Une composante de défense sol-air robuste et crédible participe à la maîtrise de la troisième dimension en produisant des effets décisifs sur les champs de bataille modernes. Les enjeux de la défense sol-air sont au cœur des réflexions des états-majors et l’actualité apparaît comme une caisse de résonance qui amplifie les questionnements.
Du concours de la défense sol-air à la supériorité aérienne
La définition d’un outil de défense se fonde en premier lieu sur l’évaluation des menaces actuelles et futures. Les dernières analyses des revues stratégiques concluaient à la prévalence de groupes terroristes extraterritoriaux menaçant les intérêts de la France. Ainsi, le format des Armées françaises était en adéquation avec le type d’opérations que la France menait en Afghanistan et mène encore aujourd’hui en Afrique. La physionomie de nos armées est bien celle d’un corps expéditionnaire taillé pour répondre à des guerres asymétriques ou à de la guérilla contre des groupes terroristes. La Défense sol-air (DSA) ne trouvait pas sa place dans ce contexte au vu de l’absence de menace aérienne caractérisée sur les théâtres d’opérations extérieures. La DSA a donc rempli son rôle de maillon opérationnel de la chaîne de défense aérienne sur le Territoire national (TN) en renforçant la PPS Air (1) principalement.
À l’heure où la composante DSA s’apprête à rejoindre la Brigade aérienne d’aviation de chasse (BAAC) (2), la menace aérienne est revenue sur le devant de la scène depuis quelques années et nous reprenons conscience dans l’adversité de la nécessité de disposer d’une DSA crédible et robuste pour participer à la maîtrise de la troisième dimension et maintenir la supériorité aérienne. Après des arbitrages budgétaires défavorables ayant notamment conduit à un resserrement géographique et en ressources humaines (RH), avec pour conséquence de revoir à la baisse les ambitions de se doter d’une DSA massive, on redécouvre l’avantage apporté par cette capacité face à un adversaire équipé et déterminé qui, entravé dans sa conquête des airs par de tels systèmes d’armes, n’arrive pas à obtenir les effets militaires souhaités.
Le Haut-Karabagh et l’utilisation des drones faite par l’Azerbaïdjan, l’A2/AD (3) russe (S400 et autres systèmes) en Syrie notamment, les attaques houthis sur l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis (EAU), la résistance ukrainienne pour interdire les vols au-dessus de son territoire, les armes hypersoniques, les munitions rôdeuses… Tout nous ramène à l’importance pour nos troupes déployées et pour notre population de disposer d’une composante de DSA crédible multicouches, performante dans la durée et agile. La guerre en Ukraine sonne ainsi le retour d’une confrontation entre deux armées étatiques, ce qu’on nomme la guerre de haute intensité, type de conflit auquel la DSA est liée viscéralement. Nous vivons donc une période tristement favorable à cette spécialité concourant à la défense aérienne.
Les savoir-faire de la DSA dans l’Armée de l’Air et de l’Espace
Les 4 Escadrons de DSA (EDSA) de l’AAE ont la particularité d’être multi-missions et multi-systèmes avec le SAMP (Sol-air moyenne portée) Mamba équipé de missiles Aster 30, le Crotale NG avec ses missiles VT1 MO2 et des systèmes de Lutte anti-drone (LAD). Ils concourent à la fois à la PPS Air, à la protection des bases aériennes à vocation nucléaire, à la LAD, à l’accompagnement de la force opérationnelle terrestre et aux opérations extérieures depuis peu. Le tout en s’entraînant de manière efficace pour maintenir de nombreuses compétences rares en termes de guerre électronique, de mobilité, de coordination, de Liaisons de données tactiques (LDT), de travail en zones non ségréguées avec des chasseurs amis, etc. La simulation est ainsi un outil qui nous permet de maintenir notre capacité à traiter des situations aériennes très denses synonymes d’attaques saturantes dignes d’une guerre de haute intensité. Les attaques par salves de missiles de croisière ou de missiles balistiques ont toujours été au cœur de nos réflexions tactiques pour aguerrir notre personnel et le pousser dans ses retranchements selon l’adage « Entraînement difficile, guerre facile ».
Nous sommes au rendez-vous des opérations et peu d’unités combattantes sont autant tiraillées entre opérations sur le territoire national, retour récent aux Opex, formation élémentaire et préparation opérationnelle. Une planification schizophrénique qui ne laisse que très peu de temps à la régénération du potentiel humain et matériel.
Adaptabilité et expertise caractérisent les unités de DSA lorsqu’on regarde d’un peu plus près les missions réalisées depuis des années. Dès la préparation opérationnelle, les EDSA obtiennent d’excellents résultats lors d’exercices internationaux comme à l’occasion d’Aurora 17 en Suède où l’unité déployée a été capable d’être intégrée au réseau de défense aérienne via Liaison 16 (4) et de protéger la ville de Stockholm, le tout en moins de 15 jours avec un dispositif multicouches Crotale NG et Mamba. Cette mission a démontré le savoir-faire des équipes en matière d’interopérabilité, mais aussi de logistique et de transport multimodal par voie ferrée, par route et par bateau. Ces exercices de haut niveau contribuent à renforcer l’expertise de nos opérateurs pour ensuite maîtriser les opérations de renfort de la PPS Air. Il faut se rendre compte du défi extraordinaire de déployer des systèmes d’armes sol-air armés de missiles réels en région parisienne tous les ans dans le cadre des cérémonies du 14 juillet. Un dispositif « bon de guerre » en temps de paix. En parallèle, depuis janvier 2021, les Opex ont fait leur retour dans le quotidien de la DSA. En effet, des Crotale NG ont rempli une mission de défense aérienne au profit des EAU pour faire face aux attaques de drones houthis. Enfin, depuis mai 2021, la DSA concourt aux mesures de réassurance dirigées par l’Otan sur le flanc Est de l’Europe en sécurisant l’espace aérien roumain H24 avec des missiles Aster 30 et des senseurs radar, mission opérationnelle certifiée par plusieurs évaluations d’AIRCOM (5).
De multiples enjeux
Une multiplication des menaces aériennes accompagnée d’une forte évolutivité des modes opératoires adverses, dans un contexte international de réarmement, font écho à la remontée en puissance indispensable de la DSA. Le spectre des menaces incombant à la défense aérienne et plus particulièrement à la DSA est devenu extrêmement large, nécessitant une adaptabilité forte des personnels et des systèmes. Le panel s’étend du mini-drone au missile balistique en passant par les munitions rôdeuses, les missiles hypersoniques, sans parler de la cybermenace et de la guerre électronique.
Vélocité, saturation et furtivité sont les trois paramètres qui caractérisent la menace aérienne et qui dimensionnent la réponse à apporter. Lorsque ces trois paramètres sont rassemblés, l’interception devient particulièrement complexe et impose des temps de réaction extrêmement courts. Cela confirme bien l’importance de porter la DSA sur le devant de la scène pour trouver des parades et des solutions techniques appropriées.
Les enjeux opérationnels dans un monde incertain
Dans le contexte de réarmement tous azimuts et de retour du conflit de haute intensité aux portes de l’Europe, le défi lancé à la DSA est énorme et conforte le principe de défense multicouches. Les composantes courte et moyenne portée doivent être impérativement maintenues et densifiées. Les moyens seront déployés sur le TN pour des missions de défense aérienne et de renfort de la PPS Air, mais pourront également l’être en dehors du territoire national comme aujourd’hui sur le flanc Est de l’Europe. La Défense antimissile balistique (DAMB) devra faire partie des expertises à renforcer avec l’apport considérable du SAMP NG, successeur à l’horizon 2027 de l’actuel SAMP Mamba.
Concernant la lutte anti-minidrone, sur le TN et en collaboration interministérielle, de grands rendez-vous s’annoncent avec la Coupe du monde de rugby en 2023 et les Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024. Cette menace fugace et très protéiforme que représentent les mini-drones est un autre enjeu opérationnel prégnant auquel il faudra aussi faire face sur des théâtres d’Opex.
La coordination des moyens sol-air s’inscrira dans un ensemble plus vaste relevant du C2 Air (Commandement et contrôle) qui devra agréger un nombre incroyable d’informations pour traiter les menaces, garder son omniscience et in fine engager les cibles hostiles avec les effecteurs les plus appropriés.
Cependant, il faudra se préparer à des conflits où les cas non conformes fleuriront et où il faudra revenir aux fondamentaux, et savoir travailler dans des conditions très dégradées comme l’ont fait les Serbes en leur temps face aux avions de l’Otan pendant la guerre au Kosovo ou les Ukrainiens aujourd’hui. Lorsque les communications et les LDT seront brouillées, les what-if (6) et les règles d’engagement imaginés et étudiés inlassablement lors des entraînements feront alors sens. La ruse, la mobilité et la discrétion propres aux opérateurs de défense sol-air devront faire la différence pour pratiquer une sorte de guérilla sol-air si nécessaire.
Les enjeux capacitaires ou le besoin de systèmes de systèmes
Pour maintenir le concept de DSA multicouches, grâce au continuum de défense aérienne structuré par un C2 robuste, il est essentiel de maintenir la capacité courte portée qui allait se voir réduite avec le retrait de service du Crotale NG annoncé à l’horizon 2026-2027. Récemment, une décision a été prise de pallier le retrait progressif des premiers systèmes d’armes par l’achat de systèmes courte portée Vertical Launch Mica (Missile d’interception, de combat et d’autodéfense). Ce « tampon » ou gapfiler sera utile jusqu’à l’arrivée d’un futur système dit Sol-air basse couche (SABC) qui ne verra le jour qu’à l’horizon 2035. Pérenniser la capacité courte portée au sein de l’AAE permettra d’envisager avec sérénité et efficacité des dispositifs de protection 3D, dans une logique de défense aérienne, du sol jusqu’à l’Espace. À partir de 2027, le Samp NG arrivera dans les forces améliorant les capacités de détection avec un radar GF 300 plus puissant, et les capacités d’interception avec un missile Aster 30 B1 NT. Ce nouveau système d’armes apportera une plus-value importante sur le champ de bataille.
La LAD demandera également de nouveaux systèmes très adaptables et modulables au vu de la permanente évolution de la menace. Il faudra se concentrer sur des matériels de type C2 connectés à de nombreux capteurs et senseurs pour assurer la meilleure solution de détection puis de neutralisation. Ce concept est déjà employé avec le système BASSALT qui agrège différentes sources d’information issues de moyens optroniques, radar ou goniométriques. L’innovation sera la clef pour éviter d’être à la traîne face à un écosystème drone qui ne cessera d’être bouillonnant.
La DSA gardera l’expertise de la coordination, inscrite dans l’ADN de l’Armée de l’Air et de l’Espace, avec le Centre de management de la défense de la 3e dimension (CMD3D) qui impose encore une fois une culture forte du système de systèmes où l’intégration de toutes les capacités répondant aux différentes menaces sera gage d’efficacité du commandement, mais également d’une intégration sûre et maîtrisée des effecteurs aériens, notamment avions de combat et drones.
Les enjeux RH
La DSA doit disposer d’un personnel aguerri, au fait des nouvelles conflictualités et en nombre suffisant pour être formé et répondre dans la durée aux contrats opérationnels. Or, la description des référentiels en organisation des Escadrons de DSA impose une très forte mutualisation du personnel pour armer H24 l’ensemble des équipages sur systèmes d’armes. Notre modèle RH actuel doit évoluer. L’effort de recrutement devra être significatif dans les années qui viennent, quelle que soit la spécialité concernée (opérateur, mécanicien, technicien des réseaux).
La fidélisation du personnel qualifié sera un enjeu de premier plan au vu des nombreuses formations à valider pour atteindre le niveau opérationnel requis. Nos opérateurs doivent détenir, en effet, de nombreuses compétences pour être capables d’échanger avec les pilotes de chasse, les contrôleurs, les spécialistes communication (SIC), les logisticiens, les camarades marins ou terriens ainsi que les partenaires étrangers. Nous parlons bien d’une spécialité à la croisée des chemins entre déploiement mobile sur le terrain, tactiques analogues à leurs frères d’armes chasseurs, maîtrise de la 3D et connectivité à l’aide de LDT pour être totalement intégrés et interopérables. Tout cela demande une culture extraordinaire et des capacités d’adaptation exigeantes. Autant d’atouts à valoriser pour perpétuer une DSA de premier rang au sein de l’AAE.
Vers une DSA plus robuste
La défense sol-air apporte une permanence sur le terrain, une instantanéité de l’engagement et une densité de feu redoutable. La composante sol-air est désormais apte à assumer en temps réel ce niveau de coordination et d’optimisation de la couverture de défense aérienne dans des zones non ségréguées, notamment en intégrant d’autres composantes sol-air comme les SATCP (Surface air à très courte portée) Mistral de l’armée de Terre. Cela requiert un haut niveau de technicité, d’entraînement et une parfaite maîtrise des procédures.
Les unités de défense sol-air de l’AAE réalisent des exploits à chaque déploiement opérationnel. La spécialité demande une culture 3D très vaste, des connaissances élargies en matière de LDT et une capacité à parler le langage de tous les intervenants des opérations aériennes tout en restant des combattants terrestres. Recentrée sur le territoire national pendant des dizaines d’années, la DSA a su garder le cap en maintenant un haut niveau d’expertise sur systèmes d’armes et une abnégation à toute épreuve, attendant patiemment l’engagement opérationnel réel. Depuis une année environ, c’est chose faite en Roumanie et force est de constater que la DSA est très largement au rendez-vous des opérations !
La DSA ukrainienne nous invite à revoir nos classiques en matière de défense aérienne. Certains semblent redécouvrir l’importance de la mobilité des systèmes d’armes, l’importance de la discrétion de nos émissions dans le spectre électromagnétique. Mobilité et discrétion ont été, sont et seront toujours les deux paramètres à parfaitement maîtriser pour survivre sur un champ de bataille lorsqu’on est opérateur de DSA ! Il suffit de se référer au retour d’expérience de la guerre au Kosovo et particulièrement à l’épisode éloquent du F-117, soi-disant indétectable, abattu par un système serbe de vieille génération (7). Rien de nouveau à l’est.
La force de la DSA ukrainienne tient aussi au nombre de systèmes d’armes déployés sur le théâtre, à leur maillage et au haut sens tactique des opérateurs. Les retours d’expérience commencent à émerger, mais il s’agit encore une fois de bien les analyser avant de proposer des conclusions trop hâtives.
Nous vivons actuellement un moment où les faiblesses ne peuvent pas être occultées. Ce regain de tensions au niveau international agit comme un révélateur de nos manques, largement étayés par de nombreuses études et notamment par la Commission de la défense de l’Assemblée nationale (8) qui recommande de densifier les matériels et regonfler les effectifs. Il est temps de muscler cette composante ! ♦
(1) Posture permanente de sûreté aérienne : mission permanente et prioritaire assurée par l’Armée de l’Air et de l’Espace pour garantir la souveraineté de l’espace aérien national, prévenir les menaces aériennes et porter assistance aux aéronefs en détresse.
(2) C’est l’une des conséquences du Plan Altaïr dans le but de regrouper les dimensions opérationnelles et techniques au sein de la BAAC à partir de l’été 2023.
(3) A2/AD : Anti Access/Area Denial.
(4) Liaison 16 : liaison de données tactiques de l’Otan permettant l’échange d’informations entre unités militaires intégrées dans un même réseau.
(5) Voir dans ce Cahier, l’article du général Delerce, p. 19-25.
(6) Ensemble de cas non conformes qu’on envisage en préparant une mission et qu’on anticipe pour réagir le plus rapidement possible s’ils se présentaient.
(7) « Le Témoin – “Désolé nous ne savions pas que votre avion était invisible…” », propos recueillis en septembre 2021 par Lasha Otkhmezuri et Nikola Grgic, Guerres & Histoire n° 70, décembre 2022, p. 34-42.
(8) Commission de la défense nationale et des forces armées, Mission flash sur la défense sol-air en France et en Europe (Rapport d’information n° 866), 15 février 2023, Assemblée nationale (https://www.assemblee-nationale.fr/).