Les drones occupent une place de plus en plus prépondérante dans les conflits récents. Leurs avantages sont synonymes d’opportunités pour les armées. Néanmoins, il convient de replacer ce matériel dans le cadre plus général de l’ordre de bataille aérien : plus qu’une fin en soi, le drone est un moyen multiplicateur de forces à envisager en complémentarité d’autres plateformes pilotées.
Le rôle des drones aériens dans les conflits actuels et futurs
La « dronisation » est un phénomène transverse aux milieux physiques d’opérations. Si les forces aériennes occidentales y portent un intérêt renouvelé depuis la « guerre contre le terrorisme », les affrontements en Syrie, en Libye, dans le Haut-Karabagh et aujourd’hui en Ukraine montrent que les drones jouent un rôle majeur quelle que soit la nature du conflit.
Les forces occidentales recherchent ainsi les meilleurs ajustements possibles entre vecteurs pilotés et télé-opérés dans une logique de cohérence capacitaire. Ces réflexions s’inscrivent notamment dans le cadre du retour des conflits de haute intensité pour lesquels les enjeux de masse et de coûts – humain comme financier – seront déterminants.
Prendre en compte l’évolution des tendances dans l’emploi des drones
Les limites des drones dans des environnements aériens non permissifs
En raison de leurs caractéristiques (persistance, rapport coût-efficacité avantageux, éloignement du pilote), les drones ont régulièrement été présentés comme un substitut – à moyen/long terme – aux aéronefs habités. Toutefois, leurs limites techniques et les réflexions sur les scénarios futurs d’emploi des forces invitent à nuancer cette image du drone comme horizon capacitaire unique.
Les adeptes d’une solution « tout drone » fondent leurs arguments sur les Retours d’expérience (Retex) de leur emploi durant les opérations de contre-insurrection en Irak et en Afghanistan. Caractérisés par l’absence de menaces air-air/sol-air et air-sol, et sans opération de frappes dans la profondeur, ces environnements aériens permissifs ont laissé le champ libre aux drones. Pourtant, cette page semble se tourner. En effet, l’aptitude des forces occidentales à s’assurer la supériorité aérienne tend à se complexifier. Si ce constat semble évident dans le cadre d’un affrontement dissymétrique entre acteurs étatiques, cette tendance au durcissement de la 3D se retrouve également dans les conflits du « bas du spectre ».
Cette « irruption des pertes » met en lumière plusieurs facteurs limitant à l’usage des drones ; à commencer par l’absence de capacités d’autoprotection embarquées. Si elles disposent d’une surface équivalente radar et d’une signature acoustique réduites, ces plateformes ne sont pas furtives pour autant et n’ont pas de systèmes de contre-mesures électroniques ou de leurres. De surcroît, leurs faibles vitesse et manœuvrabilité réduisent la survivabilité des plateformes face à des capacités antiaériennes adverses – même rudimentaires.
Enfin, la majeure partie de ces drones sont également sensibles à la qualité de l’environnement électromagnétique. En contexte dégradé, les performances des instruments de navigation et de l’électronique embarquée s’altèrent : les liaisons de données entre le drone et la station sol peuvent être corrompues ou tout simplement interrompues.
L’engouement pour les modèles de petite taille doit intégrer le rééquilibrage du rapport offensive-défensive
A contrario, les drones tactiques et de petite taille ne semblent pas rencontrer les mêmes critiques. Les pertes pourtant considérables sur ce segment sont atténuées par le faible coût des plateformes qui leur donne un caractère « consommable ». La guerre en Ukraine voit d’ailleurs l’usage massif des drones de taille modeste par chacun des deux belligérants. Le potentiel des modèles réduits ouvre de nouvelles perspectives opérationnelles, notamment en termes d’attaques par saturation. Cependant, les promesses militaires portées par ce segment doivent également être pondérées. Tout d’abord, des contre-mesures existent dès à présent. La présence des différents systèmes de brouillage (canons anti-drones, dispositifs de guerre électronique [GE]) a empêché à plusieurs reprises leur emploi sur le théâtre ukrainien.
Ensuite, l’étoffement des systèmes de défense va mécaniquement engendrer un retour de balancier du rapport de force entre « épée » et « bouclier ». Que ce soit par le perfectionnement des senseurs (radars de veille ou de poursuite) ou des effecteurs (armes à énergie dirigée, drones anti-drones), la prolifération des programmes Counter-Unmanned Aircraft Systems au sein des écosystèmes industriels de défense annonce un rééquilibrage en faveur de la défensive. La réelle question est de savoir quel système permettra d’offrir une défense contre les drones à un coût proportionnel au développement de ces derniers.
En l’état actuel des développements, priorité à la complémentarité entre plateformes habitées et télé-opérées
Ainsi, les faiblesses techniques actuelles des drones et l’amélioration progressive des moyens de défense antiaérienne invitent à relativiser les discours prophétisant, à court/moyen terme, la fin des vecteurs pilotés. Les avions de combat disposent de caractéristiques techniques propres que n’ont pas la plupart des drones, les UCAV n’ayant pas encore fait la démonstration de leur efficacité au regard du coût de développement. Cette différence entre ces deux plateformes pousse une partie de la R&D à élaborer une plateforme inhabitée disposant de caractéristiques techniques et d’emploi similaires aux avions de chasse. Si ces drones de combat présentent des performances de vol avancées, une plus grande autonomie, une charge utile plus importante et polyvalente, cette recherche les rend également aussi chers que les aéronefs habités, sapant les logiques coût-efficacité et « consommables » propres aux drones.
Plus généralement, le phénomène de dronisation de la 3D comporte des freins d’ordre socioculturel et éthique, en lien avec l’émergence des débats autour de l’Intelligence artificielle (IA) et de la robotisation du champ de bataille. Ainsi, les politiques capacitaires en matière de défense des pays occidentaux illustrent toutes le choix de conserver la place d’un vecteur piloté in situ évoluant en coordination avec des « drones accompagnateurs » (Remote Carriers).
Le drone : une solution rapide pour regagner en masse
« Si les méthodes du Pentagone et l’évolution des coûts ne changent pas, le budget autour de 2050 servira à acheter un seul avion tactique. Celui-ci sera confié trois jours par semaine à l’US Air Force, trois jours à la Navy et le septième au Marine Corps (1). »
La fameuse « Loi d’Augustine » résume les problèmes posés par l’inflation des coûts unitaires de production et de maintien en condition opérationnelle du matériel militaire. Elle alimente le phénomène de déflation numérique des parcs aériens occidentaux. Cependant, à l’heure de la préparation à la haute intensité, la problématique de la « masse » organique s’exprime en des termes nouveaux. Dans ce cadre, les drones représentent à ce jour l’une des meilleures réponses pour contrecarrer la tendance à « l’échantillonnage » des architectures aériennes.
L’aviation de chasse occidentale a connu une très forte contraction numérique avec la fin de la guerre froide. Depuis 1990, son parc a été réduit d’un quart aux États-Unis et de plus de moitié pour les aviations européennes. Si cette réduction ne s’est pas toujours répercutée sur la puissance de feu additionnée des chasseurs, elle a néanmoins un impact concret sur la disponibilité des matériels militaires. Par ailleurs, il existe bien entendu un seuil minimal de chasseurs nécessaires afin de pouvoir déployer une puissance de feu substantielle, mais aussi pour être en mesure de surmonter au mieux le phénomène d’attrition dans un conflit tout en assurant une continuité des missions permanentes.
Le défi pour les armées occidentales est donc de pouvoir disposer d’une aviation en mesure d’agir sur tout le spectre de la conflictualité. Le format capacitaire s’articulera autour d’appareils pilotés de haute technologie auxquels seront associés des drones accompagnateurs. Leur combinaison au sein d’un « système de systèmes » permettra non seulement de réaliser une entrée en premier aux coûts maîtrisés à la fois sur un plan financier et humain, et de regagner en masse pour tenir dans la durée. Les Remote Carriers prévus dans le cadre du Système de combat aérien du futur (Scaf) devront être considérés comme des consommables, impliquant une maîtrise stricte des coûts de développement afin de ne pas saper la plus-value capacitaire recherchée.
L’ensemble – appareils habités et effecteurs/senseurs déportés – nécessitera de réfléchir sur l’équilibre à établir entre l’une et l’autre plateforme permettant à chaque menace du spectre de pouvoir recevoir une réponse militaire à la fois adéquate en termes d’effet recherché et de coût. Surtout, au-delà de la simple manœuvre aérienne, ce nouveau format capacitaire aérien s’insérera dans la dynamique générale du combat collaboratif recherchée par les armées occidentales. Ainsi, les effecteurs et senseurs aériens « dronisés » pourraient également répondre plus efficacement aux demandes des forces terrestres et navales dans le cadre de missions de reconnaissance pré- ou post -action, de frappes ou de guidage des feux.
L’ouverture de champs des possibles opérationnels
L’utilisation des drones lors des conflits en Libye, dans le Haut-Karabagh et aujourd’hui en Ukraine illustre plusieurs champs des possibles opérationnels dont la pertinence doit être questionnée dans le cadre des réflexions sur le format futur des armées aériennes.
La protection des emprises aériennes
Les événements en Ukraine montrent le besoin continuel de réviser et d’adapter les niveaux de protection de l’empreinte terrestre de la puissance aérienne. Ici, l’acquisition de petits drones en nombre permettrait une défense des emprises air « de l’avant » élargie, non plus cantonnée au périmètre rapproché de l’installation. À titre d’exemple, le modèle Elbit Skylark Lex NG opéré par le Commando parachutiste de l’air n° 30 (CPA30) dispose d’une autonomie de 3 heures et d’un rayon d’action allant de 20 à 40 kilomètres. Sa facilité de lancement et d’utilisation en fait un outil indispensable pour la protection des installations militaires, sur le territoire national ou en opérations extérieures, en permettant de détecter une attaque ennemie à temps et ainsi d’augmenter le délai de préparation de la défense.
L’acquisition des « drones de contact » pour les forces spéciales comme « key enabler »
Pour les unités commandos, les caractéristiques techniques des mini-/micro-/nano-drones apporteraient une plus-value déterminante dans l’accomplissement de leurs missions. Facilité et rapidité de mise en œuvre, discrétion, rusticité, faible coût : ces drones augmenteraient la liberté d’action des FS pour réaliser du recueil de renseignement pré- et post-action, renforceraient l’autoprotection du groupe ou l’effet des manœuvres de deception des forces adverses (2).
L’accroissement des moyens de frappes dans la profondeur adverse
Cette mission est dévolue aux forces aériennes, disposant du savoir-faire et des capacités air-sol permettant une allonge suffisante pour atteindre l’arrière ennemi et de la cohérence d’ensemble (Command, Control, Communication, Computer, Intelligence, Surveillance and Reconnaissance– C4ISR). Actuellement, les capacités françaises en la matière reposent sur une gamme de missiles de moyenne portée : l’Armement air-sol modulaire (AASM : + 50 km) et le Système de croisière conventionnel autonome à longue portée (Scalp : + 500 km).
Ici, la capacité à réaliser des frappes en profondeur recouvre trois sous-questions. Tout d’abord, en termes de nombre, un engagement de haute intensité oblige à disposer d’un stock suffisant de munitions de précision. Ensuite, la portée des feux air-sol est progressivement concurrencée par l’augmentation des rayons d’action des systèmes de défense et d’interception adverses. Enfin, la question des coûts rentre également dans l’équation, la facture étant logiquement plus élevée avec l’emploi de munition de précision, à l’instar de l’AASM ou du Scalp. L’application d’une logique « comptable » pour les frappes air-sol en profondeur invite donc à trouver des solutions moins onéreuses.
Dans ce cadre, les affrontements dans le Haut-Karabagh et en Ukraine ont montré le rôle que pouvaient remplir les « munitions maraudeuses » (MM). Capacités situées entre le drone et le missile de croisière, l’Azerbaïdjan s’est appuyé sur les modèles israéliens IAI Harop pour réaliser des missions SEAD (Suppression de la défense aérienne ennemie) sur le territoire arménien (3). Ce drone dispose d’une autonomie de 6 heures, d’un rayon d’action pouvant aller jusqu’à 1 000 km, pour un coût unitaire approchant les 70 000 dollars. Ces munitions permettent donc de remplir de façon économe des objectifs SEAD. À titre de comparaison, le prix d’un AGM-88 HARM embarqué sur les MiG-29 et Su-27 ukrainiens oscille entre 284 000 et 870 000 $ selon les versions. Dans le cas du Haut-Karabagh, c’est plus précisément la combinaison de l’emploi de la GE, des drones et de ce type de munitions télé-opérées qui a démontré son efficacité.
En Ukraine, si la majorité des MM a un rayon d’action limité (40 km pour la plupart) et ne concerne que la profondeur tactique de l’adversaire, l’emploi des modèles iraniens Shahed 136 – rebaptisés Geran-2 par Moscou – permet aux forces russes de réaliser des frappes dans la profondeur adverse. L’efficacité du système semble néanmoins limitée par l’absence de système d’autoprotection (un appareil abattu par des Armes légères et de petit calibre [ALPC] à Kiev le 17 octobre) et par son inefficacité face à des cibles mobiles (guidage inertiel et Système de positionnement par satellites [GNSS] sans possibilité de correction durant le vol). Ce modèle aurait une portée de 1 000 km (2 500 km selon Téhéran) pour un coût unitaire de 20 000 €.
Si les feux terrestres jouent un rôle important dans ce conflit, l’artillerie offre une allonge plus réduite (son efficacité repose parfois sur les missions de reconnaissance des drones) – le HIMARS a un proven rang à 300 km, avec des extensions possibles allant jusqu’à 500 km – tandis que le coût d’utilisation de ces systèmes longue portée s’avère également onéreux – une roquette GMLRS coûte 160 000 $, un ATACM (missile balistique tactique) aux alentours d’un million de dollars. Les moyens d’artillerie sont donc surclassés en termes de portée et de coûts par rapport au potentiel de certaines MM.
Ici, le développement national ou l’achat sur étagère de MM longue portée offrirait une plus grande flexibilité dans les options de frappes en profondeur et à moindre coût. Leur acquisition en nombre permettrait de tenir dans la durée et de mener des frappes en saturation. Pour les aviations occidentales ne disposant pas de composante « bombardiers stratégiques » propre – sur le modèle de l’ALRA russe (4) – cette solution permettrait de combler cet angle mort.
Faciliter la qualification de drones aériens embarqués
Le déploiement de drones rustiques depuis des plateformes aériennes permettrait d’accroître leur capacité de permanence au-dessus des théâtres d’opérations, ce qui nécessite la construction d’un C2 (Commandement et contrôle) spécifique, apte à agréger les flux de tous les capteurs. Les États-Unis développent un programme fondé sur des drones de ce type avec Rapid Dragon (5). Pour sa part, l’entreprise française Turgis & Gaillard propose plusieurs solutions pour accroître la polyvalence des A400M dont un système – appelé SSA-1604 Foudre – permettant à l’appareil de larguer des munitions depuis sa soute (6).
Développer des C-UAS efficaces et rustiques
Lors de l’exercice franco-américain Warfighter tenu du 6 au 15 avril 2021 à Fort Hood (Texas), après seulement 5 heures de manœuvre, deux bataillons avaient été virtuellement frappés par un drone de simulation, causant la mort de 800 soldats (7). Cet exemple illustre la vulnérabilité actuelle des forces aux attaques par drones et invite à développer des C-UAS (Systèmes de C2 à courte portée anti-drones) performants.
Dans ce domaine, si les systèmes de GE remplissent dès à présent une fonction d’autoprotection des forces, d’autres solutions émergent, à l’instar des drones anti-drones mais aussi des armes à énergie dirigée. Ici, Israël a développé le système de défense antiaérienne Iron Beam afin d’apporter une réponse aux problématiques des attaques par saturation – par roquettes, mortiers et bientôt drones. Alors que le prix d’un intercepteur du dispositif Iron Dome est estimé entre 100 000 et 150 000 $, Iron Beam permettrait de suppléer ce système à faible coût.
Suppression and Destruction of Enemy Air Defense (8)
Dès 1982, l’armée de l’air israélienne emploie ses drones au-dessus de la Bekaa (Sud-Liban) comme leurres pour forcer l’allumage des radars syriens (opération Mole Cricket 19). Un complexe reconnaissance-frappe réactif assure ensuite la neutralisation des Systèmes de missiles antiaériens (SAM) adverses par F-4 Phantom II.
Si cette technique contrecarre l’effet de surprise ennemi et assure l’obtention de coordonnées de ciblage des systèmes SAM à coût humain nul et financier faible, elle comporte toujours l’exposition humaine dans le traitement de l’objectif (9). L’opération de 1982 enclenche ainsi au sein de Tsahal un débat sur l’acquisition de nouvelles plateformes antiradars. Fruit de ces réflexions, l’entreprise IAI développe deux MM spécifiquement conçues pour répondre à ce besoin : la Harpy et la Harop.
Depuis, l’arsenal des MM anti-radar s’est diversifié (ASN-301 chinois, Kargi turc…) tandis que certains États ont aussi fait le choix d’équiper leurs drones de missiles antiradars (WJ-700 chinois, Rustom 2 indien…). L’une comme l’autre solution peuvent ainsi s’insérer dans un ordre de bataille plus général, notamment pour la fonction d’entrée en premier.
Renforcer les capacités de détection et d’alerte avancée aéroportées
Dans une approche « système de systèmes », les fonctionnalités ISR des drones jouent le rôle de senseur pour une architecture de combat ou de multiplicateur de performance au profit de plateformes habitées (AEW&C ou AWACS). Si la première configuration fait l’objet de réflexions quant à l’équilibre entre Remote Carriers et avion de 6e génération, la seconde est dès à présent appliquée en opération. Par exemple, au départ de Sigonella (Sicile), les Northrop Grumman RQ-4 Global Hawk patrouillent en mer Noire et opèrent en liaison avec les plateformes de détection et/ou de contrôle aéroportées des pays de l’Otan. Cet agencement permet à ces derniers d’évoluer en hippodrome à distance de sécurité tout en agrémentant leur connaissance situationnelle par des informations collectées par un senseur placé en avant, au plus près du théâtre.
Close Air Support (CAS)
Grâce aux qualités de persistance des drones, les JTAC/JFO (Joint Terminal Attack Controller/Joint Fires Observers) disposeraient d’une artillerie aérienne à très forte réactivité en zone d’attente au-dessus d’un théâtre. Dans une fenêtre temporelle réduite, un JTAC/JFO pourrait réquisitionner l’effecteur le plus adapté (charge, vitesse, disponibilité, coût/objectif) et lui communiquer les coordonnées de ciblage.
Si la permanence des drones est utile pour le traitement de cibles d’opportunité, ces effecteurs permettent également d’améliorer la précision des feux, notamment lors des combats urbains. À cet égard, d’août à septembre 2016, dans le cadre des combats pour la reprise de Syrte (Libye), plus de 70 % des frappes de Reaper relevaient du CAS, dont certaines réalisées à seulement 25 m du sol (10).
Dans ces missions, les MM ont l’avantage de leur possible réversibilité d’emploi : en cas de « tir annulé », la munition retourne en zone d’attente. Les drones de plus grande envergure offrent cependant d’autres atouts. En plus d’une charge utile bien plus importante, leur plafond opérationnel leur confère une discrétion visuelle et auditive qui peut renforcer l’effet de surprise et faire planer au-dessus de l’adversaire et sur son moral une menace à la fois imperceptible mais réelle. Ensuite, les missiles embarqués présentent une meilleure réactivité : une Switchblade 600 peut atteindre 185 km/h en vitesse optimale tandis qu’un Hellfire peut aller jusqu’à Mach 1,3 (env. 1 500 km/h) et a une plus faible probabilité d’interception. Enfin, le prix d’une Switchblade 600 est estimé aux alentours de 220 000 $ (11) contre 70 000 pour un AGM-114. Dès lors, à nombre « d’opportunité de feu » équivalent, un drone General Atomics Mojave (16 Hellfire) est moins dispendieux que l’emploi de 16 Switchblade 600.
Guerre électronique
Les fonctionnalités de GE sur drones se sont diversifiées au début des années 2000. Ces plateformes sont conçues comme des outils de soutien, de protection ou d’attaque électronique. Sous l’effet de la « numérisation des armées » (12), elles sont appelées à jouer un rôle déterminant dans la manœuvre militaire.
La GE sur drone s’est notamment publicisée avec la guerre en Ukraine : les forces russes y déploient le complexe Leer-3 et son drone Orlan-10 leur permettant d’intercepter les échanges radios et téléphoniques. Moscou recourt également au Kronshtadt Orion, dont une version de la plateforme embarque un module de brouillage radar et de communications.
Côté français, l’AAE dispose d’une panoplie d’outils de GE qui « ne [comble] que partiellement le trou capacitaire » (13). Dans l’attente du programme Archange et Cuge (14), les drones de GE pourraient représenter un levier pour gagner en masse, en disponibilité matérielle et en efficacité à moindre coût.
Conclusion
Pour la puissance aérospatiale, jouer son rôle à chaque étape du triptyque « compétition–contestation–affrontement » implique de posséder des armes et des équipements de haute technologie. Ainsi, afin d’éviter tout déclassement stratégique, il semble indispensable de capitaliser sur les atouts que confèrent les drones sans en complexifier l’emploi notamment sur le plan réglementaire. Le choix d’un juste équilibre entre plateformes habitées et pilotées à distance permettra aux décideurs politiques de disposer d’une gamme d’options militaires renforcée. ♦
(1) Augustine Norman Ralph, Augustine’s Laws and Major System Development Programs, New York, American Institute of Aeronautics and Astronautics, 1982, 213 pages.
(2) Des systèmes électroniques embarqués peuvent simuler la présence d’une force ennemie et fausser l’appréciation situationnelle de l’adversaire.
(3) La munition Harop répond à un fonctionnement Man in the Loop : l’opérateur peut intervenir à tout moment, notamment en phase terminale en cas d’identification erronée (leurre), le drone revenant à sa base si aucune cible n’a été engagée.
(4) L’Aviation à long rayon d’action russe comprend des Tu-160M, des Tu-95MSM et des Tu-22M.
(5) Mallard Jules, « De l’avion-cargo au bombardier : le programme Rapid Dragon », Note n° 449, Césa, octobre 2022 (https://www.calameo.com/).
(6) Turgis & Gaillard Groupe, « Développement de systèmes » (https://www.turgisetgaillard.fr/developpement-de-systemes/).
(7) Commission de la défense nationale et des forces armées, Préparation à la haute intensité (Rapport d’information n° 5054), Assemblée nationale, 17 février 2022, p. 39 (https://www.assemblee-nationale.fr/).
(8) Là où une mission SEAD se donne pour objectif la suppression du radar d’un système SAM (généralement à l’aide d’un missile antiradar), la DEAD va viser la destruction de toute ou partie du système (radar, C2, module lanceur…) et peut être accomplie à l’aide de bombes guidées et/ou de missiles de précision.
(9) Depuis le retrait de l’AS.37 Martel (1999), l’AAE ne dispose plus de missile antiradar.
(10) Clark Colin, « Reaper Drones: The New Close Air Support Weapon », Breaking Defense, 10 mai 2017 (https://breakingdefense.com/).
(11) « Pentagon ordered Switchblade 600 kamikaze drones for the Ukrainian Armed Force », Ukrainian MinDef, 21 septembre 2022 (https://mil.in.ua/).
(12) Commission de la défense nationale et des forces armées, Les enjeux de la numérisation des armées (Rapport d’information n° 996), Assemblée nationale, 30 mai 2018 (https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cion_def/l15b0996_rapport-information).
(13) Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, Projet de loi de finances pour 2023 - Annexe n° 14 - défense : préparation de l’avenir, Assemblée nationale, 6 octobre 2022 (https://www.assemblee-nationale.fr/).
(14) Avions de renseignement à charge utile de nouvelle génération. NDLR : des Falcon 8X modifiés et équipés de la Capacité universelle de guerre électronique.