 2008 et 2015. Pour atteindre ces objectifs de déflation, un effort considérable de réorganisation et de rationalisation, parfois d’externalisation de certaines fonctions, a été mené. La sécurité-protection des bases aériennes a ainsi vu ses effectifs diminuer de 30 %, la maintenance aéronautique a perdu 4 000 postes sur les 18 000 existants et la fonction gestion RH a été amputée de 40 % de ses effectifs. En outre, plusieurs bases aériennes ont fermé et les états-majors ont été profondément réorganisés. Il faut convenir que cet effort nous a mis en difficulté et qu’il est impératif, aujourd’hui, de rééquilibrer un modèle érodé par des années de déflation.
La direction des ressources humaines de l’AAE mène donc, depuis 2016, une manœuvre de remontée en puissance de ses RH afin d’accompagner la modernisation des capacités de l’AAE, et de lui permettre d’effectuer ses missions opérationnelles, dans un contexte de durcissement de l’environnement sécuritaire international.
Résultat de trente années de décisions politiques, notre structure RH est aujourd’hui déformée. Elle se caractérise par des cohortes recrutées en fort volume après les attentats de New York en 2001, qui arrivent dans une zone d’ouverture de leur droit à pension à liquidation immédiate et qui sont donc susceptibles de départ à tout moment. Cette structure est également confrontée à un encadrement intermédiaire peu représenté, en raison des faibles recrutements opérés durant la RGPP, et devant désormais faire face à des flux de nouveaux entrants en très forte augmentation. Cette situation se traduit par une hausse des départs non souhaités. Le personnel navigant, les spécialistes du MCO (Maintien en condition opérationnelle) aéronautique, du contrôle aérien et des SIC (Systèmes d’information et de communication) sont ainsi plus particulièrement impactés.
Dans un contexte de remontée en puissance et de compétences intéressant fortement un secteur privé prédateur et attractif (l’aéronautique civile avait annoncé l’an dernier vouloir recruter 15 000 spécialistes, Airbus annonce cette année un besoin de 13 000 recrutements pour l’ensemble de ses sites), il est essentiel d’améliorer notre attractivité et de hisser la fidélisation comme « une priorité absolue » comme l’a évoqué le président de la République lors de ses vœux aux armées à Mont-de-Marsan, le 20 janvier 2023. Enfin, nous devons adapter en permanence notre outil de formation au fil des évolutions capacitaires et sociétales.
Renforcer notre attractivité
L’attractivité nourrit le recrutement, graine qu’il faut arroser régulièrement et qui n’aime ni l’excès de chaleur ni le grand froid sibérien. Les RH ont horreur des à-coups ! Cette attractivité se construit petit à petit, par des actions d’information ciblant des publics distincts, par une communication et un marketing adaptés, par une marque employeur dynamique et attractive, et par des aviateurs ambassadeurs de leur propre métier. L’attractivité se joue également par le succès de l’AAE en opérations comme par la bonne image véhiculée lors de l’export de matériels aéronautiques de pointe.
Un plan global d’attractivité a ainsi été mis en œuvre et a permis le triplement du recrutement annuel depuis 2015. L’objectif de l’Armée de l’Air et de l’Espace pour 2023 est de recruter près de 3 800 jeunes de tous niveaux. Pour cela, la chaîne recrutement a été renforcée, régionalisée et professionnalisée. Surtout, notre stratégie a évolué vers de nouvelles méthodes de recrutement par une présence accrue sur tous les réseaux sociaux pour recruter les jeunes d’aujourd’hui et de demain. En 2022, 65 % des candidatures au recrutement étaient issues d’Internet et 30 % des utilisateurs du site « devenir aviateur » se sont connectés entre minuit et 6 heures du matin. Cela nous oblige à penser différemment la fonction recrutement. En outre, notre volonté d’impliquer tous les aviateurs dans cette mission de recrutement primordiale pour l’Armée de l’Air et de l’Espace a perduré avec la campagne de communication interne « aviateurs tous recruteurs ».
Je n’oublie pas la mise en place, par le biais d’une plateforme spécialisée, d’une centaine d’aviateurs ambassadeurs, volontaires pour renseigner les élèves et étudiants sur leur métier au sein de l’AAE, qui contribue au succès du recrutement et, plus généralement, au devoir d’information de notre jeunesse. La tâche est noble.
Demain, il faudra encore intensifier et optimiser notre présence sur le Web, fluidifier les procédures, consolider notre démarche marketing multi-milieux et être capable de suivre l’évolution de la société en s’adaptant avec réactivité.
Fidéliser notre ressource la plus précieuse
Cependant, l’enjeu principal est aujourd’hui la fidélisation. Elle doit être pensée selon une approche holistique afin de toucher tous les leviers, car les sous-jacents sont parfois subtils, relevant du sentiment ou de sensations.
L’Armée de l’Air et de l’Espace l’aborde selon 5 axes :
• Une rémunération valorisante via la mise en œuvre d’une prime de lien au service ciblée par spécialité prenant en compte les besoins et les dynamiques de départ. Mais aussi via la nouvelle politique de rémunération des militaires qui vient réaffirmer la singularité militaire en prenant mieux en compte les sujétions et obligations de notre communauté, adapter le régime indemnitaire aux nouveaux enjeux sociétaux, simplifier un mille-feuille indemnitaire devenu illisible et rendre plus juste et plus attractive la rémunération des militaires.
• Une progression professionnelle dynamique qui favorise la promotion interne, marque de fabrique de notre institution où un caporal peut terminer général (1). Nous avons ainsi doublé en 2021 le nombre de militaires du rang devenus sous-officiers.
• Une formation modernisée, par le succès et avec des compétences reconnues. L’apport de la digitalisation joue un rôle central au travers du projet SmartSchool lancé dès 2017. Nous nous adaptons ainsi au besoin des nouvelles générations tout en optimisant l’efficacité et la durée des formations. En outre, l’AAE ambitionne de donner à chaque aviateur un niveau supérieur à celui qu’il détenait en entrant dans l’institution, par un processus de certification professionnelle ou de diplomation. Par exemple, l’École de formation des sous-officiers de l’AAE de Rochefort est ainsi habilitée à enseigner et faire passer les épreuves de BTS aéronautique.
• Une gestion individualisée des compétences accompagnée d’un dialogue de vérité. En effet, il est devenu indispensable d’expliquer les décisions prises par la chaîne RH surtout quand celles-ci sont défavorables. Là encore, l’apport du numérique contribue significativement à cette transparence de l’information et à un échange facilité entre le gestionnaire et l’administré.
• Enfin, des conditions quotidiennes de vie et de travail améliorées grâce à une politique de condition de l’aviateur ambitieuse bénéficiant de budgets spécifiques à la main du commandement local.
Certes, la rémunération, le parcours, la formation, le dialogue avec la hiérarchie et le gestionnaire, et les conditions de travail jouent un rôle important, mais le critère peut-être le plus dimensionnant se trouve dans les relations que nouent nos aviateurs au quotidien dans leurs unités.
D’abord dans la relation de fraternité entre aviateurs, que nous retrouvons sous de nombreux termes : cohésion, esprit de groupe, sens du collectif, esprit de corps, etc. Cette relation se forge, en premier lieu, dans les écoles de début grâce aux activités physiques et professionnelles exigeant un dépassement de soi et la création d’un esprit de groupe où l’aviateur ne se pense plus à la première personne du singulier mais à la première personne du pluriel, condition sine qua none pour la réussite de la mission. Puis, cet esprit doit perdurer sur les bases aériennes au travers d’activités de préparation opérationnelle, d’entraide, de cohésion et allant jusqu’au déploiement en opérations. Naturellement, plus les temps sont durs, plus le lien est fort. Il nous revient donc de commencer à façonner ce lien dès le temps de paix, à l’heure où la frontière entre la compétition, la contestation et l’affrontement est si étroite. Saint-Exupéry mentionnait dans Pilote de guerre : « Chacun est responsable de tous, chacun est seul responsable, chacun est seul responsable de tous ». Voilà une belle manière de résumer ce lien de cohésion !
Puis vient, en second lieu, la relation entre le chef et son subordonné. En effet, par son style de commandement, par l’explication de celui-ci, par le partage de la vision stratégique, des objectifs poursuivis et du sens de la mission, par l’écoute et la connaissance de chacun de ses subordonnés, par la reconnaissance de ce qu’ils sont et de ce qu’ils font, par la valorisation de leur travail, par une responsabilisation de chacun par le prisme de la subsidiarité, par la souplesse dans les rythmes de travail et la diversité des postes qu’il pourra accorder, et enfin par les conditions matérielles proposées notamment en termes d’infrastructure, le chef reste un point focal de la fidélisation.
Être chef n’est pas inné. Le général de Gaulle disait que commander est « l’aboutissement d’un travail de longue haleine ». C’est pourquoi l’Armée de l’Air et de l’Espace investit dans la formation de ses officiers qu’elle adapte à l’évolution de notre société tout en conservant les fondamentaux du métier des armes : courage, rusticité, résilience, audace et agilité.
Continuer à adapter, moderniser et optimiser nos formations
La formation des aviateurs et aviatrices est garante du niveau d’excellence que l’AAE affiche dans l’exécution de ses missions. L’expertise pour mettre en œuvre ou assurer le MCO de systèmes d’armes de plus en plus complexes se durcit. L’émergence de nouveaux espaces de conflictualité et la mise en place de nouvelles capacités conduisent à développer de nouvelles compétences de pointe et à s’adapter en permanence. En outre, nous devons former des aviateurs agiles, en mesure de relever les défis stratégiques, technologiques, techniques et humains qui ne manqueront pas d’émerger.
L’outil de formation de l’AAE s’est inscrit dans une démarche de transformation basée sur l’innovation digitale et l’alternance. Le digital permet de s’adapter aux contraintes internes et externes, d’améliorer l’efficacité intrinsèque de la formation par une pédagogie optimisée et de répondre aux attentes sociologiques des jeunes générations. L’alternance permettra, quant à elle, de mieux contextualiser nos enseignements tout en désengorgeant nos écoles, réduisant les durées de formation et répondant à l’impatience manifestée par nos jeunes recrues d’être au contact de leur outil de combat.
En dosant avec doigté des séquences d’enseignement présentielles, modernes et performantes dans nos écoles et dans les forces, et des séquences d’enseignement à distance, ludiques, adaptées et bénéficiant d’un éventuel accompagnement, notre outil de formation renforcera sa performance et sa capacité à former vite, au juste besoin en conservant notre esprit immuable de performance, tout au long de la carrière de nos aviateurs.
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La manœuvre RH est au cœur des enjeux de défense actuels. Certes, la modernisation de nos capacités est importante pour garder l’avantage et éviter tout décrochage technologique, mais au-delà et derrière ces technologies de pointe, il y a des combattants qu’il convient de recruter, former, endurcir et fidéliser. Les récents événements ont montré la pertinence du rôle de l’humain dans les combats existentiels. Nous devons continuer à investir dans l’humain qui est, et restera, le maillon essentiel du succès de nos armées. Les qualités et la fidélité des combattants de demain se forgent dès aujourd’hui. ♦
(1) J’en suis le parfait exemple : caporal en décembre 1982 et général de corps aérien depuis septembre 2020.